En fin de journée, un mercredi, les Sapeurs-Pompiers sont alertés pour un accident ferroviaire survenu sur la commune de Saint Médard sur Ille. « L’accident a été causé par la collision d’un TER Rennes / St Malo avec un camion transportant une pelleteuse. Le TER transportait environ 170 voyageurs et un contrôleur. Le conducteur du poids-lourd était seul à bord de son véhicule. Cette opération a nécessité l’activation d’un plan destiné à porter secours à de nombreuses victimes. Plusieurs points ressortant du RETour d’Expérience réalisé peuvent être cités : une bonne réactivité du CTACODIS (Centre de Traitement de l’Alerte Centre Opérationnel Départemental d’Incendie et de Secours) avec des moyens conséquents et pertinents engagés, des anticipations efficaces pour la demande de bus SNCF, la pré-alerte d’hélicoptères, la mise à disposition de salles, la prise en charge optimale des victimes avec un pronostic vital engagé, une forte implication du SAMU (Service d’Aide Médicale Urgente), etc. Le bilan de l’intervention s’est finalement établi à 2 personnes décédées, 6 blessés graves et 39 blessés légers. 48 impliqués ont été pris en charge par les secours, dont 25 ont été vus par la CUMP (Cellule d’Urgence MedicoPsychologique). L’accident a gravement endommagé les infrastructures ferroviaires, nécessitant une interruption du trafic d’environ 40 heures. Le ministre des transports et le président de la SNCF se sont rendus sur place pour évaluer la situation et répondre à d’importantes sollicitations médiatiques » (RETEX, SDIS35).
Le compte-rendu de cette intervention réelle montre que les professionnels de la sécurité parviennent à s’adapter et à être efficaces dans des situations inhabituelles. Comment ces professionnels parviennent-ils à gérer des situations qui basculent parfois de la routine à des situations exceptionnelles, et ce, même quand les plans prévus au départ sont hors-jeu ? Ce thème intéresse aussi bien les professionnels des Centres de Secours que les préfectures ou encore les industries qui sont confrontées aux risques technologiques ; il s’agit également d’un thème central en psychologie ergonomique.
Définition et typologie de la crise
Des définitions équivoques
La « crise » constitue un objet d’étude depuis plus de trente ans. Cependant, les définitions de la crise restent équivoques (Rogalski, 2004 ; Lagadec, 1991 ; Jaques 2009 ; Dautun, 2009). En effet, il semble difficile de trouver une définition qui fasse consensus, notamment parce que la crise est caractérisée par de nombreux éléments mais aussi parce qu’il s’agit d’une notion qui est fortement liée à la perception que les agents concernés en ont (Dutton, 1986). Pourtant, afin d’identifier et gérer, voire éviter les crises, il semble essentiel de pouvoir définir la crise et comprendre ce qui la caractérise.
Dans notre travail, nous distinguons trois grands types d’intervention, l’intervention courante, le sinistre et la crise. Les interventions courantes sont les interventions les plus habituelles des SP. Le sinistre est défini comme « un événement ponctuel grave» (Lagadec & Guilhou, 2002), pour lequel les agents (SP notamment) interviennent selon un protocole prédéfini. Perrenoud (1999) distingue le sinistre de la crise en introduisant la notion d’imprévu. Selon lui, deux types d’imprévus sont à distinguer. D’une part, il y a l’événement relativement prévisible mais dont le moment de survenu n’est pas connu et pour lequel une réponse existe car elle est construite en amont ; il reste à la mettre en œuvre au moment opportun, tout en l’adaptant en cas de besoin. On peut assimiler ce type d’imprévu au sinistre. D’autre part, l’imprévu peut également être un événement exceptionnel pour lequel aucune réponse n’a été construite en amont et qui nécessite d’ « improviser », c’est-à-dire de construire une réponse adaptée qui s’appuie sur « un habitus, une formation, des ressources et des capacités» (Perrenoud, 1999). On peut associer ce second type d’imprévu à la crise. D’autres auteurs parlent de crises pour « les phénomènes complexes dynamiques qui constituent une menace pour la survie de l’organisation et/ou de ses membres, qui laissent peu de temps de réaction et qui entraînent un ajustement du système » (Jacques & Gatot, 1997, p. 26) ou évoquent un «processus d’incubation qui commence bien avant l’événement déclenchant » (Roux Dufort, 2007). Lagadec (2007) quant à lui, parle de « crises hors cadres ». Ce sont, pour cet auteur, des situations qui dépassent tous les plans imaginés, qui engendrent des difficultés très importantes, qui durent dans le temps, qui impliquent de nombreux acteurs, qui posent des problèmes de communication importants et qui sont associées à des enjeux colossaux.
Caractéristiques de la crise
Certaines caractéristiques de la crise semblent faire consensus dans la littérature et, notamment, la complexité et la dynamique (Jacques & Gatot, 1997). La crise est un phénomène qui peut être qualifié de « complexe », parce qu’il est composé d’un grand nombre d’entités, en interaction locale et simultanée. Il est difficile à cerner et à étudier de par sa nature. Ce phénomène est également « dynamique » car il se compose de plusieurs étapes qui s’enchaînent (pré-crise, post-crise, etc.). Pour Jacques et Gatot (1997) la crise provoque des dégâts importants, une rupture du système, une nécessité de prise de décision urgente, une réponse non programmée du système, une menace pour les objectifs principaux de l’organisation. Pour Rogalski (2004), la crise remet en question les moyens habituels car ils sont dépassés ; elle est dynamique, avec une évolution rapide dans le temps, le champ spatio-temporel est étendu et elle implique des risques. D’autres auteurs évoquent également une augmentation du volume d’informations et des problèmes de communication, des temps d’action et de décision raccourcis, des enjeux importants pour l’organisation, un effet de surprise etc. (Lagadec, 1991 ; Roux-Dufort, 2007 ; Hermann, 1963).
Des tentatives de typologies de crise
Plusieurs typologies catégorisent les crises en fonction de leurs origines et/ou de leurs causes. Nous ne les citerons pas toutes ici. Mitroff et Alpaslan (2003), par exemple, distinguent sept familles de crises regroupées en trois types d’accident ; i. Les accidents naturels qui sont composés de toutes les catastrophes naturelles. ii. Les accidents normaux, par exemple, les crises économiques, et enfin, iii. Les accidents anormaux, c’est-à-dire les crises générées par des actes criminels, etc. Ils présentent leur proposition sous la forme d’une roue, The Wheel of crises .
Certains auteurs (Gundel, 2005) remettent en cause l’adaptabilité de ce type de catégories, qu’ils jugent difficiles à utiliser en situation réelle.
Gundel (2005) souligne l’absence à l’heure actuelle d’une typologie des crises qui soit réellement utilisable. Or, d’après lui, une telle typologie permettrait d’analyser la façon dont les crises se développent, d’identifier les problèmes qui les accompagnent ainsi que la façon dont il est possible de les gérer. Cela permettrait aussi, selon lui, d’identifier les traits communs des crises. Néanmoins, établir une typologie utilisable n’est pas chose facile car, selon Gundel (2005), « classifier les crises c’est comme tirer sur une cible mouvante » p. 106 puisque les événements futurs peuvent différer des incidents connus aujourd’hui. En effet, les typologies qui semblent appropriées aujourd’hui peuvent être obsolètes pour la crise de demain. Selon cet auteur, une typologie utile doit présenter des classes mutuellement exclusives et toutes les crises doivent être couvertes. La typologie doit également être applicable sur le terrain ; elle doit être pragmatique. Pour l’auteur, les typologies d’aujourd’hui ne sont pas appropriées, notamment parce que les catégories de crises ne sont pas mutuellement exclusives. En effet, certaines typologies séparent les crises dont les causes sont artificielles de celles dont les causes sont naturelles, alors que d’autres distinguent les crises nationales des crises internationales. Ces classifications sont, d’après lui, très générales et peu utiles car il semble difficile de séparer si distinctement les causalités. Par exemple, un tsunami est à la fois dû au réchauffement climatique donc d’une certaine façon à l’homme mais c’est aussi une catastrophe naturelle.
Gundel (2005) propose donc une nouvelle typologie qui définit quatre types différents de crises et qui se base sur deux critères de classification principaux, à savoir : la prévisibilité d’une crise et les possibilités de l’influencer avant ou pendant son développement. Pour Gundel (2005), une crise est considérée comme étant prévisible, si la place, le temps et la manière de sa survenue sont reconnaissables par un tiers compétent et que sa probabilité de survenue n’est pas négligeable. Une crise est influençable ou modifiable si les solutions pour l’endiguer ou pour réduire les dommages sont connues et exécutables. A l’aide de ces deux critères, Gundel propose de distinguer quatre types de crises. i. les crises conventionnelles (elles sont prévisibles avec des possibilités d’intervention bien connues, c’est par exemple Bhopal en 1984). ii. les crises inattendues (elles sont plus rares que les crises conventionnelles et plus dangereuses car moins prévisibles, c’est par exemple le tunnel Blaze à Kaprun en 2000 ou encore la catastrophe de Mann Gulch aux Etats Unis). iii. les crises insolubles (elles sont relativement prévisibles mais les interventions sont quasiment impossibles, c’est le cas par exemple de la tragédie du stade Heysel en Belgique ou encore de Tchernobyl, 1986). Enfin, iv. Les crises fondamentales, c’est la classe de crise la plus dangereuse car elle n’est pas prévisible et les réponses à apporter ne sont pas connues ou pas suffisamment connues. Il n’y a pas de possibilité d’influencer leur déroulement.
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Table des matières
REMERCIEMENTS
RESUME
LEXIQUE DES PRINCIPAUX SIGLES EMPLOYES
TABLE DES MATIERES
TABLE DES FIGURES
LISTE DES TABLEAUX
INTRODUCTION
CHAPITRE 1. CRISE ET GESTION DE CRISE
1. DEFINITION ET TYPOLOGIE DE LA CRISE
1.1 Des définitions équivoques
1.2 Caractéristiques de la crise
1.3 Des tentatives de typologies de crise
2. DEUX APPROCHES PRINCIPALES DE LA CRISE
2.1 Approche de la crise comme événement
2.2 Approche de la crise comme processus
3. LA GESTION DE CRISE
3.1 Gestion de crise : définition et modèle
3.2 Gestion de crise et notion de résilience organisationnelle
4. CONCLUSION
CHAPITRE 2. ACTIVITE DES SAPEURS-POMPIERS : SITUATION DYNAMIQUE, ACTIVITES COGNITIVES ET COLLECTIVES
1. LA GESTION DE CRISE : UNE ACTIVITE DE PRISE DE DECISION EN SITUATION DYNAMIQUE
1.1 Les caractéristiques des situations dynamiques
1.2 Prise de décision en situation dynamique
2. L’ACTIVITE SP, UNE ACTIVITE COLLECTIVE
2.1 Définitions et modèles
2.2 Le travail collectif intra-service
2.3 Le travail collectif inter-services
3. CONCLUSION
CHAPITRE 3. ANALYSE DE L’ACTIVITE DES SAPEURS-POMPIERS EN GESTION DE CRISE : FONCTIONNEMENT D’UNE EQUIPE
1. EQUIPE, PERFORMANCE ET EFFICACITE D’EQUIPE
1.1 Un modèle sur l’efficacité des équipes, le modèle du Big Five (Salas, Sims et Burke, 2005)
2. L’ADAPTATION, UN FACTEUR ESSENTIEL DANS LA GESTION DE CRISE CHEZ LES SP
2.1 Adaptation processus et réponse d’adaptation
2.2 Concept d’adaptation, persévération et improvisation
3. LA COMMUNICATION, QUEL ROLE ET QUELLES CONSEQUENCES SUR L’EFFICACITE DES EQUIPES
4. LES ASPECTS EMOTIONNELS DES INTERACTIONS
Gestion de crise chez les Sapeurs-Pompiers : Déterminants socio-cognitifs de l’efficacité des équipes Elise Jouanne 2016
5. LES VARIABLES PSYCHOSOCIALES : CONFIANCE ET MOTIVATION
5.1 La confiance
5.2 La motivation
5.3 L’engagement organisationnel
6. CONCLUSION
CONCLUSION GENERALE
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