Présentation du contexte de la thèse
Un réseau de voies navigables est un réseau hydrographique, aménagé par l’homme, interagissant avec un environnement naturel. Il s’agit d’un système à grande échelle, voir figure 1.1, qui est majoritairement utilisé pour la navigation, comme le transport de marchandises à l’aide de péniches. Ce type de réseau fournit à la fois des avantages économiques et environnementaux [Mallidis et al., 2012,Mihic et al., 2011], tout en fournissant un transport discret, efficace et sûr des biens [Brand et al., 2012]. Il offre une alternative intéressante aux transports routiers et ferroviaires.
Réseau de voies navigables
Les réseaux de voies navigables sont généralement constitués de plusieurs biefs pour rendre possible la navigation sur des cours d’eau n’étant pas initialement navigables, ou entre des cours d’eau adjacents grâce à la construction de canaux artificiels. Un bief est une partition d’un canal ou d’une rivière canalisée dont le niveau est uniforme et suffisamment élevé pour permettre le passage des navires. Un bief est généralement délimité par deux écluses : une en amont et une en aval. Celles-ci maintiennent le niveau d’eau dans chaque bief en bloquant l’écoulement naturel de l’eau. L’utilisation des écluses pour permettre le passage de navires implique une grande consommation d’eau se comptant en milliers de mètres cubes. Afin de faciliter le trafic fluvial, il sera important de gérer efficacement la ressource en eau de ces réseaux. La figure 1.2 représente schématiquement l’ensemble des biefs composant le réseau de l’ancienne région Nord-Pas-deCalais.
L’utilisation d’une écluse modifie le niveau des deux biefs qu’elle connecte, puisqu’un volume d’eau est transféré d’amont en aval à chaque utilisation. Or pour que la navigation soit possible, le « rectangle de navigation » doit être maintenu, voir figure 1.4. Ce rectangle, défini pour chaque bief, est représenté par la largeur navigable du bief ainsi que les hauteurs d’eau permettant aux plus gros navires d’être à une distance raisonnable du fond et des ponts. À partir de ce rectangle, trois niveaux sont définis :
1. le niveau haut de navigation (HNL – Highest Navigation Level) ;
2. le niveau bas de navigation (LNL – Lowest Navigation Level) ;
3. le niveau normal de navigation (NNL – Normal Navigation Level).
Les deux premiers niveaux, le HNL et le LNL, sont les niveaux correspondant respectivement aux niveaux maximal et minimal permettant la navigation du navire de plus fort tonnage autorisé sur ce bief. Le troisième niveau, le NNL, est défini par les gestionnaires dans l’intervalle [LNL, HNL]. Il correspond au niveau idéal permettant, de façon générale, de maximiser les chances de rester dans le rectangle de navigation. Ces trois acronymes seront utilisés dans la suite du document pour parler du niveau du bief et du volume d’eau correspondant.
Gestion actuelle du réseau
Dans une situation normale, l’utilisation des écluses est la principale perturbation du niveau d’un bief. En effet, les passages entre biefs requis par la navigation impliquent un grand transfert d’eau de l’amont vers l’aval. Néanmoins, d’autres perturbations peuvent affecter le niveau des biefs, par exemple : le déversement de rivières naturelles ; les événements météorologiques (e.g. pluie, sécheresse) ; l’impact humain (e.g. irrigation) ou encore les échanges avec les nappes phréatiques. Les écluses ne sont pas dédiées au contrôle du niveau d’eau. Pour cela, de nombreux ouvrages d’art (vannes, barrages, pompes, . . .) répartis sur le réseau permettent aux gestionnaires et aux opérateurs de déplacer l’eau à l’intérieur du réseau supervisé, mais aussi depuis ou vers l’extérieur, comme les rivières naturelles réseau d’un pays étranger. Les opérateurs se basent sur l’expertise accumulée au cours du temps pour maintenir les biefs qu’ils contrôlent au niveau requis, en fonction de ce qu’ils observent localement, à l’aide de ces ouvrages d’art. En France, sur les axes principaux, le trafic fluvial peut être divisé en deux périodes : une période de « nuit » d’une durée d’environ 10 heures durant laquelle les écluses sont fermées et une période de « jour » d’environ 14 heures. La gestion du réseau étant actuellement basée sur une expertise humaine acquise au cours du temps, cela rend difficile de projeter l’application de cette expertise à des changements importants sur le réseau.
Évolutions du réseau
Le changement climatique est étudié depuis de nombreuses années. Le Groupe d’experts Intergouvernemental sur l’Évolution du Climat (GIEC) estime qu’il impactera à la fois la température et les précipitations. Des études récentes [Beuthe et al., 2014,Boé et al., 2009,Ducharne et al., 2010] prévoient, dans un futur proche, une augmentation importante de la fréquence et de l’intensité des périodes d’inondation et de sécheresse sur les réseaux hydrographiques français et européens. De plus, grâce à sa compétitivité économique et à ses avantages écologiques par rapport aux transports ferroviaire et routier [Brand et al., 2012], ainsi qu’une forte volonté politique, le transport fluvial est en pleine expansion. De ce fait, une hausse notable du trafic fluvial en Europe est attendue et estimée à +35% d’ici 2050 [Beuthe et al., 2012]. Pour accommoder cette augmentation de trafic, l’ouverture à la navigation continue (jour et nuit) est prévue à l’horizon 2020 en France .
Objectifs de gestion
L’augmentation du trafic fluvial combinée à un plus grand impact météorologique sur le réseau pourra montrer les limitations des stratégies de gestion actuelles. Une étude et potentiellement une redéfinition de ces stratégies deviennent indispensables afin d’optimiser la gestion de la ressource en eau dans les prochaines années. De plus, la prise en compte d’un horizon de gestion cohérent avec les capacités de prévisions météorologiques sera nécessaire afin de pouvoir anticiper les événements potentiels.
Maintien des conditions de navigation du réseau
Un des objectifs principaux consiste à adopter une gestion globale du réseau de manière à optimiser l’ensemble de biefs plutôt que d’optimiser chaque bief de façon indépendante. Le but est donc de garantir que l’ensemble des biefs se trouvent dans leur rectangle de navigation à chaque instant, tout en minimisant l’écart global du niveau des biefs avec leur NNL. Optimiser un ensemble de biefs sur un horizon de gestion de plusieurs jours permet une gestion plus efficace de l’écart du niveau des biefs au NNL sur la durée. Cela offre de nouvelles possibilités d’anticipation comme par exemple dégrader temporairement l’écart d’un bief à son NNL afin d’améliorer significativement celui d’un ou plusieurs autres biefs dans un futur proche. Afin de pouvoir maintenir les conditions de navigation sur la durée, il est important de pouvoir prendre en compte les événements incertains et inconnus qui pourront affecter le réseau dans le but de rendre ce dernier résilient.
Résilience du réseau
Selon [Walker et al., 2004], la résilience d’un système est définie comme la capacité à absorber une perturbation, se réorganiser et continuer à fonctionner de la même manière qu’avant la perturbation. Dans cette thèse, il est considéré qu’un système est résilient si, dans la mesure du possible, les objectifs principaux du système sont respectés même si le maintien des objectifs secondaires est dégradé. Dans cette thèse, une perturbation sur un réseau de voies navigables est considérée comme entièrement absorbée si celle-ci ne dégrade pas les conditions de navigation du réseau. Une absorption sera considérée comme partielle, si la dégradation de l’optimalité est minime par rapport à l’intensité de la perturbation. Par simplicité et clarté, nous utiliserons la capacité à anticiper les événements pour faire référence à l’absorption. Dans le cas d’une sécheresse de courte durée, cela reviendrait, si besoin, à monter préalablement le niveau du bief de façon à ce que la sécheresse le ramène à son niveau idéal. Si la sécheresse dans des conditions idéales implique un manque d’eau de 100 unités de volume, n’avoir qu’un manque de 20 unités après cet événement indique une absorption partielle tandis que de ne pas avoir de manque correspondrait à une absorption totale. La réorganisation, ou récupération, d’un réseau intervient lorsque celui-ci se retrouve dans un état inattendu dû à la politique de gestion utilisée. Un système est capable de se réorganiser s’il possède un plan de gestion lui permettant de retrouver rapidement ses conditions de navigation après l’occurrence d’une perturbation imprévue. L’objectif est de minimiser le temps de récupération. Finalement, nous insistons sur le fait que, dans ce cas, la résilience est une propriété du réseau et non d’un bief. Certains événements ne peuvent être anticipés en ne considérant que le bief affecté et requièrent donc la coordination de plusieurs biefs en amont et/ou en aval. Pour cela, il nous faut donc définir une planification permettant de coordonner la gestion de plusieurs biefs pour optimiser le réseau qu’ils constituent, idéalement sur la base d’une connaissance statistique des événements à venir sur un horizon de plusieurs jours. Par exemple, si une période de pluie intense localisée au niveau d’un bief est prévue, il peut être préférable au préalable de réduire le volume du bief et des biefs amont afin qu’ils puissent être utilisés pour stocker de l’eau. Ainsi lorsque la perturbation arrive, le surplus d’eau qui n’aurait pas été absorbé pourra facilement être évacué vers les biefs aval.
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Table des matières
Introduction générale
1 Gestion adaptative de la ressource en eau pour le transport fluvial
1.1 Présentation du contexte de la thèse
1.1.1 Réseau de voies navigables
1.1.2 Objectifs de gestion
1.2 Approches existantes et connexes au sujet
1.2.1 Approche par satisfaction de contrainte
1.2.2 Approche par optimisation quadratique
1.2.3 Approche par commande prédictive
1.3 Positionnement
1.3.1 Récapitulatif des approches existantes
1.3.2 Vers une approche différente pour des réseaux importants sous incertitudes
1.4 Conclusion
2 Modélisation par MDP de problèmes de planification sous incertitudes
2.1 Processus décisionnel markovien (MDP)
2.1.1 Formalisme
2.1.2 Politique optimale
2.1.3 Résolution d’un MDP
2.1.4 Exemple du « Coffee Robot »
2.2 Agentification des MDPs
2.2.1 Définition d’un agent
2.2.2 Processus décisionnel markovien multi-agent
2.2.3 Processus décisionnel markovien partiellement observable
2.2.4 Dec-POMDP et Dec-MDP
2.3 Modélisations par MDP centralisée pour passer à l’échelle
2.3.1 MDP factorisé
2.3.2 MDP décomposé
2.3.3 Approche basée Monte-Carlo
2.4 Résolution distribuée de MDP
2.4.1 Dec-SIMDP – Modèle à faible interaction
2.4.2 ND-POMDP
2.5 Conclusion
3 Modélisation de la gestion d’une ressource partagée dans un réseau
3.1 Classe de problèmes
3.1.1 Définition du problème
3.1.2 Représentation formelle
3.1.3 Objectifs
3.1.4 Exemples d’applications
3.2 Définition des états et des actions
3.2.1 Discrétisation des actions
3.2.2 Discrétisation des états
3.2.3 Définition de la fonction de coût
3.3 Évolution du système sous incertitudes
3.3.1 Incertitudes liées au modèle
3.3.2 Incertitudes liées à la discrétisation
3.3.3 Définition de la fonction de transition
3.4 Modélisation d’un réseau de voies navigables
3.4.1 Définition des états et des actions
3.4.2 Discrétisation des états et des actions
3.4.3 Fonction de coût
3.5 Applicabilité de l’état de l’art
3.5.1 MDP
3.5.2 MDP factorisé
3.5.3 MDP décomposé
3.5.4 MDP Monte-Carlo
3.5.5 Dec-SIMDP
3.5.6 ND-POMDP
3.6 Conclusion
Conclusion générale
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