Gérer sa classe avec bon humour

Quand j’ai commencé mon premier poste dans un collège de campagne du Maineet-Loire, je me considérais humaniste ambitieux, prêt à m’investir sans retenue pour le bien des élèves. L’humour était pour moi un outil essentiel pour créer un lien avec les élèves et une bonne ambiance de travail sérieux. Quand je me suis mis en arrêt en janvier 2015 pour « syndrome d’épuisement professionnel » (burn-out), l’humour ne faisait plus beaucoup partie de mon répertoire professionnel et la bonne ambiance de travail sérieux n’aura été qu’un idéal réalisable par des (super-) héroïnes et héros de l’enseignement. Un an plus tard, après ma démission, mon interruption et ma reprise des études, j’ai rencontré ma tutrice Florence, pour qui l’humour a été une révélation merveilleuse (grâce à Claudine Martina) après dix ans de pratique dans un collège ZEP /REP /RRS. Ce mémoire présent-ci, réalisé par contrainte mais avec (un certain) plaisir, fut l’occasion (rêvée) d’en savoir plus… 

« Gérer sa classe » représente quelque chose de profondément essentiel dans l’activité de l’enseignement au collège. Gérer l’activité et l’énergie, les sentiments et les ambitions, les capacités et les compétences de chacun et de l’ensemble des élèves représente sans doute la condition préalable à tout enseignement. Ne pas réussir à « gérer sa classe » peux résulter en un échec de transmission de savoirs et de méthodes dans le meilleurs des cas et peut aller jusqu’à engendrer, déclencher ou tout du moins aggraver des états pathologiques comme la phobie scolaire chez l’élève et le syndrome du burn-out chez l’enseignant. Un symptôme d’une gestion mal réussie peut être la révolte clandestine sous le forme de l’humour, comme par exemple :

« Tu le fais exprès.
[…]
De te moquer du monde ?
C’est ça, hein, tu te moques du monde ? Tu nous provoques ? » (Pennac 2007, p.199) .

Dans quelle mesure l’humour peut-il être un outil éducatif ? 

Nous supposons que l’humour, en tant que particularité humaine soit omniprésent en classe, même malgré une forte volonté éventuelle de la part de l’enseignant gérant de l’éviter. Sans doute, l’humour a une fonctionnalité primordiale dans la communication inter-humaine, qu’il s’agit de reconnaître, de gérer et éventuellement d’exploiter à des fins désirables. Cependant, la dégénération et l’abus volontaire de l’humour, de l’ironie cassante voire du sarcasme représentent des risques potentiels qui peuvent être aussi nuisibles qu’une gestion trop rigide et austère.

Pour identifier et analyser les conditions particulières de l’école comme cadre de communication, nous nous appuierons principalement sur des auteurs comme Auger, Blin, Mathieu et Pennac, qui se sont occupés essentiellement de situations et de circonstances « difficiles » en classe. Sur la base de la distinction entre, ponos et scholé, établie chez les grecques de l’antiquité, nous proposerons une réévaluation des concepts contemporains de travail (productif) et loisir, en lien avec le « présent rigoureusement indicatif » (Pennac, 2007, p. 70). Concernant l’humour en général, nous nous baserons principalement sur les idées de Bergson, Freud et Jankélévitch. Le mémoire de Deschard donne un aperçue très complet de la théorie de l’humour et de ses différentes formes. Concernant l’humour en classe, c’est surtout Lethierry qui nous fournit une source riche de réflexions et d’exemples. Enfin, pour analyser quelques particularités de situations d’humour, nous nous servirons du carré de communication de Schulz von Thun.

Pour vérifier la validité des nos hypothèses, nous examinerons un recueil de données constitué de deux types de questionnaire. Le premier, plutôt fermé, sera exploité d’une façon quantitative. Le deuxième, plutôt ouvert, nous fournira des exemples de situation de stress et de détente dont un sera traité d’une façon qualitative, notamment par une analyse selon les critères du carré de communication.

Gérer une classe – une tâche

Gérer une classe est une tâche et une compétence à la fois essentielle, complexe et vaste. Si l’on admet l’idée (controversée) de la double casquette du professeur qui se divise entre celle de l’enseignant et celle de l’éducateur/pédagogue, la gestion de la classe relève sans doute plutôt du domaine de l’éducation mais elle a tout aussi bien sa fonction en didactique. Pour en expliciter les raison nous nous concentrerons ici plus sur l’aspect éducatif de la gestion d’une classe, nous commençons par voir l’entrée de gérer dans un dictionnaire général :

GÉRER v. tr. <6> – 1445 ; lat. gerere
1♦ Administrer (les intérêts, les affaires d’un autre). => gestion. Gérer un commerce, un domaine, une affaire. […] Gérer les biens d’un mineur, d’un incapable, gérer une tutelle (=> tuteur).
2♦ Administrer (ses propres affaires). => conduire, diriger, gouverner, régir. Gérer son avoir avec économie. – Affaire bien, mal gérée. […]
3♦ Gérer un problème, y faire face, s’en occuper. Situation très difficile à gérer […] (Robert, 1994, p. 1015)) .

Les trois notions que donne le Petit Robert de gérer (dans un contexte général), sont d’intérêt pour notre étude :

1) L’enseignant d’une classe (et d’autant plus le professeur principal) gère/administre « les intérêts, les affaires d’un autre », plus précisément de plusieurs autres. Il est (momentanément) responsable des intérêts profonds et essentiels de chacun et chacune de ses élèves, qui sont des individus en voie d’acquisition d’autonomie et qui sont eux et elle-mêmes souvent relativement inconscients des intérêts en question. C’est justement dans l’accompagnement des élèves vers cette acquisition d’autonomie et cette prise de conscience de leurs intérêts profonds que l’enseignant assume son rôle d’éducateur, entre autres selon les textes officiels de l’Éducation nationale.

2) L’enseignant doit également gérer « ses propres affaires ». L’on peut dire qu’en étant légalement et moralement responsable de sa classe et de ses élèves avec leurs caractères, leurs intérêts, leurs impulsions et leur énergie, ils sont devenus «ses propres affaires ». Naturellement, il n’y a pas de relation d’appartencance mais il ne peut néanmoins pas rester détaché de leur(s) univers et inévitablement, ils feront partie du sien. La classe et ses élèves deviennent une préoccupation personnelle de l’enseignant et font partie de ses intérêts profonds. Désormais, il s’agit de la gérer au même titre que ses autres intérêts sur tous les niveaux : priorité temporaire et spatiale ; effort émotionnel, intellectuel et corporel (pendant le cours et en dehors).

3) Cette dernière définition de « Gérer un problème, y faire face, s’en occuper », n’a éventuellement de l’intérêt que si gérer sa classe est perçu comme problématique. Or, dans le sens premier du terme problème, il s’agit d’une « [1382] Question à résoudre qui prête à discussion dans une science. » (Robert, 1994, p. 1784) L’enseignant est quotidiennement amené à s’occuper des questions à résoudre dans sa classe, aussi bien au niveau didactique que pédagogique et nombreux sont les chercheurs proposant des théories pour le soutenir. Donc, allons-y.

S’installer dans le travail – un plaisir ?

L’école est un loisir (imposé) 

Pour approfondir notre problématique à nous, il est bénéfique de s’intéresser également au deuxième sens du terme problème, celui qui est le plus courant dans notre langage du quotidien : «(1753) Difficulté qu’il faut résoudre pour obtenir un certain résultat ; situation instable ou dangereuse exigeant une décision. => difficulté, ennui. […] » En effet, une classe « mal gérée » peut créer des situations instables voir dangereuses mais y aurait-il éventuellement une « difficulté » à résoudre dès le départ ? Et quel serait le résultat à obtenir ?

En remontant aux origines (occidentales) de l’école, nous rencontrons le concept grec de σχολή (scholè, latin : schola, anglais : school, allemand : Schule, russe : школа etc.) qui est aujourd’hui souvent traduit par « loisir » mais dans le sens de « la liberté d’échapper aux travaux productifs (πόνος/ pònos) pour pouvoir se consacrer à des tâches plus élevées comme la politique […], l’étude ou l’enseignement » (Migeotte, 2007, p. 26). Alors que le ponos concerne le monde matériel et assure la survie de l’humain au niveau physique, la scholé concerne le monde spirituel et vise l’élévation de l’humain au niveau psychique. C’est dans cette perspective que l’on peut comprendre de manière idéale la première des lois Jules Ferry, passée en juin 1881 : rendre l’école gratuite pour ainsi libérer tous les (jeunes) citoyens de la République de la peine des travaux productifs pour leur permettre de se consacrer aux études, à la recherche et à l’instruction, tout comme les nobles philosophes de l’antiquité. Or, la deuxième de ces lois réformatrices rend obligatoire ce privilège de l’instruction en mars 1882, ce qui la fait donc passer, paradoxalement, du côté de scholè (loisir, temps libre) au côté pònos (peine, labeur).

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Table des matières

Introduction
1 Le cadre de la recherche
1.1. Gérer une classe – une tâche
1.2 S’installer dans le travail – un plaisir ?
1.2.1 L’école est un loisir (imposé)
1.2.2 A rendre de mauvaise humeur ?
2 Le sujet de la recherche et les outils d’analyse
2.1 L’humour en théorie
2.1.1 Comment le saisir
2.1.2 Comment l’utiliser
2.2 Le carré de communication – un outil d’analyse
2.2.1 Les quatre côtés du message
2.2.2 La part du récepteur
3 L’humour sur le terrain
3.1 Les questionnaires
3.1.1 Le questionnaire évaluatif – amusant ou pas
3.1.2 Le questionnaire retour – stress ou détente
3.2 Les sketchs – une mise en abyme
3.2.1 Le contenu factuel – compréhension difficile ?
3.2.2 La révélation de soi – c’est moi, ou pas
3.2.3 La relation – c’est moi et toi
3.2.4 L’appel – à toi de jouer
Conclusion
Bibliographie
Annexes

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