Géométrie des espaces de tenseurs

Calcul effectif des classes d’isotropie

   Etant dans le cas d’une représentation d’un groupe compact, l’espace (V, ρ) se décompose en une réunion finie et disjointe de classes d’isotropie (ou strates). Chacune de ces strates correspond ainsi à une symétrie donnée, indexée par une classe de conjugaison d’un sous-groupe fermé de G. Un problème important et pour lequel il n’existe pas de méthode effective générale, est de déterminer explicitement les différentes classes d’isotropie de cette représentation. Dans le cas d’une représentation tensorielle du groupe O(3) ou SO(3), les classes d’isotropie du tenseur d’élasticité n’ont été obtenues qu’en 1996 par Forte et Vianello [FV96]. Par la suite, cette méthode a permis d’établir d’autres résultats [GW02 ; FV97 ; LH11]. Néanmoins, il semble que cette approche n’ait pas permis de dégager une méthode systématique. Dans le cas d’une représentation irréductible du groupe G = O(3) ou G = SO(3), les classes d’isotropie ont été obtenues par Ihrig et Golubitsky [IG84]. A partir de ces résultats, nous avons développé un outil, baptisé opération de clips, permettant de déterminer les classes d’isotropie de la somme directe T1 ⊕ T2 de deux représentations de G = O(3) ou G = SO(3), connaissant celles de T1 et T2. Nous avons pu en déduire un algorithme pour toute représentation (de dimension finie) de G = O(3) ou G = SO(3). A partir de cette nouvelle approche, nous avons aussi pu etablir des théorèmes généraux (théorèmes 4.4.3 et 4.4.7) concernant les classes d’isotropie associées à tout type de lois de comportement, modélisées par un espace de tenseurs d’ordre pair [OA13] ou d’ordre impair [OA14]. On a pu ainsi clore définitivement la question relative aux classes d’isotropie d’une représentation tensorielle quelconque .

Espace des orbites et structure semi-algébrique

   Dans le cas d’une représentation réelle d’un groupe compact G, l’algèbre des invariants sépare les orbites. Cette observation permet de construire une structure semi-algébrique sur l’espace des orbites V /G de toute représentation réelle de dimension finie de G. Un procédé systématique permettant, à partir de la donnée d’une famille génératrice d’invariants polynomiaux, d’engendrer une telle structure a été décrit par Abud–Sartori [AS83] puis rigoureusement établi mathématiquement par Procesi–Schwarz [PS85]. Il s’agit d’une généralisation de la méthode de Hermite qui permet d’obtenir les inéquations que doivent satisfaire les coefficients d’un polynôme réel pour avoir toutes ses racines réelles (dans ce cas particulier, G est le groupe symétrique qui agit par permutation des coordonnées sur Rn). La stratification en classes d’isotropie peut alors (en théorie) être décrite par de nouvelles équations/inéquations. Une telle étude, dans le cas du tenseur d’élasticité, a été initiée par Auffray, Kolev et Petitot dans [AKP14]. Dans tous les cas, les calculs associés nécessitent la connaissance d’une famille génératrice finie de l’algèbre des polynômes invariants.

Algèbres d’invariants : calculs effectifs

   Sur ce point, qui touche à la théorie des invariants, il existe de nombreux résultats théoriques. Le plus fameux est notamment le résultat de finitude de Hilbert. En effet, pour toute représentation (réelle ou complexe) d’un groupe algébrique linéaire réductif b. Nous avons obtenu, en particulier et pour la première fois, les classes d’isotropie du tenseur de comportement d’ordre 6 intervenant en théorie de l’élasticité du second gradient [Min64 ; OA14]. Un tel groupe peut être vu comme un sous-groupe du groupe linéaire. l’algèbre des invariants est de type fini. Théoriquement, il existe donc une famille génératrice finie de l’algèbre des polynômes invariants mais sa détermination effective reste un problème très difficile c. La première preuve de finitude de Hilbert est essentiellement existentielle [Hil90]. Face à de nombreuses critiques formulées par ses contemporains d , il proposa une deuxième preuve, plus constructive, trois ans plus tard [Hil93]. Finalement, suite à ce résultat de Hilbert, il y eut un désintérêt certain pour les questions d’effectivité en théorie des invariants [Fis66 ; Cri88]. A partir des années 1955, cependant, de nombreux travaux de mécanique des milieux continus ont abordé ces questions de calculs effectifs dans le cas des espaces de tenseurs d’ordre inférieur ou égal à 2. De telles questions avaient été initiées par Rivlin–Ericksen [RE55]. C’est ensuite vers les années 70 que des résultats complets furent obtenus, essentiellement établis par des procédés géométriques élémentaires [Wan70 ; Smi71]. D’autres travaux [Bet87 ; BKO94 ; SB97] ont alors abordé des espaces de tenseurs d’ordre 3 ou 4 mais en utilisant principalement des résultats déjà connus sur les formes binaires. Dans les années 80 et du fait de l’émergence de l’informatique, il y eut un regain d’intérêt pour les questions relatives aux calculs effectifs sur les algèbres d’invariants en mathématique. Les approches étaient essentiellement influencées par les travaux de Hilbert et des outils de géométrie algébrique. On trouve ainsi dans [Der99 ; Stu08] une formulation moderne de cette méthode, qui s’applique dans des situations très générales. Mais à notre connaissance, les exemples traités demeurent assez simples. Dans le cas spécifique des formes binaires, de nouveaux résultats ont été obtenus récemment [BP10a ; BP10b]. Les méthodes de calcul sont elles aussi basées sur des outils de géométrie algébrique et s’appuyent en grande partie sur les travaux de Dixmier et al [Dix81 ; Dix82 ; DL88]. Par ces méthodes, il a été possible d’obtenir des familles génératrices finies (et minimales) pour les invariants de formes binaires de degré 9 et10. Néanmoins, cette approche trouve ses limites lorsqu’il s’agit de calculer des bases d’invariants joints (en particulier des bases de covariants) car une des étapes essentielles consiste à déterminer un système de paramètres. Or il n’existe pas, à notre connaissance, d’algorithme général pour obtenir un tel système pour une algèbre de type fini donnée. De plus, un résultat théorique établi par M. Brion [Bri82, Théorème 3] montre qu’il est particulièrement difficile, dans le cas générique, de trouver un système de paramètres d’une algèbre d’invariants joints.

L’algorithme de Gordan re-visité

   Le cœur de l’algorithme de Gordan consiste à extraire, de la famille génératrice infinie de transvectants, une famille finie. Néanmoins, pour pouvoir appliquer un tel algorithme, nous avons choisi de le reformuler [Oli14], de manière à développer des méthodes de calcul efficaces dans le cas des bases de covariants joints. Une telle reformulation avait déjà été tentée par Pasechnik [Pas96] puis par Cröni [Cro02] mais il ne semble pas qu’ils en aient déduit de nouveaux résultats effectifs. De même, Olver avait aussi proposé une méthode appelée méthode de Gordan [Olv99]. Mais cette méthode, qui ne correspond pas à l’algorithme de Gordan original, a été corrigée et complétée par Brini et al. dans [BRT06]. Sa faiblesse principale est de ne fournir qu’une « borne glissante » sur les degrés des covariants à calculer, ce qui rend les calculs pratiques assez délicats.

Invitation à la mécanique des milieux continus

   De manière à contextualiser notre travail de thèse dans le domaine scientifique qui a motivé ces questions, nous proposons un bref panorama de la mécanique des solides déformables. L’exposé visant à une certaine concision, nous nous placerons dans toute la suite en :
1. Statique : les effets d’inertie sont ainsi négligés par la suite ;
2. Petite Transformation : les configurations initiale et finale du domaine matériel ne sont pas distinguées ;
3. Réponse Linéaire : les lois de comportement qui modélisent les propriétés de la matière sont linéaires donc tensorielles.
Ces hypothèses seront précisées dans les paragraphes suivants.

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Table des matières

Introduction générale
1 Motivations mécaniques
1.1 Invitation à la mécanique des milieux continus 
1.1.1 Équations canoniques
1.1.2 Elasticité linéaire
1.1.3 Des tenseurs d’ordre 3 en mécanique
1.1.4 De manière générale
1.1.5 Une donnée supplémentaire, l’anisotropie
1.2 Caractérisation des matériaux élastiques 
1.2.1 Changement d’orientation
1.2.2 Classes d’isotropie
1.2.3 Identification
2 Représentation linéaire d’un groupe compact 
2.1 Préambule 
2.2 Notions de base 
2.2.1 Stratification isotropique
2.2.2 Espace de points fixes et tranches linéaires
2.3 Algèbre d’invariants 
2.3.1 Théorème de finitude
2.3.2 Structure de Cohen-Macaulay
2.3.3 Série de Hilbert
2.3.4 Structure semi-algébrique sur l’espace des orbites
2.4 Polarisation et séparants 
2.4.1 Théorèmes fondamentaux
2.4.2 Famille de séparants et polarisation
2.4.3 Séparants d’espaces de tenseurs d’ordre inférieur ou égal à 2
3 Représentation linéaire des groupes O(3) et SO(3) 
3.1 La décomposition harmonique 
3.1.1 Représentations irréductibles de O(3) et SO(3)
3.1.2 Décomposition harmonique de l’espace Piez
3.1.3 Décomposition harmonique de l’espace Ela
3.2 Isotropie des représentations irréductibles 
3.2.1 Sous-groupes fermés de O(3) et SO(3)
3.2.2 Isotropies des représentations irréductibles
3.3 Invariants de tenseurs et espaces de formes binaires 
3.3.1 Complexification d’une représentation réelle
3.3.2 Isomorphisme SL(2, C) équivariant
3.3.3 Calculs explicites
4 Isotropie des espaces de tenseurs 
4.1 Préambule 
4.2 Opérations de clips et isotropies d’espaces de tenseurs 
4.3 Application à la mécanique des milieux continus 
4.3.1 Géométrie de l’espace des tenseurs piézoélectriques
4.3.2 Géométrie de l’espace des tenseurs d’élasticité
4.4 Théorèmes généraux sur les lois de comportement tensorielles 
4.4.1 Isotropie des espaces de tenseurs d’ordre pair
4.4.2 Isotropie des espaces de tenseurs d’ordre impair
4.5Opérations de clips sur les sous-groupes fermés de SO(3) 
4.5.1 Sous-groupes planaires
4.5.2 Opérations de clips sur les sous-groupes maximaux et exceptionnels
4.6 Opérations de clips sur les sous-groupes fermés de O(3) 
4.7 Normalisateurs des sous-groupes fermés de O(3) 
5 Invariants et covariants des formes binaires 
5.1 Théorie classique des invariants 
5.2 Covariants et morphismes SL2(C) équivariants 
5.2.1 Opérateurs bi-différentiels et transvectants
5.2.2 Covariants moléculaires
5.2.3 Transvectants et covariants moléculaires
5.3 Bases vectorielles de morphismes SL(2, C) équivariants 
5.3.1 Bases vectorielles de transvectants
5.3.2 Séries de Gordan et relations quadratiques
6 Méthodes effectives 
6.1 Préambule 
6.2 Méthode de Hilbert 
6.2.1 Nilcône d’un espace de formes binaires
6.2.2 Nilcône et famille génératrice d’invariants
6.3 Algorithme de Gordan 
6.3.1 Algorithme de Gordan pour les covariants joints
6.3.2 Algorithme de Gordan pour des covariants simples
6.3.3 Exemples et applications
7 Applications à la mécanique des milieux continus 
7.1 Opérateurs invariants 
7.1.1 Transvectants de tenseurs
7.1.2 Covariants généralisés d’un tenseur
7.2 Invariants du tenseur piézoéléctrique 
7.2.1 Famille génératrice minimale de l’algèbre Inv(S6 ⊕ S2 ⊕ S4 ⊕ S2)
7.2.2 Famille génératrice des polynômes SO(3) invariants
7.2.3 Famille génératrice des polynômes O(3) invariants
7.3 Invariants du tenseur d’élasticité 
Conclusion et perspectives de recherche
Bibliographie
Index
ANNEXES

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