La loi Bataille du 30/12/1991 prévoit un vaste programme de recherche concernant le devenir des déchets radioactifs de Moyenne et de Haute Activité et à Vie Longue (MHAVL) dont une partie est actuellement entreposée en surface à la Hague et à Marcoule. Ce programme comprend trois axes principaux de recherche dont les thèmes sont les suivants:
• Axe 1: Séparation poussée des produits de fission et des actinides et transmutation (recherches confiées au CEA),
• Axe 2: Faisabilité d’un stockage réversible ou irréversible en formation géologique profonde via l’implantation de laboratoires souterrains (recherches confiées à l’Andra),
• Axe 3: Nouvelles matrices de conditionnement et entreposage de longue durée en surface ou subsurface (recherches confiées au CEA).
C’est dans le cadre de l’axe 2 que l’Andra# a construit un laboratoire de recherche dans l’Est du Bassin de Paris à 500 m de profondeur dans une formation argilo calcaire déposée en milieu marin : les argilites du Callovo-Oxfordien (Figure I- 1). La loi prévoyait initialement la construction de plusieurs laboratoires de recherche (au moins deux), en milieu granitique et/ou argileux, mais aujourd’hui, suite à des études préliminaires sur trois sites (Vienne, Gard et Est), seul le site de l’Est a été choisi en décembre 1998 par décision gouvernementale afin d’y construire le laboratoire de recherche de Meuse/Haute-Marne à Bure.
Afin d’étudier la faisabilité d’un éventuel stockage de déchets radioactifs MHAVL, divers types de recherches sont conduites sur les trois barrières successives de confinement des radionucléides. Ces barrières sont constituées par les colis comprenant le container voire le sur-container et la matrice vitreuse constituant la première barrière la plus interne, par la bentonite de scellement ou de remblais des galeries et l’ouvrage en béton (barrière ouvragée), et enfin par la formation hôte (barrière géologique). Ces études prennent en compte les diverses disciplines des Sciences de la Terre, de la physico-chimie à latectonique, en passant par la géochimie, la géophysique, l’hydrogéologie et la modélisation. Elles comprennent par exemple le comportement physico-chimique de la roche vis-à-vis de la fracturation induite par le creusement et du gradient thermique qui proviendra des colis radioactifs de type HAVL. Elles appréhendent également l’histoire et le paléocomportement de la roche argileuse et de ses encaissants calcaires, tant du point de vue tectonique que du point de vue hydrogéologique.
L’eau souterraine constitue le principal facteur de corrosion des colis et le principal vecteur de transfert vers la surface des radionucléides contenus dans les déchets stockés. La sécurité d’un stockage consiste à préserver les colis de déchets d’une « eau circulante » qui pourrait transférer les radionucléides à l’environnement et donc à la biosphère. La formation argileuse étudiée est considérée comme « imperméable » avec une perméabilité de 10⁻¹² à 10⁻¹⁴ m.s-1 (Lebon et Mouroux, 1999). Cependant, le transfert des éléments via l’eau (transfert de soluté) sur une grande échelle de temps (de l’ordre du million d’années) n’est pas encore connu avec précision. Il est donc primordial d’étudier les paléocirculations et paléotransferts de fluides et/ou de solutés qui ont survenu dans la pile sédimentaire et principalement dans les argilites du Callovo-Oxfordien et dans les formations calcaires qui les encadrent. C’est l’objectif que présente cette thèse. Les transferts qui surviennent dans la pile sédimentaire sont étudiés ici à l’aide de traceurs isotopiques (δD, δ18O, δ34S et 87Sr/86Sr) et des teneurs en éléments majeurs et en gaz rares. Ces traceurs permettent de retracer l’origine et l’histoire des eaux contenues dans chacune des formations sédimentaires. Il faut pour cela étudier les eaux prélevées sur le site du laboratoire souterrain de Meuse/Haute-Marne et à l’échelle de la zone d’étude (300 km2 ). L’eau présente dans les pores des argilites du Callovo-Oxfordien (« eau porale ») a été étudiée du point de vue δD, δ18O, 87Sr/86Sr et des abondances en gaz rares. Les eaux souterraines provenant des formations calcaires qui encadrent les argilites sont étudiées grâce aux isotopes stables de l’eau et des espèces dissoutes dans ces eaux, i.e. le strontium et les sulfates, ainsi que par l’analyse des ions majeurs. Ces différents traceurs géochimiques permettent de déterminer les origines des eaux ainsi que les interactions qu’elles ont et ont pu avoir avec la ou les roche(s) avec la/lesquelle(s) elles sont ou ont été en contact. Ils permettent en outre de tracer des phénomènes physico-chimiques qui ont pu survenir ou affecter les eaux, comme les mélanges, l’évaporation, les effets de transfert dus à la diffusion ou au comportement de membrane semi-perméable joué par le milieu géologique, etc… L’analyse de la texture des argilites du Callovo-Oxfordien permet en outre une meilleure connaissance de l’état de l’eau porale dans cette formation où les teneurs en eau demeurent très faibles. Cette approche physico-chimique apporte des informations majeures à l’interpétation des données isotopiques de l’eau porale.
Le Bassin de Paris
Le Bassin de Paris est un bassin intracratonique subcirculaire de diamètre proche de 500 km entouré par des massifs anciens correspondant aux parties affleurantes du socle hercynien: les Ardennes au NE, les Vosges à l’Est, le Morvan au SE, le Massif Central au Sud et le Massif Armoricain à l’Ouest (Figure II- 1). C’est la subsidence, très active au Mésozoïque, qui a permis aux sédiments principalement marins, alimentés par l’érosion et l’altération des reliefs périphériques, de s’accumuler et d’être conservés dans ce bassin.
Histoire de la formation du Bassin de Paris
L’ensemble des informations géologiques consignées ci-dessous sont issues de la Synthèse géologique du Bassin de Paris (BRGM, 1980), de Mégnien (1980) et du Référentiel Géologique du site de Meuse/Haute-Marne (ANDRA, 2001).
Ère primaire
La formation du Bassin de Paris débute à la fin de l’ère primaire lorsqu’une distorsion fracture le socle hercynien en trois blocs: le bloc ardennais, le bloc armoricain et le bloc arveno-vosgien. Les failles de la Seine, de Sennely, du Pays de Bray, de la Marne et de Vittel contrôlent le mouvement et la subsidence de trois blocs et en conséquence, la sédimentation dans le bassin. Les sédiments les plus anciens déposés dans le bassin sont les sédiments continentaux du Carbonifère et du Permien.
Ère secondaire
C’est au cours de l’ère secondaire que s’est produit le comblement du bassin dû à la succession de cycles transgressifs et régressifs et à une sédimentation importante.
Le Trias (-245 à -208 Ma)
L’étirement crustal du Trias permet à la Mer Germanique, à l’Est, d’envahir progressivement le Bassin de Paris. La sédimentation est variée, détritique, puis marneuse et argileuse et enfin évaporitique et gréseuse à argileuse.
Le Jurassique (-208 à -145 Ma)
Au Jurassique, une sédimentation marine importante permet à 3000 m de sédiments de se déposer au cours d’une alternance de transgressions et de régressions. Le climat est de type subtropical. Au Jurassique inférieur, l’ouverture du domaine alpin maintient le régime extensif du Trias, globalement Est-Ouest. La transgression se poursuit à partir de l’Est mais aussi depuis le Sud-Est de la Téthys. La mer progresse sur les terres émergées et recouvre progressivement le Massif Central et les Vosges. La plate-forme calcaire qui s’installe par l’Est et le Sud laisse la place à un bassin à sédimentation argileuse de domaine marin ouvert. À la fin du Dogger, le régime s’inverse et devient régressif. À ce moment, les plates-formes carbonatées s’imposent dans le bassin, de l’Aalénien au Bathonien. À la fin du Callovien inférieur, le jeu des blocs du socle hercynien entraîne l’ennoyage des plates-formes. Les formations calcaires du Dogger sont recouvertes par des dépôts argileux de mer ouverte dont la profondeur est de l’ordre de la centaine de mètres. La fin de l’Oxfordien moyen est marquée par une reprise du régime régressif. Une nouvelle plate-forme carbonatée se met en place, elle évoluera vers un milieu plus confiné qui donnera lieu, à la fin de l’Oxfordien supérieur et au Kimméridgien, à une sédimentation marneuse. Au Tithonien, la sédimentation redevient calcaire avant qu’une émersion quasi-totale ne laisse subsister qu’une lagune au centre du bassin. La sédimentation est alors détritique et évaporitique.
Le Crétacé (-145 à -65 Ma)
Au début du Crétacé, l’assèchement des terres et le climat tropical entraînent une karstification et une importante érosion des formations sédimentaires antérieures par le système hydrographique. Avant de se retirer complètement du bassin, plusieurs ébauches de transgressions ont lieu par le Sud-Est depuis la Téthys, elles sont de faible envergure et ne dépassent pas le centre du bassin. Les dépôts du Crétacé inférieur à moyen sont principalement sableux, détritiques et argileux. Au Crétacé supérieur, le bassin est à nouveau envahi par la mer, cette transgression est d’ampleur mondiale et résulte du contexte extensif lié à l’ouverture de l’océan Atlantique.
Une relation entre le domaine téthysien et la mer boréale est établie. Le Massif Central et le massif de Londres-Brabant sont toujours émergés alors que le Massif Armoricain est en partie recouvert par la mer. La sédimentation est principalement de nature crayeuse. À la fin du Crétacé, la mer se retire dans les zones les plus basses.
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Table des matières
INTRODUCTION
CHAPITRE I : INTRODUCTION ET OBJECTIFS
CHAPITRE II : CONTEXTE GÉOLOGIQUE ET HYDROGÉOLOGIQUE DU SITE ANDRA DE MEUSE/HAUTE-MARNE
I LE BASSIN DE PARIS
I.A Histoire de la formation du Bassin de Paris
I.B Hydrogéologie globale du Bassin de Paris
II LA ZONE D’ÉTUDE
II.A Contexte tectonique
II.B Contexte hydrogéologique
III CONCLUSION
CHAPITRE III : OUTILS DE L’ÉTUDE
I OUTILS ISOTOPIQUES
I.A Les isotopes stables
I.B La composition isotopique du strontium
I.C Les gaz rares
II ANALYSE TEXTURALE
II.A Détermination de la surface spécifique à l’aide du modèle BET
II.B Analyse de la microporosité à l’aide du t-plot de De Boer
II.C Analyse de la mésoporosité par la méthode BJH
II.D Gravimétrie d’adsorption-désorption d’eau
III CONCLUSIONS
CHAPITRE IV : APPROCHES ANALYTIQUES DE L’EAU PORALE D’UNE FORMATION ARGILEUSE À FAIBLE PERMÉABILITÉ ET CONSÉQUENCES
I INTRODUCTION
II LA FORMATION DU CALLOVO-OXFORDIEN
II.A Les argilites callovo-oxfordiennes
II.B L’eau porale des argilites du Callovo-Oxfordien
II.C Échantillons
III ANALYSE TEXTURALE DES ARGILITES DU COX ET COMPARAISON AVEC DES MATRICES ARGILEUSES À SMECTITE ET ILLITE
III.A Analyse texturale par adsorption-désorption d’azote à 77 K
III.B Évaluation de la distribution en taille des mésopores
III.C Gravimétrie d’adsorption d’eau
III.D Comparaison des isothermes à l’azote et à l’eau
III.E Conclusions sur l’analyse texturale des argilites du COx
IV APPROCHES ANALYTIQUES DE LA COMPOSITION DES EAUX PORALES PAR LES ISOTOPES STABLES DE L’HYDROGÈNE ET DE L’OXYGÈNE
IV.A Mise au point des méthodes analytiques
V ARTICLE: PORE WATER ANALYSIS IN LOW POROSITY CLAYSTONES (O, H AND SR ISOTOPES)
V.A Abstract
V.B Introduction
V.C Geological setting and sampling
V.D Isotopic analyses
V.E Analytical protocol
V.F Isotopic composition of the argillite pore water and consequences
V.G Conclusions
V.H Acknowledgments
V.I References
V.J List of tables
VI INFLUENCE DE LA PHASE ARGILEUSE SUR LES MESURES ISOTOPIQUES DE O ET H
VI.A Introduction
VI.B Protocole opératoire
VI.C Résultats et discussion
VII LES ABONDANCES ET COMPOSITIONS ISOTOPIQUES EN GAZ RARES
VII.A Procédures analytiques
VII.B Échantillons
VII.C Résultats et discussion
VII.D Conclusions sur l’étude des abondances en gaz rares dans les eaux porales
CONCLUSION