Genèse du corps politique

GENESE DU CORPS POLITIQUE 

Hobbes a élaboré sa doctrine politique à la suite de son second voyage à Paris (1634-1636) où il rencontra le Père Marin Mersenne et d’autres savants comme Gassendi. Cette rencontre fut d’une importance capitale car son contact avec ces hommes de science lui a permis de découvrir les secrets d’une science nouvelle, la mécanique. La science mécanique, définie comme l’étude des forces, des lois de l’équilibre et du mouvement ainsi que l’action des machines, est ce qui a insufflé à Hobbes la méthode lui ayant servi de base à la rédaction de son œuvre politique. La politique en question est considérée par Hobbes comme une science, c’est-à-dire une somme de connaissances assimilables parfaitement et qui s’impose à tous les esprits compétents avec la même rigueur et la même contrainte qu’un théorème de mathématique. De ce point de vue, elle doit se débarrasser de toute forme de mysticisme pour qu’elle puisse reposer sur des bases rationnelles. Cela revient à penser la chose publique à partir non pas d’une transcendance divine, mais en fonction de l’homme comme acteur principal du jeu politique. C’est dans ce sens que l’anthropologie, science qui étudie l’homme, constitue le fondement de la réflexion politique hobbesienne.

C’est au lendemain de la guerre civile anglaise que le Léviathan fut publié. Cette période a vu la dissolution du Parlement et la défaite du camp royaliste par Cromwell. Au plan religieux, l’Angleterre est le théâtre d’une bataille de nature théologique et politique marquée par la remise en cause de plus en plus manifeste des églises et l’affirmation toute profane de la puissance civile, de l’Etat. Nous assistons dès lors à une inversion de la moralité qui consiste à s’identifier non pas par rapport à la religion mais à l’Etat. Autrement dit, avec Hobbes, le pouvoir politique descend du ciel sur la terre, c’est-à-dire que l’autorité politique repose désormais entre les mains des hommes et non d’une quelconque divinité. C’est dans ce contexte du renversement de la moralité ou de sa refondation qu’est écrit le Léviathan dont la tâche principale est de montrer aux hommes la voie à suivre pour retrouver le salut terrestre. Seulement le problème ici, c’est que même avec ce renversement de la moralité, aucune loi permettant d’établir la paix et la sécurité civiles n’est clairement définie. Ce qui permet de comprendre que les hommes, jusque là, sont dans l’état de nature. L’analyse de cet état nous amènera à saisir l’homme depuis sa condition première jusqu’à son entrée dans la société civile. Ainsi nous découvrirons avec Hobbes que le caractère fini de l’homme est la cause de son obéissance à la loi souveraine.

Le mythe de l’état de nature et du droit de nature

Au chapitre XIII du Léviathan Hobbes écrit : « […] il est manifeste que pendant ce temps où les humains vivent sans qu’une puissance commune ne leur impose à tous un respect mêlé d’effroi, leur condition est ce qu’on appelle la guerre ; et celle-ci est telle qu’elle est une guerre de chacun contre chacun » . Ce propos de Hobbes montre qu’en l’absence d’un pouvoir commun, les hommes sont encore dans un état de nature où ils disposent d’un droit de nature. Le droit de nature peut être défini comme le pouvoir naturel et légitime d’employer toute sorte de moyens dont on juge nécessaires à notre propre survie. Il est défini comme : « la liberté que chacun a d’user de sa propre puissance, comme il le veut lui-même pour la préservation de sa propre nature, autrement dit de sa propre vie et, par conséquent, de faire, selon son jugement et sa raison propres, tout ce qu’il concevra être le meilleur moyen adapté à cette fin» . L’état de nature, en raison du droit de nature, est un état de guerre de tous contre tous.

Mais qu’est- ce qui explique cette situation ? Trois causes sont à l’origine de la guerre entre les hommes : la rivalité, la méfiance, la fierté. A ce propos, Hobbes se veut explicite en déclinant successivement la finalité liée à chacune de ces causes. En effet, la recherche effrénée du profit met les hommes en position de combat ; quand l’un se méfie de l’autre, c’est par pur souci de sécurité individuelle car chacun est conscient du danger permanent qui menace sa vie. En même temps, chaque homme étant fier de soi, veut imposer aux autres la haute opinion qu’il a de soi-même en vue justement de jouir d’une certaine réputation. La rivalité entre les hommes entraine une guerre sans fin. En effet, quant deux individus désirent la même chose dont la jouissance mutuelle est impossible, il s’en suit nécessairement une compétition pour son appropriation. Ce qui, à première vue, amène à penser que les hommes sont en présence d’une guerre purement économique. Mais il n’en est rien car si tel était le cas, cette guerre serait une bataille ponctuelle. Elle ne durerait que le temps que dure la raréfaction des produits destinés à la consommation, à la satisfaction des besoins du corps. Cette guerre qui dépasse le cadre strictement biologique, est intrinsèquement liée à la nature propre de l’homme, c’est-à-dire à son désir immodéré de gloire et de puissance.

De cette défiance réciproque et générale, nait une méfiance, expression de la peur de se voir surprendre par son ennemi. Chaque homme, mesurant le danger qui pèse sur ses épaules, utilise tous les moyens nécessaires pour se conserver. Dans cette situation, la préservation de la vie amène chacun à être en perpétuel éveil et ce, jusqu’à la disparition totale de la menace.

Si les uns attaquent les autres qui se défendent avec toutes les dispositions et l’arsenal requis, c’est soit pour devenir maître ou propriétaire de la personne et des biens d’autrui, soit pour éviter de perdre son patrimoine et devenir par la même occasion esclave d’un autre. Lisons à ce propos la déclaration de Hobbes dans le Léviathan : « A cause de cette défiance de l’un envers l’autre, un homme n’a pas d’autre moyen aussi raisonnable que l’anticipation pour se mettre en sécurité, autrement dit se rendre maître, par la force et la ruse, de la personne du plus grand nombre possible de gens, aussi longtemps qu’il ne verra pas d’autre puissance assez grande pour les mettre en danger. Il ne s’agit là de rien de plus que ce que sa propre conservation requiert-ce qui, généralement, est permis » . Cette guerre interindividuelle, il faut le préciser, n’a pas pour fin de tuer l’autre ou de le faire disparaître complètement du circuit social ; elle consiste plutôt à le garder en vie pour lui imposer l’image qu’on veut qu’il ait de nous. Il s’agit en dernier ressort d’une lutte pour la gloire. Ce qui implique la nécessite de maintenir l’ennemi dominé en vie, car, sans lui, notre victoire serait sans gloire. En effet, comme chez Hegel dans sa célèbre figure de la dialectique du maître et de l’esclave, c’est le regard craintif et soumis de l’esclave qui rappelle au maître sa qualité de maître. Abondant dans le même sens que Hobbes, Yves Charles Zarka parlant de la gloire et de ses caractéristiques déclare que « La gloire est une passion réflexive, c’est une spécification de la joie dans le rapport à autrui. Elle consiste dans cette exultation de l’esprit que provoque l’image de notre puissance. La gloire est donc le plaisir de la puissance. […] la gloire ne peut être partagée par tous les hommes. La gloire de l’un a nécessairement pour corrélat le chagrin de l’autre. Mais, en même temps, la gloire exige pour être réelle que notre puissance soit reconnue par les autres, sans quoi elle ne serait que vaine gloire » .

Dans l’œuvre de Hobbes, nous pouvons saisir trois niveaux d’analyse du problème de la guerre de chacun contre chacun. Le premier niveau d’analyse de ce problème se donne à voir dans les relations heurtés qu’entretiennent les individus au niveau de l’état de nature à cause du droit illimité que chacun a sur les choses et les êtres. Ce droit entraîne nécessairement une situation conflictuelle permanente. Notons que la guerre chez Hobbes s’inscrit dans la durée. Elle est un état permanent d’affrontement physique ou verbal, et non une simple lutte temporaire. Les deux autres niveaux de la guerre sont le désir de puissance et l’égalité naturelle entre les hommes. Le désir de puissance trouve sa justification dans le droit naturel qui est la possibilité qu’a chaque homme d’utiliser tous les moyens qu’il juge raisonnables pour la sauvegarde de sa vie. Quant à l’égalité, elle n’est pas de fait mais de droit. Ce qui signifie que chaque homme a la liberté de s’approprier tout ce qui le tente et qu’il espère obtenir quelque soit la manière.

Aux trois premières causes de la violence entre les hommes, nous pouvons ajouter une quatrième. Il s’agit de l’usage de la parole. En effet, dans la mesure où la guerre ne s’effectue pas seulement dans des rapports de forces physiques effectives, mais aussi psychologiques, la parole devient dès lors une arme incontournable dans tout rapport humain. Elle est un instrument efficace de lutte dont la bonne utilisation permet à qui la maîtrise de transformer son opinion en vérité. Un bon orateur peut, par la puissance du verbe, convaincre, persuader et amener ses interlocuteurs à adhérer à ses positions. C’est dans ce sens que, comparant l’homme à l’animal, Hobbes montre que le langage, faculté spécifiquement humaine, est une source de dispute entre les hommes. En effet, chacun se prenant pour le plus sage de tous, se croit apte plus que les autres à délibérer. Ce qui est tout à fait le contraire chez les animaux. Car : « ces créatures, bien qu’elles aient quelques usages de la voix pour faire connaitre les unes aux autres leurs désirs et leurs affections, sont pourtant privées de cet art des mots grâce auquel certains humains peuvent présenter aux autres ce qu’est le bien sous l’apparence du mal et le mal sous l’apparence du bien et grâce auquel ils augmentent ou diminuent la grandeur apparente du bien, suscitent le mécontentement et trouble leur paix à leur guise. » .

On peut, pour clore la liste des causes disposant les hommes à la guerre, ajouter deux autres : la capacité qu’ils ont, contrairement aux êtres dépourvus de raison, à distinguer le préjudice du dommage, et le caractère artificiel de leur union, ce qui signifie que l’intervention de la raison a toujours été perçue comme le moment de distinction et de différenciation de l’homme d’avec les autres créatures. En effet, si l’absence de pensée chez l’animal explique son incapacité à reconnaitre un tort, l’homme, parce qu’il est un être conscient, utilise sa raison pour identifier le bien du mal. Les hommes sont naturellement égaux à l’état de nature. Avec cette égalité, se développe une confiance de soi. C’est cette confiance, ajoutée à l’espoir de prendre le dessus sur son prochain, qui amène chaque homme à attaquer les autres dans le but de satisfaire ses désirs. Autrement dit, chaque homme, animé d’un sentiment d’invincibilité, n’hésite pas à se mesurer aux autres. Cette situation entraine une rivalité et une méfiance entre les hommes. La conséquence logique qui en découle nécessairement, c’est que la guerre est inévitable. Les Elements of law résument ainsi la situation : « Plus encore : puisque les hommes, par passion naturelle, s’offensent les uns les autres de diverses façons, chaque homme pensant du bien de lui-même et haïssant de voir qu’il en est aussi ainsi chez les autres, ils doivent absolument se provoquer les uns les autres par des mots ou par d’autres signes de mépris et de haine qui sont attachés à toute comparaison, jusqu’à devoir, à la fin, déterminer la prééminence par les forces du corps » .

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Table des matières

Introduction
CHAPITRE PREMIER – Genèse du corps politique
Section 1 – Le mythe de l’état de nature et du droit de nature
Section 2 – De la loi de nature et des prémices de la paix
CHAPITRE II – Les fondements de l’autorité politique et de l’Etat
Section 1 – Du contrat social
Section 2 – Du problème autour du transfert de droit et de la convention sociale sans représentation
Section 3 – La « persona civilis », pivot de l’institution étatique
CHAPITRE III – L’absolutisme du pouvoir et ses conséquences
Section 1 – Les prérogatives du souverain et le sort des libertés individuelles
Section 2 – Dialectique Homme-Citoyen
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE
Table des matières

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