Tout philosophe, disait Bergson, a deux philosophies, la sienne et celle de Spinoza. C’est peut-être une boutade car à y croire, si on a la philosophie de Spinoza, on ne peut plus en avoir une autre. Quoiqu’il en soit, cette affirmation a poussé notre curiosité à nous interroger sur le véritable sens du spinozisme. Notre travail se présentera donc comme l’effort de quelqu’un qui soupçonne que le spinozisme est la vérité de la philosophie et qui veut vérifier ou plutôt éprouver ce pressentiment. Dans le cadre du présent travail, nous allons essayer de voir comment Spinoza pose et résout le problème ultime du salut.
Ce qui paraît étonnant, chez ce penseur solitaire, c’est qu’il est profondément soucieux de politique, de communauté humaine. Il désirait le salut pour tous les hommes. Sa philosophie, cependant, rejette toute apologétique et prend dans certaines de ses tournures un aspect radicalement anti-humaniste, en ce sens que contrairement à la tradition héritée de Socrate qui a coutume de mettre l’homme au centre de toute réflexion, et à la tradition judéo-chrétienne qui pose l’homme comme un empire dans un empire, il décentre la réflexion philosophique par rapport à l’homme et pense celui-ci à partir du tout dont il fait partie. C’est un absolutiste.
Contexte historique :La Hollande au milieu du XVIIe siècle
Situation religieuse et politique
Dans la première moitié du XVIIe siècle, la Hollande a été le théâtre de querelles religieuses très violentes. Gomaristes, Arminiens, Collégians, Remonstrants, libres- penseurs occupent le devant de la scène à l’indignation des pasteurs. Les athées authentiques ou supposés sont traqués sans pitié par les synodes et « magistrats».A tout cela vient s’ajouter un problème politique extérieur. Fort hostiles aux occupants espagnols, les libres-penseurs hollandais sont soutenus, jusqu’en 1672, par les agents du roi de France. Nous sommes à la fin du temps où Louis XIV, sous l’influence, dit-on, de Mme de Montespan et de son médecin Fagon, se montre plutôt favorable aux « libertins ». D’ autre part, les libres-penseurs hollandais sont en rapport avec quelques-uns des princes rhénans, eux-mêmes en difficultés avec les clergés catholiques de leur État. De 1630, environ, à 1680, une abondante littérature de libelles signés ou anonymes, a paru en Hollande en faveur de la libre pensée ou contre elle. On peut en suivre les échos dans la correspondance de Constantin Huygens avec son fils Christian.
Le bouillonnement des sectes
Les mennonites sont des étrangers, des réfugiés venus de Bohème, de Pologne ou d’Allemagne. Vers la fin du XVIe siècle, Simon Menno a prêché en Bohème sa doctrine de la liberté religieuse, en réaction contre le formalisme calviniste et luthérien. A ses yeux, les dogmes, les rites, les cultes extérieurs sont à peu près inutiles. Seules comptent devant Dieu, la foi et plus encore la pureté du cœur manifestée par les œuvres bonnes, l’amour du prochain, la tolérance. Jésus a donné l’exemple : S’il n’est point Dieu, il devait être le modèle des perfections humaines. Pacifistes ardents, les Mennonites refusent de porter les armes. Persécutés dans leur Bohême, ils sont venus chercher en Hollande un peu plus de liberté. Mais il y a bien d’autres sectes en Hollande et leur variété fera, plus tard, l’étonnement d’un observateur étranger, le colonel stoupa. On a mentionné plus haut les Remonstrants, puis leurs héritiers collégiants. A côté des défenseurs de la religion « raisonnable »,les exaltés ne manquent pas au Pays-Bas, de 1625 à1670.En 1625, le célèbre pédagogue polonais, Johann Amos Komensky(Comenius), est venu s’établir en Hollande et il y a publié , plus tard, en trois éditions successives, les révélations d’ un certain Koter et d’ une voyante polonaise Poniatowa(1656-1670).L’édition de 1670 porte le titre de Lux in tenebris. Si Comenius avait contesté, en 1670, la valeur des révélations des soi-disant prophètes modernes, son livre n’en a pas moins contribué à les rendre populaires et il a suscité une foule d’imitations. Les écrits d’inspirés prolifèrent en Hollande au XVIIe siècle. Spinoza a connu ces libelles et il en a parlé avec mépris et c’est en réaction contre ces billevesées que s’est formé en partie le rationalisme de Spinoza.
Origine de la persécution des Juifs
Les israélites venus d’Espagne, de Portugal, du midi de la France jouent un rôle important dans les Pays-Bas au XVIIe siècle. Les Juifs, on le sait, on suivit, en Espagne, d’abord les Romains, puis les Arabes, avec lesquels ils ont eu de bons rapports. De même, ils se sont entendus facilement après 414, avec les envahisseurs ibériques ; Wisigoths de religion arienne. Et les sangs ibérique, celtique, latin, juif, arabe se sont mêlés pendant plusieurs siècles. C’est seulement après la conversion au catholicisme du roi Wisigoth Reccared (586), que le concile de Tolède (589) a interdit tout mélange de sang entre chrétiens et juifs. Défense souvent tournée, constamment rappelée sans succès, jusqu’aux grandes persécutions consécutives aux décrets de l’Alhambra (1592) et du roi Manoël de Portugal (1598). Les sévérités de la loi atteignent surtout les Marranes, juifs convertis au catholicisme, puis secrètement revenus à leur religion.
A la suite de ces persécutions, les Spinoza, comme beaucoup d’autres, ont quitté leur village natal d’ESpinoza, sur les confins de l’Espagne du Sud et du Portugal, dans le district de Videgueira (ou Vidigueria). La famille était séphardim, nom réservé aux juifs d’Espagne ou de Portugal, qui gardent encore un net sentiment de supériorité à l’ égard de leurs coreligionnaires moins affinés de l’Europe orientale et centrale, les Aschkenazim. Séphardims réfractaires à la conversion, ou marranes retournés à leur foi primitive ont dû, pour éviter le bûcher quitter la péninsule ibérique, et par les cols des Pyrénées ou par mer, gagner la France, les Pays- Bas, et plus tard l’Angleterre. Amsterdam en a recueilli un grand nombre. Ces immigrés ne sortent guère du quartier où ils vivent, de peur de se souiller au contact impur des chrétiens. Il n’y a pas de barrières autour du quartier juif. Ce n’est pas un ghetto : il est seulement défendu par la clôture morale que les immigrés ont eux-mêmes dressée.
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Table des matières
INTRODUCTION
PREMIERE PARTIE: GENESE DE LA PENSEE DE SPINOZA
CHAPITRE I : CONTEXTE HISTORIQUE : LA HOLLANDE AU MILIEU DU XVIIE SIECLE
I.1.1. SITUATION RELIGIEUSE ET POLITIQUE
I.1.2. LE BOUILLONNEMENT DES SECTES
I.1.3. ORIGINE DE LA PERSECUTION DES JUIFS
I.1.4. LES JUIFS D’AMSTERDAM
CHAPITRE II : SPINOZA : SA VIE ET SA FORMATION
CHAPITRE III : LE DESSEIN DE SPINOZA
I.3.1. LA RECHERCHE D’UNE NOUVELLE VOIE DU SALUT
I.3.2. LA METHODE MATHEMATIQUE
DEUXIEME PARTIE :CONCEPTION SPINOZISTE DU MONDE
CHAPITRE I : DIEU OU LA NATURE
II.1.1.CRITIQUE DE LA CONCEPTION TRADITIONNELLE DE DIEU
II.1.2. REACTION DE SPINOZA CONTRE LA CONCEPTION TRADITIONNELLE DE DIEU
CHAPITRE II : LE DIEU DE SPINOZA
II.2.1. LES DEFINITIONS INITIALES DE L’ÉTHIQUE
II.2.2. CONCEPTION SPINOZISTE DE DIEU
II.2.3. L’EXISTENCE DE DIEU (PREUVE ONTOLOGIQUE)
II.2.4. DE L’EXISTENCE DE DIEU COMME VERITE ETERNELLE
CHAPITRE III : LES CAUSES SINGULIERES : LEUR ESSENCE ETERNELLE ET LEUR EXISTENCE TEMPORELLE
II.3.1. LES MODES
II.3.2. REJET DE L’IDEE DE CREATION
II.3.3. ESSENCE DES MODES
II.3.4. DOUBLE EXISTENCE DES MODES
TROISIEME PARTIE : L’HOMME ET SON SALUT
CHAPITRE I : LA NATURE HUMAINE
III.1.1. LES DEGRES DE LA CONNAISSANCE
III.1.2 LA VOLONTE ET SA DETERMINATION
III.1.3. L’ACTION ET LA PASSION
III.1.4.TENDANCE ET FINALITE
CHAPITRE II : LE SALUT PAR LA PHILOSOPHIE
III.2.1. ÉRADICATION DES PREJUGES, SOURCES D’ERREUR
III.2.2. LE SAGE ET L’IGNORANT
III.2.3. LE CONATUS
III.2.4. CONVERSION DE LA PASSION EN ACTION
III.2.5. LA VERTU
III.2.6. LA VIE ETERNELLE
III.2.7.LIBERTE ET NECESSITE
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE