Selon l’organisation des nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), environ 25% des récoltes mondiales des produits alimentaires sont contaminés par les mycotoxines (FAO, 2004) .Les mycotoxines sont des contaminants naturels de l’alimentation humaine et animale produites par des moisissures toxinogènes.
Parmi les nombreuses mycotoxines existantes, certaines font l’objet de recherche systématique par les chercheurs. Ce sont les aflatoxines, l’ochratoxine A, la fumonisine B1, la zéaralénone, les trichotécènes, la vomitoxine ou DON A l’heure actuelle, l’attention des chercheurs s’est portée sur l’ochratoxine A (OTA) du fait des effets toxiques qu’elles entrainent et de son incidence élevée dans les aliments. En effet, il a été démontré que l’OTA est clairement néphrotoxique, chez toutes les espèces animales et cancérogène chez les rongeurs (Castegnaro et al., 1998; Pfohl-Leszkowicz 1999; Castegnaro 2001 ; Pfohl-Leszkowicz 2002;), elle a été impliquée dans la néphropathie des balkans (Bulgarie, Romanie, Serbie, Croatie, Bosnie et Herzégovine, Slovénie, et Macédoine) (Pfohl-lezkowicz et al, 2002). L’ochratoxine A a été classé par l’IARC comme un carcinogène humain probable (groupe 2B). L’OTA est produite par les champignons des genres Aspergillus et Penicillium principalement les penicillia dans les pays tempérés et les Aspergillii dans les régions chaudes. Elle est dangereuse pour la santé du consommateur et altère aussi la qualité marchande des produits. Elle est naturellement présente dans de nombreux produits végétaux tels que les céréales (orge, blé, mais) et les fruits secs (zinedine A. et al, 2006 et 2007 b), le café, le vin, les olives (mariana T. et al 2008), le cacao (Dembelé A. et al, 2009) et peut également contaminer les épices (Goryacheva et al, 2006 ; Fatih O. et al, 2012 ; Fazekas B. et al, 2005) qui feront l’objet de notre étude.
GENERALITES SUR L’OTA ET LES EPICES
Ochratoxine A
Découverte et origine de l’OTA
Les mycotoxines synthétisées par les champignons peuvent à forte concentration rendre inutilisable un lot d’aliments destiné à la consommation humaine ou animale. Des exemples d’intoxications fongiques avec des épidémies liées à l’ingestion d’ergot du champignon Claviceps purpurea ont été décrites depuis le moyen âge sous le nom de » Mal des ardents ou doigts de saint Antoine « . En 1944, une épidémie d’ergotisme tua près de 400 personnes en France. Les descriptions d’intoxications animales dues à des mycotoxines deviennent de plus en plus fréquentes mais il faudra attendre les années 60 pour que soit éclairci, grâce à la découverte des aflatoxines, le mystère de ces intoxications causées par les moisissures. L’ochratoxine A à été isolée pour la première fois en 1965 par un groupe de chercheurs Sud-Africains à partir d’un isolat d’Aspergillus ochraceus, à l’occasion d’une recherche systématique de mycotoxine engagée à la suite d’intoxication provoquée par les aflatoxines (Van der Merwe et coll, 1965 a et b).
Structure et propriétés physico-chimiques
Structure
L’ochratoxine A est constituée d’une molécule de 3-méthyl-5- chloro-8-hydroxy-3,4-dihydroisocoumarine liée par une liaison peptidique, au niveau de son groupement carboxyl en C7, au groupement amine de la Lβ-phénylalanine.
Propriétés physico-chimiques
De formule brute C20H18ClNO6, L’ochratoxine A est un composé cristallin, incolore et de masse moléculaire 403,8 g/mol. L’OTA possède un point de fusion de 90°C lorsqu’elle est cristallisée dans le benzène et de 169°C lorsqu’elle est cristallisée dans le xylène. L’OTA est un acide organique faible ayant un pKA de 7,1. La toxine peut être sous forme ionisée et non ionisée selon le pH du milieu. A pH acide, l’OTA est très soluble dans les solvants organiques polaires (alcools, cétones, benzène, chloroforme), peu soluble dans l’eau et insoluble dans les éthers de pétrole et les hydrocarbures saturés ; à pH alcalin, elle est très soluble et très stable dans le bicarbonate aqueux (0,1 M). L’OTA absorbe la lumière ultra violette et son spectre d’absorption varie en fonction du pH et de la polarité du solvant. Dans le méthanol, l’OTA possède un maximum d’absorption à 333 nm avec un coefficient d’extinction molaire (ε) de 5500 mol-1cm-1. Dans le bicarbonate de sodium 0,1M (pH = 7,4), le maximum d’absorption de l’OTA est de 378 nm avec un coefficient d’extinction molaire de 14700 mol-1cm-1. L’OTA a une fluorescence verte en milieu acide à 365 nm et bleue en milieu alcalin. Cette propriété est mise à profit pour sa détection et son dosage. Elle présente un maximum d’émission de fluorescence à 467 nm dans l’éthanol 96% et à 428 nm dans l’éthanol absolu. L’OTA est partiellement dégradée dans des conditions normales de cuisson car elle est thermostable, mais peut aussi être transformée en 3-S-OTA (Bruinink et coll, 1997). Des solutions d’OTA sont complètement dégradées par un excès d’hypochlorite de sodium (Castegnaro et coll, 1991). L’OTA présente un certain nombre de dérivés représentés sur la figure 2 (Steyn et coll, 1970 ; Steyn et coll, 1967 ; Van der Merwe et coll, 1965a et b). Ces dérivés sont :
– l’ochratoxine α (OTα) qui est le dérivé isocoumarine obtenu à la suite de l’hydrolyse de la liaison peptidique avec élimination de phénylalanine
– l’ochratoxine B (OTB) qui est un dérivé non chloré de l’OTA et qui a un maximum d’absorption à 318 nm avec un coefficient d’extinction molaire de 6500 mol-1cm-1.
– l’ochratoxine C (OTC) qui est son ester éthylique.
– L’ochratoxine D (OTD) ou la 4-hydroxy-OTA (4(R)-OH-OTA) isolée à partir de culture de Penicillium verrucosum et qui a un maximum d’absorption à 333 nm avec un coefficient d’extinction molaire de 6400 mol-1cm-1 dans le méthanol.
– Analogues structuraux de l’OTA par substitution de la phénylalanine par d’autres acides aminés.
En 1992, Hadiane et coll ont isolé à partir de culture d’Aspergillus ochraceus, trois nouvelles molécules d’OTA dans lesquelles la phénylalanine est remplacée par la sérine, l’hydroxyproline ou lysine.
Production et biosynthèse de l’OTA
Conditions naturelles de production de l’OTA
L’OTA est un métabolite secondaire produit par des champignons inférieurs : les moisissures.
Certains genres produisent l’OTA. Il s’agit d’Aspergillus ochraceus, Aspergillus niger et de Penicillium verrucosum… Les moisissures toxinogènes se développent sur les productions agricoles dans les champs, pendant les traitements post-récoltes et surtout au cours de leur stockage. La production d’OTA est liée aux conditions de température, d’humidité ambiante, et de teneur en eau du support contaminé (A w) (Pitt, 1987). Les valeurs minimales d’A w pour la production d’OTA oscillent entre 0,83 (83 %) et 0,90 (90 %) en fonction de la moisissure étudiée (Northolt et coll, 1979). La température optimale de production d’OTA par Aspergillus ochraceus est de 28°C, cette production est moins importante à 15°C ou 37°C (Trenk et coll, 1991). Au contraire, Penicillium viridicatum croît dans une gamme de température qui varie de 4°C à 30°C en présence d’une humidité de 22% (Mislivec et tuite, 1970). Dans les régions froides, l’OTA est plutôt produite par les Penicillia, alors que dans les régions chaudes, ce sont les Aspergillii qui la synthétisent (Pohland et coll, 1992). Ainsi, la production d’OTA est liée à la physiologie propre de chacune des espèces et aux paramètres écologiques. En Europe et au Canada, Penicillium verrucosum est considérée comme la principale moisissure productrice d’OTA dans les céréales (JECFA, 2002). L’OTA se formerait préférentiellement sur les aliments plutôt acides (Cuero et coll, 1987). Les concentrations en OTA retrouvées dans les aliments sont très variables et varient de quelques ng/kg jusqu’à plusieurs dizaines de mg/kg (Krogh, 1987).
Les moisissures produisant l’OTA peuvent également produire d’autres toxines ou cohabiter avec d’autres moisissures produisant des toxines différentes comme la citrinine produite par des Penicillia (Kanisawa, 1984 ; Krogh et coll, 1973) ou des aflatoxines produites par Aspergillus flavus. Un phénomène de synergie avec l’OTA peut se produire et compliquer l’attribution à la seule OTA de ses effets toxiques (Molinie, 2004 ; Pfohl-leszkowicz et coll, 2002 b).
Production de l’OTA en laboratoire
En laboratoire, des progrès considérables en ce qui concerne la production d’OTA ont été réalisés à partir des cultures effectuées soit en milieu liquide, soit en milieu solide.
Culture en milieu acide
Divers facteurs ont une influence sur la production d’OTA obtenue à partir de culture en milieu liquide (Sansing et coll, 1973) .
La température
La température est un facteur déterminant pour la croissance du champignon et la production de mycotoxine. Sansing et coll (1973) ont montré que la température optimale de production d’OTA à partir d’une culture d’aspergillus varie entre 20° et 25°C.
Le pH et le temps d’incubation
Le temps d’incubation est un facteur très important pour l’obtention d’un bon rendement. Le temps optimum nécessaire à la production d’OTA à partir d’une souche d’Aspergillus ochraceus NRL 3174 cultivée sur un milieu nutritif renfermant 4% de saccharose et 2% d’extrait de levure varie entre 10 et 14 jours à 25°C (Sansing, 1973). A des pH relativement élevés de l’ordre de 7.6 à 8.4, on a une forte production d’OTA après 14 jours d’incubation à 25°C (Sansing et coll, 1973).
Oxygénation et substrat
D’autres facteurs tels que le degré d’oxygénation et la nature du substrat utilisé influent également sur la production d’OTA (Sansing et coll, 1973). Des travaux effectués au laboratoire de l’université de BORDEAUX II sur l’influence du substrat et du temps d’incubation, ont permis d’optimiser la production d’OTA à partir de la souche d’Aspergillus ochraceus (Creppy et coll, 1993).
Culture en milieu solide
De nombreux travaux réalisés sur la production d’OTA à partir de cultures d’Aspergillus ochraceus et de Pénicillium verrucosum effectuées sur différentes graines de céréales (maïs, seigle, orge, blé, avoine…), montrent que toutes les souches ne sont pas également toxinogènes et qu’une souche toxinogène peut perdre cette propriété après plusieurs repiquages (Galtier, 1977). En 1975, Lindenfelser L.A et Ciegler A ont obtenu un rendement de 4 mg/g à partir de la souche d’Aspergillus ochraceus NRRL 3174 cultivée sur du maïs. D’après ces auteurs, le temps optimum nécessaire à la production de la toxine, à la température de 28°c, varie entre 7 et 14 jours, selon le substrat utilisé. Tout comme dans le cas des cultures en milieu liquide, la température, le temps d’incubation et la nature du substrat sont des paramètres déterminants pour les cultures en milieu solide.
Biosynthèse de l’OTA
L’OTA est la condensation d’un noyau isocoumarinique avec un acide aminé : la phénylalanine. D’après Steyn et coll (1970) la biosynthèse de la partie isocoumarinique résulterait de la condensation de cinq unités acétates suivie de l’incorporation en position 7 d’un atome de chlore. En 1971, Yamazaki et coll soutiennent plutôt que le noyau isocoumarinique est la résultante de la condensation d’unités acétates et malonate suivie de l’introduction en position 7 d’un atome de chlore grâce à l’action d’une chloropéroxydase. Dans l’un ou l’autre des cas, l’OTA synthétase serait l’enzyme responsable de la formation de la liaison amide entre la partie isocoumarinique et la phénylalanine.
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Table des matières
INTRODUCTION
PREMIERE PARTIE : GENERALITES SUR L’OTA ET LES EPICES
Chapitre 1 : Ochratoxine A
1. Découverte et origine de l’OTA
2. Structure et propriétés physico-chimiques
2.1. Structure
2.2. Propriétés physico-chimiques
Chapitre 2 : Production et biosynthèse de l’OTA
2.1. Conditions naturelles de production de l’OTA
2.2. Production de l’OTA en laboratoire
2.2.1. Culture en milieu acide
2.2.1.1. La température
2.2.1.2. Le pH et le temps d’incubation
2.2.1.3. Oxygénation et substrat
2.2.2. Culture en milieu solide
2.3. Biosynthèse de l’OTA
Chapitre 3 : Devenir et toxicité de l’OTA
3.1. Absorption
3.2. Distribution
3.3. Métabolisme
3.3.1. Métabolisme de la partie phénylalanine
3.3.2. Métabolisme de la partie isocoumarinique
3.3.3. Métabolisme de l’OTA par conjugaison au glutathion
3.3.4. Autres voies de métabolisation
3.4. Excrétion de l’OTA et de ses métabolites
3.5. Etude toxicologique chez l’animal
3.5.1. Toxicité aigue
3.5.2. Toxicité subaigue ou subchronique
3.5.3. Toxicité chronique
Chapitre 4. Mécanisme d’action de l’OTA
4.1. Mode d’action au niveau de la transcription et de la traduction
4.2. Mode d’action au niveau du métabolisme glucidique
4.3. Perturbations oxydatives
4.4. Mode d’action au niveau de la respiration mitochondriale
4.5. Mode d’action au niveau du métabolisme calcique
4.6. Intéraction avec d’autres mycotoxines
Chapitre 5. Principaux effets biologiques
5.1. OTA et santé animale
5.1.1. Néphrotoxicité et perturbation de la fonction rénale
5.1.2. Effets sur la coagulation
5.1.3. Immunotoxicité
5.1.4. Neurotoxicité
5.1.5. Tératogénicité
5.1.6. Génotoxicité et mutagénicité
5.2. OTA et santé humaine
Chapitre 6. Détection et Dosage de l’OTA
6.1. Dosage de l’OTA par chromatographie sur couche mince (CCM)
6.2. Dosage de l’OTA par chromatographie liquide haute performance (HPLC)
6.3. Méthode enzymatique de confirmation
6.4. Méthodes de couplage avec la spectrométrie de masse
6.5. Méthodes immunologiques
Chapitre 7. Moyens de prévention de l’OTA
7.1. Détoxification de l’OTA
7.1.1. Traitements physiques
7.1.2. Traitements chimiques
7.1.3. Combinaison de traitements chimique et physique
7.1.4. Traitements enzymatiques
7.2. Prevention des effets de l’OTA par l’emploi de molecules protectrices
7.2.1. Effets protecteurs de la phénylalanine
7.2.2. Effets de la vitamine A sur la génotoxicité induite par l’ochratoxine
7.2.3. Effets de la vitamine C sur la génotoxicité de l’OTA
7.2.4. Effets protecteurs du bicarbonate de sodium (Na HCO3)
7.2.5. Effets protecteurs de la cholestyramine
7.3. Mesures d’hygiène ou bonnes pratiques agricoles
Chapitre 8. Présence naturelle de l’OTA dans les produits végétaux et animaux
I. Cas des épices
1. Histoire et origine des épices
2. Les différents types d’épices
2.1. Le gingembre
2.1.1. Origine et histoire du gingembre
2.1.2. Description du gingembre
2.1.3. Culture
2.1.4. Propriétés
2.2. Le piment
2.2.1. Origine et histoire du piment
2.2.2. Description du piment
2.2.3. Culture
2.2.4. Propriétés
2.3. Le poivre
2.3.1. Origine et histoire du poivre
2.3.2. Description du poivre
2.3.3. Culture
2.3.4. Propriétés du poivre
2.3.5. Importance économique des épices
Chapitre 9. Législation et réglementations en OTA sur les épices
1. Règlement portant fixation des teneurs maximales pour l’OTA concernant les épices
Conclusion partielle
DEUXIEME PARTIE : ETUDE DE LA CONTAMINATION DES EPICES PAR L’OTA
Chapitre 1. Matériel
1. Matériel utilisé
2. APPAREILLAGE
Chapitre 2. Méthodologie
1. Echantillonnage
1.1. Collecte des échantillons
1.2. Description des épices collectées
2. Mise au point de la méthode HPLC
3. Qualification de la méthode
3.1. Confirmation de la concentration de la solution mère de l’étalon au spectrophotomètre UV
3.2. Préparation de la gamme d’étalonnage
3.3. Détermination de la concentration de chaque échantillon
Chapitre 3. Résultats d’analyse
1. Résultat de la Collecte des échantillons
2. Résultat de la validation de la méthode
2.1. Exemple de chromatogramme
2.2. Linéarité
2.3. Autres paramètres de validation de la méthode d’analyse d’OTA
3. Niveau de contamination en µg/kg d’OTA dans le gingembre
4. Niveau de contamination moyenne en µg/kg d’OTA des échantillons de gingembre
5. Niveau de contamination en µg/kg d’OTA dans le piment
6. Contamination moyenne en µg/kg d’OTA dans le piment
7. Niveau de contamination en µg/kg dans le poivre
8. Etude comparée des trois matrices
8.1. Moyennes de concentration des 3 groupes d’échantillons en OTA
8.2. Comparaison des teneurs obtenues par rapport aux normes
Chapitre 4. Discussion et recommandations
1. Discussion
2. Recommandations
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE
WEBOGRAPHIE
ANNEXES