Le déficit congénital en 21 hydroxylase est une affection rare (1 pour 14 000 naissances, soit 50 naissances en France par an) [1]. Dans sa forme complète, dite forme classique, il peut avoir des conséquences à la naissance (ambiguïté́ sexuelle, déshydratation aiguë du nourrisson), puis sur le développement statural de l’enfant et enfin, sur le développement pubertaire chez la petite fille. La littérature en Pédiatrie ne manque pas de données sur ce thème [2,3,4,5,6,7]. Une prise en charge chirurgicale s’avère nécessaire pour modifier l’appareil génital externe ambigu et le rendre harmonieux, non équivoque, à l’âge des rapports sexuels. Devenue adulte, la jeune fille porteuse de l’anomalie génétique dans sa forme homozygote majeure s’expose à des difficultés somatiques et psychologiques, en raison de la persistance d’une hyperandrogénie. Nous rapportons deux observations cliniques où le diagnostic tardif a favorisé une prise en charge tardive axée principalement sur l’amélioration du pronostic de la fertilité chez ces patientes.
BIOSYNTHÈSE DES HORMONES SURRÉNALIENNES
Histologie
En formation paire, de forme triangulaire, les deux surrénales sont situées aux pôles supérieurs des reins. Chaque surrénale est constituée d’un cortex extérieur, qui représente 80 à 90 % de la glande, et d’une médullaire interne. Au niveau du cortex, cellules glandulaires, capillaires fenêtres et réseau conjonctif se disposent en trois zones d’aspect diffèrent superposées concentriquement de la superficie vers la profondeur : la zone glomérulée où les cellules se groupent en amas plus ou moins arrondis, la zone fasciculée, la plus épaisse, où les cellules se disposent en longs cordons perpendiculaires à la surface et la zone réticulée où les cellules forment un réseau de cordons anastomosés. Les cellules glandulaires secrètent les hormones cortico- surrénaliennes. Celles-ci ont pour point commun d’être des stéroïdes, ce qui explique que, malgré́ quelques différences de détail, les cellules des différentes zones, aient des caractéristiques morphologiques fondamentales communes, celles de cellules sécrétrices de stéroïdes (réticulum endoplasmique lisse très développé́, nombreuses mitochondries à crêtes tubulaires, liposomes et amas pigmentaires de lipofuscine). La localisation cytologique des multiples enzymes permettant la biosynthèse de ces hormones est assez bien connue : les mitochondries contiennent les enzymes permettant la rupture de la chaine latérale du cholestérol ainsi que diverses enzymes permettant les derniers stades de la synthèse de la corticostérone et de l’aldostérone tandis que le réticulum endoplasmique lisse contient les enzymes permettant la synthèse de la progestérone, des androgènes et des produits conduisant au cortisol. En définitive, l’aldostérone est secrétée par les cellules de la zone glomérulée, alors que les glucocorticoïdes ainsi que les androgènes sont secrétés par les cellules des zones fasciculée et réticulée (sans qu’il soit actuellement possible de dire plus précisément s’il existe une spécialisation des telles ou telles cellules de ces deux zones dans la synthèse de tel ou tel de ces deux groupes d’hormones).
Stéroï ogenèse
Synthè e des minéralocorticoïde Les minéralocorticoïde (chef de file aldostérone) sont synthétisés exclusivement dans la zone glomérulée. Les cellules de cette zone n’expriment pas la 17αhydroxylase (CYP17), ce qui oriente la pregnénolone vers la transformation en corticostérone sous l’action de la 3β-hydroxystéroïd déshydrogénase, de la 21- hydroxylase et de la 11β-hydroxylase. La conversion de la corticostérone en aldostérone est effectuée par l’aldostérone synthétase, enzyme qui s’exprime exclusivement dans la zone glomérulée. Synthè e des glucocorticoïde La synthèse des glucocorticoïde est assurée dans la zone fasciculée. Les cellules de cette zone expriment la 17α-hydroxylase ce qui permet la conversion de la pregnolone en 17 hydroxy-pregnénolone. Ce précurseur emprunte la voie de synthè e du cortisol sous l’action de la 3β-hydroxystréroïde déshydrogènase puis de la 21 hydroxylase puis finalement de la 11β-hydroxylase. Synthè e des androgènes Les androgènes surrénaliens sont synthétisés dans la zone fasciculée. La présence des deux activités de P450c17 (17α-hydroxylase et 17, 20-lyase) dans cette zone, induit la synthè e des androgènes surrénaliens : déhydroépiandrostérone (DHEA) et δ4 androstèn dione. Les androgènes surrénaliens constituent des substrats pour une synthèse périphérique de testostérone sous l’effet de la 17β-hydroxystéroïded shydrogénase (17β-HSD).
DÉFICIT EN 21-HYDROXYLASE
L’hyperplasie congénitale des surrénales (HCS) par déficit en 21-hydroxylase (P450c21) est le déficit de la stéroïd genèse le plus fréquent puisqu’il représente de 90 % à 95 % des cas d’HCS. Ce déficit affecte le cytochrome P450c21 ; il entraîne un défaut de synthè e de cortisol associé on non à celui d’aldostérone et à un excès de sécrétion d’androgènes (schéma de biosynthè e). Il existe plusieurs formes cliniques allant de la forme classique (FC) sévère, à la forme non classique (FNC) de sévérité modérée.
Epidémiologie
La fréquence des différentes formes cliniques varie selon les études en raison des différences ethniques des populations étudiées. Le dépistage néonatal a permis d’évaluer la fréquence moyenne de la forme classique à 1 cas sur 14 000 naissances [4]. L’incidence varie selon la région géographique et l’appartenance ethnique. Elle est la plus élevée chez les Esquimaux d’Alaska où l’incidence est estimée à 1 sur 280 naissances [9] et dans l’Ile de la Réunion où elle est de 1 sur 210 [4]. La fréquence des hétérozygotes est de 1 pour 60 individus dans la population générale [10]. La prévalence de la forme non classique est beaucoup plus élevée ; elle est estimée à 1 sur 1000 individus [43].
Elle est cependant difficile à évaluer en raison d’un grand nombre d’individus asymptomatiques ou non diagnostiqués. Elle est donc le plus souvent mal connue, en dehors de certains groupes ethniques : 1 /27 chez l’isolat des Juifs Ashkenasi [11].
Physiopathologie
L’enzyme 21-hydroxylase (P450c21) permet la transformation de la 17- hydroxyprogestérone (17OHP) en 11-déoxycortisol sur la voie de synthè e du cortisol et de la progestérone en désoxycorticostérone (DOC) sur la voie de synthè e de l’aldostè one. En cas de déficit complet en 21-hydroxylase (activité enzymatique résiduelle nulle), qui correspond à la forme sévère, la surrénale ne peut synthétiser ni le cortisol ni l’aldostérone. La persistance d’une activité résiduelle minime (environ 2 % d’activité enzymatique) permet le maintien d’une synthè e d’aldostérone suffisante pour éviter le syndrome de perte de sel. La carence en cortisol est à l’origine de l’absence de rétrocontrô e négatif sur l’axe corticotrope, augmentant la sécrétion de CRH et d’ACTH. Cette élévation de l’ACTH est responsable de l’hyperplasie du cortex surrénalien et de l’augmentation de la sécrétion des précurseurs du cortisol, en particulier de la 17-OHP et des androgènes surrénaliens, dont le principal est la delta 4-androstèn dione (delta 4), leur synthèse ne nécessitant pas de 21 hydroxylation. Cet androgène peut alors être métabolisé en testostérone puis en dihydrotestostérone dans les tissus cibles. La synthè e accrue de testostérone entraîne chez le fœtus féminin une virilisation des organes génitaux externes variable en fonction du degré de déficit enzymatique.
Formes cliniques
On classe les formes cliniques en deux grandes catégories selon que la maladie a débuté in utero (formes classiques dites congénitales) on non (formes non classiques). Cette classification a l’avantage de la simplicité, cependant elle est parfois difficile à appliquer dans certaines circonstances.
Forme classique
Par définition, ce sont les formes sévères de la maladie qui s’expriment déjà in utero. Le bloc enzymatique est suffisamment important pour entrainer une hyperproduction de Ϫ4 qui sera convertit en testostérone dans de nombreux tissus, puis en dihydrotestostérone par la 5α-réductase présente dans le tubercule génital. A la période critique de la différenciation des organes génitaux externes, le bourrelet génital est très sensible à l’action de testostérone et de dihydrotestostérone. De ce fait, les fœtus féminins sont masculinisés. Par contre, chez le fœtus masculin qui a une sécrétion testiculaire normale un apport supplémentaire de T et DHT n’a aucun effet sur la différenciation sexuelle. Ainsi, au cours de l’hyperplasie congénitale chez la fille, l’ambiguïté des OGE liée à l’hyperandrogénie in utero, présente des aspects de gravité variable, allant de l’hypertrophie modérée du clitoris, avec ou sans fusion postérieure des bourrelets génitaux, à un phénotype masculin avec un pénis et des bourses scrotales. Nous devons à Prader la classification des différents stades de virilisation. Le déficit en minéralocoticoïdes est responsable d’une hyponatrémie sévère avec hyperkaliémie et acidose. Ce tableau d’insuffisance surrénale aiguë avec perte de sel majeure se développe précocement en période néo-natale. Le déficit en glucocorticoïde affecte le métabolisme glucidique et aggrave le collapsus cardiovasculaire. Ces nouveau-nés peuvent présenter des hypoglycémies sévères avec risque important de convulsions et de séquelles neurologiques graves. On distingue deux sous-groupes de formes classiques : les formes avec perte de sel et les formes sans perte de sel :
● Les formes avec perte de sel (salt wasting SW) représentent la grande majorité (80-90 %). Les nouveau-nés des deux sexes développent rapidement un syndrome de perte de sel. Chez la fille, l’ambiguïté sexuelle a pu attirer l’attention et ainsi raccourcir le délai diagnostique. Par contre, chez le garçon, le diagnostic est souvent plus tardif devant un syndrome de perte de sel associé à une hyperpigmentation des OGE. Dans les deux sexes, le syndrome de perte de sel peut se manifester de façon insidieuse. Sa gravité n’est pas proportionnelle au degré d’ambigüi é sexuelle.
● Les formes sans perte de sel (SV) autrefois appelées « virilisantes pures ». Chez la fille, l’ambiguïté sexuelle présente à la naissance oriente le diagnostic. Chez le garçon, le diagnostic est souvent fait plus tardivement vers l’âge de 2-4 ans devant l’apparition de signes de virilisation ou d’un pseudo puberté précoce.
Formes non classiques
Les patients présentant cette forme naissent apparemment normaux et sans ambiguïté sexuelle. Bien que les anomalies biologiques soient déjà présentes à la naissance, les signes cliniques ne se manifestent que plus tard, en général, en période péripubertaire mais parfois dans la première enfance par des signes de pseudo-puberté précoce iso ou hétérosexuelle [12]. Les jeunes patientes présentent, en période péripubertaire, des signes d’hyperandrogénie : l’hirsutisme est la manifestation la plus fréquente [12]. L’hypersécrétion surrénalienne d’androgènes représente aussi une source continue de substrats androgéniques pour l’aromatisation en estrogènes au niveau du foie et du tissu adipeux. Cette production continue d’estrogènes est donc un facteur de dysovulation avec perte de la cyclicité, troubles des règles et infertilité. Environ 40 % des patientes présentent un syndrome des ovaires micropolykystiques. Enfin, il existe des formes dites « cryptiques » dans lesquelles le sujet reste asymptomatique. L’élément biologique qui permet de poser avec certitude le diagnostic est le pic de 17-OHP plasmatique lors du test ACTH.
Étude génétique
Le déficit en 21-Hydroxylase est une maladie génétique à transmission autosomique récessive. Les patients atteints de cette maladie sont donc porteurs d’une mutation sur les deux chromosomes, l’un d’origine maternelle, l’autre d’origine paternelle [13] [6] [14].
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Table des matières
INTRODUCTION
PREMIERE PARTIE : GÉNÉRALITÉS SUR L’HYPERPLASIE CORTICOSURRÉNALIENNE
1. BIOSYNTHÈSE DES HORMONES SURRÉNALIENNES
1.1. Histologie
1.2. Stéroïdogenèse
2. DÉFICIT EN 21-HYDROXYLASE
2.1. Epidémiologie
2.2. Physiopathologie
2.3. Formes cliniques
2.3.1. Forme classique
2.3.2. Formes non classiques
2.4. Étude génétique
2.4.1. Lésions génétiques affectant CYP21
2.4.2. Autres mutations
2.4.3. Corrélations génotype/phénotype
DEUXIEME PARTIE : ETUDE CLINIQUE
1. ETUDE CLINIQUE
1.1. Objectifs
1.2. Site de l’étude
1.3. Matériel et méthodes
1.4. Observation clinique
2. DISCUSSION
2.1. Conséquences du traitement hormonal tardif
2.1.1 Devenir de l’activité gonadique
2.1.2 Fertilité
2.1.3 Impact sur l’os
2.1.4 Impact cardio-vasculaire et métabolique
2.1.5 Impact sur la sexualité
2.1.6 Aspects psychologiques de l’orientation sexuelle
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE