Les mycétomes se définissent comme « tout processus pathologique au cours duquel des agents fongiques ou actinomycosiques d’origine exogène produisent des grains parasitaires » [62]. Le terme «exogène» permet d’exclure l’actinomycose vraie, où les germes comme Actinomyces israelii sont d’origine endogène [33]. Il s’agit d’une maladie infectieuse chronique, non contagieuse, non immunisante, atteignant la peau les parties molles et l’os. L’introduction de l’agent pathogène dans le corps humain se fait lors de traumatismes par piqûres d’épines souillées ou lors d’une plaie préexistante, cependant d’autres circonstances de contamination restent inconnues.
Ils évoluent lentement déterminant après une certaine durée d’évolution, des atteintes osseuses qui mettent en jeu le pronostic fonctionnel, puis des atteintes viscérales parfois mortelles [67]. Il est indispensable de distinguer les actinomycétomes (dus à des bactéries aérobies) des mycétomes fongiques (dus à des champignons), étant donné que leurs traitements sont différents. Les agents infectieux vivent en saprophytes dans les sols et sur certains végétaux des zones d’endémie. Ils sévissent essentiellement dans les régions nordtropicales, semi désertiques sèches et arides, où leur incidence est très importante chez les sujets dont l’activité agro pastorale amène à s’exposer aux piqûres d’épines souillées d’agents pathogènes [73,75]. Les malades, habitant loin des centres hospitaliers capables de les prendre en charge, viennent consulter après une longue durée d’évolution pour des douleurs ou une volumineuse tumeur incompatible avec la poursuite des activités agricoles ou pastorales. Le diagnostic clinique est généralement facile, la confirmation se fait par l’examen parasitologique ou bactériologique qui en précise l’espèce causale. La localisation podale est la plus fréquente et les autres localisations sont rares.
HISTORIQUE
La première description reconnaissable du mycétome remonte à 1842 par Gill et Collebrook qui l’appelèrent « pied de Madura ».Dyke Carter a été le premier à employer le terme de mycétome et en suspecta l’origine fongique. D’autres cas furent ensuite décrits sur d’autres continents, Mac Questin aux Etats-Unis rapporta les premiers cas mexicains en 1873[33]. Aristide Le Dantec rapporta le premier cas africain à Saint Louis du Sénégal en 1894. Il soupçonna l’importance du climat dans la répartition de la maladie [34]. Quelques années après, des tropicalistes de renommée comme Vincent, Brumpt et Laveran furent les premiers à avoir décrit les agents pathogènes les plus courants en Afrique : Madurella mycetomatis et Actinomadura pelletieri et ce à partir de prélèvements provenant de patients sénégalais. Chalmers et Archibald distinguèrent les actinomycoses des mycétomes vrais qu’ils nommèrent maduromycoses [61]. Les travaux de référence remontent de la seconde moitié du XXe siècle à nos jours. Dans chacune des zones d’endémie de cette pathologie, naissait une véritable école dont les travaux ont permis de bien caractériser l’affection. Segretain et Mariat montrèrent, dans les années 60 et 70, la présence de différents agents étiologiques dans le milieu extérieur au Sénégal et en Mauritanie [57,58,75]. Ces vingt dernières années, de nouvelles publications sont venues montrer que le problème des mycétomes restait entier dans la zone d’endémie ouest-africaine. On peut citer en Afrique, les travaux de Sheikh Mahgoub au Soudan, de Camain, Rey et Ndiaye à Dakar, Destombes, Mariat et Segretain à Djibouti et en Somalie, ceux de Buot et Lavalle au Mexique. Ils montrent tous que les mycétomes restent toujours un problème médico-chirurgical important dans ces pays [33].
EPIDEMIOLOGIE
REPARTITION GEOGRAPHIQUE
La zone endémique se trouve de part et d’autre du 15éme parallèle nord, dans les régions semi-désertiques. Plus précisément entre les isohyètes 50 et 800 mm de pluies annuelles [57,58,73,76].Ces zones sont caractérisées par un climat particulier chaud et sec avec alternance d’une longue saison sèche de 7 mois au minimum suivie d’une courte saison de pluie allant de 1 à 4 mois; avec une végétation constituée d’arbres et d’arbustes épineux[75]. Les trois grandes zones endémiques sont le Mexique, l’Afrique et l’Inde. La zone d’endémie africaine est une bande qui va de l’Ouest à l’Est du continent où elle s’infléchit vers le bas. Elle englobe d’Ouest en Est : Mauritanie, Sénégal, Mali, Niger, Tchad-Nord Cameroun, Soudan, Djibouti Somalie-Nord Kenya. C’est en Afrique qu’on a le mieux établi les rapports entre répartition des mycétomes et climatologie (Figure1). Habituellement ce sont les eumycétomes qui sont plus fréquents en Afrique. Au Soudan, principal pays d’endémie, Streptomyces somaliensis et Madurella mycetomatis sont les deux principaux agents étiologiques. C’est également le cas en Afrique de l’Est [33,34,61]. En Mauritanie, l’agent prédominant est Streptomyces somaliensis, surtout dans les parties presque désertiques avec une pluviométrie annuelle variant entre 50 et 250 millimètres[71], avec une minorité de grains noirs. Au Niger Streptomyces somaliensis est plus retrouvé, dans la partie sud sahélienne, les mycétomes à Actinomadura pelletieri prédominent. En Afrique centrale, Actinomadura pelletieri prédomine [30]. De part et d’autre de la zone endémique africaine, en zone tropicale et équatoriale les cas des mycétomes deviennent sporadiques. En Afrique du Nord, Actinomadra madurae est l’agent prédominant[49]. C’est d’ailleurs en Algérie qu’il a été décrit pour la première fois.
Rey a établi deux zones d’endémie au Sénégal caractérisées par une pluviométrie différente, avec des agents étiologiques prédominants différents. Il s’agit du Nord où prédominent les mycétomes à grains noirs et du centre où prédominent les mycétomes à grains rouges [73]. Ces dernières années des mycétomes à Actinomadura pelletieri ont été observés dans cette région où la maladie était inconnue auparavant. Actinomadura madurae serait mis en cause dans un pourcentage non négligeable dans la zone du fleuve Sénégal et serait également fréquent à Louga et Diourbel[64,65]. En Inde les actinomycètes dominent et sont essentiellement imputables à Actinomadura madurae et, dans une moindre mesure, à Actinomadura pelletieri. Mais d’après une étude plus récente, l’Inde et le Soudan ont la plus forte incidence de mycétomes fongiques [39]. L’infection est sporadique dans d’autres pays d’Asie : Pakistan,Thaïlande, Cambodge. Au Moyen- Orient, dans les parties désertiques (Arabie Saoudite,Yémen) les mycétomes sont également présents et on y retrouve Streptomyces somaliensis et Madurella mycetomi [47]. Sur le continent américain, le Mexique est le premier pays d’endémie suivi du Venezuela[20]. Au Brésil [25] et en Argentine [69], les actinomycétomes représentent respectivement 68 et 50 % des cas. Il faut noter la fréquence de Nocardia brasiliensis au Brésil et de Madurella grisea en Argentine. Dans d’autres parties du continent américain, les cas sont sporadiques : Caraïbes, Amérique centrale, États Unis. En Europe, la majorité des cas observés sont importés. En France, les mycétomes d’importation se voient essentiellement chez des sujets originaires d’Afrique sahélienne (Mali, Mauritanie, Sénégal), beaucoup plus rarement en provenance du Maghreb ou des Antilles. Des cas autochtones européens ont été décrits en Roumanie et en Bulgarie. Les cas autochtones d’Europe de l’Ouest sont exceptionnels [26,27].
AGENTS PATHOGENES
CLASSIFICATION
Les agents étiologiques des mycétomes sont nombreux. Welsh en 2007 répertoriait 13 espèces d’actinomycètes impliquées contre 29 fongiques [87]. Certaines espèces citées avaient été récemment décrites comme Nocardia mexicana identifiée en 2004 [74]. La liste est loin d’être complète et de nouveaux agents sont régulièrement reconnus comme étant à l’origine de mycétomes comme par exemple Phialophora verrucosa espèce connue jusqu’alors comme responsable de chromomycose et de phaeohyphomycose [87]. Les espèces produisent des grains dont la couleur permet de les classer. Ainsi les grains noirs sont d’origine fongique, les grains rouges sont actinomycosiques et dus à une seule espèce : Actinomadura pelletieri et enfin les grains blancs, jaunes ou blanc-jaunâtres, selon les auteurs, peuvent être soit fongiques ou bactériennes. Globalement, les actinomycétomes sont plus fréquents que les eumycétomes. Cependant les actinomycètes agents de mycétomes sont moins nombreux que les champignons. Il ressort des résultats de plusieurs grandes séries africaines que trois espèces, deux actinomycètes (Streptomyces somaliensis, Actinomadura pelletieri) et un champignon (Madurella mycetomatis) représentent 66,4 à 90,3% des agents pathogènes; il n’en est pas de même sur les autres continents : au Mexique les Nocardia représentent 85,6% des cas [20]. Cependant en Inde, Actinomadura madurae et Madurella mycetomatis prédominent[83].
HABITAT
Contrairement à beaucoup d’agents saprophytes connus, d’autres au contraire n’avaient jamais été décrits, en particulier Neotestudina rosatii, retrouvé dans les sols sableux secs à proximité du fleuve Sénégal[75]. Parmi les agents fréquents, Allescheria boydii a été signalé dans le sol des différentes régions depuis les premiers isolements par Emmons et Ajello. Il en est de même de Nocardia asteroides et Nocardia brasiliensis qui ont en particulier été isolés du sol du Sénégal [75]. Borelli [19] a montré que Madurella grisea était également un hôte du sol. Leptosphaeria senegalensis a été trouvé de manière abondante dans la région du fleuve Sénégal, sur des épines diverses et en particulier d’Acacia[34], quand elles sont mortes et souillées par les boues, lors des inondations annuelles. 50% de ces épines hébergent le champignon tout en ayant gardé leur caractère traumatisant[75]. Les épines vertes ne contiennent pas le champignon qui doit probablement venir du sol. On trouve également dans les mêmes conditions Leptosphaeria tompkinsii agent tout à fait exceptionnel de mycétome [75]. Cette découverte rend toute sa valeur à l’hypothèse de l’épine introduisant l’agent pathogène. Enfin Madurella mycetomi, signalé par Thirumalachar et Padhye [83], a été isolé de deux termitières dans la région du fleuve Sénégal, sous sa forme classique et sous une forme assez particulière [76]. Si le lien entre le champignon et les termites se confirmait, l’ubiquité de cet agent pourrait ainsi s’expliquer. Malgré des prélèvements les plus divers, les autres agents actinomycosiques de mycétomes n’ont pu être isolés en dehors de l’homme dans la zone du fleuve Sénégal et de la Mauritanie .
PATHOGENICITE
Les agents pathogènes sont très variables suivant les pays d’endémie comme en témoignent les résultats des séries de ces différents pays. Les patients sont des ruraux adultes, et la prédominance masculine de la maladie est très marquée. Il semble certain selon Segretain que l’activité hormonale chez la femme intervient sur l’évolution du mycétome et explique sa relative immunité vis-à-vis de la maladie [76]. L’enfant de moins de 10 ans est pratiquement indemne, la sensibilité de l’adolescent serait également relativement faible[58]. Dans les régions tropicales où les gens marchent pieds nus ou avec des sandales, la localisation de la lésion au pied est de loin la plus fréquente en particulier en Afrique (environ 90% des lésions) ou tout au moins aux membres inférieurs 75% dans la statistique de Latapi au Mexique [50]. Dans ce dernier pays, les mycétomes du dos ne sont pas rares(10%) et expliqués par une habitude particulière de portage. Les autres localisations beaucoup plus rares, montrent que les mycétomes peuvent s’implanter dans n’importe quelle région du tissu sous-cutané. Le mycétome reste une lésion localisée qui a peu tendance à se disséminer ; cependant celles-ci peuvent se manifester par dissémination lymphatique aux ganglions satellites en particulier quand l’agent responsable est Actinomadura pelletieri.
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Table des matières
INTRODUCTION
PREMIERE PARTIE: GENERALITES SUR LES MYCETOMES
I. HISTORIQUE
II. EPIDEMIOLOGIE
II.1. REPARTITION GEOGRAPHIQUE
II.2. AGENTS PATHOGENES
II.2.1. CLASSIFICATION
II.2.2. HABITAT
II.2.3. MORPHOLOGIE
II.2.4. PATHOGENICITE
II.3. MODE DE CONTAMINATION
II.4. FACTEURS FAVORISANTS
III. ETUDE CLINIQUE
III.1. CIRCONSTANCES DE DECOUVERTE
III.2. CARACTERES CLINIQUES
III.3. FORMES CLINIQUES
III.3.1. FORMES TOPOGRAPHIQUES
III.3.1.1. LOCALISATIONS AUX MEMBRES INFERIEURS
III.3.1.2. LOCALISATIONS AUX MEMBRES SUPERIEURS ET AU TRONC
III.3.1.3 LES AUTRES LOCALISATIONS
III.3.2. FORMES SELON LE TYPE DE GRAIN
III.4. BILAN D’EXTENSION
IV. DIAGNOSTIC POSITIF
IV.1. ARGUMENTS EPIDEMIOLOGIQUES
IV.2. ARGUMENTS CLINIQUES
IV.3. ARGUMENTS PARACLINIQUES
IV.3.1 LA BIOLOGIE
IV.3.1.1 EXAMAEN DIRECT
IV.3.1.2 ANATOMOPATHOLOGIE
IV.3.1.3 CULTURE
IV.3.1.4 BIOLOGIE MOLECULAIRE
IV.3.1.5 LA SEROLOGIE
IV.3.2 L’IMAGERIE
V. DIAGNOSTIC DIFFERENTIEL
VI. PRONOSTIC
VII. TRAITEMENT
VII.1. BUTS
VII.2. MOYENS
VII.2.1. MEDICAUX
VII.2.2. CHIRURGICAUX
VII.2.2.1 L’EXERESE
VII.2.2.2 L’AMPUTATION
VII.3. INDICATIONS
VII.3.1. TRAITEMENT DES ACTINOMYCETOMES
VII.3.2. TRAITEMENT DES EUMYCETOMES
VII.4.SURVEILLANCE
VIII. PREVENTION
DEUXIEME PARTIE
I. CADRE D’ETUDE
II. MATERIEL D’ETUDE
III. METHODE D’ETUDE
IV. RESULTATS
IV.1. FACTEURS EPIDEMIOLOGIQUES
IV.1.1. L’AGE
IV.1.2. LE SEXE
IV.1.3. LA PROFESSION
IV.1.4. L’ORIGINE GEOGRAPHIQUE
IV.2. L’ETUDE CLINIQUE
IV.2.1. LE SUIVI ANTERIEUR
IV.2.2. LA LOCALISATION DU MYCETOME
IV.2.3. LA COULEUR DES GRAINS
IV.2.4. L’EXISTENCE D’ADENOPATHIES
IV.3. LA BIOLOGIE
IV.4.L’IMAGERIE
IV.5. LE TRAITEMENT CHIRURGICAL
IV.6. LE RECUL APRES TRAITEMENT
DISCUSSION
I. ASPECTS EPIDEMIOLOGIQUES
II. ASPECTS CLINIQUES
III. ASPECTS PARACLINIQUES
IV. TRAITEMENT ET EVOLUTION
CONCLUSION
REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES
ANNEXES