Généralités sur les moustiques vecteurs du paludisme
La découverte par Alphonse Laveran des parasites dans le sang de patients atteints de paludisme en 1880 marque le début de la connaissance du paludisme. Plus tard, Ronald Ross démontra que les parasites humains du paludisme étaient transmis par des moustiques du genre Anopheles (Ross, 1897). Le paludisme est donc une infection parasitaire due à un protozoaire appartenant au genre Plasmodium transmis par des moustiques femelles du genre Anopheles (OMS, 2007). Cinq espèces du genre Plasmodium sont impliquées : Plasmodium vivax, P. malariae, P. ovale et P. falciparum. P. falciparum est le parasite du paludisme le plus prévalent dans la région Afrique de l’OMS. Il est en effet à l’origine de 99,7 % des cas de paludisme estimés en 2017, tout comme dans les régions d’Asie du Sud-Est (62,8 %), de la Méditerranée orientale (69 %) et Pacifique occidental (71,9 %). P. vivax prédomine dans la région Amérique de l’OMS où il représente 74,1% des cas de paludisme (OMS, 2018). Les moustiques ont un rôle dans les écosystèmes mais avant tout en épidémiologie humaine et animale. En plus de leur caractère nuisant par les piqûres qu’ils infligent, ils représentent le groupe le plus important de vecteurs d’agents pathogènes transmissibles à l’être humain mais également de zoonoses. Ils sont vecteurs principalement de trois groupes d’agents pathogènes pour l’être humain: Plasmodium, filaires ainsi que de nombreux arbovirus.
Les anophèles femelles prélèvent le parasite en prenant sur un sujet infecté au cours de leur repas de sang. Ce dernier est indispensable pour le développement de leurs œufs. Les parasites se développent ensuite dans l’organisme de l’insecte. Lorsque la femelle du moustique se nourrit de nouveau, elle inocule les parasites avec sa salive dans le sang d’un nouvel individu. De ce fait, la lutte contre cette maladie exige sans doute une bonne connaissance de la biologie des Plasmodium, d’une part et, d’autre part, de la bio-écologie des anophèles vecteurs. La multiplication des parasites se fait de façon rapide dans le foie, puis dans les globules rouges du sujet infecté. Une à deux semaines plus tard, les premiers symptômes du paludisme se manifestent: en général de la fièvre, des céphalées, des frissons et des vomissements. S’il n’est pas traité rapidement au moyen de médicaments efficaces, le paludisme peut tuer en infectant et en détruisant les globules rouges, puis en obstruant les capillaires qui irriguent le cerveau et d’autres organes vitaux.
Les vecteurs du paludisme au Sénégal
Une vingtaine d’espèces anophéliennes ont été décrites au Sénégal (Diagne et al., 1994). Parmi ces espèces, une demi-douzaine sont connues pour leur implication dans la transmission du paludisme (An. gambiae, An. coluzzii, An. arabiensis, An. funestus, An. melas, An. nili et An. pharoensis). An. gambiae, An. coluzzii, An. arabiensis et An. funestus ont une large distribution et un rôle prépondérant dans la transmission tandis qu’An. melas, An. nili, An. pharoensis sont confinés dans certaines zones géographiques et ont un rôle vectoriel secondaire. An. gambiae et An. arabiensis sont sympatriques dans presque tout le territoire et leurs fréquences relatives varient en fonction des conditions climatiques. An. arabiensis est plus abondant en zones sahéliennes et soudano-sahéliennes alors qu’An. gambiae est prédominant dans les zones de savane humide (Vercruysse et al., 1981; Vercruysse, 1985; Petrarca et al., 1987, Dia et al., 2008; Lemasson et al., 1997; Fontenille et al., 1997; Robert et al., 1998). An. melas du fait de ses affinités aux eaux saumâtres, est localisé sur le long du littoral mais également à l’intérieur des terres le long des cours d’eau du Sine-Saloum et de la Casamance jusqu’aux limites de la remontée des eaux marines. Il est également présent dans les zones de mangrove du Sine-Saloum, de basse Casamance et de Saint-Louis (Diop et al., 2002). An. funestus, absent auparavant des zones sahéliennes suite aux sécheresses récurrentes des années 70, est actuellement présent dans toutes les zones biogéographiques du Sénégal notamment dans les localités à proximité de zones marécageuses ou de cours d’eau (Dia et al., 2003, 2008). An. pharoensis est présent également dans toutes les zones biogéographiques mais est prédominant surtout dans les zones de rizières de la vallée du fleuve Sénégal et de Casamance (Faye et al., 1995). La présence d’An. nili est signalée uniquement dans la zone du Sénégal oriental et de Casamance (Dia et al., 2003, 2005).
Systématique, cycle de développement et morphologie
Systématique
Plusieurs espèces vectrices de parasitoses ou d’arboviroses sont des Culicidae (moustiques) appartenant à:
➤ l’embranchement des arthropodes (pattes articulées),
➤ la classe des insectes (corps segmenté en trois parties),
➤ la sous classe des ptérygotes (présence d’ailes),
➤ l’ordre des diptères (deux ailes fonctionnelles)
➤ le sous-ordre des nématocères (antennes rondes et longues).
➤ La famille des Culicidae
Cette famille comprend trois sous familles:
● les Anophelinae (avec les genres Anopheles, Bironella et Chagasia),
● les Culicinae (Aedes, Culex, Mansonia, etc.) et
● les Toxorhynchitinae (Toxorhynchites) (Knight & Stone, 1977).
Cycle de développement
Les moustiques sont des insectes à métamorphose complète (insectes holométaboles). Leur cycle biologique comprend deux (2) phases:
Une phase aquatique qui concerne les stades pré-imaginaux ou immatures: œuf, larves (avec 4 stades larvaires différents par leur taille entrecoupés chacun d’une mue) et nymphe. Après une dizaine de jours environ, la dernière mue transforme la larve du 4e stade en une nymphe qui ne se nourrit pas et subit d’importants bouleversements morphologiques, libérant l’anophèle adulte en un à deux jours environ.
Une phase aérienne qui concerne le stade adulte ou imaginal, avec des mâles et des femelles. C’est à ce stade que s’effectue la reproduction et la dispersion. Le mâle se nourrit exclusivement de jus sucrés, tandis que la femelle s’alimente non seulement du nectar des fleurs pour disposer de l’énergie nécessaire pour le vol mais aussi de sang humain ou animal pour la maturation des œufs. Cependant seule la femelle est hématophage. C’est au cours d’un repas sanguin qu’elle peut ingérer le parasite et le transmettre plus tard (Carnevale & Robert, 2009). Chaque espèce de moustique préfère pondre ses œufs dans une collection d’eau particulière (OMS, 2013). Les gîtes préférentiels des anophèles sont généralement des eaux douces, claires avec ou sans végétation. Ces points d’eau comprennent les mares temporaires ou permanentes, des flaques d’eau de pluie, des puits, des bassins etc. Toutefois, certaines espèces se développent dans des eaux saumâtres (An. melas et An. merus) ou dans des sources d’eau thermales (Gillies & De Meillon, 1968). Le développement larvaire est influencé par la température, la luminosité et la quantité de nourriture. C’est une période de croissance avec une augmentation notable de la taille du stade un au stade quatre, qui peut être de l’ordre de 10 fois. Le dernier stade nymphal se termine par l’émergence qui marque le passage à la vie adulte. La femelle s’accouple généralement juste après l’émergence en s’introduisant dans les essaims formés par les mâles. La vie de la femelle est ensuite rythmée par un cycle de prise de repas sanguin sur un hôte vertébré. En fonction des comportements de piqûre des imagos et des habitudes de repos, on distingue des populations endophages et exophages qui s’alimentent respectivement à l’intérieur ou à l’extérieur des habitations.
Morphologie
Les moustiques sont des insectes à métamorphose complète (insectes holométaboles) de sorte que l’adulte, la larve et la nymphe ont des morphologies très différentes, adaptées à leurs modes de vie, aquatique pour les stades pré imaginaux et aérien pour le stade adulte ou imaginal. (Carnevale & Robert, 2009).
Les œufs
Une ponte d’anophèle est composée habituellement de 50 à 300 œufs, de forme allongée, chacun ayant 1/2 millimètre de longueur. Les œufs sont pondus de couleur blanche, puis brunissent. Les œufs d’Anopheles sont pondus isolément, en vol, sur la surface de l’eau, et possèdent généralement deux flotteurs latéraux. Ces œufs sont soumis au jeu des tensions superficielles, se regroupent parfois par leur extrémité pour former des sortes d’étoiles (à 6 œufs) sur l’eau. Les œufs d’anophèle ne résistent généralement pas à la dessiccation et éclosent dans les 48 heures après l’oviposition, dès que l’embryon est entièrement développé. Ce délai est allongé lorsque la température diminue (Carnevale & Robert, 2009).
Les larves
Les larves d’anophèle se reconnaissent des autres larves d’insectes aquatiques par, entre autres, l’absence de pattes et un thorax relativement gros. Au cours de son développement, la larve subit 3 mues et passe ainsi par 4 stades larvaires morphologiquement comparables. La mue qui survient entre chaque stade permet l’accroissement de la taille de la larve pendant que la nouvelle cuticule durcit. Au stade IV, la larve d’anophèle mesure environ 12 à 15 mm. Morphologiquement, la larve se compose de trois parties: la tête, le thorax et l’abdomen (Carnevale & Robert, 2009).
➠ Tête:
La tête porte les 2 antennes, 2 gros yeux composés, une paire de brosses buccales qui servent à créer un courant d’eau apportant les particules alimentaires (levures, bactéries, micro-planctons, micro-algues, grains de pollen, etc.) au niveau de la bouche qui est en position ventrale. Chez les anophèles, la larve s’alimente en surface (surface feeder), tandis qu’elle s’alimente en profondeur chez les autres moustiques de la sous-famille Culicinae. La tête comporte en effet de nombreuses soies qui sont utilisées pour la diagnose spécifique (identification des espèces), notamment les soies préclypéales internes et externes. À l’éclosion, la larve de stade I mesure 1 à 2 mm ; elle présente, sur la tête, une dent d’éclosion qui a servi à percer, et ouvrir, le chorion de l’œuf. Cette dent n’existe pas chez les stades ultérieurs (Carnevale & Robert, 2009).
➠ Thorax
La liaison entre la tête et le thorax se fait par l’intermédiaire d’une membrane, au niveau du cou, qui permet la rotation à 180° de la tête lors de l’alimentation. Le thorax n’apparaît pas segmenté, mais il se compose de 3 segments coalescents (pro-, méso- et métathorax), chacun portant de nombreuses soies dont la forme et la taille diffèrent selon leur implantation et selon les espèces. Ces soies ont reçu une numérotation (chétotaxie) et sont utilisées pour la diagnose spécifique (Carnevale & Robert, 2009).
➠ Abdomen
Il comprend 9 segments bien visibles, chacun portant différentes ornementations, notamment la plaque tergale et les plaques accessoires, des soies simples, branchues ou palmées, etc. qui sont utilisées pour l’identification des différentes espèces. Les larves d’anophèles vivent dans l’eau, s’alimentent, effectuent des mues et respirent l’air atmosphérique. La durée de vie larvaire est d’une à deux semaines selon les espèces et les conditions écologiques (dont la température) (Carnevale & Robert, 2009).
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Table des matières
INTRODUCTION
I SYNTHESE BIBLIOGRAPHIQUE
I.1 Généralités sur les moustiques vecteurs du paludisme
I.1.1 Les vecteurs du paludisme au Sénégal
I.1.2 Systématique, cycle de développement et morphologie
I.1.2.1 Systématique
I.1.2.2 Cycle de développement
I.1.2.3 Morphologie
I.1.2.3.1 Les œufs
I.1.2.3.2 Les larves
I.1.2.3.3 La nymphe
I.1.2.3.4 L’adulte
I.2 Influence des facteurs climatiques et environnementaux
I.3 Lutte contre les vecteurs du paludisme
I.3.1 Les insecticides
I.3.1.1 Définition et modes d’action
I.3.1.2 Particularités et intérêt du Chlorfénapyr
I.3.2 La résistance aux insecticides
I.3.2.1 Définition
I.3.2.2 Principaux mécanismes
I.4 Evaluation de la sensibilité des vecteurs aux insecticides
I.4.1 Le test standard de l’OMS
I.4.2 Le test en bouteille du CDC
II MATERIELS ET METHODE
II.1 Présentation et choix des zones d’étude
II.1.1 Diourbel (Keur Serigne Mbaye Sarr)
II.1.2 Dakar (ZAC Mbao)
II.1.3 Koungheul
II.1.4 Tambacounda (Dianké Makha)
II.1.5 Nioro (Keur Set)
II.2 Echantillonnage et élevage des moustiques
II.2.1 Matériels de collecte des larves
II.2.2 Prospection des gîtes et récoltes de larves
II.2.3 Recueil des nymphes
II.2.4 Elevage des moustiques
II.3 Détermination de la sensibilité à différentes doses de Chlorfénapyr
II.3.1 Matériels du test
II.3.2 Lavage et séchage des bouteilles
II.3.3 Préparation des solutions de travail et conditions de conservation
II.3.4 Imprégnation et conservation des bouteilles
II.3.5 Tests en bouteilles CDC
II.3.5.1 Recherche d’une dose discriminante de Chlorfénapyr
II.3.5.2 Critères de validation et interprétation des résultats
II.3.5.3 Conservation des échantillons
II.4 Traitement des échantillons au laboratoire
II.4.1 Extraction d’ADN
II.4.2 Identification par PCR des espèces du complexe Anopheles gambiae
II.4.2.1 Amplification par PCR
II.4.3 Electrophorèse et révélation
II.4.3.1 Electrophorèse
II.4.3.2 Révélation
III RESULTATS ET DISCUSSION
III.1 Résultats globaux
III.1.1 Sensibilité des populations d’An. gambiae s.l. à la chlorfénapyr
III.1.1.1 Dianké Makha
III.1.1.2 Diourbel (Keur Serigne Mbaye Sarr)
III.1.1.3 Nioro (Keur Set)
III.1.1.4 Koungheul
III.1.1.5 ZAC Mbao
III.1.2 Comparaison des résultats de mortalité du chlorfénapyr aux autres molécules testées
III.1.3 Identification spécifique des espèces du complexe An. gambiae s.l. selon le district
III.2 Discussion
CONCLUSION ET PERSPECTIVES
REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES
ANNEXES