Généralités sur les microalgues et ses applications
Définition et caractéristiques
Le terme microalgue est un terme générique qui désigne les algues microscopiques, au sens strict (eucaryotes ) et les cyanobactéries (procaryotes ). Unicellulaires ou pluricellulaires indifférenciés, ce sont des micro-organismes photosynthétiques extrêmement diversifiés et hétérogènes des points de vue évolutif et écologique. Les microalgues sont des constituants majeurs du phytoplancton et contribuent à la moitié de la production primaire globale de carbone. Le nombre total d’espèces d’algues est estimé entre 1 et 10 millions, dont la majorité est microscopique [29]; les estimations de la richesse globale en espèces de microalgues restent vague [30]. Environ 6000 espèces de microalgues sont identifiées dans le milieu marin, et plus de 14000 en eau douce [31], et bien plus restent à découvrir. Ces espèces sont caractérisées par une variété de morphologies (sphérique, ellipsoïde, fusiforme, cylindrique, spirale, etc.) et peuvent se présenter sous différentes formes de cellules (cellule unique, en chaînes ou en groupes de cellules), mobiles ou sessiles. Leur taille peut varier de quelques microns à plusieurs centaines de microns (de 0.5 à 10⁴ microns, [32]). Si leur taille réduite ne permet leur observation qu’au microscope, leur présence en grand nombre est parfois détectable par la couleur de l’eau (verte, brune, bleu, etc., selon l’espèce en question) grâce à la présence de pigments à l’intérieur des cellules dont la fonction est d’assurer la photosynthèse. Par leurs couleurs et leur structure, les microalgues se répartissent en plusieurs groupes différenciés : algues bleues (i.e. cyanobactéries), diatomées, coccolithes, chrysophycées, dinoflagellés et chlorophycées [31]. La reproduction préférentielle des microalgues est une duplication asexuée par mitose car elles colonisent leur milieu par division cellulaire si les conditions physicochimiques et nutritives sont favorables.
Métabolisme et efficacité photosynthétique
Moyennant une capacité d’adaptation qui est à l’origine des métabolismes variés, les microalgues peuvent croitre dans différentes conditions autres qu’autotrophes ; elles peuvent être hétérotrophes ou mixotrophes au besoin. Le principe de la culture des micro-organismes photosynthétiques repose sur l’optimisation de leurs besoins pour favoriser la photosynthèse et la productivité de biomasse. La photosynthèse est le processus qui confère aux microalgues leur autotrophie. Grâce à la photosynthèse elles sont capables de transformer l’énergie lumineuse en énergie chimique. En effet, ce processus leur permet de capturer le dioxyde de carbone CO2 (puits de carbone) en présence de l’énergie lumineuse et de l’eau H2O et d’élaborer des composés organiques (CH2O)n (amidon, fructose et saccharose) nécessaires à leur métabolisme et à leur croissance; l’eau est quant à elle photo-oxydée en oxygène O2 selon la réaction globale suivante : CO2 + H2O → (CH2O)n + O2.
Cette réaction est divisée en deux phases : la phase lumineuse (photochimique) et la phase obscure (non photochimique) (voir Figure 1.1). Dans la phase photochimique, la chlorophylle utilise l’énergie lumineuse pour scinder la molécule d’eau (photolyse); il y a libération d’oxygène et production d’hydrogène et d’énergie chimique transitoire (stockée dans les intermédiaires NADPH et ATP ). Cette réaction est particulièrement rapide. Dans la phase non photochimique, l’hydrogène et cette énergie chimique vont permettre par le cycle de Calvin (ensemble de réactions biochimiques) la consommation du CO2 (fixé par l’enzyme Rubisco) et la production de molécules glucidiques, puis de protides et de lipides ultérieurement (biomasse valorisable). Cette étape est significativement plus lente que la précédente.
Une des caractéristiques principales des microalgues est leur rendement photosynthétique qui se définit comme la fraction de l’énergie solaire convertie en énergie chimique par ces organismes photosynthétiques. Il se trouve que les microalgues ont un rendement photosynthétique très important comparé à celui des plantes terrestres (10% vs. 5% [33]). Leur rendement important se traduit par un taux de croissance très élevé, c’est-à-dire un court temps de doublement de la population (de quelques heures chez certaines espèces), ce qui permet leur culture dans le cadre de production industrielle à grande échelle. Cependant, différents phénomènes lumineux comme la photorespiration, la photosaturation et la photoinhibition peuvent limiter l’efficacité de la photosynthèse en fonction des espèces et des conditions de culture considérées. Le phénomène de photorespiration permet de tamponner la concentration en O2 lorsque celle-ci est en excès. Il peut conduire à une dégradation de matière organique et donc au relargage du CO2 fixé lors de la photosynthèse. Pour limiter ce phénomène, il est important d’évacuer régulièrement l’O2 produit par la photosynthèse. On parle de saturation par la lumière lorsque l’énergie lumineuse captée par les pigments ne peut pas être utilisée entièrement, ce qui fait qu’une partie est dissipée par fluorescence ou sous forme de chaleur. La plupart des algues sont saturées de lumière à environ 20 % de l’intensité de la lumière solaire [34, 35, 36] alors qu’un fort éclairement peut ralentir, inhiber la croissance des microalgues voire conduire, à terme, à la destruction des photosystèmes entraînant la mort cellulaire. Ce phénomène est connu sous le nom de photoinhibition et souvent accompagné d’une diminution de la productivité de biomasse [37, 36, 38].
La croissance des microalgues et donc la production de biomasse, dépendra de la quantité de lumière perçue par les cellules; l’efficacité de la photosynthèse est l’un des facteurs contrôlant la productivité.
Croissance et principaux métabolismes d’adaptation
La croissance algale peut être caractérisée par différentes phases reflétant les changements de la biomasse et de son environnement au cours du temps. La réponse typique de la croissance algale (i.e. taux de croissance spécifique) au fil du temps par rapport à la teneur en éléments nutritifs peut être schématisée en 5 étapes, comme le montre la Figure 1.2, d’après [2]. Une première phase, dite de latence, correspond à un taux de croissance sous maximal qui peut être observé. Le retard de croissance lors de cette phase pourrait s’expliquer par l’ajustement physiologique des cellules (i.e. adaptation cellulaire) aux changements des conditions de nutriments ou de culture (e.g. température, lumière). Cette phase peut être évitée lorsque les cellules utilisées au début de l’expérience en mode batch sont préadaptées aux conditions de culture ou sont préalablement cultivées en mode continu et maintenues à l’équilibre. La deuxième phase, dite exponentielle, est caractérisée par une croissance accélérée puis exponentielle (ou logarithmique) tant que les ressources essentielles pour la croissance sont en abondance. La troisième phase de croissance est linéaire et suivie d’une phase stationnaire qui se produit à partir d’une certaine concentration cellulaire où la biomasse commence à s’accumuler à une vitesse constante jusqu’à ce qu’un substrat dans le milieu de culture (ou des inhibiteurs : des bactéries, des champignons et des virus) devienne le facteur limitant la croissance. La dernière phase de déclin correspond ainsi à une multiplication ralentie due à une insuffisance de ressources, la mort cellulaire ou encore la dominance d’autres espèces entraînant finalement un effondrement total de la culture.
Les facteurs reconnus pour impacter la vitesse de croissance des microalgues et leur prolifération sont de plusieurs natures. Les microalgues sont sensibles à la disponibilité des nutriments (notamment le carbone C, l’azote N et le phosphore P), de la ressource lumineuse et à la variation d’autres facteurs abiotiques comme la température et le pH du milieu. Les microalgues s’adaptent aux conditions de leurs environnements pour récupérer les ressources, que ce soit par le biais de changements structurels, d’un stockage ou d’une utilisation plus efficace des ressources. Les ajustements internes impliquent une acclimatation biochimique et physiologique, tandis qu’à l’extérieur, ils peuvent excréter une variété de composés pour, entre autres, rendre les nutriments disponibles ou limiter la croissance des concurrents.
Du point de vue de la structure, le carbone est le composant principal, après l’hydrogène et l’oxygène. Mais l’azote et le phosphore peuvent limiter la croissance des microalgues et conditionner leur prolifération. C’est à partir des substances minérales dissoutes dans l’eau que les microalgues synthétisent leurs propres substances organiques et se multiplient. La quantité et la qualité de la biomasse produite à partir des microalgues sont sensibles à la variation des nutriments présents (fluctuation des intrants notamment l’azote et le phosphore) ou encore du pH pouvant jouer un rôle déterminant sur la prolifération des microalgues. Les teneurs en réserve de carbone stocké (notamment le stockage de lipides) dans les microalgues peuvent varier notamment par la carence en phosphore ou en azote [39, 40], car elles résultent d’un déséquilibre transitoire entre le flux de carbone issu de la photosynthèse et le flux de ces nutriments essentiels. Par exemple, lorsque le milieu de culture est carencé en azote, les microalgues se développent à des taux plus faibles, mais accumulent des glucides et/ou des lipides [41, 42, 43]. La cellule carencée n’interrompt pas immédiatement l’acquisition du CO2 nécessaire à la photosynthèse, alors qu’elle ne peut pas l’utiliser pour construire des protéines (puisque, par exemple, l’azote est manquant). Elle doit donc stocker ce flux; chez certaines espèces, ce stockage a lieu principalement sous forme de lipides pouvant représenter jusqu’à 60% de leur poids sec [13, 44, 45]. Une addition de phosphore sous des conditions de limitation en azote a été proposée comme stratégie pour améliorer la production de biomasse de microalgues en monoculture [40, 46], l’augmentation de l’accumulation et de la productivité en lipides [47, 46, 48]. Par ailleurs, la gestion du rapport N 😛 des ressources disponibles constitue un moyen de maîtriser l’équilibre entre les populations dans les écosystèmes phytoplanctoniques complexes [49].
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Table des matières
INTRODUCTION GÉNÉRALE
CONTEXTE, OBJECTIFS ET MÉTHODES
Introduction
1 État de l’art
1.1 Utilisation des microalgues pour le traitement des eaux usées et la production de biomasse d’intérêt industriel
1.1.1 Généralités sur les microalgues et ses applications
1.1.1.1 Définition et caractéristiques
1.1.1.2 Métabolisme et efficacité photosynthétique
1.1.1.3 Croissance et principaux métabolismes d’adaptation
1.1.1.4 Nombreuses applications des microalgues
1.1.2 Bioremédiation et production de biomasse en systèmes ouverts
1.1.2.1 Avantages et limites de la culture des microalgues sur des eaux usées
1.1.2.2 Example d’un lagunage naturel en lagunage à haut rendement algal : projet PHYCOVER
1.2 Importance des interactions au sein des systèmes de production de microalgues
1.2.1 Biodiversité et fonctionnement des écosystèmes microbiens
1.2.1.1 Grands types d’interactions biotiques
Les interactions conflictuelles
Les interactions bénéfiques
1.2.1.2 Diversité, productivité et stabilité : relations et mécanismes
1.2.2 Potentiel des associations entre espèces microalgales dans les cultures intensives
1.2.3 Interactions entre microalgues et bactéries : multiples, complexes et difficiles à élucider
1.2.4 Interactions possibles entre les consortia microbiens naturels dans la lagune expérimentale du projet PHYCOVER
1.3 Modèles et concepts sur les procédés de production algale
1.3.1 Modélisation prédictive, optimisation et contrôle : étapes clés à intérêt théorique et applicatif
1.3.2 Modélisation d’un système biologique
1.3.2.1 Trois modes de fonctionnement
1.3.2.2 Modèle mathématique du chémostat : quelques notions et principes
1.3.2.3 Enjeux de la caractérisation mathématique de la croissance microbienne et du choix du degré de complexité d’un modèle
1.3.3 Facteurs et cinétiques de la croissance algale
1.3.3.1 Limitation par les nutriments
1.3.3.2 Limitation par la disponibilité de la lumière
1.3.3.3 Limitation par d’autres facteurs abiotiques
1.3.3.4 Conclusion
1.4 Estimations dynamiques par intervalles pour borner les incertitudes
1.4.1 Principe et intérêt de l’approche des observateurs par intervalles
1.4.2 Théorème de Muller
1.4.3 Exemple illustratif sur le chémostat
1.5 Concluion du chapitre : objectifs de l’étude et hypothèses de recherche
2 Méthodologie de travail
2.1 Méthodes, techniques et outils de recherche
2.1.1 Approches expérimentales et dispositifs expérimentaux
2.1.1.1 Expérimentations in situ et microalgues isolées
2.1.1.2 Expérimentations au laboratoire et dispositifs expérimentaux
2.1.2 Approches de modélisation mathématique
2.1.2.1 Développement des modèles mathématiques
La partie physique
La partie biologique
2.1.2.2 Outils mathématiques pour l’analyse d’un modèle dynamique
2.1.2.3 Ajustement des données aux modèles, identification des paramètres, validation et prédiction
2.2 Mise en pratique des outils et étapes de la démarche de recherche
2.3 Répartition des activités de la thèse
ARTICLES PUBLIÉS, SOUMIS OU EN PRÉPARATION : RÉSULTATS ET DISCUSSIONS
3 Demonstration of facilitation between microalgae to face environmental stress
3.1 Introduction
3.2 Results and Discussion
3.2.1 No direct toxic effect of high NH+4 and pH on microalgae growth rates
3.2.2 Evidence of species-dependent ammonia effect
3.2.3 Evidence of facilitation interaction through a modeling approach
3.2.4 Importance of the initial populations densities on the degree of facilitation in simulated HRAP
3.2.5 Validation of the ecological facilitation in real HRAP
3.3 Materials and Methods
3.3.1 HRAP experiment
3.3.2 Microalgae strains, cultivation conditions, and laboratory experiments
3.3.3 DNA isolation, PCR, and sequencing
3.3.4 Sample analyses
3.3.5 Data Analysis
3.3.6 Modeling procedures
3.4 Principales contributions et perspectives sur les interactions algue–algue vis-à-vis de la ressource azotée
4 A new kinetics model to predict the growth of micro-algae subjected to fluctuating availability of light
4.1 Introduction
4.2 Materials and methods
4.2.1 micro-algae strains and pre-culture medium
4.2.2 Experimental procedure and cultivation conditions
4.2.3 Analytical procedures
Batch cultures
Continuous cultures
Carbon conversion
4.2.4 Model identification methods
4.2.5 Statistical tests
4.3 Results and discussion
4.3.1 Effects of the incident light on the specific growth rate of C. sorokiniana and S. pectinatus in batch monoculture
4.3.2 Effects of the density of the biomass on the growth rates of C. sorokiniana and S. pectinatus in batch mono-culture
4.3.3 Modeling the light attenuation within cultures
4.3.4 Coupling the photo-inhibition and photo-limitation effects in micro-algal growth kinetics
4.3.5 Model calibration and extension for poly-culture predictions in continuous mode photo-bioreactors
4.3.6 Prediction of the possible outcomes of the competition for light availability in continuous mode photo-bioreactors under periodic light conditions
4.4 Conclusion
4.5 Principales contributions et perspectives sur les interactions algue–algue vis-à-vis de la ressource lumineuse
CONCLUSION GÉNÉRALE