La prévalence de la carie dentaire n’a pas cessé de diminuer dans les pays développés depuis la dernière décennie du fait d’une meilleure compréhension de l’hygiène bucco-dentaire et de la généralisation de l’utilisation du fluor (40). A l’inverse les processus de déminéralisation des dents sans participation bactérienne appelés lésions dentaires non carieuses, sont en progression continue (40). Ils sont essentiellement dus à de nouveaux comportements alimentaires, en particulier une consommation excessive d’aliments et de boissons acides. Ces lésions non carieuses constituent une situation clinique couramment rencontrée au cabinet dentaire. Pour demain, les projections font apparaître que leur prévalence devrait dépasser celle des lésions carieuses en Occident d’ici 2015 (6). Il y’a de cela vingt ans, 8% des lésions dentaires étaient non carieuses. Au début des années 1990, on en comptait 22%. Bientôt elles représenteront 50% des problèmes dentaires. Dés lors il semblerait que la problématique dentaire de demain soit plus les lésions non carieuses que les lésions carieuses. Elles vont changer dans un futur proche le type d’exercice du chirurgien dentiste. A l’heure actuelle leur thérapeutique restauratrice connaît un taux d’échec important (40). Au titre des lésions cervicales non carieuses on trouve l’abrasion, l’attrition, l’abfraction et l’érosion. Leurs mécanismes étiopathogéniques ne sont pas encore totalement élucidés.
De nombreuses études cliniques et expérimentales montrent que ces mécanismes d’usure agissent rarement seuls mais plutôt en interaction (6, 35). L’érosion dentaire, est un phénomène d’usure chimique qui se traduit par une perte de tissu dentaire. Elle est le plus souvent associée aux autres modes d’usure non carieux des tissus dentaires. Lorsqu’elle est associée à l’attrition ou l’abrasion, les acides peuvent causer une usure importante. Elle réduit l’épaisseur de l’émail et expose ainsi la dentine sous-jacente et transforme la couleur blanche de l’émail en couleur jaune de la dentine. Les acides causant l’érosion proviennent de l’estomac ou du régime alimentaire. L’usure dentaire qu’elles induisent est devenue un problème de société touchant des groupes de population de plus en plus jeune, en particulier dans les processus érosifs avec des conséquences irréversibles sur l’organe dentaire. Ceci pourra entrainer de lourds dommages sur la dimension verticale avec des troubles de l’occlusion associés. La reconnaissance de ces signes avant-coureurs d’usure et d’érosion devrait encourager le besoin de prévention pour prolonger la vie des dents.
HISTORIQUE
Les archéologues utilisent depuis longtemps les preuves de l’abrasion dentaire comme une indication de problème de santé et de diététique durant la préhistoire. L’abrasion des dents a été utilisée pour analyser l’âge et le mode de vie des populations préhistoriques (44). Dès 1771, John Hunter (45), chirurgien anatomiste anglais décrit des lésions dentaires indépendantes de processus carieux, dans son ouvrage intitulé «The Natural history of the human teeth». En 1862, G V Black (12) émet plusieurs hypothèses pour expliquer la survenue de ses lésions :
•un défaut dans le processus de formation de la dent, des «frictions» dues à une pâte dentifrice abrasive, l’action d’un acide «inconnu»,
•une sécrétion pathologique par une glande salivaire malade,
•une résorption dentaire similaire aux dents déciduales, l’action de fluides alcalins sur les sels calciques, l’action d’enzymes de bactéries sur la surface dentaire.
N’ayant aucune donnée validant ces théories, il conclut qu’il n’avait aucune explication réelle au sujet de ces lésions (11). Miller W D en 1907 (71), met en corrélation l’existence des lésions avec celle de facteurs d’origine mécanique et chimique. Selon lui, la perte de substance dentaire est multifactorielle et serait due à quatre processus : abrasion, attrition, érosion ainsi qu’à la combinaison de facteurs chimiques et mécaniques. Dans une publication de 1932, Kornfeld (53) associe la présence de lésions cervicales d’usure avec l’existence d’une facette abrasée sur la face occlusale de la dent correspondante. Une hypothèse occlusale serait donc de mise.
En 1982, G Mc Coy (67) expose la possibilité d’une déformation de la structure de l’émail, entrainant une lésion entre l’émail et la dentine. La présence de forces occlusales répétées et non physiologiques en serait la cause. En 1991, Grippo (35), définit le processus d’abfraction comme une fragmentation ou une cassure de l’émail et de la dentine. Il serait dépendant de la puissance, de la durée d’application, de la fréquence et du point d’application de forces occlusales pathologiques. De plus, Grippo (35) suggère qu’en plus de l’effet mécanique, s’appliquerait un phénomène dit «piézoélectrique». Le processus mécanique conduisant à des micros déformations de la dent engendrerait des petits courants électriques. Ceux-ci seraient suffisants pour transporter des ions calcium Ca2+, créant une déminéralisation.
TERMINOLOGIE DES LESIONS DENTAIRES NON CARIEUSES
La première mention de lésions dentaires non carieuses remonte à 1907 avec Miller W.D (71) qui s’est intéressé aux mécanismes étiopathogéniques. Il a distingué deux mécanismes d’usure des surfaces dentaires à savoir l’abrasion et l’érosion. Cependant ces termes figuraient déjà dans l’un des premiers ouvrages de dentisterie opératoire publié en 1778 par l’anatomo-pathologiste anglais John Hunter (45). Depuis lors l’appellation de la lésion par le mécanisme étiopathogénique semble consensuelle. En 1914 Black (12) reprenant les travaux de Miller WD (71) identifie trois mécanismes aboutissant à la terminologie suivante : érosion, abrasion et attrition. Il différencie dans ces lésions celles qui sont à localisation cervicale et celles qui sont à localisation occlusale ; l’ensemble constituant les lésions dentaires non carieuses. Depuis ces travaux préliminaires, la classification ainsi que la définition de ces lésions ont été dans un état de confusion.
En 1994, Levitch (58) avait fait ressortir trois mécanismes de lésions cervicales non carieuses : l’érosion, l’abrasion et les contraintes en flexion qui se manifestent dans la région cervicale sous la forme de microfissures. Cependant il ne les appelle pas abfraction, terme inventé par Grippo (35). En 1996 Imfeld (46) a élaboré une classification de tous les processus de destructions chroniques dentaires, et en distingue six mécanismes :
– Abrasion : le terme est utilisé pour décrire une usure pathologique des surfaces dures de la dent due à un processus mécanique impliquant des objets étrangers introduits régulièrement dans la bouche et en contact avec les dents. En fonction de l’étiologie, elle peut être diffuse ou localisée.
– Démastication : elle décrit l’usure de la surface dentaire occlusale pendant la mastication du fait de l’interposition entre les dents d’objets solides. Elle est physiologique quand elle affecte les surfaces occlusales ou incisives mais peut être pathologique . C’est un terme utilisé aussi quand il y’a une combinaison d’abrasion et d’attrition.
– Attrition: elle décrit une usure physiologique des surfaces dures de la dent due à un contact dento-dentaire sans intervention de substance étrangère.
Elle aboutit à une usure des faces occlusales principalement mais également dans certains cas en une transformation des points de contact inter proximal en zones de contact .
– Abfraction : c’est un processus de dégradation de l’émail et de la dentine cervicale sous l’effet de contraintes de flexion de la dent dues aux forces occlusales . Une des explications de ce phénomène tient à la concentration de contraintes au niveau cervical lorsque des surcharges occlusales interviennent.
– Erosion : c’est une destruction causée par une attaque chimique principalement acide. Les érosions dentaires sont classées en érosions extrinsèques, intrinsèques et idiopathiques.
– les érosions extrinsèques proviennent d’une attaque acide d’origine externe à partir de l’air pour certains travailleurs exposés dans certaines industries (figure5), les acides provenant de l’alimentation sont cependant la cause la plus fréquente des érosions extrinsèques .
EPIDEMIOLOGIE
La prévalence des lésions érosives ne cesse d’augmenter en raison du changement du mode de vie. Elle est variable en fonction des études (tableau I) ce qui prouve la difficulté de contrôler les différents paramètres de l’usure dentaire dans le cadre d’une étude clinique. Cet état va poser, dans un avenir proche, un véritable problème de santé bucco-dentaire en termes de diagnostic et de traitement pour le praticien. Elle affecte de 10 à 30 % (61) de la population adulte en moyenne, les enfants et les adolescents seraient les plus touchés. Alors que la prévalence de la carie régresse chez les enfants, l’érosion dentaire devient une pathologie en évolution croissante qui peut entraîner plusieurs problèmes dont l’hypersensibilité dentinaire qui affecterait 10 à 20 % de la population adulte avec une majorité de sujets touchés entre 20 et 50 ans surtout les femmes.
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Table des matières
INTRODUCTION
PREMIERE PARTIE : GENERALITES SUR LES LESIONS DENTAIRE NON CARIEUSES
1-1 HISTORIQUE
1-2 TERMINOLOGIE DES LESIONS DENTAIRES NON CARIEUSES
1-3 CLASSIFICATIONDE L’EROSION
1-3-1 Classification d’Eccles
1-3-2 Classification de Lussi
1-3-3 Classification de BEWE
1-4 CADRE
1-4-1 Email
1-4-1-1 structure
1-4-1-2 Composition chimique
1-4-2 Jonction cémento-dentinaire
1-5 EPIDEMIOLOGIE
DEUXIEME PARTIE : ETIOPATHOGENIE ET DIAGNOSTIC
2-1 ETIOPATHOGENIE
2-1-1 Etiologies
2-1-1-1 Facteurs intrinsèques
2-1-1-2 Facteurs extrinsèques
2-1-3-3 facteurs d’origine inconnue
2-1-2 Pathogénie
2-2 DIAGNOSTIC
2-2-1 Diagnostic positif
2-2-1-1 Interrogatoire
2-2-1-2 Motifs de consultation
2-2-1-3 Habitudes alimentaires
2-2-1-4 Habitudes d’hygiène buccodentaire
2-2-1-5 L’environnement socioprofessionnel
2-2-1-6 Anamnèse médicale
2-2-1-7 Anamnèse dentaire
2-2-1-8 Examen clinique
2-2-2Diagnostic étiologique
2-2-3Diagnostic différentiel
2-2-3-1 carie de l’émail et de la dentine
2-2-3-2 Carie radiculaire
2-2-3-3 Abrasions
TROISIEME PARTIE : PRISE EN CHARGE
3-1 TRAITEMENTS PREVENTIFS
3-2 TRAITEMENT DE CURATIF
3-2-1 Traitement de désensibilisation
3-2-2 Traitement restaurateur
3-2-1-1Indication
3-2-2-2 Matériaux employés au fauteuil en technique directe
3-2-2-3 Protocole de réalisation au fauteuil
CONCLUSION
REFERENCES