Les hétérocycles azotés sont une classe importante de composés organiques en raison de leur présence dans de nombreuses molécules naturelles et/ou synthétiques ayant un large spectre d’activités biologiques.
Depuis plusieurs années, notre équipe de recherche s’intéresse au développement de nouvelles méthodologies de synthèse pour l’élaboration d’hétérocycles azotés à travers des réactions de couplage d’un ion N-acyliminium. Ces approches sont reconnues en synthèse organique moderne comme l’une des méthodologies les plus efficaces pour la construction d’une liaison carbonecarbone, et deviennent attrayantes lorsque celles-ci sont catalysées ou métallocatalysées pour un accès rapide et efficace à des hétérocycles azotés polyfonctionnalisés. Il est donc nécessaire de développer des voies d’accès rapides et respectueuses de l’environnement pour la production de ces plateformes hétérocycliques. Dans ce contexte, et dans le but de développer des voies de synthèse plus éco-compatibles, nous nous sommes intéressés lors ce projet de thèse à la synthèse de polyhétérocycles dérivés de l’isoindolinone en évaluant la capacité des sels de fer ainsi que leurs complexes à catalyser les séquences réactionnelles envisagées.
Généralités sur les ions N-acyliminiums
Les ions N-acyliminiums constituent des intermédiaires clés pour la construction des liaisons carbone-carbone ou carbone-hétéroatome Y (Y = O, S, Se, N, P) en synthèse organique moderne. Par comparaison avec les ions iminiums , ces espèces possèdent un groupement électroattracteur (GEA : acyle, ester, amide ou sulfonyle, etc.) endocyclique ou exocyclique conjugué à l’atome d’azote ; ce qui renforce leur caractère électrophile et améliore ainsi leur réactivité.
Les ions N-acyliminiums se caractérisent par une grande variabilité structurale et par conséquent, ils suscitent un intérêt particulier en synthèse organique. Selon la nature des substituants R1-4, deux grandes familles d’ions N-acyliminiums se distinguent : les ions acycliques et cycliques. Ces derniers peuvent être eux-mêmes divisés en deux sous-groupes endocycliques ou exocycliques .
Généralités sur les réactions d’α-amidoalkylation
La réaction de couplage d’un ion N-acyliminium avec un nucléophile (souvent appelée réaction d’α-amidoalkylation), une des variantes de la réaction de Mannich, est reconnue comme étant l’une des méthodologies de synthèse les plus efficaces pour l’accès à une large gamme de polyhétérocycles naturels ou non naturels incluant des analogues structuraux d’alcaloïdes. La publication de plusieurs revues exhaustives, témoigne de l’importance de ce domaine en synthèse organique contemporaine. Les ions N-acyliminiums peuvent être générés à partir de nombreux précurseurs acycliques ou cycliques. Généralement, ces ions sont générés in situ par traitement acide à partir de N,O-acétals cycliques ou non tels que les hydroxy-, alcoxy- ou acyloxylactames, à partir d’α benzènesulfonyl lactames, de N,N-acétals dérivés de benzotriazole, ou encore à partir de lactames N,Obicycliques. Ils peuvent également être obtenus via des séquences de décarboxylation radicalaire/oxydation d’α-aminoacides par voies électrochimiques et chimiques. La réaction d’α-amidoalkylation à partir du précurseur d’ion N-acyliminium comprend deux étapes : l’étape de formation de l’ion N-acyliminium, suivie de l’étape d’alkylation par addition du nucléophile, selon un processus SN1.
La formation de l’intermédiaire cationique hautement énergétique IV est l’étape limitante d’un point de vue cinétique. Ainsi, plus ce dernier sera stabilisé, plus l’équilibre sera déplacé dans le sens de sa formation, accélérant ainsi la cinétique de formation du produit V désiré. Des travaux théoriques récents de R. A. Pilli ont permis d’établir un ordre de réactivité des ions N-acyliminiums endocycliques selon leur spécificité en présence d’allyltriméthylsilane comme nucléophile externe. Les expériences étant réalisées en phase gazeuse et donc en l’absence d’effet de solvant et du contre ion, ces résultats doivent être considérés avec beaucoup de précautions.
Dans les conditions d’études imposées, les ions N-acyliminiums issus d’un cycle à cinq chaînons seraient plus réactifs que leurs analogues à six chaînons. Les ions N-acyliminiums non substitués sont également plus réactifs que leurs analogues N-protégés (N-CO2Me), lesquels sont plus sensibles à une addition nucléophile que les lactames N-méthylés. En complément de cette étude, une échelle de réactivité a pu être établie de façon empirique dans notre laboratoire, suite aux nombreuses expériences acido-catalysées réalisées avec, pour l’essentiel, des nucléophiles silylés. Cette échelle est certes limitée aux cycles azotés à cinq centres, mais elle est sans doute plus réaliste que celle de Pilli, entre autres, du fait qu’elle considère les deux étapes du processus d’α-amidoalkylation, l’ionisation et l’addition nucléophile.
Cette échelle s’aligne sur celle de Pilli en ce qui concerne la comparaison directe de la réactivité des carbamates cycliques (plus réactifs) par rapport aux lactames analogues (moins réactifs). D’autre part, elle montre que le groupe partant joue un rôle primordial dans la réactivité des N,O-acétals, les substrats les plus simples, les hémi-acétals, étant comme attendus les moins réactifs alors que leurs analogues acétates, lorsqu’ils peuvent être isolés, sont les plus réactifs. La possibilité de préparer et d’isoler un acétate permet d’inverser l’ordre de réactivité intrinsèque entre plusieurs familles, comme le montre l’inversion de réactivité entre les dérivés de l’acide malique et du phthalimide par rapport à la série succinimidique.
Réactivité et applications des ions N-acyliminiums
Les ions N-acyliminiums combinent donc une grande variabilité structurale et une forte électrophilie intrinsèque, et par voie de conséquence, ils présentent un vif intérêt en synthèse organique. Ainsi, depuis plusieurs décennies, les ions N-acyliminiums ont été largement utilisés comme intermédiaires clés dans la construction de systèmes polyhétérocycliques et plus particulièrement dans la synthèse d’alcaloïdes. En considérant la structure générale de ces espèces cationiques, correspondant à la forme mésomère stabilisée d’un carbocation adjacent à l’atome d’azote d’une fonction amide, la présence du carbonyle porté par cette dernière rend l’ion N-acyliminium très électrophile et donc très réactifs vis-à-vis d’une large gamme de partenaires réactionnels nucléophiles. Cette spécificité a notamment permis de réaliser de multiples réactions d’α amidoalkylations intra- ou intermoléculaires, essentiellement à l’aide de nucléophiles carbonés doux tels que les πnucléophiles ou des hétéronucléophiles Y (Y = O, S, Se, N, P) .
Parmi les principaux nucléophiles carbonés neutres couramment utilisés dans ces réactions d’amidoalkylations, on trouve des nucléophiles π-riches [aromatiques, ou hétéroaromatiques tels que des indoles, des oléfines, allènes ou alcynes], des nucléophiles silylés, ou des composés portant un méthylène activé (cétoesters ou malonates, méthylène en α d’un groupement nitro, etc.). De nos jours, la littérature recense un nombre considérable d’applications de ces réactions d’amidoalkylations aussi bien en versions intermoléculaires qu’intramoléculaires pour la synthèse de produits naturels et d’analogues ayant une structure simple ou complexe. Compte tenu de cette richesse, il est difficile de dégager certaines contributions plus que d’autres. Citons, de façon arbitraire, quelques exemples représentatifs :
❖ des cyclisations intramoléculaires d’aromatiques permettant d’accéder à des alcaloïdes, tels que la crispine, et des squelettes d’alcaloïdes de type erythrina,
❖ des cyclisations intramoléculaires d’alcènes conduisant à des indolizidines trihydroxylées, et à un antithrombothique naturel d’origine marine : l’Oscillarin,
❖ des cyclisations intramoléculaires d’alcynes conduisant à la préparation d’antibiotiques de type carbacephem et des cyclisations intramoléculaires d’allènes conduisant à la Gelsédine,
❖ des cyclisations intramoléculaires de vinylsilanes conduisant à la préparation d’alcaloïdes indolizidiniques comme les elaeokanines A et B, d’allylsilanes conduisant à l’isoretronecanol, et de propargylsilanes conduisant à l’alcaloïde Peduncularine,
❖ des cyclisations intramoléculaires par des éthers d’énol silylés utilisées comme étape clé pour la synthèse d’alcaloïdes complexes tels que la Gelsémine, la Biotine, la (-)- Quinocarcine,
❖ l’association de réactions d’allylation intermoléculaires avec une cyclisation de métathèse cyclisante d’oléfines conduisant à la synthèse d’alcaloïdes bicycliques tels que des dérivés α-lactamiques 4-6, 4-7 et 4-8, de la coniceine, et de la lentiginosine, et enfin
❖ les amidoalkylations intermoléculaires d’éthers d’énol silylés pour permettre une réaction d’azacyclisation ultérieure conduisant aux alcaloïdes bicycliques tels que des indolizidines polyhydroxylées analogues de la Castanospermine, la (-)-Croomine, la Stemospironine, la Stémonine, le Stemoamide, le Stemonamide, et la Stenine.
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Table des matières
INTRODUCTION GENERALE
CHAPITRE I : SUBSTITUTION NUCLEOPHILE DE N,O-ACETALS-PARTIE
BIBLIOGRAPHIQUE
1. Généralités sur les ions N-acyliminiums
2. Généralités sur les réactions d’α-amidoalkylation
3. Réactivité et applications des ions N-acyliminiums
4. Précédents bibliographiques des réactions d’α-amidoalkylations endocycliques
5. Réactions d’α-amidoalkylation catalytiques
6. Expertise de notre laboratoire : Utilisation des éthers d’énol silylés en α- amido-alkylations catalytiques
CHAPITRE II : α-AMIDOALKYLATION CATALYSEE PAR LE FER
1. Introduction
2. Substitution nucléophile catalysée au fer
2.1 Exemples bibliographiques de la catalyse au fer
2.1.1 Substitution nucléophile des liaisons C-OH benzyliques
2.1.2 Substitution nucléophile des liaisons C-OH allyliques
2.1.3 Substitution nucléophile des liaisons C-OH propargyliques
3. Evaluation de la catalyse au fer dans la chimie des ions N-acyliminiums : Résultats
3.1 Réaction d’α-amidoalkylation
3.1.1 Evaluation de la catalyse au fer dans une réaction d’α-amidoalkylation
3.1.1.1 Recherche du catalyseur
3.1.1.2 Evaluation des hydroxylactames dans une réaction d’ α-amidoalkylation
3.1.1.3 Généralisation
3.2 Réaction d’alcynylation
3.2.1 Aperçu bibliographique sur la réaction d’alcynylation des ions N-acyliminiums
3.2.1.1 L’alcynylation catalysée par Zn(OTf)2
3.2.1.2 L’alcynylation catalysée par CuBr
3.2.1.3 L’alcynylation catalysée par le TMSOTf
3.2.1.4 L’alcynylation catalysée à l’or
3.2.1.5 L’alcynylation catalysée par des complexes de Cuivre
3.2.2 Réaction d’alcynylation à partir de N,O-acétals : Résultats
3.2.2.1 Généralisation d’alcynylation à partir de N,O-acétals endocycliques
3.2.2.2 Réaction d’alcynylation à partir de N,O-acétals exocycliques
3.3 Hydratation des alcynes catalysée au fer : Résultats
3.3.1 Aperçu bibliographique de réactions d’hydratation d’alcynes
3.3.1.1 Synthèse d’α-dicétones à l’aide de sels mercuriques
3.3.1.2 Hydratation des alcynes catalysée par In(OTf)3 ou Hf(OTf)4
3.3.1.3 Hydratation d’alcynes en cétones catalysée par des oxydes mixtes de SnW
3.3.1.4 Hydratation catalysée par le palladium
3.3.1.5 Hydratation d’alcynes catalysée par le Ruthénium
3.3.1.6 Hydratation des alcynes catalysée par le platine
3.3.1.7 Réaction d’hydratation des alcynes catalysée à l’or
3.3.1.8 Réaction d’hydratation des alcynes catalysée par le cobalt
3.3.1.9 Hydratation d’alcynes catalysée par l’argent
3.3.1.10 Réaction d’hydratation des alcynes catalysée par Rh (III)
3.3.1.11 Hydratation d’alcynes catalysée au fer
3.3.1.12 L’hydratation des alcynes catalysée par le cuivre
3.3.1.13 Hydratation du phénylacétylène en acétophénone à l’aide de Micro-ondes
3.3.1.14 Hydratation d’alcynes terminaux par l’acide formique
3.3.1.15 Hydratation d’alcynes à l’aide du TFA
3.3.1.16 Hydratation des alcynes catalysée par CF3SO3H
3.3.1.17 Hydratation des alcynes en acétophénone à l’aide d’APTS
3.3.2 Evaluation de la catalyse au fer dans la réaction d’hydratation : Résultats
3.3.2.1 Evaluation de catalyseurs dans une réaction d’hydratation modèle
3.3.2.2 Séquence d’alcynylation/hydratation en ‘monotope’
3.4 Conclusion
CHAPITRE III : SYNTHESE DE DERIVES BENZENIQUES ET PYRIDINIQUES VIA LA REACTION DE CYCLOTRIMERISATION [2+2+2] CATALYTIQUE
1. Aperçu bibliographique sur la réaction de cyclotrimérisation
1.1 Généralité sur la réaction de cyclotrimérisation
1.2 Synthése des dérivés benzéniques
1.2.1 Réactions intermoléculaires
1.2.1.1 Cyclotrimérisation d’un alcyne
1.2.1.2 Cycloaddition de deux alcynes différents
1.2.1.3 Cycloaddition de trois alcynes différents
1.2.2 Réactions intramoléculaires de type 1
1.2.2.1 Cycloadditions [2+2+2] intramoléculaires de type 1 catalysées par le cobalt
1.2.2.2 Cycloadditions [2+2+2] intramoléculaires de type 1 catalysées par le rhodium
1.2.2.3 Cycloadditions [2+2+2] intramoléculaires de type 1 catalysées par le nickel
1.2.2.4 Cycloadditions [2+2+2 intramoléculaires de type 1 catalysées par l’iridium
1.2.2.5 Cycloadditions [2+2+2] intramoléculaires de type 1 catalysées par le ruthénium
1.2.2.6 Cycloadditions [2+2+2] intramoléculaires de type 1 catalysées au fer
1.2.3 Cycloadditions intramoléculaire de type 2
1.3 Synthèse des dérivés pyridiniques
1.3.1 Cycloadditions [2+2+2] catalysées par le cobalt
1.3.2 Cycloadditions [2+2+2] catalysées par le rhodium
1.3.3 Cycloadditions [2+2+2] catalysées par le nickel
1.3.4 Cycloadditions [2+2+2] catalysées par l’iridium
1.3.5 Cycloadditions [2+2+2] catalysées par le ruthénium
1.3.6 Cycloadditions [2+2+2] catalysées au fer
2. Evaluation de la réaction de cyclotrimérisation [2+2+2] catalytique : Résultats
2.1 Objectifs de nos travaux sur cette partie
2.2 Synthèse des molécules benzéniques
2.2.1 Evaluation du catalyseur de Wan
2.2.2 Evaluation du catalyseur de Grubbs-I
2.2.3 Evaluation du catalyseur de Wilkinson
2.3 Synthèse des molécules pyridiniques
2.4 Conclusion
CONCLUSION GÉNÉRALE