Les intoxications aigues représentent un motif fréquent d’admission aux urgences et en réanimation. La mortalité globale liée aux intoxications aigues est largement inférieure à 1% mais peut dépasser les 10% pour certains cardiotropes. [50] Parmi les intoxications aigues en France, les médicaments occupent toujours la première place où l’incidence annuelle des intoxications médicamenteuses volontaire a été estimée à 4 pour 1000 habitants en 2004 [3]. Elles sont dues à l’ingestion accidentelle ou volontaire de médicaments, la voie orale demeure la voie d’absorption la plus utilisée, le risque ou les conséquences dépendent de la quantité ingérée et de la nature du produit [3]. Avec des profils épidémiologiques sensiblement différents, les intoxications aiguës médicamenteuses sont une source importante de morbidité, particulièrement dans la population jeune, tant dans les pays industrialisés que dans ceux en voie de développement [45]. La mortalité intra hospitalière dans ces situations est actuellement faible en raison des progrès constants de la réanimation [29, 4]. Cependant il existe encore des situations critiques liées aux propriétés toxiques des molécules ou au terrain affaibli du patient intoxiqué [29]. C’est le cas de la chloroquine, de la digitaline et de la colchicine. La grande majorité des situations rencontrées, sont bénignes et ne nécessitent qu’une surveillance attentive ou des mesures thérapeutiques symptomatiques [36]. La fréquence des intoxications reste encore sous-évaluée dans nos pays où il manque des structures spécifiques (centres anti poisons).
GENERALITES SUR LES INTOXICATIONS AIGUES MEDICAMENTEUSES
Généralités
Définition
Une substance est un toxique, lorsqu’après pénétration dans l’organisme par quelque voie que ce soit, à une dose relativement élevée en une ou plusieurs fois très rapprochées ou par petites doses, longtemps répétées, elles provoque immédiatement ou à terme, de façon passagère ou durable des troubles d’une ou de plusieurs fonctions de l’organisme pouvant aller jusqu’à leur suppression complète et entrainer la mort [70]. Ainsi une intoxication aigue peut être définie comme la pénétration dans l’organisme d’une dose relativement élevée d’une substance étrangère susceptible d’entrainer des atteintes diverses de survenues brutales.
Epidémiologie
Les intoxications représentent une des premières causes d’hospitalisation des personnes de moins de trente ans. Parmi les intoxications aiguës en France, les médicaments occupent toujours la première place [1, 6]. Une méta-analyse française réalisée en 2000 [46, 56] a estimé que chaque année, en France, les Effets Indésirables Médicamenteux (EIM) étaient responsables de 3,19% des hospitalisations, soit 134 159 (97 382 à 170 777) admissions par an. Une fréquence similaire a été retrouvée par d’autres méta-analyses avec, aux Etats-Unis [40, 46], une fréquence estimée à 4,7%.Dans les pays en voie de développement, le nombre précis et la fréquence des intoxications médicamenteuses sont difficiles à évaluer du fait qu’il n’existe pas de relevé systématique. Les données sont différentes selon qu’elles sont relevées d’un centre antipoison ou d’un service hospitalier. Néanmoins il existe de forte similitude concernant l’âge, le sexe des intoxiqués, le lieu et le type d’intoxication. Ainsi il ressort de ces études que :
● Les femmes sont plus touchées que les hommes
● Elle touche préférentiellement enfant et adulte jeune
● Certains médicaments sont plus toxiques que d’autres :
Tous les produits peuvent être rencontrés car ayant tous une toxicité propre. En France les BZD sont responsables de 80 % des intoxications, mais ils sont moins toxiques que les barbituriques [3]. Selon une collecte faite lors d’intoxications aiguës par ingestion auprès des centres antipoison de Lyon et Marseille en 1990 et 1991 [53], les BZD seraient présentes dans 66% des cas d’intoxications lors de l’appel au centre antipoison et seraient réduites à 28% chez les patients hospitalisés, soulignant la fréquente bénignité des surdosages [53]. Les antidépresseurs pour lesquels les suicidants sont hospitalisés étaient présents dans 13%, les analgésiques et anti-inflammatoires (11%) sont représentés par les morphiniques (30%), le paracétamol et les antiinflammatoires non stéroïdiens (AINS) dont l’acide acétylsalicylique (4,9%). L’intoxication par la colchicine est exceptionnelle (1 pour 1000) [53]. Les médicaments à action cardio-vasculaire (7,5%) comprennent des bêtabloquants, des inhibiteurs calciques, des digitaliques, des antihypertenseurs et des anti-arythmiques [53], les tranquillisants (6,7%) sont toujours utilisés et leurs effets toxiques plus marqués entraînent peut-être plus d’appels auprès des centres antipoison (CAP) [53]. Les neuroleptiques sont présents dans 5,6% des cas [53]. Les barbituriques ont pratiquement disparu (1%) à l’exception du Phénobarbital, le plus souvent ingéré par des épileptiques. La Chloroquine est utilisée dans 1 pour 1000 tentatives de suicide [53], une fréquence qui a été doublée et triplée pendant la vente d’un livre pervers « Suicide : mode d’emploi » En France, la publication de ce livre de recettes pour réussir son suicide est probablement responsable de l’augmentation de l’incidence des intoxications graves par la chloroquine constatée par les CAP depuis 1982 date de publication de ce livre. A Paris, les ¾ des patients ayant ingéré de fortes doses de Chloroquine avec des visées suicidaires reconnaissaient avoir lu le livre « Suicide : mode d’emploi ». L’incidence de l’intoxication à la chloroquine est faible parmi les intoxications médicamenteuses volontaires en France, toutefois elle représente une part importante des décès dus à des intoxications [37]. Beaucoup d’autres médicaments sont encore utilisés, seuls ou en association tels que les anti vitamines K, atropiniques…. [53]. En Afrique, une étude faite entre 1979 et 1982 au Nigeria montre une plus grande fréquence des barbituriques (19%) et des benzodiazépines (BZD) (17%) lors des intoxications aiguës par rapport aux autres médicaments [12]. Au Sénégal, une étude concernant les intoxications médicamenteuses a été faite au niveau de la réanimation médicale de l’Hôpital Principal de Dakar et dans cette étude : La Chloroquine vient en tête (43,4%) ; puis viennent les associations médicamenteuses (36,5%), les BZD (13,1%), barbituriques (4%), antidépresseurs (3%). La plupart des intoxications sont poly-médicamenteuses: associant plusieurs médicaments de propriétés différentes.
Physiopathologie
Toxidrome
Un toxidrome, ou syndrome d’origine toxique, est un ensemble de symptômes cliniques, biologiques et/ou électrocardiographiques évocateur d’une pathologie toxique. Ces symptômes sont la conséquence directe de l’action toxicodynamique des xénobiotiques. Un toxidrome représente le tableau caractéristique, typique, d’une intoxication, il n’est en aucun cas spécifique d’une étiologie toxique. Une poly intoxication ou des complications non spécifiques peuvent modifier le tableau clinique. Une même classe médicamenteuse ou un même produit peut induire un ou plusieurs toxidromes. L’intérêt de connaître les principaux toxidromes est de pouvoir évoquer une pathologie toxique qui devra être confirmée et d’envisager l’usage d’antidotes. Des diagnostics différentiels devront être évoqués devant un tableau polymorphe quand le diagnostic d’intoxication (circonstances et interrogatoire) n’est pas formel. L’approche clinique d’un sujet intoxiqué doit être orientée sur la recherche de toxidromes. L’examen clinique doit être systématique, rigoureux, évalué plusieurs fois et consigné par écrit. L’ECG est systématique pour toute intoxication grave admise en réanimation.
Orientation devant un coma toxique
L’origine toxique d’un coma peut être évoquée devant l’absence de signe de focalisation (tonus, réflexes, motricité, pupilles). Les signes associés permettant d’évoquer une classe pharmacologique ou un médicament en particulier sont :
● Un coma calme : BZD et assimilés (zolpidem, zopiclone), phénobarbital, méprobamate, phénothiazines sédatives, opiacés, phénytoïne, valproate de sodium ;
● Un coma agité : antidépresseurs polycycliques, antihistaminiques, substances hypoglycémiantes ;
● Une hypotonie : BZD, phénobarbital, méprobamate ;
● Une hypertonie : antidépresseurs polycycliques, phénothiazines, substances hypoglycémiantes ;
● Des convulsions : antidépresseurs polycycliques, phénothiazines antihistaminiques, théophylline, carbamazépine, lithium, dextropropoxyphène, cocaïne, amphétamines, substances hypoglycémiantes ;
● Des myoclonies : antidépresseurs polycycliques, lithium, inhibiteurs spécifiques de recapture de la sérotonine (ISRS) ;
● Un myosis serré en tête d’épingle : opiacés ;
● Une mydriase (réactive) : antidépresseurs polycycliques, atropine et dérivés, cocaïne, amphétamines, antiparkinsoniens, ISRS ;
● Des hallucinations : antihistaminiques, antiparkinsoniens ;
● Des troubles hémodynamiques : méprobamate, toxiques à effet stabilisant de membrane, bêtabloquants et inhibiteurs calciques.
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Table des matières
INTRODUCTION
PREMIERE PARTIE : GENERALITES SUR LES INTOXICATIONS AIGUES MEDICAMENTEUSES
I.Généralités
1.Définition
2.Epidémiologie
3.Physiopathologie
3.1. Toxidrome
3.1.1 Orientation devant un coma toxique
3.1.2 Les principaux toxidromes
II. Diagnostic des intoxications
1.Anamnèse
1.1. Le terrain
1.2. Le toxique
1.3. Les circonstances de l’intoxication
1.3.1 Les intoxications volontaires
2.Les symptômes
2.1. Troubles neurologiques
2.1.1. Le Coma
2.1.2. Les convulsions et myoclonies
2.1.3. Troubles du comportement
2.2. Troubles respiratoires
2.3. Troubles cardio circulatoires
2.3.1. L’instabilité hémodynamique
2.3.2. Troubles du rythme et de la conduction
2.4. Troubles digestifs
2.5. Atteinte rénale
2.6. Atteinte hépatique
2.7. Troubles de la thermorégulation
2.8. Atteintes cutanéomuqueuses
3. Investigations paracliniques
3.1. Examens biologiques
3.1.1. Glycémie
3.1.2. Urée et créatinine
3.1.3. Natrémie
3.1.4. Kaliémie
3.1.5. Troubles de l’équilibre acide-base
3.1.6. Créatinines phosphokinases myoglobine
3.1.7. Bilan hépatique
3.1.8. Atteintes hématologiques
3.1.9. Hémostase et coagulation
3.2. Analyse toxicologique
4. Testes thérapeutiques et diagnostiques
III. Les différents types d’intoxications médicamenteuses
1. Intoxications par les psychotropes
1.1. Intoxication aux BZD
1.2. Intoxication aux antidépresseurs tricycliques
2. Intoxication par les cardiotropes
2.1. Intoxication aux bétabloquants
2.2. Intoxication à la chloroquine
3. Intoxication par les antalgiques et autres médicaments
3.1. Intoxication au paracétamol
3.2. Intoxication aux AINS
3.3. Intoxication aux anti-vitamines K
IV. Traitement
1.Pré-hospitalier
1.1. Evaluation
1.2. Conditionnement
1.3. Test aux antidotes
1.4. Surveillance
1.5. Transport
2. Hospitalier
2.1. En réanimation
2.1.1. Traitement symptomatique
2.1.2. Traitement évacuateur
2.1.2.1. Vomissements provoqués
2.1.2.2. Lavage gastrique
2.1.2.3. Charbon activé par voie orale
2.1.3.1. La diurèse osmotique
2.1.3.2. Epurations extra-rénales
2.1.3.3. L’hémodialyse
2.1.3.4. La dialyse péritonéale
2.1.4. Le système MARS
DEUXIEME PARTIE
I. Cadre d’étude
I.1. Infrastructure
I.2. Le personnel
I.3. L’organisation des soins
II. Patients et méthodes
II.1. Etude
II.2. Les critères d’inclusion
II.3. Les critères d’exclusions
II.4. Méthodologie
Iii. Résultats
III.1. Epidémiologie
III.1.1. Fréquence
III.1.2. Répartition selon le sexe
III.1.3. Répartition selon l’âge
III.1.4. Répartition selon l’origine géographique
III.1.5. Répartition selon le terrain
III.1.6. Mécanisme d’intoxication
III.1.7. Lieu d’intoxication
III.1.8. Nature du toxique
III.1.9. La voie de pénétration
III.1.10. Délai d’admission
III.1.11. Durée d’hospitalisation
III.2. Aspect clinique et paraclinique
III.2.2. Manifestations cliniques
III.2.2.1. Les manifestations digestives
III.2.2.2. Les manifestations cardio-circulatoires
III.2.2.3. Les manifestations respiratoires
III.2.2.4. Les manifestations neurologiques
III.2.1.5. Autres manifestations cliniques
III.2.3. Manifestations paracliniques
III.2.3.1.Examens biologiques
III.2.3.2. Les anomalies électrocardiographiques
III.2.3.2. Imagerie médicale
III.3. Les aspects thérapeutiques
III.3.l. Prise en charge pré hospitalière et soins à domicile
III.3.2. Prise en charge hospitalière
III.3.2.1 Traitement symptomatique
III.3.2.1.1. Remplissage vasculaire
III.3.2.1.2. Oxygénothérapie
III.3.2.1.3. Autres traitement symptomatiques
III.3.2.2. Traitement évacuateur
III.3.2.3 charbon activé
III.3.2.4. Le traitement épurateur
III.3.2.5. Le traitement antidotique
III.3.2.6. La prévention
III.4. Evolution et complications
III.4.1. Evolution favorable
III.4.2. complications
III.4.2.1. Arrêt cardiorespiratoire
III.4.2.2. Autres complications
III.4.3. La mortalité
COMMENTAIRES
CONCLUSION