L’ « infection nosocomiale » (IN) désigne une infection acquise à l’hôpital par un patient admis pour une raison autre que cette infection. Il s’agit d’une infection survenant chez un patient ayant séjourné dans un établissement de santé ou chez le personnel de l’établissement au cours des procédures de soins. Cette infection contractée à l’hôpital peut se déclarer avant ou après la sortie du patient. Elle est dite nosocomiale si elle est absente à l’arrivée du patient et qu’elle se développe au moins 48 heures après l’admission. Le délai de 48 h s’allonge jusqu’à 30 jours dans les cas d’infections de site opératoire, et jusqu’à un an s’il y a mise en place de matériel prothétique [46]. Le terme d’ « infection associée aux soins » ou IAS est de plus en plus préféré à celui d’« infection nosocomiale ». L’infection nosocomiale constitue une préoccupation universelle à laquelle avait déjà pensée l’obstétricien hongrois Ignaz Philippe SEMMELWEIS en 1847. SEMMELWEIS exigea des médecins accoucheurs la pratique de l’hygiène des mains avant de pouvoir examiner les futures mères. Ce geste eut pour effet une baisse significative du taux de mortalité du aux fièvres puerpérales [7]. La question de l’amélioration de l’hygiène en matière de santé est devenue une problématique mondiale, qui a conduit plusieurs sociétés scientifiques à se pencher sur les problèmes liés à la présence des IN en milieu hospitalier. En juillet 2011 à Genève, lors de la conférence spéciale Afrique RIPAQS-ICPIC (Réseau International sur la Planification et l’Amélioration de la Qualité et de la Sécurité dans le système de santé en Afrique – Conférence Internationale sur la Prévention et le Contrôle de l’Infection) sur le thème de la lutte contre les IN, les infections associées aux soins ont été considérées comme faisant partie intégrante des obstacles à la réalisation des Objectifs du Millénaire pour le Développement (OMD). En effet, elles représentent non seulement la première cause de morbidité post-opératoire, la deuxième cause de mortalité néonatale précoce (OMD 4), mais également la troisième cause de mortalité maternelle (OMD 5). En outre, les IAS réduisent les effets bénéfiques des interventions liées au renforcement du système de santé, notamment en matière de lutte contre le VIH, et le paludisme (OMD 6) » [22].
Le concept de l’IN a connu, ces dix dernières années, une grande évolution. En effet, la structure de soins est prise au sens large du terme, et inclut non seulement les établissements de soins de tout type, mais également le domicile du patient, les cabinets médicaux et les laboratoires d’analyses biomédicales [32]. Le paramètre principal de définition d’une IAS est constitué par la délivrance d’un acte ou la réalisation d’une prise en charge de soins au sens large (à visée diagnostique, thérapeutique, de dépistage ou de prévention primaire) par un professionnel de santé ou, par le patient ou son entourage, encadrée par un professionnel de santé. Ainsi, aucune distinction n’est faite quant au lieu de la prise en charge ou de la délivrance de soins, à la différence de l’infection nosocomiale qui garde son sens de « contracté dans un établissement de santé ». Les IAS concernent les patients, malades ou non, mais également les professionnels de santé et les visiteurs [32, 94]. En Afrique subsaharienne, le problème des IAS a pendant longtemps été négligé, voire occulté. L’impact sanitaire des grandes endémies et de la malnutrition, fléaux considérés comme prioritaires par les décideurs politiques et sanitaires pour l’élaboration des politiques de santé des populations, ont en effet favorisé cette négligence. Cependant, selon l’OMS, le risque infectieux lié aux procédures de soins serait 2 à 20 fois plus important dans les pays en développement, avec des coûts humains et financiers étant plus considérables que dans les pays développés [78]. Une prise de conscience se développe toutefois ces dernières années, comme en atteste la première Conférence internationale des Ministres en charge de la santé sur la sécurité des patients et de la gestion des risques dans les établissements de santé des pays d’Afrique (CIMSEF 2012) qui s’est tenue au palais des Congrès de Cotonou (Benin) du 09 au 14 décembre 2012. L’objectif principal était d’obtenir une mobilisation et un engagement politique des ministres de la santé des pays de la sous région. Cette conférence fut organisée dans le cadre du suivi de la Conférence internationale sur la prévention et le Contrôle de l’infection (ICPIC 2011) à Genève [26].
GENERALITÉS SUR LES INFECTIONS ASSOCIÉES AUX SOINS
DEFINITIONS
Pendant de nombreuses années, on a différencié les pathologies infectieuses en deux types : celles acquises dans la communauté ou infections communautaires, et celles acquises « dans un établissement de santé » ou infections nosocomiales. De nos jours, la multiplication des parcours de soins et des intervenants dans la dispensation des soins a conduit à une révision des définitions, notamment la diversification des structures et des systèmes de soins, mais également la survenue parfois tardive de l’infection après une intervention chirurgicale. En France, la terminologie plus générale « d’infections associées aux soins » a été adoptée en 2007, le terme «nosocomiale» s’adressant uniquement aux infections acquises à l’hôpital stricto sensu [31]. Le CTINILS, anciennement appelé le Comité Technique national sur les Infections nosocomiales (CTIN), propose qu’à l’instar des pays anglo-saxons et de la Commission européenne de santé, soit utilisé le concept d’IAS, englobant tout événement infectieux en rapport plus ou moins proche avec un processus, une structure, une démarche de soins. L’IAS comprend donc l’IN (au sens de « contractée dans un établissement de santé »), et les infections contractées au cours de soins délivrés en dehors des établissements de santé. Le CTINILS préconise également que les IAS concernent les patients, malades ou non, des structures dans lesquelles sont délivrées les soins, mais également les professionnels de santé et les visiteurs. Les critères à prendre en compte pour reconnaître le caractère associé aux soins d’une infection survenue chez un professionnel de santé sont les suivants :
– une infection documentée chez le professionnel de santé, dont le développement survient dans un délai compatible avec le délai d’incubation de la pathologie ;
– une infection documentée associée à un contage documenté avec un patient-source connu, porteur d’une infection du même germe ;
– ou une infection documentée associée à la notion de la prise en charge par le professionnel de santé de patients atteints par le même germe que celui dont il est atteint ;
– ou encore une infection documentée, associée au fait que le professionnel de santé ait travaillé dans un secteur prenant en charge de tels patients, même s’il ne les a pas directement pris en charge, sous réserve que le mode de transmission du germe considéré soit compatible avec la contamination de ce professionnel.
Ainsi, outre les structures de soins aigus ou de courte durée, sont aussi susceptibles d’être concernés par les IAS de multiples endroits où peuvent être délivrés des actes de soins [31]. La détermination d’une liste exhaustive de lieux où peuvent être délivrés des soins est évidemment impossible. Néanmoins, nous en avons répertorié certains . Les critères d’éligibilité d’une IAS ne peuvent donc reposer strictement sur l’identification du lieu de survenue. Par ailleurs, les situations de colonisation d’un prélèvement microbiologique en l’absence d’arguments pour une infection cliniquement active, ne peuvent entrer dans la définition des IAS. Cependant, le relevé de ces colonisations peut être utile dans le cadre d’une surveillance à visée épidémiologique. Certaines colonisations sont classées comme infections nosocomiales même en l’absence de signes cliniques, ce qui peut inciter une prescription d’antibiotiques souvent inutile. A l’inverse, certaines infections postopératoires tardives, bien que probablement associées aux soins, ne sont pas classées comme nosocomiales [32].
La distinction entre «colonisation» (présence de l’agent infectieux sans signes cliniques ou biologiques) et «infection» (présence de l’agent infectieux avec signes cliniques ou biologiques) est parfois complexe mais elle est importante en cas de suites médico-légales. Ainsi, les infections suivantes peuvent être considérées comme n’étant pas des IAS :
– les colonisations asymptomatiques (urinaires, cutanées, bronchiques, de cathéters, d’escarres ou d’ulcères non inflammatoires),
– les infections présentes ou en incubation lors du contact avec le système de santé,
– les infections materno-fœtales, exceptions faites des infections à germes hospitaliers, des infections consécutives à une colonisation maternelle non traitée, et des entérocolites ulcéro-nécrosantes du nouveau-né de forme épidémique.
EPIDEMIOLOGIE
Problématique
Dans le monde, les IAS sont parmi les causes majeures de morbidité et de mortalité des patients. Une fréquence élevée d’IAS indique que les soins ne sont pas dispensés de manière optimale. La prévalence de ces infections varie en fonction des types d’activités du service, du recrutement de l’hôpital, de la méthode de calcul des taux et de la qualité du recueil des informations. En France, le taux global de survenue des IAS varie entre 5 et 10%. Lors de l’enquête de prévalence de 2001, le taux de prévalence globale des IN était de 7,5%, soit de 6,9 patients infectés pour 100 patients hospitalisés, représentant environ 750 000 patients sur 15 millions de patients hospitalisés par an. D’après cette enquête, les infections les plus fréquemment rencontrées étaient, dans l’ordre décroissant, les suivantes : infections urinaires, infections de la peau et des tissus mous, pneumopathies et infections de sites opératoires [19]. Selon les études épidémiologiques comparatives en Europe, la fréquence des IAS acquises en unité de soins intensifs et après intervention chirurgicale est estimée en moyenne entre 6% et 9%. Les données générales sur les IAS concernant l’Afrique sont encore peu nombreuses. Cependant, les travaux présentés à la Conférence internationale sur la Prévention et le Contrôle de l’Infection (ICPIC) en juillet 2011 ont montré que la prévalence des IAS en Afrique variait de 10 à 60%. Ces dernières représentent la troisième cause de mortalité maternelle, la deuxième cause de mortalité néonatale précoce, et également la première cause de morbidité postopératoire. Selon l’ICPIC, les taux de prévalence des IAS sont respectivement de l’ordre de 10,9% au Sénégal, 12% en Côte d’Ivoire, 10% au Bénin et 14% au Mali [7, 22].
Dans le bulletin de l’OMS d’octobre 2011, il est rapporté que la prévalence des IN à l’échelle de l’hôpital varie entre 2,5% et 14,8% ; dans les services de chirurgie, l’incidence cumulative varie de 5,7% à 45,8%. L’incidence cumulative des infections du site opératoire, varie de 2,5% à 30,9% [73]. Pour pallier le manque de données de surveillance dans la lutte contre les IAS en Afrique et au Sénégal en particulier, le PRONALIN a organisé des enquêtes nationales de prévalence en 2007, 2008 et 2010. Selon une étude réalisée à Dakar en 2010, dont le but était d’évaluer la sécurité des patients au CHNU de FANN, la prévalence des IAS a été estimée à environ 5,13% ; mais ce taux est globalement sous-estimé [22, 47]. Une étude menée de 2002 à 2011 au Sénégal, à l’hôpital régional de Thiès montre que l’incidence des IAS en 2002 était de 8,65%, celle des décès suite à une infection liée aux soins de 0,72% ; la prévalence de l’infection nosocomiale est de 16% en 2007, de 10% en 2008 ; et de 5,4% en 2010 (n= 93) [22, 69]. Ces taux élevés témoignent du défaut de fonctionnalité des Comités de Lutte contre les Infections Nosocomiales (CLIN), mettant en exergue des problèmes de motivation, de faiblesse de la sensibilisation et de manque de moyens du personnel impliqué. A cela s’ajoute le fait que les chefs de service soient peu motivés, l’administration hospitalière peu concernée, et les équipes d’hygiène insuffisantes en nombre et souvent peu formées [45]. Il est donc important de toujours continuer à renforcer la lutte contre les IAS pour diminuer leur survenue. Ce renforcement passe par une pratique d’hygiène hospitalière plus rigoureuse (c’est à dire, conforme aux normes établies), et une meilleure coordination entre les équipes de soins, le CLIN et l’équipe opérationnelle d’hygiène (EOH) [19].
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Table des matières
INTRODUCTION
PREMIERE PARTIE : REVUE DE LA LITTERATURE
I. DEFINITIONS
II. EPIDEMIOLOGIE
II.1. Problématique
II.2. Modes de contaminations et facteurs de risques
II.2.1. Modes de contaminations
II.2.2. Facteurs de risques
II.3. Gravité
II.4. Agents pathogènes
II.5. Conséquences
II.5.1. Mortalité et morbidité
II.5.2. Coûts économiques, sociaux et psychologiques
II.6. Localisation et diagnostic
II.6.1. Infections du site opératoire
II.6.2. Infections urinaires
II.6.3. Bactériémies – Fongémies
II.6.4. Infections liées aux cathéters (ILC)
II.6.5. Infections pulmonaires
II.6.6. Cas des infections materno-fœtales (IMF)
III. SYNTHESE DES MEILLEURES PRATIQUES DE PREVENTION DES INFECTIONS
III.1. Organe de lutte contre l’infection nosocomiale
III.1.1. Cadre administratif
III.1.2. Au niveau des établissements
III.1.3. Au niveau régional
III.1.4. Au niveau national
III.1.5. Programme national de lutte contre les IN : PRONALIN
III.2. Techniques de prévention
III.2.1. Généralités
III.2.2. Précautions standard
DEUXIEME PARTIE : NOTRE ETUDE
I. CADRE
II. MATERIEL ET METHODE
II.1. Type d’étude
II.2. Population d’étude
II.3. Méthode de collecte des données
II.3.1. Etude CAP (connaissances, attitudes et pratiques)
II.3.2. Enquête d’évaluation de la lutte contre l’infection à l’hôpital
II.4. Définition opérationnelle des variables d’évaluation
II.4.1. Statut vaccinal
II.4.2. Connaissances générales sur l’infection nosocomiale
II.4.3. Technique aseptique
II.4.4. Emploi, élimination et décontamination des objets tranchants
II.4.5. Traitement des instruments
II.4.6. Entretien ménager et élimination des déchets
II.4.7. Informations générales sur la formation sanitaire
II.4.8. Programme de lutte contre les infections nosocomiales
II.4.9. Mesures d’isolement et précautions de base
II.4.10. Précautions liées à la tuberculose
II.4.11. Santé des employés
II.4.12. La pharmacie
II.4.13. Gestion des déchets
II.4.14. Travail et accouchement
II.4.15. Utilisation des antibiotiques en chirurgie et procédures relatives aux équipements
II.4.16. Pratiques en zone chirurgicale
II.4.17. Unité de soins intensifs (USI)
II.4.18. Laboratoire de microbiologie
II.4.19. Stérilisation et désinfection des équipements et des solutés IV
II.4.20. Stérilisation et désinfection des aiguilles et des seringues
II.4.21. Stérilisation et désinfection des gants
II.4.22. Organisation générale des services
II.4.23. Application de l’hygiène des mains
II.4.24. Méthodes d’injections
II.4.25. Méthodes d’aspiration des voies respiratoires
II.4.26. Utilisation des cathéters intraveineux
II.4.27. Emploi des solutés intraveineux et des médicaments
II.4.28. Emploi des sondes urinaires
II.5. Saisie et analyse des données
III. RESULTATS
III.1. Résultats globaux
III.1.1. Etude CAP
III.1.2. Outils d’évaluation de l’organisation de la lutte contre l’infection
III.2. Résultats en fonction des différents corps de métiers
III.2.1. Médecins
III.2.2. Sages-femmes
III.2.3. Infirmiers
III.2.4. Aides-soignants
III.2.5. Techniciens de laboratoire
III.2.6. Techniciens imagerie
III.2.7. Techniciens de surface
III.3. Résultats en fonction des différents services
III.3.1. Etude CAP
III.3.2. Outils d’évaluation de l’organisation de la lutte contre l’infection
IV. DISCUSSION
IV.1. Statut vaccinal et santé du personnel soignant
IV.2. Connaissances générales sur l’infection
IV.3. Techniques aseptiques
IV.4. Emploi et l’élimination des objets tranchants
IV.5. Traitement des instruments
IV.6. Entretien ménager et élimination des déchets
CONCLUSION ET RECOMMANDATIONS
REFERENCES
ANNEXES