L’hyponatrémie sévère est définie par une natrémie inférieure à 120 mmol/L associée à un trouble de la conscience (1). Elle constitue une véritable urgence médicale (2). Sa prise en charge suscite un intérêt capital du fait de sa fréquence élevée, de la lourde morbi-mortalité qu’elle entraine et de son association fréquente à des pathologies graves comme la cirrhose hépatique, l’insuffisance cardiaque ou le cancer et où sa présence est considérée comme un facteur de mauvais pronostic (3). Elle nécessite un traitement précoce. Cependant, une correction inappropriée est source de complication, en l’occurrence, un œdème aigu du poumon et une myélinolyse centropontine responsable d’une lourde mortalité (4). Aussi un protocole de prise en charge valide mérite- t-il d’être mis en place notamment dans un pays en voie de développement où les ressources thérapeutiques sont souvent limitées. De plus, à Madagascar, aucune donnée n’est encore disponible nous permettant de juger l’efficacité des procédés de correction de l’hyponatrémie sévère communément utilisés dans nombre de services de notre hôpital.
GENERALITES SUR LES HYPONATREMIES
L’hyponatrémie est un désordre hydro électrolytique défini par une concentration plasmatique en sodium inférieure à 135 mmol/L (5,6). Il s’agit d’une perturbation biologique fréquemment rencontrée en clinique (6), et dont la prise en charge demeure difficile et délicate. En effet, l’hyponatrémie dans sa forme sévère, définie par une natrémie inférieure à 120 mmol/L associée à un trouble de la conscience, est responsable d’un œdème cérébral qui peut entrainer la mort par engagement cérébral. La stratégie thérapeutique varie à la fois en fonction de l’état du volume extracellulaire et de la cause de l’hyponatrémie (2).
Rappel physiologique
L’analyse d’une perturbation de la natrémie fait intervenir trois notions physiologiques : la répartition de l’eau dans les différents secteurs du corps humain, la régulation du bilan d’eau et de sodium et la régulation du volume cellulaire .
Répartition de l’eau
Le corps humain est constitué d’environ 60 % d’eau chez l’homme, 50 % chez la femme et respectivement 50 et 45 % chez l’homme et la femme âgés. Cette eau obéit à la loi de l’osmose : elle se distribue de part et d’autre de la membrane cellulaire de telle sorte que les osmolarités extra et intracellulaires soient identiques (9). On appelle osmolalité plasmatique efficace le nombre de particules osmotiquement actives du plasma c’est-à-dire le nombre de particules ne diffusant pas librement à travers les membranes cellulaires. Les particules osmotiquement actives du plasma sont composées à 90 – 95 % par les sels de sodium (NaCl, NaHCO3,…) et le glucose. L’osmolalité plasmatique efficace est ainsi = [Na+ ] x 2+ glycémie = 285 ± 5 mOsmol /kg H2O. L’osmolalité extracellulaire dépend essentiellement de la concentration extracellulaire de sodium ; et l’osmolalité intracellulaire de la concentration intracellulaire de potassium (principale particule osmotiquement active du secteur intracellulaire).
L’eau peut traverser toutes les membranes cellulaires. Elle peut diffuser librement d’un secteur de faible osmolalité vers un secteur de forte osmolalité. Cette diffusion libre de l’eau à travers les membranes cellulaires permet de maintenir l’isotonie des liquides de l’organisme : l’osmolalité extracellulaire est ainsi toujours égale à l’osmolalité intracellulaire (loi de l’osmose) .
Régulation du bilan de l’eau et du sodium
Bilan hydrique
Le contenu en eau de l’organisme (l’état d’hydratation) doit rester constant. Les entrées d’eau proviennent principalement de l’eau de boisson et de l’eau contenue dans les aliments. Elles sont régulées par la sensation de soif via le centre (hypothalamique) de la soif. La sensation de soif est régulée par l’osmolalité plasmatique (par l’intermédiaire d’osmorécepteurs situés au niveau de l’hypothalamus antérieur), la pression artérielle moyenne et la volémie (par le biais des volo et barorécepteurs). Une osmolalité plasmatique supérieure à 300 mosmol/kg, une hypotension artérielle importante, ou une hypovolémie importante déclenchent un désir de boire .
Les sorties d’eau de l’organisme sont cutanées, respiratoires, digestives et rénales. Elles sont régulées uniquement au niveau des reins par l’intermédiaire de l’hormone antidiurétique (ADH ou vasopressine). Cette hormone, libérée par la posthypophyse, agit sur le canal collecteur. Elle induit l’expression de l’aquaporine 2 (canal à eau) à la surface apicale des cellules épithéliales du tube collecteur. Sous l’effet de l’ADH, le canal collecteur devient perméable à l’eau. L’eau est alors réabsorbée. La libération d’ADH est stimulée par l’osmolalité plasmatique, la pression artérielle moyenne et la volémie (récepteur de pression dans l’oreillette gauche, l’arc aortique et le sinus carotidien). D’autres stimuli peuvent faire secréter l’ADH tels que douleur, fièvre, vomissements et nausées. Une osmolalité plasmatique supérieure à 280 mosmol/kg, une hypotension artérielle importante, ou une hypovolémie importante déclenchent la libération d’ADH et par conséquent la réabsorption d’eau (15).
Dans le bilan de l’eau, la priorité est de maintenir une osmolalité plasmatique constante. La constance de l’osmolalité plasmatique l’emporte sur celle des volumes et de la pression artérielle .
Bilan sodé
Le contenu en sodium de l’organisme doit rester constant. L’entrée de sodium est alimentaire. Les sorties sont cutanées, respiratoires, digestives et rénales. Dans les conditions physiologiques, les sorties extrarénales sont négligeables et pratiquement tout le sodium ingéré est éliminé dans les urines. Les sorties de sodium sont régulées au niveau du rein par l’intervention de plusieurs systèmes :
– l’aldostérone : qui stimule l’absorption de sodium au niveau du tube collecteur ;
– les peptides natriurétiques surtout l’atrial natriuretic peptid (ANP) : hormone peptidique secrétée par l’oreillette droite via une augmentation de pression et qui inhibe l’absorption de sodium au niveau du tube collecteur ;
– l’activité adrénergique (nerfs rénaux et catécholamines) : qui stimule l’absorption de sodium au niveau du tube proximal ;
– l’angiotensine II qui stimule l’absorption de Na+ au niveau du tube proximal ;
– la pression artérielle (natriurèse de pression) : l’augmentation importante de la pression artérielle diminue l’absorption de Na+ au niveau du tube proximal et de l’anse de Henlé ;
– la prostaglandine E2(PGE2) : inhibe la réabsorption de sodium au niveau de l’anse de Henlé et du tube collecteur .
Régulation du volume cellulaire
C’est une fonction essentielle de l’homéostasie. En effet, toute modification d’osmolarité entraine un mouvement d’eau visant à revenir à l’état d’équilibre osmotique entre les secteurs extra et intracellulaire, ce qui entraine une modification du volume cellulaire (il augmente en cas d’hypotonicité par exemple). Les cellules vont alors faire varier leur contenu en molécules osmoactives pour rétablir leur volume initial : ces molécules sont expulsées du cytosol en situation hypo-osmolaire et s’y accumulent dans le cas inverse. Il apparait par conséquent une nouvelle situation d’équilibre où les cellules sont revenues à leur volume initial mais avec une osmolarité plasmatique modifiée. Il existe deux catégories de molécule en cause suivant la chronologie du trouble osmotique. En cas de variation aigüe, ce sont les électrolytes (Na+ , K+ , Cl- ) qui vont entrer dans la cellule ou la quitter. Si le trouble persiste plus de 24 à 48 h, ce sont les osmolytes (acides aminés, polyols, triméthylamines,…) qui exercent ce rôle .
Les paramètres régissant la natrémie
Les paramètres régissant la natrémie sont déterminés par la relation entre l’osmolarité plasmatique et la natrémie. En effet, l’ensemble des particules osmotiquement actives du plasma est composé à 90-95% par les sels de sodium (NaCl, NaHCO3…). Par conséquent, la concentration plasmatique de sodium [Nasang] constitue le principal déterminant de l’osmolarité plasmatique (ou osmolarité sanguine). On peut ainsi écrire par approximation :
Osmolarité sanguine = 2 x [Nasang]
(On utilise un facteur 2 car chaque ion Na+ s’accompagne d’un anion) .
Par ailleurs l’osmolarité sanguine est aussi égale à l’osmolarité totale puisque les mouvements d’eau font qu’elle est identique dans les différents compartiments de l’organisme. L’osmolarité totale correspond au rapport de l’ensemble des particules dissoutes sur l’eau totale, c’est-à-dire à la somme des particules extra (le sodium) et intracellulaires (le potassium) sur l’eau totale : équation d’Edelman .
Osmolarité sang=2 x [Nae] + 2 x [Ke]/eau totale .
On utilise le terme e pour échangeable puisqu’une partie de ces ions est fixée, ne participe pas aux échanges et n’est donc pas osmotiquement active. On arrive à l’équivalence finale :
[Na] sang = [Nae] + [Ke]/eau totale .
On comprend donc qu’une hyponatrémie apparaît en cas de déficit en sodium, de déficit en potassium, d’un excès d’eau ou d’une combinaison de ces paramètres. Des fausses hyponatrémies sont possibles. On distingue l’hyponatrémie isoosmolaire ou pseudohyponatrémie et l’hyponatrémie hyperosmolaire .
Les hyponatrémies à osmolalité extracellulaire normale – dites isotoniques ou pseudo hyponatrémies – se rencontrent rarement. Elles sont le fait de la présence dans le plasma de molécules diverses prenant la place de l’eau sans modifier l’osmolalité plasmatique effective. Parmi ces molécules, les protides quand leurs taux plasmatiques s’élèvent au-dessus de 100g/L (dysprotéinémies, maladie de Waldenström, myélome…) ou les lipides à partir de 30g/L (syndrome néphrotique, syndrome de Zieve, ictères choléstatiques,…) constituent les principales causes de ces formes d’hyponatrémie.
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Table des matières
INTRODUCTION
GENERALITES SUR LES HYPONATREMIES
I. Rappel physiologique
I.1. Répartition de l’eau
I.2. Régulation du bilan de l’eau et du sodium
I.3. Régulation du volume cellulaire
II. Les paramètres régissant la natrémie
II.1. Hyponatrémie de déplétion
II.2. Hyponatrémie de dilution
II.3. Déplétion potassique
III. Conséquence cellulaire de l’hyponatrémie
IV. Hyponatrémies sévères
IV.1. Diagnostic positif
IV.1.1. Type de description : Hyponatrémie sévère aiguë secondaire à un traitement diurétique
IV.1.2. Formes cliniques
IV.1.2.1. Selon le terrain
IV.1.2.2. Selon le mécanisme
IV.1.2.3. Selon l’évolution
IV.2. Diagnostic étiologique des hyponatrémies
IV.2.1. Hyponatrémies hypotoniques à volume extracellulaire normal
IV.2.2. Hyponatrémies à volume extracellulaire augmenté
IV.2.3. Hyponatrémies à volume extracellulaire diminué
IV.3. Traitement
IV.3.1. Buts
IV.3.2. Moyens
IV.3.3. Indications
IV.3.3.1. Type de description : Hyponatrémie sévère aiguë secondaire à un traitement diurétique
IV.3.3.2. Formes cliniques
a. Selon le terrain
b. Selon le mécanisme
c. Selon l’évolution
IV.3.4. Résultats et pronostic
IV.3.5. Surveillance
METHODOLOGIE DE L’ETUDE ET RESULTATS
I. Matériels et méthodes
I.1. Type et cadre de l’étude
I.2. Population étudiée
I.3. Critères d’inclusion et d’exclusion
I.4. Paramètres étudiés
I.5. Critères de jugement
I.6. Définitions
I.7. Réalisation de l’étude
I.8. Analyse statistique
I.9. Considérations éthiques
II. Résultats
II.1. Caractéristiques démographiques
II.2. Comorbidités associées à l’hyponatrémie sévère
II.3. Mécanisme de l’hyponatrémie
II.4. Valeur de la natrémie au moment du diagnostic
II.5. Manifestations cliniques
II.6. Evolution Clinique
II.7. Efficacité biologique
II.8. Effets secondaires
II.9. Evolution
II.10. Corrélation entre les résultats de la correction de l’hyponatrémie et l’âge
II.11. Corrélation entre le résultat de la correction de l’hyponatrémie et le genre
II.12. Corrélation entre le résultat de la correction de la natrémie et les comorbidités
II.13. Corrélation entre efficacité de la correction et mécanisme
II.14. Corrélation entre les résultats de la correction et les manifestations cliniques
II.15. Corrélation entre les résultats de la correction et la natrémie de départ
DISCUSSION ET SUGGESTIONS
I. Discussion
I.1. Caractéristiques démographiques
I.2. Comorbidités
I.3. Mécanisme de l’hyponatrémie
I.4. Manifestations cliniques
I.5. Natrémie au moment du diagnostic
I.6. Efficacité biologique
I.7. Effets secondaires
I.8. Mortalité
I.9. Corrélation entre l’âge et l’efficacité du traitement
I.10. Corrélation efficacité de la correction et genre
I.11. Corrélation efficacité de la correction et comorbidités
I.12. Efficacité de la correction et mécanisme de l’hyponatrémie sévère
I.13. Corrélation entre efficacité de la correction et la natrémie au moment du diagnostic
I.14. Comparaison de l’efficacité et la tolérance des deux protocoles
II. Suggestions
CONCLUSION
REFERENCES
ANNEXE