L’acceptabilité par l’Autorité de Sûreté Nucléaire d’un dossier de mise en œuvre d’une installation ou d’un dispositif mettant en œuvre des matières fissiles (usines, laboratoires, emballages de transport) dépend des arguments avancés dans les dossiers réalisés par l’exploitant pour en garantir la sous-criticité. En France, la Règle Fondamentale de Sûreté (RFS) no I.3.c constitue la référence méthodologique pour la prévention des risques de criticité, pour les concepteurs et pour les exploitants d’installations suivantes :
• usine d’enrichissement du combustible ;
• usine de fabrication du combustible ;
• usine de retraitement (dissolveur, piscines) ;
• stockage des coques (tronçons de gaine des éléments combustibles cisaillés) pouvant être recouvertes de poussière de combustible ;
• piscines d’entreposage du combustible.
Les étapes concernant l’uranium naturel (extraction, concentration, conversion) sont exclues de son domaine d’application (l’accident de criticité du fait de la faible teneur de celui-ci en 235U fissile (0.7%) qui ne peut conduire à l’amorçage et l’entretien d’une réaction en chaîne que sous certaines conditions très spécifiques de modération et de géométrie non satisfaites à ce stade du cycle) tout comme les réacteurs.
Le respect de la sous-criticité d’une installation ou d’un dispositif est démontré grâce à une étude de sûreté-criticité définie suivant une approche conservative. Celle-ci doit garantir que, quelles que soient les conditions d’exploitation (normales ou accidentelles), la valeur du rapport entre le nombre de neutrons produits par fission et le nombre de neutrons perdus par fuite ou absorption, appelé facteur de multiplication effectif et noté « keff » , des configurations étudiées soit inférieure à une limite fixée selon une norme établie et implique la considération de facteurs de pénalité pour son calcul. Le résultat du calcul de criticité dépend de la composition du combustible considéré. Dans le cas de l’entreposage en piscine, du transport et du retraitement des combustibles irradiés, une approche très conservative consiste généralement à considérer pour le calcul de criticité leurs compositions à l’état neuf. Or, des études ont montré que la prise en compte du caractère irradié des assemblages et notamment de la formation d’actinides et de produits de fission absorbants conduit à gagner des marges importantes en terme de dimensionnement des installations (densification des piscines, optimisation et allègement de la structure des châteaux de transport) et donc à un gain économique substantiel pour l’industriel tout en maintenant le même niveau de sûreté . Cette prise en compte de l’antiréactivité due à la consommation des matières fissiles initialement présentes lors de l’irradiation en réacteur, et à la formation d’isotopes absorbants (236U, 240Pu et produits de fission notamment) est appelée « Crédit Burn-up » (CBU). Le Crédit Burn-up est donc une méthode permettant d’évaluer plus précisemment le risque de criticité.
Généralités sur les études de sûreté-criticité
Le risque de criticité est un risque spécifique aux installations nucléaires, dès lors que les quantités de matières fissiles (généralement uranium enrichi et plutonium) mises en œuvre sont supérieures à un certain seuil appelé « masse critique ». Ce seuil franchi, la réaction en chaîne de fission devient incontrôlable, la production de neutrons n’étant pas compensée par leur disparition. L’accident de criticité est donc lié à une question de bilan neutronique. Ce risque concerne l’ensemble des installations du cycle (enrichissement, fabrication du combustible, activités de retraitement, . . . ). Le but des études de sûreté-criticité est de prévenir ou de permettre l’arrêt de cette réaction en chaîne incontrôlée grâce à une analyse de sûreté-criticité prenant en compte aussi bien les situations de fonctionnement normal que dégradé de l’installation. Ainsi, des hypothèses enveloppes sont prises en compte pour évaluer la population neutronique. En France, la Règle Fondamentale de Sûreté (RFS) no I.3.c a pour objet de préciser les dispositions prises afin d’éviter le risque d’accident de criticité dans les installations nucléaires de base autres que les réacteurs nucléaires et les mines. Elle se base sur le principe de double défaillance : « un accident de criticité ne doit en aucun cas découler d’une seule anomalie : défaillance d’un composant, d’une fonction, erreur humaine (non-respect d’une consigne par exemple), situation accidentelle (incendie par exemple) »… et « si un accident de criticité peut découler de l’apparition simultanée de deux anomalies, il sera alors démontré que les deux anomalies sont rigoureusement indépendantes, que la probabilité d’occurrence de chacune des deux anomalies est suffisamment faible et que chaque anomalie est mise en évidence à l’aide de moyens de surveillance appropriés et fiables, dans un délai acceptable permettant l’intervention ». La RFS préconise de plus de préciser, pour chaque unité de criticité (poste de travail. . . ), le mode de contrôle de la criticité, le milieu fissile de référence et les dispositions relatives à chacun d’entre eux, en cohérence avec l’analyse des défaillances réalisée selon le principe de « double défaillance » précédemment évoqué.
Pour garantir la sûreté des installations vis-à-vis du risque de criticité, l’existence de marges de sécurité est essentielle [CRI-1]. L’analyse de sûreté doit donc définir les valeurs maximales admissibles pour chaque paramètre, l’état critique constituant une limite qui ne doit jamais être atteinte. Certains milieux fissiles voyant leur « keff » varier très rapidement en fonction de certains paramètres, il est impossible de considérer simplement cette marge uniquement par une marge «administrative », prédéfinie, entre la valeur maximale du facteur de multiplication («keff ») de la configuration étudiée et la valeur keff = 1, correspondant à l’état critique. Ainsi, La RFS n’énonce donc pas de critère réglementaire chiffré quant à la marge de sécurité en terme de keff à respecter contrairement à l’approche américaine [CRI-1]. Le choix des marges de sécurité d’une configuration ou d’une situation données se base principalement sur :
• l’évaluation de la sensibilité du « keff » aux variations des différents paramètres contrôlés ;
• le degré de conservatisme lié à la modélisation lors du calcul (simplifications de géométrie, de composition, de réflecteur, de matériau modérateur) ;
• la probabilité du scénario correspondant à la situation enveloppe retenue pour les situations incidentelles ou accidentelles ;
• le degré de confiance dans les techniques de calcul utilisées (qualification par rapport à l’expérience du code de calcul).
La qualification des schémas de calcul utilisés, reposant sur la comparaison de résultats de calcul et des valeurs expérimentales, doit être particulièrement examinée lorsque la configuration étudiée possède un facteur de multiplication élevé. Les écarts obtenus font alors l’objet d’une interprétation pour identifier l’origine des biais observés (approximations, options de calculs, données nucléaires) puis les transposer aux configurations réelles à étudier. Pour cela, il est donc nécessaire d’évaluer la représentativité des expériences sélectionnées par rapport à la configuration étudiée [CRI-1]. Le biais alors déterminé dépend donc très fortement de la représentativité des ces expériences retenues et de leur qualité, sachant que les valeurs expérimentales sont entachées d’une incertitude. En s’appuyant sur l’état de qualification des formulaires de calcul utilisés, les critères d’admissibilité et les valeurs des paramètres de criticité doivent alors être fixés pour les configurations considérées en prenant éventuellement en compte des marges « forfaitaires » jugées suffisantes d’après l’avis d’experts [CRI-1].
Grandeurs neutroniques utiles
La criticité d’un système est évaluée par le facteur de multiplication effectif, noté keff, qui représente le nombre moyen de neutrons émis par fission auxquels donne naissance un neutron lui-même issu d’une fission. Il se traduit par le quotient du nombre de neutrons produits par fission et du nombre de neutrons disparaissant du système soit par fuites soit par absorption.
Notion de section efficace
Proportionnelle au parcours effectué dans la matière, la probabilité d’interaction d’une particule avec celleci introduit la notion de section efficace. Celle-ci peut être macroscopique, caractérisant un matériau dans son ensemble contenant un nombre important de cibles potentielles pour la particule en mouvement, ou microscopique, caractéristique d’une seule de ces cibles en particulier. Une interaction entre la cible et la particule en mouvement ne peut avoir lieu uniquement si le centre de cette dernière s’approche à une distance inférieure à la somme de son rayon et de celui du noyau cible. L’aire σ du cercle de rayon Rparticule + Rcible représente la section efficace [CRI-2].
Une probabilité d’interaction est liée à cette aire car si on considère à présent plusieurs cibles contenues dans une surface d’aire S, la probabilité que la particule en mouvement entre en collision avec l’une de ces cibles est égale au rapport de la surface totale des cibles et de la surface les contenant soit Nσ/S avec N nombre de noyaux cibles et σ la section efficace microscopique. Suivant la nature des interactions entre particules et matière cible, il existe plusieurs types de sections efficaces dites partielles caractérisant chacun de ces processus d’interaction dont la somme est la section efficace totale.
Calcul de sections efficaces
Il existe différents modèles de description des réactions nucléaires dont :
• le modèle du noyau-composé lorsque le neutron incident est absorbé par le noyau cible (modèle essentiellement utilisé jusqu’à quelques MeV) ;
• le modèle du potentiel optique lorsque le neutron diffuse sur des états discrets du noyau-cible ;
• le modèle de pré-équilibre entre ces deux cas lorsque l’énergie du neutron incident est inférieure à 200 MeV.
Le calcul des sections efficaces nécessite d’enchaîner ces trois modèles afin de traiter de manière cohérente l’ensemble des voies ouvertes, une voie caractérisant le système avant et après réaction . On utilise d’abord le modèle du potentiel optique qui permet de séparer les composantes de réactions directes par opposition aux processus où la particule incidente est absorbée par la cible (section efficace de réaction). Le potentiel optique fournit en outre des coefficients de transmission au modèle du noyau composé. La section efficace de réaction est ensuite traitée par le modèle de pré-équilibre qui opère une deuxième séparation en décrivant les émissions rapides ayant lieu avant que le système n’atteigne une situation d’équilibre. Finalement, une fraction de la section efficace de réaction permet de former un noyau composé dont la décroissance (par fission, par émission gamma ou émission neutron) va être décrite par le modèle du même nom.
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Table des matières
INTRODUCTION
1 CONTEXTE PHYSIQUE DES ETUDES DE SURETE-CRITICITE
1.1 Généralités sur les études de sûreté-criticité
1.2 Grandeurs neutroniques utiles
1.2.1 Notion de section efficace
1.2.1.1 Section efficace macroscopique
1.2.1.2 Section efficace microscopique
1.2.1.3 Calcul de sections efficaces
1.2.2 Notion de résonance
1.2.3 Effet Doppler
1.2.4 Notion d’autoprotection
1.3 Données nucléaires
1.3.1 Mesures de données neutroniques de base
1.3.1.1 Mesures différentielles de section efficace
1.3.1.2 Mesures intégrales de section efficace
1.3.2 Evaluation des données nucléaires
1.3.2.1 CONRAD
1.3.2.1.1 Propagation des incertitudes au cours de l’évaluation des données
1.3.2.1.2 Prise en compte des expériences intégrales dans l’évaluation
1.3.2.2 Evaluation JEFF-3.1.1
1.3.3 Construction de bibliothèques applicatives
1.4 Description de la population neutronique : principe de calcul et méthodes numériques
1.4.1 Equation du transport neutronique
1.4.1.1 Forme intégro-différentielle
1.4.1.2 Forme intégrale
1.4.2 Codes de simulation neutronique déterministes
1.4.2.1 Données d’entrée et de sortie
1.4.2.2 Discrétisation de la variable énergétique : formalisme multigroupe
1.4.2.3 Particularités des sections efficaces partielles utilisées par APOLLO2
1.4.2.4 Discrétisation des variables angulaire et spatiale
1.4.2.4.1 Méthode des probabilités de collision (Pi j) pour un groupe d’énergie donné
1.4.2.4.2 Méthode des caractéristiques (MOC)
1.4.2.5 Traitement des résonances
1.4.2.5.1 Formalisme de Livolant-Jeanpierre
1.4.2.5.2 Méthode des sous-groupes
1.4.3 Méthode probabiliste Monte-Carlo
1.5 Calcul de bilan matière en et hors réacteur
1.5.1 Sous irradiation
1.5.2 Hors flux
Bibliographie
2 OUTILS DE CALCUL NEUTRONIQUE POUR LA SURETE-CRITICITE
2.1 Transport neutronique
2.1.1 Produit APOLLO2.8/SHEM-MOC/CEA2005V4.1
2.1.1.1 Présentation générale et performances
2.1.1.1.1 Principe du schéma de calcul SHEM-MOC
2.1.1.1.2 Maillage énergétique SHEM
2.1.1.1.3 Géométrie utilisée dans le cadre du calcul 2ème niveau MOC
2.1.1.2 TRIPOLI-4 : définition, spécificités
2.2 Calcul de bilan matière
2.2.1 Description du formulaire d’évolution DARWIN2.3
2.2.2 Description du formulaire simplifié d’évolution CESAR 5
2.3 Calcul de criticité : Présentation générale du formulaire CRISTAL V2
2.4 Conclusion
Bibliographie
3 ETAT DE L’ART DE LA METHODOLOGIE ET DES HYPOTHESES RETENUES POUR LE CALCUL DU CBU
3.1 Problématique Crédit Burn-up (CBU)
3.2 Contexte industriel, statut de prise en compte du CBU et perspectives
3.3 Méthodologie CBU
3.3.1 Conditions conservatives d’irradiation
3.3.2 Choix des isotopes d’intérêt vis-à-vis de la criticité, antiréactivité associée
3.3.2.1 Actinides
3.3.2.2 Produits de fission
3.3.2.3 Composantes actinides et produits de fission comparées UOx/MOx
3.4 Conclusion
Bibliographie
4 CONSERVATISME DU BILAN MATIERE EN EVOLUTION
4.1 Etude de l’évolution des biais de l’inventaire des isotopes du CBU
4.2 Méthode de détermination du biais pénalisé et des facteurs correctifs associés au bilanmatière
4.2.1 Base expérimentale de qualification DARWIN-2.3 pour les combustibles REP-MOx
4.2.2 Schéma de calcul utilisé dans le cadre de la qualification du bilan matière pour les REP
4.2.3 Détermination du taux de combustion
4.2.4 Détermination des incertitudes
4.2.5 Biais associé à la qualification des actinides
4.2.6 Biais associé à la qualification des produits de fission
4.3 Analyse des données nucléaires des produits de fission métalliques
4.3.1 Chaîne de calcul
4.3.2 Analyse par isotope
4.3.3 Détermination des facteurs correctifs sur le bilan-matière associés
4.4 Conclusion
Bibliographie
5 MISE EN OEUVRE DU CBU DANS LES APPLICATIONS REP-MOx
CONCLUSION