De nos jours, dans de nombreux secteurs industriels tels que la pharmacie (Hamouda et al., 2001), la cosmétique (Sonneville-Aubrun et al., 2018), l’agroalimentaire (Dickinson, 2009) et la chimie (Ricaurte et al., 2018), les nanoémulsions (NEs) sont des formulations utilisées afin d’obtenir des propriétés d’usage ou des compositions adéquates. En effet, une nanoémulsion est une dispersion cinétiquement stable, avec une taille des gouttelettes ultrafine (20-300 nm), transparente et fluide (Dickinson, 2009; Hörmann and Zimmer, 2016; Kumar and Mandal, 2018; McClements, 2011; McClements and Jafari, 2018). Grâce à cette taille nanométrique, une nanoémulsion reste homogène car le mouvement brownien des gouttelettes surmonte les effets de la gravité, empêchant ainsi l’écrémage et la sédimentation. La floculation est également inhibée par les NEs, uniquement pour des raisons stériques en raison de la gamme d’échelle des gouttelettes. Ces nano dispersions ne correspondent donc pas à un état thermodynamiquement stable et sont classiquement stabilisées par des molécules tensioactives (Anton and Vandamme, 2009; Dickinson, 2009; Gupta et al., 2016; Pengon et al., 2018; Singh et al., 2017). Ainsi, leur dimension nanométrique exige qu’une très large aire interfaciale doit être couverte par des molécules stabilisantes. Or, la demande en tensioactifs sur le marché économique mondiale est exponentielle (Galenica., 1983; Rondel, 2009). Une consommation de 22.802,1 Kilotonnes de tensioactifs est prévue pour 2019, soit environ 361 474 millions d’euros (Ridel, 2015). Cependant, il s’avère nécessaire de réduire l’utilisation de tensioactifs dans toutes ces applications. D’une part dans un souci de respect environnemental et d’autre part pour la sécurité des consommateurs. En effet, les tensioactifs peuvent s’avérer toxiques et néfastes pour l’environnement mais aussi nocifs pour les consommateurs (Cui et al., 2011; Errezma et al., 2018).
Ramsden (Ramsden, 1904) et Pickering (Pickering, 1907) ont démontré au début du XXe siècle la faisabilité d’émulsions sans tensioactifs, en présence de particules solides. Ces émulsions sont appelées « émulsions de Pickering ». Ce concept d’émulsions stabilisées par des particules solides connaît un regain d’intérêt de nos jours vu les nombreux avantages qu’il présente : bonne stabilité, protection de l’environnement, sécurité des utilisateurs, variétés de particules etc. De plus, l’un des principaux avantages des émulsions de Pickering est qu’elles sont plus stables que les autres types d’émulsions. L’adsorption des particules solides à l’interface huileeau est quasiment irréversible et forte (contrairement aux tensioactifs qui sont en équilibre thermodynamique à l’interface), conduisant à la formation d’un film dense, créant une barrière autour des gouttelettes et rendant ainsi les gouttelettes très résistantes à la coalescence. Depuis peu de temps, les possibilités d’applications d’émulsions stabilisées par des particules solides sont considérées dans l’industrie pharmaceutique. Ce type de formulation peut être un système d’encapsulation de principes actifs, permettant la libération contrôlée et ciblée de l’actif depuis la phase interne (Frelichowska et al., 2009; Salerno et al., 2016) .
GENERALITES SUR LES EMULSIONS DE PICKERING
Les émulsions de Pickering sont des dispersions de deux liquides non miscibles thermodynamiquement instables, stabilisées par des particules solides. Cet effet de stabilisation par des particules fines, connu depuis environ un siècle, fut d’abord mis en évidence par Ramsden (Ramsden, 1904) puis décrit de manière plus complète par Pickering (Pickering, 1907). Ce dernier a établi que des particules peuvent, tout comme des tensioactifs, stabiliser des émulsions huile dans eau. De telles émulsions n’ont pas encore suscité de forts développements industriels, mais elles connaissent aujourd’hui un regain d’intérêt lié au contexte socio-économique, d’autant plus que leur stabilité est souvent meilleure que celle des émulsions stabilisées par des tensioactifs classiques (Fouilloux, 2011). Il a été montré que les émulsions ainsi obtenues peuvent, comme celles stabilisées par des tensioactifs moléculaires, être de type direct (H/E), inverse (E/H) ou multiples (E/H/E ou H/E/H) (Aveyard et al., 2003a; Binks, 2002). Cette stabilisation des émulsions de Pickering est liée à l’adsorption des particules à l’interface entre les phases non miscibles (Marku et al., 2012).
Concepts de formulation et de stabilisation des émulsions de Pickering
Formulation et caractérisation des émulsions de Pickering
Formulation
Une goutte peut être fractionné en plusieurs gouttelettes de taille inferieure sous l’action de forces mécaniques : pression, gradient de vitesse, ou forces turbulentes. Mais globalement, le fractionnement résulte des effets compétitifs entre les propriétés rhéologiques et interfaciales des deux phases, et des caractéristiques hydrodynamiques de l’écoulement via des forces mécaniques (Theron, 2009). Avant la rupture d’une goutte, l’interface séparant la phase continue de la phase dispersée se déforme sous l’action des forces tangentielles et normales.
Deux mécanismes permettent d’expliquer l’effet des ultrasons sur l’émulsification :
✓ l’onde génère des instabilités à l’interface liquide-liquide, qui vont induire la formation de gouttelettes ;
✓ l’implosion des bulles de cavitation près des gouttes de liquide va casser ces gouttes et on observe une réduction progressive du diamètre moyen de l’émulsion (Retamal Marín et al., 2017).
Ces techniques ont des avantages non négligeables : facilité de mise en œuvre, possibilité de préparer rapidement d’importantes quantités d’émulsion. Cependant, les émulsions résultantes sont généralement polydispersées, ce qui rend difficiles les études systématiques et la rationalisation de tels systèmes (Abismaı̈l et al., 1999). Elles permettent également de créer de grandes quantités d’interface, afin de disperser une phase dans une autre pour former une émulsion. Il est alors possible de disperser une phase apolaire dans une phase polaire, conduisant à une émulsion huile dans eau ou au contraire de disperser une phase polaire dans une phase apolaire conduisant à une émulsion eau dans huile (Fouilloux, 2011). Plusieurs types de particules peuvent être utilisés pour la stabilisation des émulsions de Pickering : oxyde de fer, hydroxydes métalliques, silice, argiles, carbone (Aveyard et al., 2003; Wang and Hobbie, 2003). Les particules stabilisantes ne sont pas obligatoirement solides. Une stabilisation efficace a été observée avec des particules de microgels, des cristaux liquides, mais également avec des particules naturelles telles que des bactéries et des spores (Binks and Whitby, 2005; Dorobantu et al., 2004; Fujii et al., 2005).
Caractérisation
Détermination du sens de l’émulsion
La nature de la phase externe, et par conséquent le type d’émulsion, peuvent être détectés par différentes techniques :
✓ Par des expériences de dispersibilité d’un petit volume d’émulsion dans une phase aqueuse ou huileuse : Par exemple, si l’échantillon prélevé est dispersible dans l’eau (respectivement dans l’huile) l’émulsion est de type H/E (respectivement E/H) (Zoller, 2008).
✓ Par des mesures de conductivité :
En effet, dans la majorité des cas, l’eau, contrairement à l’huile, contient des électrolytes. La conductivité de la phase aqueuse est donc 100 à 1000 fois plus élevée que celle de la phase huileuse. La valeur de la conductivité d’une émulsion dépendant de sa phase externe, il est donc relativement facile de déterminer si l’émulsion est de type E/H ou de type H/E. La conductivité d’une émulsion (χem) est directement liée à la conductivité de la phase externe (χext) et à sa fraction volumique (fw). Ainsi, en première approximation on peut utiliser la relation linéaire suivante :
??? = ??.???? , ???????? (?)
La phase externe peut aussi être d’une importance capitale dans l’interprétation des phénomènes observés pour les émulsions, notamment pour détecter l’inversion de phase au cours d’un procédé d’émulsification (Pizzino et al., 2009).
✓ Par les tests aux colorants :
Le principe de ces tests repose sur la détermination de l’hydrosolubilité ou de la liposolubilité des colorants comme le bleu de méthylène ou le Soudan III dans l’émulsion formée.
Détermination de la granulométrie
Une des propriétés importantes des émulsions est la taille des gouttelettes, qui peut être déterminée par une méthode de mesure appelée « granulométrie ». La taille des gouttelettes est particulièrement représentative des conditions d’agitation et de formulation dans lesquelles l’émulsion a été élaborée. Dans la plupart des cas, une émulsion contient des gouttelettes de tailles différentes, notamment à cause du caractère partiellement ou totalement aléatoire des conditions d’agitation, donc une distribution de tailles de gouttelettes qui représente un inventaire statistique de la population présente dans l’émulsion. Ainsi, l’émulsion peut être caractérisée par une seule valeur de diamètre représentative d’une moyenne de l’ensemble de la population de goutte (Querol et al., 2017).
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Table des matières
INTRODUCTION GENERALE
CHAPITRE I : GENERALITES SUR LES EMULSIONS DE PICKERING
I.1. Concepts de formulation et de stabilisation des émulsions de Pickering
I.1.1. Formulation et caractérisation des émulsions de Pickering
I.1.1.1 Formulation
I.1.1.2 Caractérisation
I.1.1.2.1 Détermination du sens de l’émulsion
I.1.1.2.2 Détermination de la granulométrie
I.1.1.2.3 Détermination de la viscosité
I.1.1.2.4 Détermination du pH
I.1.2. Concept de stabilisation des émulsions de Pickering
I.1.2.1 Structure et mécanisme de stabilisation de l’interface
I.1.2.1.1 Structure de l’interface
I.1.2.1.2 Mécanismes de stabilisation
I.1.2.2 Mouillage des particules et positionnement à l’interface
I.1.2.3 Mesure de l’angle de contact
I.1.2.4 Aspect énergétique
I.1.2.5 Interactions entre particules à l’interface
I.2. Type, stabilité et applications des émulsions de Pickering
I.2.1 Facteurs expérimentaux influençant le type d’émulsion
I.2.1.1 Mouillabilité des particules
I.2.1.2 Localisation initiale des particules
I.2.2 Les facteurs expérimentaux influençant la stabilité
I.2.2.1 Taille et forme des particules
I.2.2.2 Etat de dispersion des particules
I.2.2.3 Concentration des particules
I.2.3 Phénomènes d’instabilité
I.2.3.1 Sédimentation et crémage
I.2.3.2 Floculation
I.2.3.3 Coalescence
I.2.3.4 Mûrissement d’Ostwald
I.2.3.5 Inversion de phase
I.2.4. Applications des émulsions de Pickering
I.2.4.1. Industrie pharmaceutique et cosmétique
I.2.4.2. Préparation des matériaux
I.3 Conclusion
CHAPITRE II : GENERALITES SUR LES NANOEMULSIONS (NEs)
II.1. Méthodes de formulation et de caractérisation des nanoémulsions
II.1.1. Méthodes de formulation
II.1.1.1. Méthodes d’émulsification à haute énergie
II.1.1.1.1. Homogénéisation à haute pression
II.1.1.1.2. Emulsification par ultrasonication
II.1.1.1.3. Microfluidisation
II.1.1.2. Méthodes d’émulsification à faible énergie
II.1.1.2.1. Nanoémulsification spontanée
II.1.1.2.2. Méthodes d’émulsification par inversion de phase
II.1.1.2.2.1. Température d’inversion de phase (TIP ou PIT)
II.1.1.2.2.2. Composition d’inversion de phase (CIP ou PIC)
II.1.2. Caractérisation des nanoémulsions
II.1.2.1. Analyse granulométrique
II.1.2.1.1. Diffusion dynamique de la lumière (DLS)
II.1.2.1.1. Microscopie
II.1.2.2. Charge de surface des nano-gouttelettes
II.2. Propriétés physicochimiques des nanoémulsions
II.2.1. Propriétés optiques
II.2.2. Propriétés rhéologiques et viscosité des nanoémulsions
II.1.2.1. Propriétés rhéologiques
II.2.2.2. Viscosité
II.2.2.2.1. Nanoémulsion diluée et nanoémulsion concentrée
II.2.2.2.2. Nanoémulsion et émulsion
II.3 Conclusion
CHAPITRE III : TENSIOMETRIE ET RHEOLOGIE D’UNE INTERFACE EAU/CYCLOHEXANE STABILISEE PAR DES NANOPARTICULES DE Mg(OH)2 ET DE MgO
ARTICLE 1: Investigation and monitoring of the interfacial and rheological behavior of Mg(OH)2 and MgO nanoparticles at the water / oil interface
Abstract
1.Introduction
2. Materials and Methods
2.1. Materials
2.2. Methods
3. Results and discussion
4. Conclusion
5. References
CONCLUSION