DEFINITION ET PROPRIETES DES EMULSIONS
Définition
Le terme émulsion désigne un système hétérogène comprenant au moins un liquide non miscible dispersé dans un autre liquide sous la forme de gouttelettes dont les diamètres sont en général supérieurs à 0,1µm. Un tel système se caractérise par une stabilité minimale qui peut être augmentée par l’ajout de tensioactifs. Le liquide dispersé est appelé phase dispersée, interne ou discontinue. L’autre liquide est appelé milieu de dispersion ou milieu externe, et encore phase continue.
Différents systèmes sous le terme «émulsion»
Le vocabulaire utilisé pour qualifier le système complexe diphasique liquide varie selon les auteurs et leur domaine scientifique. Becher indique que la limitation de tailles inférieures à 0,1µm ne repose sur aucune base théorique mais seulement sur les métrologies existantes à l’époque qui ne permettaient pas de faire des mesures de tailles des gouttes inférieures à 0,1µm. Ainsi sous le terme général d’émulsion il existe différents types de systèmes tels que les macroémulsions, les nano/miniémulsions et les microémulsions.
Les macroémulsions ou émulsions
II s’agit de systèmes dispersés hors équilibre comportant deux phases liquides non miscibles. Du point de vue thermodynamique, les émulsions sont des systèmes instables, car la séparation des deux phases conduit à une diminution de l’énergie libre. Cependant, la cinétique de grossissement de gouttes peut être suffisamment retardée pour que l’émulsion reste stable pendant une durée déterminée. Le diamètre moyen de ces émulsions classiques est supérieur ou égal au micromètre, valeur correspondant généralement à la taille minimale de gouttes produite par agitation mécanique. Compte tenu de leur taille, et en fonction de la viscosité de la phase continue, les gouttes des émulsions sédimentent ou crèment sous l’effet de la gravité.
Les nano ou miniémulsions
Ces deux termes sont utilisés pour nommer des systèmes biphasiques, de taille de gouttes comprises entre 20 et 200 nm. En raison de la taille des gouttes, les nanoémulsions sont transparentes ou translucides à l’œil et sont stables à la sédimentation ou au crémage. En plus elles présentent une extraordinaire stabilité au vieillissement et à la dilution. La préparation des nanoémulsions exige soit l’utilisation de méthodes hautement énergétiques, comme la microfluidisation, ou bien l’utilisation de méthodes non conventionnelles et complexes, mais de faible consommation énergétique, comme l’inversion de phase.
Les microémulsions
Contrairement aux macroémulsions et aux nanoémulsions, les microémulsions sont thermodynamiquement stables. En effet, il s’agit de systèmes monophasiques pour lesquels le tensioactif rend possible la coexistence, à l’échelle quasi moléculaire, des phases eau et huile [14]. II est important de souligner que les microémulsions ne sont pas forcément des émulsions constituées de très petites gouttelettes, comme le croyait Schulman et ses collaborateurs [15] lorsqu’ils proposèrent cette définition. Les microémulsions peuvent présenter des micro-domaines dynamiques pas nécessairement sphériques, typiquement de l’ordre de 10 à 50 nm. Elles sont encore nommées microémulsions bicontinues.
Les différents types d’émulsions
Les émulsions sont des dispersions, généralement constituées d’une phase aqueuse (E) et d’une phase huileuse (H), stabilisées par des tensioactifs adsorbés à l’interface. Une propriété fondamentale des émulsions est le type de dispersion formée par l’agitation d’un système eau-huile-surfactif. Les émulsions peuvent être simples, quand une phase est dispersée dans l’autre, ou multiples, quand la phase dispersée est elle-même une émulsion. Souvent le mot ‘‘ordre’’ est employé pour caractériser de tels systèmes avec une valeur qui représente le nombre d’interfaces présentes dans l’émulsion [16]. Ainsi une émulsion simple est une émulsion de premier ordre car elle ne possède qu’une seule interface et une émulsion multiple est une émulsion de deuxième ordre car elle possède deux interfaces. Outre les émulsions multiples il existe d’autres systèmes complexes, dont les propriétés spécifiques peuvent être recherchées de manière active par les formulateurs .
Les émulsions complexes
Les émulsions multiples
Les émulsions multiples, encore appelées émulsions doubles, sont des structures complexes dans lesquelles une phase dispersée renferme une autre phase dispersée. Les deux types d’émulsions doubles sont notés e/H/E et h/E/H où la phase la plus interne et la phase la plus externe sont soit aqueuses e et E, soit huileuses h et H [21]. Si ces deux phases aqueuses ou huileuses sont semblables, l’émulsion multiple est dite de deuxième ordre à deux composants. Elle est dite de deuxième ordre à trois composants si elles sont différentes. Pour la plupart des auteurs, une émulsion multiple est définie comme une émulsion d’émulsions, c’est-à dire une émulsion dans laquelle deux types d’émulsion coexistent. Ceci signifie que, pour une émulsion dite e/H/E, les particules huileuses dispersées dans la phase aqueuse renferment elles-mêmes une ou plusieurs gouttelettes d’eau.
Pour une émulsion multiple de type h/E/H, les particules aqueuses dispersées dans la phase huileuse renferment elles-mêmes une ou plusieurs gouttelettes d’huile. Une émulsion multiple peut se présenter comme suit : chaque globule dispersé dans une émulsion multiple (e/H/E ou h/E/H) forme une structure vésiculaire avec un seul ou plusieurs compartiments aqueux (ou huileux) séparés de la phase dispersante aqueuse (ou huileuse) par les composants de la couche huileuse (ou aqueuse) .
Les émulsions concentrées
Dans la littérature les émulsions sont classifiées suivant leur concentration de phase interne. Ainsi, pour Brochette, on parle d’émulsion concentrée lorsque la phase continue est en quantité bien inférieure à celle de la phase dispersée. Audelà de 74% en volume de phase dispersée, les gouttes se déforment et adoptent une structure facettée. La phase continue est donc réduite à n’être qu’un réseau de films minces similaires à ceux d’une mousse [23]. Les émulsions concentrées présentent souvent des propriétés rhéologiques intéressantes, allant jusqu’à un comportement purement élastique sous faible contrainte. Au sens strict, ces émulsions sont des anomalies, puisqu’une inversion de phase devrait se produire lorsque la fraction volumique atteint 50 à 60%. Bien que la physique qui sous-tend cette inhibition de l’inversion de phase soit de mieux en mieux comprise, les régles de formulation ne sont pas clairement identifiées. Le procédé de préparation lui-même est particulier puisque, au contraire des émulsions ordinaires, une émulsion concentrée est obtenue par incorporation lente de la phase dispersée, sous agitation douce. Une autre manière d’obtenir une émulsion concentrée consiste à éliminer la phase continue d’une émulsion ordinaire par osmose, ou même par centrifugation.
Les émulsions transparentes
L’aspect blanc des émulsions est le résultat de la diffusion de la lumière incidente. Cette diffusion est sous l’influence conjointe du nombre et de la taille des gouttelettes, et du rapport des indices de réfraction de la phase dispersée et continue. Cependant il est assez aisé de réaliser une émulsion transparente, qui prendra l’aspect d’une solution visqueuse ou d’un gel transparent. Ainsi on peut agir sur la taille des particules pour annuler l’intensité de la lumière diffusée (c’est-à-dire rendre la formulation transparente), en changeant de technologie et formuler une miniémulsion, ou même passer à la formulation de microémulsions, qui sont des systèmes d’équilibre. Il est certainement plus raisonnable de chercher à annuler le contraste entre phase continue et phase dispersée, en ajustant les indices de réfraction. Cet ajustement est aisément réalisable en ajoutant, par exemple, du glycérol ou du saccharose à la phase polaire pour remonter son indice de réfraction. L’indice de la phase grasse pourrait, quant à lui, être diminué par adjonction d’huiles perfluorées, mais leur coût prohibitif rend cette solution industriellement peu attractive.
Les autoémulsions
Les autoémulsions sont des produits obtenus par le biais de l’autoémulsification. L’effet autoémulsionnant est très intéressant, puisqu’il permet de réaliser une émuslion de manière extemporanée sans l’aide d’un systéme de dispersion [25]. En agrochimie, des «concentrés émulsionnables» constitués de mélange d’huile (le produit actif) et de tensioactif, sont destinés à être dispersés dans l’eau. L’émulsion se fait par simple mélange du concentré avec l’eau, dans la cuve de l’agriculture, immédiatement avant pulvérisation [26]. L’énergie nécessaire à l’autoémulsification est fournie par un transfert rapide de matières se produisant au moment de la dilution du concentré dans la phase continue (en général de l’eau): le concentré contient des molécules hydrophiles (tensioactifs en général) qui, en migrant vers la phase aqueuse provoquent une émulsification au voisinage immédiat de la zone de contact eau/huile.
Les émulsions de Pickering
La stabilisation des émulsions classiques nécessite l’utilisation de tensioactifs de synthèse chimique potentiellement toxiques. Une approche pour s’affranchir de ces tensioactifs consiste à stabiliser les émulsions en utilisant des particules solides. L’effet de stabilisation des émulsions par des particules est connu depuis environ un siécle et de telles émulsions sont appelées «émulsions de Pickering» du nom d’un des premiers chercheurs qui a décrit ce type de stabilisation Cependant, la première description de ce phénomène est due à Ramsden.
Les émulsions de PICKERING sont des systèmes couramment utilisés dans l’industrie pharmaceutique pour protéger des principes actifs, leur servir de reservoir et permettre leur libération controlée. Les particules solides sont adsorbées à la surface des gouttelettes de l’émulsion et forment une coque solide, ce qui permet d’empêcher la coalescence de ces gouttelettes causant ainsi l’émulsion à être plus stable.
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Table des matières
INTRODUCTION
PREMIERE PARTIE : GENERALITES SUR LES EMULSIONS
CHAPITRE I: DEFINITION ET PROPRIETES DES EMULSIONS
1. Définition
2. Différents systèmes sous le terme «émulsion»
2.1. Les macroémulsions ou émulsions
2.2. Les nano ou miniémulsions
2.3. Les microémulsions
3. Les différents types d’émulsions
3.1. Les émulsions simples
3.1.1. Les émulsions de type eau dans huile E/H
3.1.2. Les émulsions de type huile dans eau H/E
3.2. Les émulsions complexes
3.2.1. Les émulsions multiples
3.2.2. Les biémulsions
3.2.3. Les émulsions concentrées
3.2.4. Les émulsions transparentes
3.2.5. Les autoémulsions
3.2.6. Les émulsions de Pickering
4. Propriétés des émulsions
4.1. Ecoulement
4.2. Diffusion et absorption de la lumière
4.3. Propriétés physico-chimiques
5. Caractérisation des émulsions
5.1. Le type d’émulsion
5.2. Taille et distribution de taille des gouttes
5.3. L’aspect des émulsions
5.4. Viscosité des émulsions
CHAPITRE II: STABILITE DES EMULSIONS
1. Métastabilité des émulsions
2. Les phénomènes d’instabilité des émulsions
2.1. Migration des particules
2.1.1. Floculation
2.1.2. Sédimentation et crémage
2.2. Variation de taille des particules
2.2.1. Coalescence
2.2.2. Mûrissement d’Ostwald ou diffusion moléculaire
2.2.3. Inversion de phase
3. Mécanismes de stabilisation des émulsions
3.1. Stabilisation rhéologique
3.2. Stabilisation stérique
3.3. Stabilisation électrostatique
3.4. Stabilisation électrostérique
4. Les différents types de stabilisants
4.1. Les tensioactifs
4.2. Stabilisants autres que les tensioactifs
4.2.1. Les électrolytes inorganiques
4.2.2. Les solides finement divisés
4.2.3. Les macromolécules
4.2.4. Les cristaux liquides lyotropes
5. Méthodes d’étude de la stabilité des émulsions
5.1. Bottle test
5.2. Vieillissement accéléré
5.2.1. Vieillissement en enceinte climatique
5.2.2. Sédimentation forcée
DEUXIEME PARTIE : LES TENSIOACTIFS DANS LA PREPARATION DES EMULSIONS – APPLICATIONS
CHAPITRE III: TENSIOACTIFS ET TECHNIQUES D’EMULSIFICATION
1. Généralités sur les tensioactifs
1.1. Définition et constitution
1.2. Rôle d’un tensioactif
1.2.1 Tension superficielle
1.2.2. Mode d’action
1.3. Classification des tensioactifs
1.3.1. Les tensioactifs non ioniques
1.3.2. Les tensioactifs cationiques
1.3.3. Les tensioactifs anioniques
1.3.4. Les tensioactifs amphotères ou zwitterioniques
1.4. Propriétés des tensioactifs
1.4.1. Adsorption aux interfaces
1.4.2. Elasticité
1.4.3. Courbure spontanée et rigidité
1.4.4. Concentration micellaire critique (CMC)
1.4.5. Formation d’une double couche électrique
1.5. Fonctions des tensioactifs
1.5.1. Les détergents
1.5.2. Les agents de solubilisation
1.5.3. Les agents moussants
1.5.4. Les agents mouillants
1.5.5. Les agents dispersants
1.5.6. Les agents émulsifiants
1.5.7. Les agents antiseptiques
1.6. Les tensioactifs dans l’organisme
1.7. Biodégradabilité des tensioactifs
1.7.1. Définition
1.7.2. Processus de biodégradation
2. L’émulsification
2.1. Définition
2.2. Concepts de formulation des émulsions
2.2.1. Variables de composition et variables de formulation physicochimiques
2.2.2. Modèle de volume des phases d’Ostwald
2.2.3. Règle de Bancroft
2.2.4. Balance hydrophile-lipophile (HLB)
2.2.5. Température d’inversion de phase (PIT)
2.2.6. Règle de Winsor
2.2.7. Différence hydrophile-lipophile (HLD)
2.2.8. Balayage de formulation
2.3. Les différentes étapes de fabrication d’une émulsion
2.4. Les techniques d’émulsification
2.4.1. Emulsification par agitation mécanique
2.4.2. Homogénéisateurs hautes pressions
2.4.3. Procédé ultrasonore
2.4.4. Procédé à membrane
2.4.5. Emulsification par jet d’impact
2.5. Qualité de l’émulsification
CHAPITRE IV: APPLICATIONS DES EMULSIONS
1. Les émulsions en cosmétologie
1.1. La peau humaine: structure et fonctions
1.1.1. La structure de la peau humaine
1.1.2. Les fonctions de la peau humaine
1.2. Le choix d’une émulsion en cosmétologie
1.3. Mécanisme d’hydratation des émulsions
1.4. La qualité d’une émulsion hydratante
2. Applications pharmaceutiques des émulsions
2.1. Biodisponibilité des émulsions
2.2. Emulsions parentérales
2.2.1. Emulsions lipidiques pour nutrition parentérale
2.2.2. Les émulsions lipidiques comme systèmes de délivrance de médicaments
2.2.3. Agents de contraste radiologiques
2.3. Emulsions topiques
2.3.1. L’application topique
2.3.2. Mécanisme d’absorption à travers la peau
2.4. Les émulsions orales
2.4.1. Self-emulsifying drug delivery systems (SEDDS)
2.4.2. Devenir des émulsions dans le tractus gastro-intestinal
2.5. Emulsions ophtalmiques
CONCLUSION
REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES