L’usage de substances psychoactives est un fléau des temps modernes. Il n’épargne aucun continent [89]. En 2007, on estimait à 13,2 millions le nombre de personnes dépendantes aux opiacés dans le monde. Depuis les années 1990, et dans le contexte de l’infection par le VIH, l’accès aux traitements substitutifs des patients dépendants aux opiacés est devenu une priorité des politiques de santé dans le cadre de la « stratégie de réduction des risques » [123]. Parmi les usagers, les consommateurs de drogues injectables sont les plus exposés aux risques sanitaires. Ils sont environ 1,8 million en Afrique subsaharienne, dont 221 000 vivant avec le VIH. Au Sénégal 27,7% des usagers ont consommé les drogues injectables à un moment donné [42]. La toxicomanie définie comme un comportement de dépendance à l’égard d’une ou de plusieurs substances psychoactives est jugée péjorative et chargée d’à priori négative. Elle réduit l’usager au produit qu’il consomme et est ainsi abandonnée au profit du terme « addiction ». Celui-ci se définit comme une pathologie avec deux caractéristiques : l’impossibilité de contrôler le comportement visant à recourir à une substance donnée, et la poursuite de cette pratique en dépit de la connaissance des dangers potentiels [46]. L’addiction décrit ainsi le rapport de dépendance plus ou moins aliénant que l’individu établit avec un produit (alcool, tabac, héroïne, cocaïne, cannabis), ou avec des pratiques (Jeux vidéo, exercice physique, travail et sexe) [121]. Beaucoup de substances sont susceptibles de générer une dépendance, dont la nicotine, l’héroïne, la cocaïne, la méthamphétamine, l’alcool, l’amphétamine, les benzodiazépines, le cannabis classées par ordre décroissant de leur pouvoir à induire une dépendance [19]. Selon l’OMS [87], la définition de la dépendance peut être résumée à l’état dans lequel un individu se trouve lorsqu’il a besoin de doses répétées d’une ou plusieurs substances psychoactives (drogues) pour se sentir bien ou pour éviter de se sentir mal. Globalement, trois phénomènes caractérisent la dépendance.
GÉNÉRALITES SUR LES ADDICTIONS
Concept d’addiction
Définition
L’addiction se définit par « l’impossibilité répétée pour un sujet de contrôler un comportement qui vise à produire un plaisir ou écarter une sensation de malaise interne et qui est poursuivi en dépit de ses conséquences négatives » .
Diagnostic critériologique
En se basant sur les travaux de Peele [92], Goodman [50] a proposé dans une perspective cognitivo-comportementale un diagnostic critériologique. L’addiction se caractérise par :
– l’impossibilité répétée de contrôler un comportement ;
– la poursuite d’un comportement en dépit de la connaissance de ses conséquences négatives.
Ainsi, il apparaît que l’addiction ne découle pas seulement de la rencontre d’une personne avec un produit, mais de l’utilisation qu’en fait le sujet d’où l’importance d’une distinction entre : usage, abus/usage nocif et dépendance.
Pharmacologie de l’addiction
Installation de l’addiction
L’addiction est un processus complexe par lequel un comportement peut fonctionner à la fois pour produire du plaisir et soulager un malaise intérieur. Il se caractérise par l’échec répété dans le contrôle de ce comportement et la persistance de ce comportement en dépit des conséquences négatives significatives (perte de contrôle). La prise chronique de drogues entraîne une activation anormale et répétée du système dopaminergique mésocorticolimbique. Elle se traduit par une hyperdopaminergie directe, par un mécanisme d’inhibition de la recapture. L’hyperdopaminergie peut être indirecte par une action sur les interneurones et sur les récepteurs GABAergiques et opioïdes qui viennent moduler ce fonctionnement du neurone dopaminergique .
De plus, la réponse à la prise de drogues n’est pas influencée par un phénomène d’habituation à l’opposé des récompenses naturelles. Chaque nouvelle prise de produit entraîne une libération dopaminergique. C’est cette surstimulation anormale et répétée qui entraînera les processus d’adaptation et la mise en route de ce qu’on appelle les systèmes opposants [65]. Les drogues agissent en mimant les neuromédiateurs naturels et forcent les serrures qui modulent les sécrétions dopaminergiques. Les drogues agissent comme un leurre pharmacologique. Ces systèmes sont particulièrement présents au niveau des aires de gestion du plaisir et de la souffrance, du bien-être et du mal-être, de l’approche et de l’évitement [96].
Les circuits de l’addiction
Volkow [122], en 2004, a individualisé quatre circuits
• Le circuit de la récompense
• Le circuit de la motivation
• Les voies de la mémoire
• Le contrôle cortical et intellectuel.
Selon ses travaux, en situation normale, ces quatre circuits interagissent. L’équilibre entre ces quatre circuits aboutit aux actions adaptées à notre situation émotionnelle ou de besoin. En cas d’addiction, on assiste à un renforcement du circuit de la motivation et de la récompense associée à un envahissement des voies de la mémoire. Parallèlement, il y a une déconnexion partielle du contrôle inhibiteur exercé au niveau du cortex préfrontal. Le cerveau devient hypersensibilisé à la drogue et aux stimuli environnementaux qui lui sont associés [108].
Modes de consommation de substances psychoactives
1- Usages à risque
Dans certaines circonstances, une consommation est susceptible d’entraîner des dommages. On parle d’usage à risque. Le risque peut se rapporter à une situation (risque situationnel), par exemple la conduite d’un véhicule en état d’ivresse. Le risque peut aussi être lié à la quantité de produit consommé (risque quantitatif). Il est important de préciser les caractéristiques de ces usages à risque qui font le lit de l’abus (usage nocif) et de la dépendance [117].
2- L’abus / usage nocif
L’abus, selon le DSM-IV [2] ou l’usage nocif dans la CIM-10 [27], se base surtout sur l’existence de complications somatiques ou psychiatriques et des dommages sociaux, familiaux ou juridiques. Lorsque que ceux-ci sont secondaires à la consommation d’un produit on parle de troubles liés à la consommation de substance. Toutefois, cette approche permet de proposer une véritable réponse sanitaire d’aide à la gestion de ces comportements nocifs [8].
3-La dépendance
Elle vient du latin « dependere » qui signifie « lié à ». Elle s’est progressivement substituée à la notion de toxicomanie. Par ailleurs le code de santé publique définit dans son article R 5132-97 la pharmacodépendance comme «un ensemble de phénomènes comportementaux, cognitifs et physiologiques d’intensité variable, dans lesquels l’utilisation d’une ou plusieurs substances psychoactives devient hautement prioritaire. Les caractéristiques essentielles sont le désir obsessionnel de se procurer et de prendre la ou les substances en cause et leur recherche permanente. L’état de dépendance peut aboutir à l’auto administration de ces substances à des doses produisant des modifications physiques ou comportementales qui constituent des problèmes de santé publique » [58].
Les types de dépendance
Dépendance psychique
Elle se traduit par l’apparition de symptômes psychologiques lors de l’arrêt ou la réduction abrupte de la consommation d’une substance psychoactive. Ceux-ci sont caractérisés par une préoccupation émotionnelle et cognitive liée aux effets du psychotrope et par un désir obsédant et persistant de reprendre de nouveau la substance « le craving ». La dépendance psychique peut être à l’origine de rechute même après plusieurs années d’abstinence [3].
Dépendance physique
Elle se caractérise par l’existence d’un syndrome de sevrage marqué par l’apparition de manifestations physiques ou symptômes de manque, et par l’existence d’une tolérance qui se traduit par une augmentation progressive de la consommation quotidienne [110].
Critères de la dépendance
Dans le DSM-IV [annexe 2], comme dans la CIM-10 [annexe 3], les critères diagnostiques de la dépendance communs à l’ensemble des substances psychoactives n’impliquent pas la présence nécessaire ou suffisante des items de sevrage et de tolérance, c’est le mode d’utilisation compulsif de la substance qui caractérise désormais la dépendance. Dans cette perspective, la dépendance ne concerne pas tant le produit, mais le sujet et elle ne peut être expliquée que par le seul potentiel pharmacologique d’une substance [104].
Classification pharmacologique des drogues
Une drogue (ou substance psychoactive) est un composé naturel ou synthétique, utilisé par une personne en vue de modifier son état de conscience ou d’améliorer ses performances [82].
1-Les sédatifs ou psycholeptiques
Dans ce groupe on trouve les opiacés : la morphine, l’opium, la codéine, l’héroïne, ainsi que des substances synthétiques telles que la méthadone. On y trouve aussi l’alcool et les benzodiazépines. Ces substances agissent de manière différente, mais toutes ont plus ou moins pour effet de diminuer l’activité du système nerveux. Elles provoquent la somnolence et rendent difficile l’activité respiratoire. Elles entraînent une sensation de détente et de rêve ainsi qu’une perte de l’inhibition [38]. [Annexe 4] L’arrêt de la consommation de ces substances chez un patient dépendant de la drogue se manifeste par les pupilles dilatées, l’augmentation de la fréquence respiratoire et du rythme cardiaque. Il se manifeste également par une transpiration excessive, une augmentation de la tension artérielle, une rhinite, des bâillements, des coliques gastro-intestinales, des douleurs dans tout le corps et dans les articulations, de la diarrhée, des nausées, et des vomissements [84].
2-Les stimulants ou psychoanaleptiques
Des substances, telles que la cocaïne, l’amphétamine, le tabac, appartiennent à ce groupe. Ces substances provoquent une augmentation de l’activité du système nerveux, qui se traduit par une hypersensibilité et une hyperexcitabilité. Ils favorisent temporairement un état d’éveil et d’excitation et réduisent également la fatigue. Ils induisent un faux sentiment d’assurance et de contrôle de soi. Ces effets sont souvent suivis d’épuisement, d’anxiété et de dépression. Des doses de stimulants élevées et l’abus prolongé entraînent une dilatation des pupilles, une augmentation de la fréquence du pouls et de la température, une pâleur et une sécheresse de la peau. En cas de manque apparaissent une forte somnolence, un appétit accru, une forte excitabilité [57].
3-Les hallucinogènes ou psychodysleptiques
Ce sont des substances telles que le cannabis, les solvants. Ces substances perturbent la perception de l’environnement et de la réalité. Elles altèrent aussi la perception du temps et de l’espace. De plus, la sensibilité aux couleurs et aux sons est exacerbée. À long terme, ils peuvent modifier la personnalité du consommateur de façon durable qui appréhende mal la réalité.
Elles ne provoquent pas de dépendance physique, mais la dépendance psychique est très forte. Chez les personnes qui consomment de telles substances, des hallucinations peuvent apparaître .
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Table des matières
INTRODUCTION
PREMIÈRE PARTIE: REVUE DE LA LITTÉRATURE
CHAPITRE 1 : GÉNÉRALITES SUR LES ADDICTIONS
I- Concept d’addiction
1-Définition
2-Diagnostic critériologique
3- Pharmacologie de l’addiction
3-1- Installation de l’addiction
3-2- Les circuits de l’addiction
II- Modes de consommation de substances psychoactives
1- Usages à risque
2- L’abus / usage nocif
3-La dépendance
3-1- Les types de dépendance
3-1-1- Dépendance psychique
3-1-2- Dépendance physique
3-2- Critères de la dépendance
III- Classification pharmacologique des drogues
1-Les sédatifs ou psycholeptiques
2-Les stimulants ou psychoanaleptiques
3-Les hallucinogènes ou psychodysleptiques
IV- La polyconsommation
1-Polyconsommation chez les patients non inclus au programme méthadone
2-Polyconsommation chez les patients sous méthadone
CHAPITRE 2 : TRAITEMENT DE SUBSTITUTION AUX OPIACÉS
I- La substitution
II- La Méthadone
1-Présentation
2-Pharmacologie de la méthadone
2-1- Propriétés pharmacodynamiques
2-2- Propriétés Pharmacocinétiques
3- Conditionnement
4- Durée du traitement
5- Indication
6- Surveillance clinique spécifique à la méthadone
6-1- Contrôles urinaires
6-2- Surveillance cardio-vasculaire
7- Interactions médicamenteuses
7-1- Associations contre-indiquées
7-2- Associations déconseillées
CHAPITRE 3 : LES COMORBIDITÉS RETROUVÉES DANS LES ADDICTIONS
I- Comorbidités somatiques
1- Les complications infectieuses
1-1-L’infection à VIH
1-2- L’hépatite C
1-3- L’hépatite B
1-4- Les complications cardio-vasculaires
1-5- Complications ostéo- articulaires
2- Les pathologies pulmonaires
3- Les pathologies dermatologiques
4- Complications dentaires
5- L’état nutritionnel
II- Comorbidités psychiatriques
DEUXIÈME PARTIE
I- Objectifs de l’étude
I-1- Objectif général
I-2- Objectifs spécifiques
II- Méthodologie
II-1-Cadre de l’étude
II-1-1- Objectifs du centre
II-1-2- Description du centre
II-1-3- Fonctionnement du centre
II-1-4- Contrat de soin
II-1-5- Circuit de prise en charge des patients non inclus au programme méthadone
II-1-6- Circuit de prise en charge des patients sous traitement de substitution aux opiacés par la méthadone
II-1-7- Délivrance de la méthadone
II-2- Matériels et méthodes
II-2-1- Matériels
II-2-2-Méthodes
III-RESULTATS
III-1- Population totale
III-1-1-Tranches d’âges
III-1-2- Sexe des patients
III-1-3- Activité professionnelle
III-1-4- Situation matrimoniale
III-1-5- Substances psychoactives prises
III-1-6- Sérologie virale
III-2- Patients sous méthadone
III-2-1- Prise de méthadone
III-2-2- Age des patients sous méthadone
III-2-3- Sexe des patients sous méthadone
III-2-4- Activité professionnelle des patients sous méthadone
III-2-5- Statut matrimonial des patients sous méthadone
III-2-6- Sérologie virale des patients sous méthadone
III-2-7- Dose moyenne de méthadone
III-2-8- Motif de consultation pour les comorbidités somatiques et psychiatriques
III-2-9- Pathologies retrouvées chez les patients sous méthadone
III-2-10- Prise de Benzodiazépines avant et après inclusion au programme méthadone
III-3- Besoins en médicaments pour les pathologies somatiques chez les patients suivis au CEPIAD
III-4- Besoins en médicaments pour les pathologies psychiatriques chez les patients suivis au CEPIAD
IV- Discussion
1- Ensemble des patients suivis
1-1-Âge
1-2- Sexe
1-3- Situation matrimoniale
1-4- Profession
1-5- Sérologies virales
1-6- Substances psychoactives prises
2- Patients sous méthadone
2-1- Dose de méthadone
2-2- Âge
2-3- Sexe
2-4- Statut matrimonial
2-5- Profession
2-6- Sérologies virales
2-7- Prise de benzodiazépines
2-8- Pathologies rencontrées
CONCLUSION ET RECOMMANDATIONS
REFERENCES
ANNEXES