QUELQUES GÉNÉRALITÉS SUR LE PHÉNOMÈNE D’ÉMISSION ACOUSTIQUE
DÉFINITIONS
La norme européenne EN 1330-9 définit l’émission acoustique comme des phénomènes produisant des ondes élastiques transitoires par exemple par déformation plastique, propagation des fissures, érosion, corrosion, impact, fuite. Les ondes élastiques transitoires sont donc générées par des micro-déplacements locaux internes au matériau.
Nous rapportons ici les termes principaux décrits dans la norme précédemment citée ainsi que les termes spécifiques relatifs aux capteurs utilisés pour la détection des phénomènes d’émission acoustique.
Événement d’émission acoustique : Phénomène physique générant une émission acoustique.
Source d’émission acoustique : Élément spatial qui constitue l’origine d’un ou plusieurs événements d’émissions.
Onde d’émission acoustique : Ondes élastiques transitoires générées par la libération d’énergie dans un matériau ou par un processus.
Capteur d’émission acoustique : Dispositif qui transforme le mouvement des particules associé à une onde élastique en un signal électrique.
Couplant d’émission acoustique : Matériau utilisé pour l’interface objet-capteur afin d’améliorer la transmission d’ondes d’émission acoustique sur l’interface.
Signal d’émission acoustique : Signal électrique provenant d’un capteur d’émission acoustique produit par l’onde d’émission acoustique.
Salve : Signal d’émission acoustique ayant un début et une fin identifiable.
Émission de la salve (émission discrète) : Occurrence des événements d’émission acoustique qui peuvent être séparés dans le temps.
Émission continue : Occurrence des événements d’émission acoustique qui ne peuvent pas être séparés dans le temps.
Voie d’émission acoustique : Ensemble composé du capteur unique d’émission acoustique et de l’instrumentation associée des mesurages et du traitement.
Sensibilité du capteur d’émission acoustique : Relation entre le déplacement de l’onde d’émission acoustique à l’emplacement du capteur et la puissance électrique du capteur d’émission acoustique.
BRÈVE HISTOIRE DE L’ÉMISSION ACOUSTIQUE
L’émission acoustique (EA) est un phénomène naturel courant (craquement des roches, des os, des couches inférieures de neige, …) et son utilisation pour le contrôle non-destructif est probablement aussi vieille que la poterie. Vers le VIIe millénaire av. J.-C., les potiers utilisaient déjà le phénomène d’émission acoustique dans le domaine des fréquences audibles pour déterminer la qualité de leur production en écoutant les craquements des céramiques refroidissant dans le four [5]. Dans les métaux, l’un des premiers exemples d’émission acoustique est le « cri de l’étain », ce petit craquement audible lorsque ce matériau est plié. Cette manifestation de l’EA est connue depuis l’antiquité mais sa première observation documentée n’apparaît qu’au huitième siècle avec l’ouvrage summa perfectionis magisterii. Toutefois, ce n’est qu’en 1916 que Czochralski relie le cri de l’étain au phénomène de maclage c’est-à-dire à la déformation plastique qui se crée lors du refroidissement de certains matériaux cristallisés [6]. En 1923, Portevin et Le Chatelier observent « un petit bruit sec, parfois perceptible à plusieurs mètres de distance » qui accompagne une déformation hétérogène [7]. Par la suite, de nombreux travaux sont menés dans le domaine de l’audible jusqu’aux travaux sur l’émission acoustique dans le domaine ultrasonore réalisés par Joseph Kaiser [8] en 1950, marquant ainsi les débuts de l’émission acoustique moderne. Lors d’essais hydrostatiques menés sur l’enveloppe des propulseurs des fusées Polaris en 1961, Allen T. Green, Charles S. Lockman et Richard K. Steele remarquent que des sons audibles accompagnent systématiquement les essais. Ils décident donc d’instrumenter la structure en utilisant des microphones pour détecter, enregistrer et analyser les signaux acoustiques. En 1965, en collaboration avec la NASA, ils instrumentent un réservoir Thiokol SL-1 de 6.6 m de diamètre qui échoue lors d’un test hydraulique. Lors de l’analyse des enregistrements d’émission acoustique, ils déterminent précisément le début du phénomène de fissuration ainsi que sa propagation et, avec l’aide d’algorithmes de triangulation, déterminent à 0.3 m près le lieu de l’événement [9]. La prédiction de l’apparition d’un défaut critique ainsi que sa localisation marquent le début des contrôles industriels par émission acoustique. L’utilisation du contrôle par émission acoustique pour la surveillance en service des réacteurs nucléaires fut immédiate et l’US Atomic Energy Commission subventionna en 1966 un programme de recherche aboutissant au développement par Phillips Petroleum Company d’un système instrumental permettant de détecter, localiser et caractériser un défaut naissant.
PRINCIPES GÉNÉRAUX D’UN CONTRÔLE PAR ÉMISSION ACOUSTIQUE
L’émission acoustique présente certaines particularités par rapport aux techniques ultrasonores classiques. En effet, la source d’EA n’est pas contrôlée par l’opérateur et survient, par exemple, par un mécanisme d’endommagement tel que la propagation d’une fissure.
L’utilisation d’un réseau de capteurs permet une surveillance passive d’une structure dans son intégralité. Bien qu’un réseau de capteurs et son appareillage puissent sembler contraignants à utiliser, les capteurs d’émission acoustique (que nous décrirons dans la section II de ce chapitre) sont peu coûteux, simples d’utilisation et de mise en œuvre, faisant de cette méthode un choix incontournable pour le suivi des structures en fonctionnement.
Contrairement aux techniques ultrasonores, l’EA ne permet pas de détecter des défauts non évolutifs. En effet, de tels défauts n’engendrent pas de libération spontanée d’énergie et ne seront donc pas détectés. Afin que ces événements surviennent, il est nécessaire que la structure soit soumise à une sollicitation (mécanique, chimique, thermique, …).
Un opérateur peut observer deux types de signaux d’émission acoustique. On peut distinguer l’émission continue (ou pseudo-continue) et l’émission discrète.
◆ L’émission continue se traduit par une augmentation apparente du bruit de fond due à des salves trop fréquentes pour être discernables. Dans les matériaux métalliques, ce type d’émission intervient généralement en présence de mouvements de dislocation.
◆ L’émission discrète quant à elle, est constituée d’événements transitoires d’énergie importante et se traduit généralement sous la forme d’ondes sinusoïdales amorties (pour les capteurs résonants utilisés dans la pratique industrielle).
Parmi ces deux formes d’émission , la plus exploitée dans les contrôles industriels est l’émission discrète. En effet, l’émission continue est faiblement énergétique et son utilisation dans un milieu industriel bruyant est délicate. Un contrôle par émission acoustique peut être séparé en trois parties distinctes dont la modélisation présente, pour chacune d’entre elles, des échelles spatiales différentes : la source de l’émission acoustique, la propagation de l’onde émise et sa détection. Les microdéplacements locaux internes à la structure et formant la source de l’EA, sont de l’ordre du micromètre tandis que la propagation de l’onde est souvent de l’ordre du mètre dans la pratique. Enfin, la détection fait intervenir des géométries de capteurs dont les dimensions sont de l’ordre de quelques millimètres.
Mécanismes sources d’émission acoustique
Les causes de défaillances dans une structure soumise à une sollicitation peuvent être nombreuses [10]. Nous pouvons par exemple citer les déformations plastiques, la fatigue, la création de fissures, etc. Toutefois, nous pouvons distinguer trois grandes catégories [3], [11] : les sources d’origines mécaniques, c’est-à-dire les systèmes évoluant sous une sollicitation mécanique, les sources dues à des processus physico-chimiques et les sources artificielles. Les sources artificielles tout d’abord, sont utilisées dans le cadre de l’étalonnage des capteurs ou pour des expériences en laboratoire. Ce type de sources peut être de toute sorte comme par exemple un autre capteur d’EA utilisé en tant qu’émetteur (classiquement utilisé dans la calibration par réciprocité) ou encore des sources Hsu-Nielsen [12], aussi appelé P.L.B. pour Pencil Lead Break qui consistent à venir briser une mine de crayon sur une pièce. Cette dernière est très utilisée de par sa simplicité de mise en œuvre et sa reproductibilité. Une étude paramétrique basée sur des simulations éléments-finis de cette source a été menée par M.G.R. Sause [13] et permet de mieux cerner l’influence du diamètre de la mine de crayon ou de l’angle d’incidence entre le crayon et la pièce sur les ondes élastiques que cette source émet. En l’absence de sollicitation mécanique, l’émission acoustique peut être générée par plusieurs processus tels que l’apparition de microfissures suite à un changement de phase induit par un traitement thermique, différents types de corrosion (généralisée, caverneuse, etc.), la formation et le déplacement de bulles,… Lorsqu’une structure est soumise à une sollicitation mécanique, différents mécanismes d’endommagement peuvent générer de l’émission acoustique. Ces mécanismes sont fonction du matériau constitutif de la structure et sont généralement répartis en trois catégories :
➤ L’émission acoustique dans le béton peut être engendrée par des microfissurations du liant, des décohésions entre le liant et l’agrégat ou encore par la rupture des agrégats. Ce type d’EA est très utilisé en génie civil pour détecter des défaillances dans des structures critiques telles que les ponts.
➤ Les sources d’émission acoustique dans les matériaux composites sont principalement dues à des ruptures de fibres, des délaminages intermédiaires, des décollements de l’interface fibre/matrice ou encore des fissurations de la matrice.
➤ Enfin, dans les matériaux métalliques, les mécanismes potentiellement émissifs peuvent être des mouvements de dislocation, la création et la propagation de fissure ou encore des phénomènes de clivage.
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Table des matières
Introduction
Chapitre 1. Généralités sur l’émission acoustique et ses capteurs
I. Quelques généralités sur le phénomène d’émission acoustique
I.1 Définitions
I.2 Brève histoire de l’émission acoustique
I.3 Principes généraux d’un contrôle par émission acoustique
I.3.1 Mécanismes sources d’émission acoustique
I.3.2 Propagation des ondes élastiques
I.3.3 Détection des événements et traitement des signaux
II. Présentation générale des capteurs d’émission acoustique
II.1 Différents types de capteurs
II.2 Détails sur les capteurs piézoélectriques
II.2.1 Capteurs piézoélectriques large bande
II.2.2 Capteurs piézoélectriques résonnants
II.3 Calibration des capteurs d’émission acoustique
II.3.1 Étalonnage absolu
II.3.2 Étalonnage relatif
III. Conclusion
Chapitre 2. Réponse d’un capteur par le principe de réciprocité
I. Formulation du principe de réciprocité pour des systèmes élastodynamiques
I.1 Élastodynamique linéaire des solides
I.2 Théorème de réciprocité élastodynamique
II. Formulation du principe de réciprocité pour des systèmes piézoélectriques
II.1 Piézoélectricité
II.2 Établir la relation de réciprocité électromécanique
II.2.1 Termes élastodynamiques
II.2.2 Termes électriques
II.2.3 Couplages des termes élastiques et électriques
II.3 Simplification des termes électriques
III. Détermination de la fonction de sensibilité d’un capteur EA par le principe de réciprocité
III.1 Formulation exacte de la sensibilité d’un capteur
III.2 Formulation approchée de la sensibilité d’un capteur
IV. Conclusion
Chapitre 3. Configurations simplifiées pour le calcul de la réponse des capteurs en émission
I. Modèle unidimensionnel : Méthode de Thomson-Haskell
I.1 Matrices de transfert pour les solides isotropes
I.1.1 Décomposition du champ de déplacement
I.1.2 Superposition d’ondes planes dans un milieu stratifié
I.1.3 Matrice de transfert d’une couche de solide isotrope
I.2 Conditions aux limites
I.2.1 Déplacement imposé et condition de surface libre en sortie du système
I.2.2 Cas d’application : imposition d’une contrainte en entrée et d’un milieu semiinfini en sortie du système
I.3 Matrice de transfert d’une couche de piézoélectrique
I.4 Validation numérique du modèle de Thomson Haskell
I.5 Description d’un capteur d’émission acoustique par la méthode de ThomsonHaskell
II. Simulation d’une pastille piézoélectrique sans boîtier
II.1 Résonances au centre de la pastille
II.2 Rapport des composantes normales et tangentielles du déplacement et de la traction d’une pastille piézoélectrique
II.3 Comparaison de la réponse du capteur calculées par le modèles simplifiés et par éléments finis
II.3.1 Composantes élastodynamiques normales au centre de la face avant
II.3.2 Moyennes du déplacement et de la traction sur la face avant
II.3.3 Intensité électrique
II.3.4 Réciprocité au centre du capteur
II.3.5 Quantités élastodynamiques et électriques pour deux piézoélectriques différents
III. Conclusion
Chapitre 4. Configurations réalistes pour le calcul de la réponse des capteurs en émission
Conclusion