On estime que 350 millions de personnes sont exposées au risque de contracter la leishmaniose et quelque 2 millions de nouveaux cas se déclarent chaque année dans 88 pays (1). Cette situation a d’autant plus d’importance que les co-infections Leishmania-VIH sont fréquentes dans plusieurs régions, surtout dans le bassin méditerranéen (Espagne, Italie, France et Portugal) et le Brésil, mais aussi de plus en plus en Afrique. Chez les patients immunosupprimés et notamment ceux ayant le SIDA, les leishmanioses sont moins aisément contrôlées et la leishmaniose viscérale accélère le développement du SIDA et diminue l’espérance de vie des patients. Au cours des dix dernières années, des avancées scientifiques majeures ont été réalisées dans le traitement, le diagnostic et la prévention de la leishmaniose et le prix de plusieurs médicaments de première importance a reculé (1). Ces progrès facilitent la mise en place de programmes nationaux et régionaux de lutte susceptibles de s’inscrire dans la durée mais ceux qui fonctionnent sont encore rares et l’on observe une inquiétante tendance à l’accroissement dans la morbidité et la mortalité dues à la leishmaniose.
Une grande variété de thérapies pour la leishmaniose cutanée existe, mais de toute évidence, il reste à trouver un traitement qui soit simple et efficace avec un profil d’effets secondaires acceptables. Plusieurs agents topiques dont le principe actif est la paromomycine ont été étudiés pour traiter la leishmaniose cutanée. Une nouvelle formulation (WR 279 396) contient en outre de la gentamicine qui a montré dans des modèles animaux de leishmaniose cutanée une potentialisation de l’efficacité de la formulation de crème à base de paromomycine .
Généralités sur le parasite Leishmania
Historique de la leishmaniose cutanée
Les premières descriptions d’ulcérations cutanées de la face pourraient remonter au troisième millénaire avant notre ère . Des céramiques précolombiennes, de la culture Moche, représentent des visages avec des lésions de la face et des déformations faciales .
Le parasite Leishmania fut découvert par Sir William Leishman en 1900 dans des frottis de la rate d’un soldat mort de fièvre à Dum-Dum en Inde. Alors qu’il publiait ses résultats en 1903, Charles Donovan identifia le même parasite dans une biopsie de rate. Le parasite fut nommé Leishmania donovani en leur honneur et la forme amastigote du parasite est communément appelée corps de Leishman-Donovan. Les premiers cas correctement décrits de leishmaniose tégumentaire ou « bouton d’orient » le furent par Guilhou en 1833. En 1903, Wright étudia le parasite provenant d’une lésion d’un enfant arménien mais le parasite fut considéré comme une microsporidie. Il faut attendre 1908 pour que Nicolle et Sicre confirment que le parasite étudié par Wright était comparable au niveau morphologique avec celui décrit par Leishman-Donovan. En 1911, Vianna dénomma Leishmania braziliensis un parasite qu’il avait observé comme étant responsable de lésions cutanées et cutanéo-muqueuses. Deux ans plus tard, la « Uta » fut déterminée par la Commission de Harvard comme étant une leishmaniose provoquant des ulcères cutanés. Dans la décennie des années 1950, Biagi détermina L. braziliensis comme étant responsable de la forme « espundia » et détermina L. mexicana comme étant responsable des ulcères de pavillon de l’oreille (ulcères des « chicleros »). A la même période, Floch décrivit L. guyanensis et Medina et Romero déterminèrent L. pifanoi. (3). Ce n’est qu’à partir des années 1970, grâce à l’analyse isoenzymatique, que furent identifiées les différentes espèces responsables des leishmanioses cutanées .
Taxonomie
Ce protozoaire flagellé est transmis par un vecteur arthropode, la mouche des sables ou phlébotome et infecte les vertébrés, principalement les mammifères, dont l’Homme. Il appartient au domaine des Eukaryota, au règne des Excavata, à l’embranchement des Euglenozoa, à la classe des Kinetoplastida, à l’ordre des Trypanosomatida et à la famille des Trypanosomatidae. Bien qu’il n’y ait qu’un genre appelé Leishmania, on différencie deux sous-genres, Leishmania et Viannia, selon que le parasite se développe dans la partie centrale ou postérieure de l’intestin du vecteur respectivement. Le genre Leishmania est composé de plusieurs espèces qui, bien qu’elles soient toutes de morphologie similaire, causent une panoplie de manifestations cliniques allant d’affectations cutanées qui guérissent spontanément à des infections viscérales fatales en passant par des exacerbations inflammatoires causant de graves défigurations. On regroupe habituellement les espèces de Leishmania en complexes selon la similarité biochimique de leurs iso-enzymes .
le parasite
Les Leishmania sont des protozoaires flagellés Elles présentent au cours de leur cycle de développement deux stades morphologiques successifs.
le stade amastigote
La forme amastigote se présente comme un petit corpuscule arrondi ou ovalaire de 2 à 6 µm de diamètre, possédant un noyau, un kinétoplaste et un flagelle interne. La forme amastigote se retrouve à l’intérieur des cellules du système de phagocytes mononuclés du vertébré mammifère.
le stade promastigote
La forme promastigote présente un corps long (15-25 µm) et mince (2 µm), avec un noyau central, un kinétoplaste et un long flagelle libre antérieur. Ce stade flagellé est libre dans le tube digestif du phlébotome vecteur .
Cycle de vie et morphologie
Le parasite Leishmania suit un cycle de vie dimorphique et dixène c’est à dire qui nécessite deux hôtes, le phlébotome (dit mouche des sables) et un mammifère . Lorsqu’une femelle phlébotome infectée prend un repas sanguin chez un hôte mammifère, elle salive au site de piqûre et régurgite par la même occasion le parasite sous sa forme promastigote. Il est alors très mobile grâce à un flagelle situé en position antérieure. Ce promastigote pénètre alors un phagocyte (principalement un monocyte/macrophage) du système réticulo-endothélial se transformant alors en amastigote. L’amastigote est ovoïde ou sphérique, de 2,5 à 5 μm de diamètre avec un très court flagelle et n’est plus mobile. S’en suit une multiplication du parasite par fission binaire dans le phagolysosome du phagocyte qui est finalement lysé. Les parasites ainsi libérés sont phagocytés par d’autres cellules monocytaires de proximité dans lesquelles le processus se poursuit. Le cycle est complété lorsqu’une mouche prend un repas sanguin au site d’infection et aspire des phagocytes contenant Leishmania. Un fois dans le tube digestif de l’arthropode, les parasites se différencient à nouveau en promastigotes après 12 à 18 heures. Ils sont d’abord au stade procyclique où ils se divisent activement mais ne sont pas infectieux. Des promastigotes plus allongés et mobiles, appelés nectomonades, commencent à apparaître après 4 jours et s’attachent aux microvillosités des cellules épithéliales de l’intestin médian par leur flagelle. À partir du jour 7, les parasites migrent vers la partie antérieure de l’intestin médian jusqu’à la valve du stomodaeum qui sépare l’intestin médian de l’avant du système digestif. Les nectomonades se transforment alors en haptomonades qui sont plus petits et plus arrondis et en promastigotes métacycliques qui eux, ne se divisent plus, sont plus minces avec un long flagelle et hautement mobiles. C’est cette forme qui est infectieuse pour les mammifères. La valve du stomodaeum se dégrade et permet la migration des métacycliques vers l’œsophage, le pharynx et le proboscis. On pense que ce sont ces parasites qui sont transmis au mammifère lors du repas sanguin.
Les différents stades du parasite Leishmania peuvent être identifiés selon leur morphologie ou leur emplacement dans le tube digestif du vecteur mais également selon les molécules qui composent leur surface. Les promastigotes sont recouverts d’un glycocalyx variant entre 7 nm chez les procycliques et 17 nm pour les métacycliques alors que les amastigotes en sont presque complètement dépourvus . Ce manteau est constitué de composés glycosylés et de protéines ayant tous une ancre de glycosylphosphatidylinositol (GPI).
Chez les promastigotes, la molécule de surface la plus abondante est le lipophosphoglycane (LPG). Sa structure varie d’une espèce de Leishmania à l’autre mais est principalement composée d’unités répétées d’un disaccharide et d’un phosphate suivant l’ancre de GPI. Les espèces se différencient par la présence de chaînes latérales de glycanes, ainsi que par la composition et la situation de celles-ci sur la structure de base du LPG. Le LPG de L. major, par exemple, est très ramifié alors que celui de L. donovani ne l’est pas. Cette molécule de surface est très importante pour l’infection des mouches des sables et joue un rôle dans l’interaction avec les monocytes/macrophages de l’hôte mammifère. La deuxième molécule d’importance chez le promastigote est la glycoprotéine gp63. C’est une métalloprotéase qui requiert la présence de zinc et qui a une grande variété de substrats tels la caséine, la gélatine, l’albumine, l’hémoglobine et le fibrinogène. Elle est environ 10 fois moins abondante que le LPG mais tout comme lui, elle recouvre entièrement la surface du parasite. Etant plus petite, la gp63 semble ensevelie sous le LPG. Une autre classe de glycolipides ayant une ancre GPI est le phospholipide de glycosylinositol (GIPL). Ces molécules sont 10 fois plus abondantes que le LPG et de petit poids moléculaire. Ayant une longue demi-vie, elles joueraient un rôle de protection de la surface du promastigote puisque le LPG est éliminé continuellement. Il existe également d’autres protéines de surface du parasite comme celles du complexe gp46/PSA-2 qui possèdent une ancre GPI. Finalement, certaines molécules peuvent être sécrétées par le parasite telles les phosphatases acides et les protéophosphoglycanes (PPG). Les phosphatases acides sont des enzymes hydrolytiques qui semblent jouer un rôle dans la résistance du parasite à son hôte de même que dans sa pathogénicité et sa nutrition.
Pour ce qui est des molécules retrouvées à la surface des amastigotes, on observe deux différences majeures : une diminution marquée de l’expression du LPG et une diminution (moindre que celle du LPG) de la gp63.
Le vecteur
Phlebotomus papatasi a été le premier phlébotome découvert. Il a été initialement décrit en 1786 comme Bibio papatasi par Scopoli. Le nom de l’espèce vient de l’italien vernaculaire ‘pappataci’, ce qui signifie une buveur silencieux (5). Le phlébotome Phlebotomus papatasi est d’un intérêt particulier car il joue un rôle clé dans un certain nombre de maladies qui affectent les humains .
Taxonomie
Les phlébotomes appartiennent à l’embranchement des Arthropodes, classe des Insectes, Ordre desDiptères, sous-ordre des Nématocères, famille des Psychodidae et à la sous-famille des Phlebotominae. Selon Lewis et al., (1977), la sous-famille des Phlebotominae comprend cinq genres, les genres Phlebotomus et Sergentomyia dans l’Ancien Monde, et les genres Lutzomyia, Warileya et Brumptomyia dans le Nouveau Monde. Ultérieurement, le genre Chinius est décrit par Leng, 1987. En 1991, Artemiev a proposé 24 genres, élevant certains sous genres au rang de genres et en créant de nouveaux. Léger et Depaquit (1999) en retiennent 13, en se basant sur des arguments morphologiques et biogéographiques. Il existe 700 espèces de phlébotomes parmi lesquelles une trentaine serait de possibles vecteurs .
Epidémiologie
Dans l’Ancien monde, les phlébotomes du genre Phlebotomus sont principalement responsables de la transmission de la leishmaniose (7) , alors que la transmission dans le Nouveau monde se fait généralement par les phlébotomes du genre Lutzomya (8). Les rongeurs (tels les mérions) et d’autres animaux comme les canidés constituent des réservoirs de Leishmania. Via leur piqûre, les phlébotomes femelles transmettent aux Hommes les agents pathogènes provenant d’animaux infectés alors que les mâles se nourrissent de nectar de plante. Les phlébotomes sont également des vecteurs pour la bartonellose, la verruga peruana et la fièvre pappataci.
Morphologie
Les phlébotomes sont des diptères hématophages présentant un corps grêle et allongé de petite taille, de 1 à 3 mm de long. Le corps d’une couleur jaune terne au noir, ainsi que les ailes ont un aspect velu. La tête forme un angle de 45° avec le corps donnant à l’insecte une allure bossue. La tête est formée en grande partie par une capsule chitineuse (épicrane), limitée de chaque côté par un grand œil composé. Sur la région frontale s’insèrent deux antennes formées chacune de 16 segments : deux segments basaux, et 14 segments beaucoup plus longs et minces, constituant le flagellum. L’ensemble des pièces buccales forme une trompe courte. Seules les femelles portent des mandibules dentelées (9). Le thorax porte une paire d’ailes et des balanciers qui assurent l’équilibration de l’insecte pendant le vol. Les ailes sont lancéolées et comprennent sept nervures longitudinales et des nervures transverses. Sur chacun des trois segments thoraciques fusionnés est insérée une paire de pattes articulées, longues, fines et couvertes de soies. L’abdomen est composé de dix segments. Les trois derniers sont modifiés pour constituer le génitalia (10). Chez le mâle, l’armature génitale très développée (Figure 9 C) se compose de trois paires de prolongements: une paire de coxites sur lesquels s’articulent les styles ; une paire de pièces médianes, les paramères naissant à la base des coxites ; une paire de prolongements ventraux appelés lobes latéraux et enfin, soudés à la partie interne de ces derniers, deux lames membraneuses, les lamelles sous-médianes entre lesquelles s’ouvre l’anus. Entre les paramères, se situent les fourreaux ou gaines du pénis protégeant deux filaments génitaux. Chez la femelle, l’appareil génital interne se compose de trois organes pairs: deux ovaires, deux glandes annexes et deux spermathèques . Ces spermathèques sont formées chacune d’une capsule chitineuse, de morphologie variable, suivie d’un conduit plus ou moins long, qui vient déboucher dans l’atrium génital. L’armature génitale du mâle, les spermathèques et l’armature buccale de la femelle varient dans leur morphologie et sont utilisés dans l’identification et la classification des espèces .
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Table des matières
INTRODUCTION
1. Généralités sur le parasite Leishmania
1.1 Historique de la leishmaniose cutanée
1.2 Taxonomie
1.3 le parasite
1.3.1 le stade amastigote
1.3.2 le stade promastigote
1.3.3 Cycle de vie et morphologie
1.3.4 Le vecteur
1.3.4.1 Taxonomie
1.3.4.2 Epidémiologie
1.3.4.3 Morphologie
1.3.4.4 cycle de vie
2 Epidémiologie de la leishmaniose
2.1 En France
2.2 Aux Etats-Unis
2.3 Dans le monde
2.4 Conséquences sur l’épidémiologie des différences ethniques, sexuelles et liées à l’âge
3 Clinique
3.1 La leishmaniose cutanée
3.1.1 Maladie cutanée localisée
3.1.2 La leishmaniose cutanée diffuse
3.1.3 La leishmaniose récidivante
3.1.4 La leishmaniose cutanée post Kala azar
3.2 Leishmaniose cutanéo-muqueuse (LCM)
4 Diagnostic
4.1 La leishmaniose cutanée
4.2 Leishmaniose viscérale
4.3 Résumé de la nature des échantillons prélevés pour le diagnostic
4.3.1 Préparation de la peau
4.3.2 Biopsies
4.3.3 Frottis de tissus
4.3.4 Aspiration à l’aiguille
4.4 Examen des prélèvements au laboratoire
4.4.1 Les résultats histologiques
4.4.1.1 identification de l’organisme
4.4.1.2 Maladie cutanée
4.4.2 Cultures tissulaires
4.4.3 Polymerase Chain Reaction (PCR)
4.4.4 Test cutané à la leishmanine (Monténégro Test)
5. Traitements
5.1 Considérations générales
5.1.1 Quand traiter
5.1.2 Gestion individualisée
5.1.3 Les options de traitement
5.1.4 Immunisation
5.2 Pharmacothérapie
5.2.1 Agents antimoniés pentavalents antiparasitaires
5.2.1.1 Posologie et administration
5.2.1.2 Leishmaniose viscérale
5.2.1.3 Leishmaniose cutanée
5.2.1.4 Leishmaniose cutanée à L. braziliensis
5.2.1.5 Leishmaniose cutanéo-muqueuse à L. braziliensis
5.2.1.6 Leishmaniose tégumentaire diffuse à L. amazonensis
5.2.2 L’amphotéricine B
5.2.2.1 Mécanisme d’action
5.2.2.2 Posologie et administration
5.2.2.3 Précautions
5.2.2.4 Effets indésirables
5.2.3 Miltéfosine orale
5.2.3.1 Mécanisme d’action
5.2.3.2 Posologie
5.2.3.3 Précaution d emploi
5.2.4 Pentamidine intramusculaire
5.2.4.1 Mécanisme d’action
5.2.4.2 Posologie et administration
5.2.4.3 Précautions
5.2.4.4 Effets indésirables
5.2.5 D’autres agents
5.2.5.1 La dapsone (Disulone®)
5.2.5.3 Le fluconazole (Triflucan®)
5.2.5.4 L’itraconazole (Sporanox®)
5.2.5.5 L’allopurinol (Zyloric®)
5.2.5.6 Antibiotiques
5.2.5.7 La paromomycine
5.3 Prise en charge de la leishmaniose cutanée
5.3.1 Miltéfosine orale
5.3.2 Topique à la paromomycine
5.3.2.1 Etudes sur les topiques à la paromomycine
5.3.2.2 innovation et WR 279396
5.3.2.3 application
5.3.2.4 Limites du WR 279396
5.3.3 Autres agents et modalités thérapeutiques
5.4 Prise en charge des leishmanioses cutanéo-muqueuses
5.5 Intervention chirurgicale
5.6 Surveillance à long terme
5.7 Prévention
5.7.1 L’immunité après l’infection
5.7.2 Vaccination
5.7.3 Autres mesures
Conclusion