Généralités sur l’antibiothérapie et l’antibiorésistance
Historique de l’antibiothérapie
Le mot antibiotique vient du grec anti : « contre », et bios « la vie ». Ce sont des molécules qui peuvent être naturelles ou synthétiques, qui détruisent ou bloquent la croissance des bactéries. Des antibiotiques naturels sont utilisés en médecine depuis plus de 2000 ans. Les Egyptiens, les Grecs de l’Antiquité et les Chinois utilisaient certaines plantes et moisissures pour combattre certaines infections (comme des pâtes moisies destinées à soigner les plaies). Au XIXème siècle, plusieurs scientifiques (comme Pasteur, Joubert et Vuillemin) avaient déjà remarqué que certains micro organismes étaient capables d’inhiber ou de combattre certaines maladies. C’est au début des années 1900 que les scientifiques s’attaquent aux grandes infections que sont la syphilis, la tuberculose et la typhoïde qui font des ravages dans la population. Les découvertes scientifiques sont permises par les avancées de la microbiologie, de la médecine et de la chimie organique .
C’est avec la syphilis que les premiers résultats furent enregistrés. Jusqu’à la fin du XIXème siècle, le traitement reposait sur les sels de mercure et l’iodure de potassium. Un médecin allemand, Paul Ehrlich, travaille alors sur les sels d’arsenic. Il met au point, en 1910, une molécule efficace sur la syphilis et mieux tolérée : le Salvarsan (qui restera le traitement de référence jusqu’à l’arrivée de la pénicilline). Par la suite, Paul Ehrlich s’intéressera aux propriétés anti-infectieuses de certains colorants. Ces travaux seront suivis au début des années 30 par Gerhard Domagk qui découvre le premier sulfamide : le Prontosil. Plusieurs milliers de molécules sont alors développées, et jusqu’aux années 40, les sulfamides règnent en maitre sur l’antibiothérapie [6]. En 1939, Dubos, biologiste français, isole la gramicidine, une substance naturelle capable d’inhiber l’ensemble des bactéries Gram positif : c’est le premier antibiotique naturel. Ses travaux ont été malheureusement éclipsés par l’arrivée en masse des sulfamides [6]. Mais c’est le plus souvent les travaux d’Alexander Fleming qui sont retenus. En 1927, en rentrant de vacances, il observe qu’une colonie de champignons (Penicillium notatum) s’est développée par hasard au sein d’une culture de staphylocoques dont elle a inhibé la croissance. Mais il n’arrive pas à extraire la substance responsable de cette propriété antibactérienne. C’est en 1940 avec Howard Florey (microbiologiste australien) et Ernst Chain (chimiste allemand) que la production de pénicilline débuta : cent milligrammes ! Les premiers essais sur la souris sont concluants mais ils disposent de trop petites quantités pour que son utilisation se répande [6]. La pénicilline est très difficile à isoler et à produire. En pleine guerre mondiale, la Grande-Bretagne (où travaillaient Fleming, Florey et Chain) ne peut fournir des efforts industriels suffisants. Ce sont les Etats-Unis qui prennent alors le relais avec une nouvelle levure: Penicillium chrysogenum. Elle produit deux cent fois plus de pénicilline que la précédente. Les laboratoires Pfizer lancent la production en grande quantité à partir de septembre 1943, ce qui permit de sauver de nombreuses vies pendant cette période de guerre. Elle rentrera en masse en Europe après le débarquement de Normandie. Pour leurs travaux, Fleming, Florey et Chain ont reçu le prix Nobel de médecine en 1945. L’OMS estime que les antibiotiques ont permis d’allonger l’espérance de vie des occidentaux de 10 ans [6]. C’est alors l’âge d’or des antibiotiques, où des maladies infectieuses alors incurables deviennent curables.
Déjà, la notion de risque d’antibiorésistance apparait dans la bouche d’Alexander Flemming en 1945 lors de la remise de son prix Nobel « Le jour viendra où n’importe qui pourra acheter de la pénicilline en magasin. Alors il existera un danger pour qu’un homme mal renseigné s’administre un traitement sous dosé et rende ses microbes résistants » [7]. Ce risque évoqué par Flemming prend forme et il déclare en 1954 : « dès le début, on a pensé que cela arriverait, mais au bout de 10 ans, la situation n’est pas si mauvaise… Les antibiotiques sont restés pourtant des armes très puissantes, sauf contre les staphylocoques, le plus puissant de tous les microbes » [8]. Dans les années 60, les antibiotiques sont omniprésents et selon le Dr Escoffier-Lambiotte : « les antibiotiques se sont répandus dans les foules comme le sucre ou l’aspirine, et on en trouve mêlés aux sirops, aux collyres, aux crèmes, aux suppositoires et aux cachets librement achetés en pharmacie » [9]. Ils sont aussi fréquemment introduits dans l’alimentation animale, dans un but d’augmentation de productivité. Pendant de nombreuses années, les découvertes d’antibiotiques s’enchainèrent et la commercialisation de nouvelles molécules permit de répondre aux impasses thérapeutiques générées par le développement des mécanismes de résistance. La découverte de nouveaux antibiotiques est désormais rare. On note 16 découvertes entre 1983 et 1987. De 2008 à 2012, ce nombre descend à 2 [10]. On remarque une baisse d’investissement des groupes pharmaceutiques. Les antibiotiques, dont la consommation est ponctuelle, sont devenus moins rentables pour l’industrie pharmaceutique, leur préférant les traitements contre les maladies chroniques. De plus, les nouvelles molécules étant le plus souvent réservées aux cas d’impasse thérapeutique, cela diminue la taille du marché. Il y a un décalage entre le défi croissant que sont les infections à BMR et le nombre de nouveaux antibiotiques pour y faire face [11]. Le problème des résistances est devenu un problème mondial, avec une prise de conscience des politiques au plus haut niveau. M. Vytenis Andriukaitis, commissaire européen chargé de la santé et de la sécurité alimentaire en 2017, a parfaitement résumé la situation actuelle : « La résistance aux antimicrobiens est une menace croissante à l’échelle mondiale ; si nous ne renforçons pas notre action et notre détermination pour la combattre aujourd’hui, elle pourrait s’avérer plus meurtrière que le cancer à l’horizon 2050 » .
Le fonctionnement des antibiotiques
Généralités
Les bactéries sont des micro-organismes invisibles à l’œil nu, constituées d’une seule cellule avec un vrai noyau et un seul chromosome sous la forme d’un long filament d’ADN replié sur lui-même. Des petits fragments d’ADN circulaires se trouvent dans le cytoplasme, ce sont les plasmides [1]. Il existe des milliers d’espèces de bactéries dans l’environnement. Certaines nous sont utiles comme celles de notre système digestif, mais d’autres sont pathogènes. Ces dernières ne représentent que quelques centaines d’espèces [1]. Les antibiotiques sont des substances chimiques, d’origine naturelle (bactérie, champignon, …) ou artificielle obtenues par synthèse chimique (partielle ou totale). Ils ont chacun un mode d’action spécifique. Ils peuvent avoir un effet bactériostatique (inhiber la multiplication) ou bactéricide (destruction) en fonction de leur concentration et de la durée de contact. Ils agissent au niveau d’une ou plusieurs étapes métaboliques, indispensables pour la bactérie. Ainsi, ils agissent sur : la synthèse protéique (macrolides, aminosides, tétracyclines), la synthèse des peptidoglycanes (beta-lactamines, glycopeptides, fosfomycine), la synthèse des acides nucléiques (rifamycines, quinolones), etc.… [13]. Les antibiotiques sont utilisés pour détruire des bactéries au sein de l’organisme, mais leur action n’est pas sélective : ils touchent les bactéries pathogènes mais aussi commensales. Et toutes ces bactéries ont une extraordinaire faculté d’adaptation : elles peuvent acquérir des résistances, par divers mécanismes. Ainsi toute administration d’antibiotiques a un impact sur la sélection bactérienne et sur la sélection des résistances .
L’activité antibactérienne
L’activité antibactérienne est définie in vitro par [13] :
• La Concentration minimale inhibitrice (CMI) : concentration minimale d’antibiotique avec laquelle aucune croissance bactérienne n’est visible après 24h d’incubation à 35°C.
• La Concentration minimale bactéricide (CMB) : concentration minimale d’antibiotique avec laquelle 99,9% des bactéries d’un inoculum standardisé à 10⁵-10⁶ bacteries/ml sont éliminées.
Le rapport CMB/CMI permet de caractériser l’activité d’un antibiotique :
• CMB/CMI ≤2 : bactéricide
• CMB/CMI de 4 à 16 : bactériostatique
• CMB/CMI > 16 : la bactérie est « tolérante » .
In vivo, trois catégories ont été retenues pour interpréter les tests de sensibilité délivrés par les antibiogrammes :
• Souches sensible (S) : la probabilité de succès thérapeutique est forte, avec une posologie recommandée par le Résumé des Caractéristiques du Produit (RCP).
• Souches intermédiaire (I) : le succès thérapeutique est imprévisible. Ces souches peuvent présenter un mécanisme de résistance dont l’expression in vitro est faible, mais qui in vivo peuvent résister au traitement. Mais ces souches peuvent aussi être détruites dans certaines conditions (fortes concentrations ou posologies accrues) car leur résistance est insuffisante pour entrer dans la catégorie (R). Cette catégorie est une zone médiane, qui tient compte des incertitudes techniques et biologiques.
• Souches résistantes (R) : la probabilité d’échec thérapeutique est élevée, quelle que soit la dose utilisée.
Cette classification évolue en fonction des connaissances et est la base de toute antibiothérapie adaptée à un antibiogramme.
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Table des matières
I. INTRODUCTION
II. PREMIERE PARTIE : généralités sur l’antibiothérapie et l’antibiorésistance
A. Historique de l’antibiothérapie
B. Le fonctionnement des antibiotiques
1. Généralités
2. L’activité antibactérienne
C. L’antibiorésistance
1. Généralités
2. Le support génétique
3. Mécanismes de résistance
4. Les bactéries multirésistantes : les BMR
5. Facteurs favorisant
6. Les niveaux d’impact
7. Evolution des résistances
D. Les actions menées
1. Au niveau mondial
2. Au niveau européen
3. Au niveau national
E. Connaissances du grand public
F. Consommation d’antibiotiques
1. Constat et évolutions
2. L’usage vétérinaire
G. Les conséquences de l’antibiorésistance
III. DEUXIEME PARTIE : l’étude
A. Objectifs
B. Matériel et méthode
1. Questionnaire
2. Démarche
C. Résultats et analyse de l’étude
1. Analyse brute
2. Analyse de l’étude
IV. DISCUSSION
A. Le juste usage des antibiotiques : des règles à respecter
1. Le rôle du médecin
2. Le rôle du pharmacien
3. Le rôle du vétérinaire
B. Les actions à développer
1. La prévention et le contrôle des infections
2. La promotion de la recherche
3. La formation des professionnels
4. Favoriser la communication entre les professionnels
5. Sensibilisation et éducation de la population
C. Proposition d’actions possibles
1. Restriction de l’utilisation des antibiotiques
2. L’utilisation des tests de dépistage
3. Des examens complémentaires plus systématiques
4. Un exemple à suivre
V. Conclusion
Bibliographie
Annexes