L’émail dentaire se forme avant l’éruption des dents. Il fait la beauté des dents et du sourire, cependant il est soumis à de nombreuses attaques tout au long de la vie (carie, traumatisme, érosion alimentaire…). Il peut aussi être altéré dès sa formation dans le cadre de maladies génétiques ou Amélogèse Imparfaite (AI) qui peuvent être purement dentaires (formes isolées), ou syndromiques. Les anomalies de l’émail sont causées par une variété de facteurs allant des défauts génétiques aux agents environnementaux. Les mutations génétiques associées à certains types d’émail ont été localisées, et plusieurs agents environnementaux, incluant les maladies médicales pouvant endommager l’émail, ont été identifiés. Les buts principaux de la prise en charge des anomalies de développement de l’émail sont un diagnostic précoce et une amélioration de l’apparence et de la fonction en préservant la dentition et en prévenant les complications.
L’amélogenèse imparfaite (AI) appartient au groupe des anomalies de développement dentaire, aussi connu sous le nom de dysplasie héréditaire, qui affecte le génome de l’individu et concerne au moins un des stades de la formation de l’émail. L’AI est, en général, un désordre héréditaire avec un impact clinique sur les deux dentures, déciduale et permanente. Bien que l’amélogenèse imparfaite ne soit pas une pathologie dentaire commune, avec une prévalence allant de 1/2000 à 1/18000, ses aspects étiologiques et cliniques, sa classification, sa prise en charge et ses conséquences locales et générales sont largement abordés dans la littérature scientifique [1]. Les AI présentent une très grande variabilité d’expression clinique liée à leur origine polygénique. Le chirurgien-dentiste doit savoir diagnostiquer correctement l’AI et orienter les patients vers les structures hospitalières spécialisées pour une meilleure prise en charge. Il est donc important de bien connaitre cette pathologie dans ses étiologies, son mode d’expression et ses formes cliniques. Nous avons entrepris ce travail dans le but d’évaluer le niveau de connaissance chirurgiens-dentistes de la région de Dakar sur cette pathologie.
GENERALITES SUR L’AMELOGENESE IMPARFAITE
Amélogenèse
Définition
L’amélogenèse est la formation de l’émail: synthèse et sécrétion de la matrice, suivie de sa minéralisation puis de sa maturation. D’origine ectodermique par migration des cellules de la crête neurale, l’émail se forme uniquement pendant le stade de la couronne et plus précisément il apparait au stade de cloche après initiation et interaction ectomésenchymateuse.
L’amélogenèse est un processus limité dans le temps, elle débute dès la quatorzième semaine in utero avec les dents temporaires, et pour les dents permanentes, cette formation peut durer presque cinq (05) ans.
Cytodifférenciation des améloblastes et sécrétion de la matrice amélaire
La formation de l’émail se fait par les améloblastes qui subissent une évolution morphologique et fonctionnelle au cours de cette amélogenèse :
✔ Stade morphogénétique :
Cellule de petite taille, qui se divise activement: interaction avec les préodontoblastes.
✔ Stade d’histodifférenciation :
Préaméloblaste ou améloblaste pré- sécréteur: cellule post-mitotique, changement de polarité, allongement cellulaire, changement d’apport nutritif
✔ Stade de formation aussi appelé sécrétion :
● Améloblaste sécréteur sans prolongement de Tomes: allongement cellulaire (60 μm) ; sécrétion de l’émail aprismatique interne.
● Améloblaste sécréteur avec prolongement de Tomes: allongement cellulaire (70μm) ; sécrétion de la matrice amélaire prismatique.
✔ Stade de maturation :
Améloblaste post-sécréteur ou de maturation: raccourcissement cellulaire, réabsorption d’une partie de la matrice
● Améloblaste de maturation à bordure plissée: stade d’activité représentant 80% des améloblastes du stade de maturation, pH acide 5,5
● Améloblaste de maturation à bordure lisse: stade de repos, 20% des améloblastes du stade de maturation. pH basique 7,2.
✔ Stade de protection : Améloblaste réduit : protection de l’émail, du tissu conjonctif qui l’entoure. Fusionnera avec l’épithélium oral lors de l’éruption dentaire, puis disparaîtra.
L’amélogenèse se compose de deux étapes :
❖ Une phase sécrétoire durant laquelle une première couche d’émail est sécrétée au contact du manteau dentinaire par les améloblastes sécréteurs sans prolongement de Tomes (émail aprismatique interne). Puis les améloblastes acquièrent un prolongement de Tomes et vont pouvoir former les prismes et la substance inter prismatique créant ainsi un émail prismatique. Cet émail est encore immature (37% de minéral, 19% phase organique, 44% d’eau).
❖ La deuxième étape de l’amélogenèse est la maturation correspondant à une croissance en largeur et en épaisseur des cristaux d’émail. A la fin de la phase de sécrétion, un quart des améloblastes disparaissent par apoptose. On assiste à une disparition de l’enaméline et à une arrivée massive de calcium et phosphate dans l’émail. Cet émail mature ne présente presque plus de protéines, ni d’eau : 96% de cristaux, 3.2% d’eau et 0.8% de matière organique.
Ainsi l’amélogenèse débute en présence de prédentine/dentine après la disparition de la membrane basale, la différenciation des améloblastes nécessitant la présence d’odontoblastes fonctionnels [19,39]. Les améloblastes sécrètent alors l’émail dentaire et participent à la minéralisation. Ils permettent le retrait de matière organique en particulier les protéines de l’émail ou EMPs (type amélogénines, améloblastine, énaméline, dentine phosphoprotein). Les améloblastes sécrètent la métalloprotéinase 20 (MMP20, également appelée énamelysine) au stade sécrétoire et la kallicréine 4 (KLK4) au stade de la maturation afin de cliver et de supprimer des protéines telles que l’amelogénine (AMEL) et l’enaméline (ENAM), avant que la matrice de l’émail ne soit entièrement minéralisée. Ainsi, la protéine ENAM clivée par MMP20 pendant la phase sécrétoire servirait d’agents de nucléation pour la formation de cristaux d’hydroxyapatite polysubstituée ou PAH. D’autres analyses ont démontré que le clivage de AMEL serait altéré chez les souris déficientes en MMP20 et que l’AI hypomature chez les souris KO pour KLK4 serait caractérisée par une retenue significative de ENAM dans la matrice d’émail mature [15]. La croissance des cristaux d’émail implique une balance entre l’acidification et la neutralisation du pH de l’émail immature, et l’élimination des fragments protéiques. La croissance des cristaux ne peut se faire que si les nanosphères d’amélogénine sont éliminées par l’activité protéolytique de la MMP20, enzyme produite en grande quantité pendant la phase de maturation. Cette activité protéolytique dépend essentiellement des valeurs du pH dans la matrice. Ainsi, le développement de l’émail comprend deux grandes étapes : la phase sécrétoire et la maturation. Dans la phase sécrétoire, les améloblastes synthétisent et sécrètent de nombreuses protéines de structure de la matrice de l’émail (EMPs). Cette dernière, pendant la phase sécrétoire, est maintenue à un pH proche de la neutralité (pH d’environ 7.2) [21], dans un environnement riche en protéines, ce qui permet sa minéralisation concomitante et un procédé de clivage des EMPs en particulier par la MMP20. Tous ces résultats démontrent que le traitement des protéines de matrice de l’émail par MMP20 et KLK4 est essentiel au processus normal d’amélogenèse.
Définition
L’amélogenèse imparfaite (AI) appartient à un groupe d’anomalies du développement dentaire, aussi connues sous le terme de dysplasies héréditaires, qui affectent le génome de l’individu et concernent au moins un des stades de l’amélogenèse. L’AI se présente généralement comme un trouble héréditaire ayant une influence sur les dentures temporaire et permanente. D’abord identifiée en 1890, la nette distinction entre l’AI et la dentinogenèse imparfaite n’a cependant été faite qu’en 1938 par Finn [1].
A travers les années, l’AI a été définie de plusieurs manières : une maladie causée par un défaut primaire de l’émail, ou encore, un groupe de conditions héréditaires défigurantes qui affecteraient l’apparence clinique de l’émail de toutes ou presque toutes les dents, qui apparaîtraient dans des familles où tous les membres présentent essentiellement le même défaut, et n’auraient aucune relation avec des changements morphologiques ou biochimiques connus, ailleurs dans le corps [2]. Cependant, la définition que nous retiendrons sera la suivante: « L’amélogenèse imparfaite est un groupe d’états, d’origine génomique, qui affectent la structure et l’apparence clinique de l’émail de toutes ou presque toutes les dents et qui pourraient être associés à des changements morphologiques ou biochimiques ailleurs dans le corps » [2].
Etiologies
L’émail dentaire est une structure et non un tissu, hautement minéralisé avec plus de 95% de son volume occupé par des cristaux d’hydroxyapatite inhabituellement larges et hautement organisés. Il est le plus minéralisé et le plus dur de l’organisme et est acellulaire,avasculaire et non innervé.La formation de cette structure hautement organisée et inhabituelle se réaliserait sous le contrôle rigoureux des améloblastes, à travers l’interaction d’un grand nombre de molécules de matrices organiques mais aussi d’enzymes [11,6]:
● le gène de l’amélogénine : auquel 14 types d’AI peuvent être associés,
● le gène de l’énaméline : considéré être un des responsables de l’AI autosomique dominante,
● le gène de l’améloblastine : retrouvé dans la région critique de l’AI autosomique dominante (chromosome 4 au locus 4q21) ; il peut donc être considéré comme un des responsables de ce trouble, il a cependant été exclu d’un rôle causal lors des analyses mutationnelles réalisées sur les familles étudiées par MårdhKärrman C et coll. en 2001 [23].
● le gène de la kallikréine 4 : qui, par une activité enzymatique anormale, entraînerait une croissance des cristaux, normale en taille, mais incomplète en épaisseur,
● le gène de la métalloprotéase matricielle 20 (MMP 20) : il affecte habituellement l’émail dentaire en l’absence de caractères systémiques et comprend une grande diversité de phénotypes.
● Autres : tufteline, amélotine, sialophosphoprotéine de la dentine…
Concernant l’étiologie de l’AI, un grand nombre d’études ont rapporté une diversité dans le mode d’héritage, incluant des modèles autosomique, gonosomique (lié au chromosome X), dominant ou récessif. L’héritage de l’AI est, en général, jugé être principalement autosomique dominant, sans toutefois exclure l’héritage gonosomique récessif, ni celui sporadique [1]. Les variations dans l’expression des gènes, nous amènent à soupçonner de nombreux défauts génétiques, qui par conséquent altèrent le phénotype.
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Table des matières
INTRODUCTION
PREMIERE PARTIE : GENERALITES SUR L’AMELOGENESE IMPARFAITE
1.1.Amélogenèse
1.1.1.Définition
1.1.2.Cytodifférenciation des améloblastes et sécrétion de la matrice amélaire
1.2.Définition
1.3.Etiologies
1.4.Formes cliniques
1.4.1.La forme hypoplasique
1.4.2.La forme hypominéralisée
1.4.3.La forme hypomature
1.4.4.Les autres formes
1.5.Classification
1.5.1.Evolution de la classification
1.5.2.Classification de Witkop
1.6.Diagnostic
1.6.1.Diagnostic positif
1.6.1.1.Clinique
1.6.1.2.Génétique
1.6.2.Diagnostic différentiel
1.6.2.1.La fluorose dentaire
1.6.2.2.L’Hypoplasie amélaire chronologique
1.6.2.3.Syndrome tricho-dento-osseux
1.6.2.4.Hypominéralisation Molaires-Incisives
1.6.2.5.Dentinogenèse imparfaite
1.7.Manifestations bucco-dentaires
1.7.1.Préjudice esthétique
1.7.2.Manifestations fonctionnelles
1.7.3.Anomalies orthodontiques
1.7.3.1.La Béance antérieure
1.7.3.2.Les autres malocclusions
1.7.4.Anomalies gingivales
1.7.5.Préjudice psychologique
1.8.Traitement
1.8.1.Principes
1.8.2.Prévention
1.8.3.Gestion du comportement
DEUXIEME PARTIE : ENQUETE EPIDEMIOLOGIQUE
2.1.Problématique
2.2.Objectif
2.3.Méthodologie
2.3.1.Cadre et population d’étude
2.3.2.Type d’étude
2.3.3.Critères de sélection
2.3.4.Echantillonnage
2.3.5.Source de données et variables utilisées
2.3.5.1.Source de données
2.3.5.2.Variables sociodémographiques
2.3.5.3.Variables liées à l’AI
2.3.6.Collecte des données
2.3.6.1.Instrument de collecte des données
2.3.6.2.Méthode de collecte
2.3.7.Saisie et analyse des données
2.4. Résultats
2.4.1.Données sociodémographiques
2.4.2.Le niveau de connaissance sur le mode d’expression de l’AI
2.4.3.Le niveau de connaissance sur l’étiologie
2.4.4.Niveau de connaissance sur l’atteinte dentaire
2.4.5.Niveau de connaissance sur les signes cliniques
2.4.6.Niveau connaissance sur le motif de la consultation, le diagnostic
2.4.7.Diagnostic différentiel, troubles associés et conséquences
2.4.8.Niveau de connaissance sur le plan de traitement et type de traitement
2.4.9.Niveau de connaissance sur la prise en charge et le suivi
2.4.10.Association entre l’expérience, le type de pratique et le niveau de connaissance
2.5.Discussion
2.5.1.Contraintes et limites
2.5.2.Sur les données sociodémographiques
2.5.3.Evaluation du niveau de connaissance sur l’AI
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE
ANNEXES