La réduction de la consommation excessive d’alcool est un enjeu majeur de santé publique en France et dans le monde. En 2012, 3,3 millions de personnes sont mortes à cause de l’alcool dans le monde, ce qui correspond à un décès toutes les 10 secondes (Organisation mondiale de la santé 2014). Responsable d’environ 49 000 morts pour la seule année 2009 en France, notamment par cancers, maladies cardiovasculaires et maladies digestives (Guerin et al. 2013), l’alcool provoque sur la santé des dommages considérables et particulièrement des troubles neurologiques et des troubles cognitifs. La consommation d’alcool est également en cause dans de nombreux accidents de la route : en 2011, l’alcool est la cause de trois accidents mortels sur dix (Observatoire français des drogues et des toxicomanies 2013). Au niveau mondial, l’alcool est reconnu comme le troisième facteur de risque de morbidité après l’hypertension artérielle et le tabac, et le quatrième en Europe après le surpoids (Lim et al. 2012) ; l’alcool étant la seconde cause de mortalité évitable après le tabac (Institut de Veille Sanitaire et 2013). Le coût financier de l’alcool en France reste également non négligeable : le « coût social » de l’alcool est estimé à 120 milliards d’euros pour l’année 2010, ce chiffre intégrant les recettes engendrées par les taxes (Kopp 2015). L’alcool est la première cause d’hospitalisation en France, comptabilisant plus de 580 000 séjours en 2012 (hors psychiatrie et centres de soins de suite et de réadaptation), soit 2,2% de l’ensemble des séjours pour un coût estimé à près de 3,6% de l’ensemble des dépenses hospitalières (Paille F, Reynaud M. 2015).
Généralités sur l’addiction à l’alcool
Qu’est ce que l’alcool ?
Etymologie
Le mot alcool provient de l’arabe « AL KOHL » qui signifie « ce qui est très subtil » et est introduit au XVIème siècle dans la langue française sous son orthographe actuelle. La transposition du mot « alcohol » au sens d’ « élément très fin et très pur » à celui d’ « essence obtenue par distillation » puis à celui d’ « esprit de vin » serait une création du savant Paracelse qui vécut au début du XVIème siècle (Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales 2012).
Propriétés physico-chimiques
L’éthanol pur est un liquide incolore, volatil et inflammable, possédant une odeur forte caractéristique et une saveur brûlante. Il est miscible à l’eau, aux autres alcools et aux solvants organiques. Il absorbe dans l’infrarouge à 3,4 µm (liaison carbone-hydrogène) et à 9,4 µm (liaison carbone-hydroxyle) et possède des propriétés réductrices (Goullé et Guerbet 2015).
Modes d’obtention de l’alcool
– La fermentation :
La fermentation alcoolique est le processus biochimique par lequel des sucres (et notamment le glucose) sont transformés en alcool ou éthanol dans un milieu liquide privé d’air, sous l’action des levures. Les premières étapes de la fermentation alcoolique sont celles de la glycolyse. Cette voie est un ensemble de réactions qui transforment une molécule de D-glucose en deux molécules de pyruvate. Chez les levures, en conditions anaérobies, le NADH2 est réoxydé en NAD lors de la formation d’éthanol, catalysée par l’alcool déshydrogénase.
Les boissons fermentées peuvent atteindre une concentration maximale d’alcool de 18°. Audelà, les levures, qui supportent mal des concentrations plus élevées, sont détruites. La production d’alcool par la fermentation de fruits ou de céréales est relativement simple. Des végétaux très divers peuvent être utilisés: riz, céréales, raisins, cerises, dattes, prunes, bananes, figues de barbarie, etc. (Addiction Suisse 2011) .
– La distillation :
La distillation est un procédé de séparation de mélange de substances liquides dont les températures d’ébullition sont différentes, et permet ainsi de séparer les constituants d’un mélange homogène. Les spiritueux sont obtenus par distillation de l’alcool fermenté en tirant parti de la différence entre le point d’ébullition de l’alcool et celui de l’eau. L’alcool est chauffé, il s’évapore puis se condense sous le couvercle de l’appareil chauffé sous la forme d’un liquide alcoolique plus concentré qu’on laisse s’écouler dans un récipient séparé et refroidi. Ce liquide peut ensuite être réchauffé; à chaque passage, il reste de l’eau dans la cuve et la teneur en alcool du distillat augmente. Pour obtenir de l’alcool à plus de 18°, il faut distiller l’alcool. (Addiction Suisse 2011) .
Historique : la place de l’alcool dans notre société hier et aujourd’hui
Antiquité
La consommation d’alcool apparait très tôt dans le développement de la civilisation : on retrouve sa trace dès la préhistoire, avant même l’apparition de l’agriculture ou la sédentarisation des peuples. Sa découverte s’est probablement faite au hasard de la fermentation naturelle des produits alimentaires. Si la consommation de vin est identifiée dans les mythologies antiques avec le culte de Dionysos en Grèce et de Bacchus à Rome, c’est la bière qui serait la plus ancienne : retrouvée dès 3000 avant JC chez les sumériens, son utilisation serait même antérieure à l’invention de la charrue. Chez les égyptiens, les hiéroglyphes symbolisant le repas représentent du pain et de la bière. Des papyrus détaillent les étapes de la fabrication, de la production et de la commercialisation de la bière et du vin. Des mises en garde contre l’ivresse et ses conséquences sont déjà formulées à cette période. Dans l’empire romain, la consommation d’alcool concerne d’abord les élites intellectuelles puis le peuple. Dans les ruines de Pompéi, 200 tavernes sont encore visibles de nos jours. La colline du Monte Testaccio à Rome qui culmine à 35m tient son nom des tessons d’amphores qui la composent. De nombreux empereurs romains sont connus comme étant alcooliques notamment Tibère ainsi que le barbare Attila. Le vin est apporté en Gaule par les grecs puis par les romains et les premiers viticulteurs sont des vétérans des légions romaines. Pour les chrétiens qui succèdent aux romains, offrir du vin est le signe d’une haute position sociale et le symbole de la civilisation s’opposant aux barbares. C’est ainsi que partout en Europe des vignes sont plantées autour des abbayes et que les moines commencent également à brasser la bière et à fabriquer des liqueurs (Reynaud 2006) (Addiction Suisse 2011).
Moyen-âge
Les croyances religieuses européennes glorifient le vin comme breuvage reliant l’humain et le divin : le « sang du Christ ». La bière en revanche est la « boisson des pauvres et des barbares ». Au moyen-âge, elle occupe une place importante dans l’alimentation en Europe centrale et du nord, et ce jusqu’au XVIIe siècle, avec par exemple la préparation de la soupe à la bière pour le matin. En effet à cette époque, l’eau est souvent impropre à la consommation et boire de l’alcool est alors considéré comme meilleur pour la santé. L’eau de vie, apparue au moyen-âge avec la découverte de la distillation par les alchimistes qui tentaient d’obtenir l’élixir de longue vie, prend véritablement son essor à partir du XVIIIe siècle. Sa consommation est croissante à partir de 1700 dans les milieux militaires. Jusqu’à la fin du XVème siècle, l’alcool distillé est un remède précieux dispensé uniquement chez les apothicaires. Il est alors acheté par des riches citadins qui lui reconnaissent des vertus fortifiantes. Au moyen-âge les premières règlementations du commerce du vin apparaissent : le marché du vin s’accompagne de charges, d’impôts et de privilèges (Reynaud 2006)(Addiction Suisse 2011).
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Table des matières
Introduction
1. Première partie : la dépendance à l’alcool
1.1. Généralités sur l’addiction à l’alcool
1.1.1. Qu’est-ce que l’alcool ?
1.1.1.1. Etymologie
1.1.1.2. Propriétés physico-chimiques
1.1.1.3. Modes d’obtention de l’alcool
1.1.2. Historique : la place de l’alcool dans notre société hier et aujourd’hui
1.1.2.1. Antiquité
1.1.2.2. Moyen-âge
1.1.2.3. Renaissance et révolution française
1.1.2.4. Temps modernes
1.1.3. Définition des modes de consommation de l’alcool
1.1.3.1. Le non-usage (ou non-consommation)
1.1.3.2. L’usage (ou consommation modérée)
1.1.3.3. L’usage à risque (consommation à risque)
1.1.3.4. L’usage nocif (consommation à problèmes)
1.1.3.5. L’usage avec dépendance (alcoolo-dépendance)
1.1.3.6. L’ivresse
1.1.3.7. Les critères diagnostiques du DSM
1.1.4. Quelques chiffres sur le consommation d’alcool en France
1.2. Neurobiologie de la dépendance à l’alcool
1.2.1. Le système de récompense
1.2.2. Structures
1.2.3. Fonctionnement neuronal du système de récompense
1.2.4. Action de l’alcool sur le système de récompense
1.2.4.1. Effets de l’alcool sur la transmission glutamatergique
1.2.4.2. Effets de l’alcool sur la transmission GABAergique
1.2.4.3. Effets de l’alcool sur les récepteurs opioïdes
1.3. Facteurs de risque et conséquences délétères de la consommation d’alcool
1.3.1. Facteurs de risque
1.3.1.1. Modes de consommation à risque
1.3.1.2. Facteurs de risque liés au produit
1.3.1.3. Facteurs de risque individuels
1.3.1.4. Facteurs de risque environnementaux
1.3.2. Métabolisme de l’éthanol et conséquences biochimiques
1.3.2.1. Métabolisme de l’éthanol
1.3.2.2. Conséquences biochimiques du métabolisme de l’éthanol
1.3.3. Conséquences délétères de la consommation d’alcool
1.3.3.1. Conséquences physiopathologiques d’une intoxication à l’éthanol
1.3.3.2. Conséquences délétères sur la santé de la consommation d’alcool
1.3.3.3. Quelques pathologies spécifiques de la consommation d’alcool
1.3.3.4. Conséquences sur l’organisme d’un sevrage en alcool
1.3.3.5. Conséquences délétères de l’alcool : aspect judiciaire
1.4. Les structures d’accueil pour les patients alcoolo-dépendants
1.4.1. Structures médicales non spécialisées
1.4.1.1. Médecine générale
1.4.1.2. Médecine du travail
1.4.2. Structures médicales spécialisées
1.4.2.1. En ambulatoire : les CSAPA
1.4.2.2. Structures d’accueil hospitalières
1.4.3. Structures non médicales : les associations d’entraide
2. Pharmacologie des traitements de l’alcoolo-dépendance
2.1. Médicaments disposant d’une autorisation de mise sur le marché pour le maintien de l’abstinence
2.1.1. Disulfirame (Esperal®)
2.1.1.1. Monographie
2.1.1.2. Etudes
2.1.2. Acamprosate (Aotal®)
2.1.2.1. Monographie
2.1.2.2. Etudes
2.1.3. Naltrexone (Revia®)
2.1.3.1. Monographie
2.1.3.2. Etudes
2.2. Le baclofène
2.2.1. Monographie (anciennes indications)
2.2.2. L’utilisation du baclofène dans la dépendance à l’alcool
2.2.2.1. Le mécanisme d’action du baclofène dans la dépendance à l’alcool
2.2.2.2. La genèse de la RTU : la découverte du Dr. Olivier Ameisen
2.2.2.3. Les études sur lesquelles se fonde la RTU
2.2.2.4. La Recommandation temporaire d’utilisation
2.3. Nalméfène (Selincro®)
2.3.1. Monographie
2.3.2. Etudes réalisées sur le Selincro®
3. Trosième partie : nouvelles perspectives
3.1. Etudes sur la baclofène à haut dosage
3.1.1. Etude Bacloville
3.1.2. Etude ALPADIR
3.1.3. Etude BACLAD
3.2. La RTU du baclofène remise en cause
3.2.1. Quelques chiffres de la prescription sous RTU
3.2.2. Les points problématiques de la RTU
3.2.3. La prescription de baclofène en pratique
3.3. Les nouveaux traitements de la dépendance à l’alcool : de la controverse aux nouvelles recommandations de traitement
3.3.1. De nouveaux traitements controversés
3.3.2. Le dépistage de la dépendance à l’alcool et les nouvelles recommandations de prise en charge
3.3.2.1. Le dépistage
3.3.2.2. Les recommandations de prise en charge
Conclusion