Apparu depuis plusieurs siècles, la toxicomanie comprend en préfixe « toxico » (poison) et en suffixe « manie » qui fait référence à des notions de folies, de passions destructrices et d’idées obsédantes (Richard, 2004). La notion de toxicomanie fait référence aux usagers de produits illicites, elle englobe aussi la prise de produits autorisés (le tabac, l’alcool, les médicaments psychotropes) mais pouvant entrainer à la longue l’apparition d’effets biologiques toxiques (Kaminski, 2003). Aujourd’hui le terme de toxicomanie est utilisé au sens de la dépendance, c’est à dire lorsque le sujet subordonne son existence à la consommation d’une ou de plusieurs substances psychotropes connues pour induire des effets toxiques. Ainsi, on recommande de plus en plus le terme de pharmacodépendance plutôt que de toxicomanie (Seck 1994). La toxicomanie prend des ampleurs inquiétant partout dans le monde. En effet, Ndiaye (1989) avait montré un accroissement de la population des toxicomanes de l’ordre de 8,5% à 15% de 1983 à 1989 au service psychiatrique de l’hôpital Fann à Dakar. Dans ce même lieu Picard (1984) avait montré que plus du dixième de la population malade présentait une conduite toxicomaniaque. De même, Sylla (1998) avait trouvé 15% de toxicomanes dans la population consultante. Plus récemment Fall (2008) avait montré que la toxicomanie représentait 12,38% des malades reçus au Centre Hospitalier National Psychiatrique de Thiaroye et elle constituait la troisième pathologie rencontrée dans ce centre. La morbidité résultante de l’utilisation des substances psycho-actives est considérable. En effet, Angel (2000) affirmait qu’en France, en terme de morbidités liées aux drogues, le tabac, était responsable de 60000 décès/an et l’alcool 27000décès/an.
généralités sur la toxicomanie
Définitions
Toxicomanie
La toxicomanie, d’après Denis (2004), désigne une dépendance physique et psychique envers une ou plusieurs substances toxiques sans justification thérapeutique. Sur ce, l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS, 2004) aborde la notion de toxicomanie en quatre éléments :
– une envie irrépressible de consommer le produit (Addiction)
– une tendance à augmenter les doses (Tolérance)
– une dépendance psychique et parfois physique
– des conséquences néfastes sur la vie quotidienne (émotives, sociales, économiques).
Actuellement on lui préfère la notion de pharmacodépendance qui est un état psychique et quelquefois physique résultant de l’interaction entre un organisme vivant et un médicament se caractérisant par une modification du comportement et par des réactions qui comprennent toujours une pulsion à prendre le médicament de façon continue ou périodique (Chami, 1987).
Drogue
Salgues (1994) désigne comme drogue « un produit psycho-actif naturel ou synthétique, utilisé par une personne en vue de modifier son état de conscience ou d’améliorer ses performances, ayant un potentiel d’usage nocif, d’abus ou de dépendance et dont l’usage peut être légal ou non ».
On parle de produit psychotrope ou psycho-actif pour désigner les substances ayant un effet sur le système nerveux . Le mode et la fréquence de consommation influent directement sur l’accoutumance ou la dépendance au produit.
Dépendance
Segura (2000) définit la dépendance comme « l’impossibilité de s’abstenir de consommer un produit » avec comme caractéristique essentielle le désir obsessionnel de se procurer la substance en cause et elle comprend un volet psychique et un volet physique.
➤ La dépendance psychique est un désir invincible de se procurer de la drogue et de la consommer. Elle est sous-tendue par la recherche d’un plaisir rarement retrouvé lié aux effets des premières prises. Cette dépendance psychique renvoie aussi aux effets psychotropes propres à chaque substance c’est-à-dire les effets euphorisants, les effets antidépresseurs et les effets anxiolytiques (Segura, 2000).
➤ La dépendance physique elle, laisse prédire lors de l’abstinence l’apparition d’un syndrome de sevrage (ensemble des troubles physiques), d’un déficit émotionnel et d’une perte de contrôle face à la drogue. Il s’agit d’une dépendance biologique dans la mesure où elle correspond à une exigence de l’organisme nécessitant pour conserver son équilibre, la prise d’une molécule chimique exogène (Segura, 2000).
Tolérance
D’après Chami (1987), la tolérance ou accoutumance est l’adaptation de l’organisme à une substance et la nécessité pour la personne d’augmenter les doses pour obtenir le même effet lors de la première prise.
Classification des drogues
Selon la Loi
La classification des drogues est variable selon les pays. En France c’est la loi du 31 décembre 1970 qui constitue le cadre légal dans lequel s’inscrit la politique française de lutte contre les drogues. Cette loi réprime l’usage et le trafic de stupéfiants, tandis que le code des drogues au Sénégal est établi par la loi n°97-18 du 1 décembre 1997. (www .codes des drogues au Sénégal consulté le 2016-05-11). Selon la loi on distingue deux types de drogues à savoir les drogues licites et les drogues illicites .
Drogues licites
Les drogues appelées drogues licites désignent les psychotropes dont la vente et la consommation sont autorisées par la loi d’un pays. Par exemple le café, le tabac, dont la vente est libre au Sénégal.
Drogues illicites
Ce sont des drogues dont la vente et la consommation sont interdites par la loi d’un pays. Le caractère illicite de certaines drogues varie d’une législation (donc d’un pays) à une autre. Par exemple, le cannabis, est illicite au Sénégal et en France mais autorisé sous réglementation stricte au Pays-Bas .
Selon certains auteurs
Des chercheurs ont établi plusieurs classifications visant à déterminer et différencier les effets engendrés par les substances psycho-actives les plus répandues. Ainsi, on retrouve la classification de Lewin, la classification de Hoffmann, la classification de Delay et Deniker et la classification de Pelletier .
Classification de Lewin
Lewin (un pharmacologue allemand) avait décrit et classé les psychotropes qu’il qualifiait de poison de l’esprit en cinq groupes à savoir : euphorica, phantastica, inebrianta, hypnotica, et excitantia.
➤ Euphorica : ce sont les opiacées et leurs dérivés qui calment l’activité psychique en diminuant la perception des sensations. Ces substances sont la morphine, la cocaïne, l’héroïne, la codéine, etc.
➤ Phantastica : ce sont les produits hallucinogènes qui engendrent une excitation cérébrale, on a le chanvre indien et la LSD (acide lysergique).
➤ Inebrianta : ce sont des produits qui induisent une dépression pouvant aller jusqu’à la perte de la conscience à la suite d’une première phase d’excitation (l’alcool, l’éther, la chloroforme, les vermis à ongle).
➤ Hypnotica : ce sont des produits calmants et somnifères. On distingue les barbituriques et certains tranquillisants qui sont détournés de leurs usages thérapeutiques à des fins toxicomanogènes.
➤ Excitantia : désigne les produits stimulants d’origine végétale qui induisent un état d’excitation sans altérer de l’état de conscience. C’est le cas du tabac, et de l’amphétamine.
Cette classification se rapproche de celle faite par Hoffmann. Bien que claire et simple, elle présente ses limites du fait qu’elle ne classe pas les produits psychotropes récents et qu’elle ne tient pas compte du fait que l’effet peut varier selon la dose (Lequarre, 1996).
Classification de Delay et Deniker
En 1957, Delay (un psychiatre français) a élaboré avec son assistant Deniker une classification des drogues qui sera validée par le congrès mondial de psychiatrie en 1961(Velea, 2005).
Cette classification distingue les substances psychotropes en fonction de leur activité sur le système nerveux central (SNC) on retrouve
➤ Les psycholeptiques ou sédatifs psychiques qui ralentissent l’activité du système nerveux et ont une action dépressive sur l’humeur. Ils comprennent d’abords les nooleptiques qui agissent en diminuant la vigilance on peut en citer les hypnotiques (les barbituriques), ensuite les thymoleptiques qui sont des médicaments ayant un effet dépresseur sur l’humeur exemple des neuroleptiques, puis les régulateurs de l’humeur tels que les sels de lithium et enfin les psycholeptiques qui sont des médicaments utilisés pour soigner les troubles bipolaires, ce sont les sédatifs, les antiépileptiques et les tranquillisants (Velea, 2005).
➤ Les psychoanaleptiques ou excitants psychiques accélèrent l’activité du système nerveux. On distingue les nooanaleptiques qui accroissent la formation et l’enchainement des idées (les amphétamines), puis les thymoanaleptiques qui soignent la dépression mentale( les antidépresseurs) et enfin les stimulants divers tels que le khat et la caféine (Velea, 2005)
➤ Les psychodysleptiques ou perturbateurs psychiques ils perturbent l’activité du système nerveux et comprennent les hallucinogènes ( la mescaline et le LSD), les stupéfiants (la morphine, l’héroïne, l’opium), l’alcool ainsi que les conduites additives(Jeu pathologique) (Velea, 2005).
Classification de Pelletier
En 1978, Pelletier reprend la classification de l’OMS et l’applique à l’ensemble des psychotropes juridiquement réglementés dans son rapport de la mission d’études sur l’ensemble des problèmes de la drogue. La classification se présente comme suit :
❖ Les dépresseurs du système nerveux central comme l’alcool, les hypnotiques (exemple du barbiturique), les tranquillisants (exemple des benzodiazépines), les neuroleptiques, et les analgésiques telles que les opiacés, la morphine, l’héroïne, les produits de synthèses (Nutt, 2007).
❖ Les stimulants : on y retrouve les stimulants mineurs comme le café et la nicotine, les stimulants majeurs comme les amphétamines et la cocaïne, enfin les stimulants de l’humeur ou les antidépresseurs Nutt, (2007).
❖ Les perturbateurs tels que le chanvre indien, les solvants comme l’éther et les colles, les hallucinogènes comme le LSD et la mescaline (Nutt, 2007).
Les différents types de drogues
Les sédatifs
Les drogues appartenant à cette catégorie ont pour effet principal de diminuer la douleur et l’anxiété. Elles entraînent une forte sensation de bien-être. Dans ce groupe on y retrouve l’alcool, l’héroïne, et les solvants.
L’alcool
L’alcool administré par voie orale est entièrement absorbé par le tube digestif, d’abord au niveau gastrique, mais surtout dans l’intestin grêle. Il franchit la barrière intestinale sans subir des modifications notables et passe dans le sang dont il diffuse dans l’ensemble de l’organisme. La métabolisation et la dégradation se font essentiellement au niveau hépatite. Ces effets apparaissent au bout de quelques minutes après ingestion. L’alcool augmente les effets inhibiteurs du GABA et dimunie les effets excitateurs du glutamate. Les effets de l’alcool potentialisent l’activité de la voie dopaminergique méso limbique (OMS, 2004).
Sur le plan clinique, l’ingestion d’alcool peut entrainer des douleurs épigastriques à types de brulures et d’aigreurs de l’estomac survenant immédiatement après la prise.Cependant en cas d’ingestion massive on note une gastrite aigue hémorragique, des nausées, et des vomissements (Anderson, 1991). Une forte fréquence de consommation multiplie le risque de cancer de la bouche et du pharynx par trois, du larynx et de l’œsophage par quatre (Sween, 1982). L’alcool est responsable de 36500 décès chez l’homme, ce qui représente 13% de la mortalité totale masculine et de 12500 décès chez la femme, soit 5% de la mortalité totale en France (Guérin, 2013).
Le délirium trémens est une conséquence neurologique sévère liée au syndrome de sevrage alcoolique. Il s’agit d’un état d’agitation avec une fièvre, des tremblements, des troubles de la conscience, et des confusions qui sont propres à l’intoxication alcoolique. Le delirium tremens se manifeste chez les alcooliques 2 à 3 jours après le début du sevrage. Il survient chez 5 à 10% des alcooliques causant ainsi une mortalité de 15% chez les alcooliques sous traitement, et 35% chez les alcooliques sans suivis médicale (Schuckit, 2000). Le traitement des personnes alcooliques peut se faire par plusieurs substances dont l’acamprosate et le disulfirame.
➨ L’acamprosate: est une substance de synthèse dont la structure est comparable à celle d’un acide aminé naturel. Il restaure l’activité des neurones hyper-excité suite à l’exposition chronique à l’alcool (Descombey, 1994).
➨ Le disulfirame: Interfère en inhibant le métabolisme normal de l’acétaldéhyde, un des métabolites de l’alcool. Un taux élevé d’acétaldéhyde dans l’organisme entraine une réaction désagréable qui est le but recherché (Descombey, 1994).
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Table des matières
INTRODUCTION
PREMIERE PARTIE : REVUE BIBLIOGRAPHIQUE
Chapitre I : généralités sur la toxicomanie
I. Définitions
I. 1. Toxicomanie
I. 2. Drogue
I. 3. Dépendance
I.4. Tolérance
II .Classification des drogues
II.1. Selon la Loi
II.1.1. Drogues licites
II.1.2. Drogues illicites
II.2. Selon certains auteurs
II.2.1.Classification de Lewin
II .2.2 Classification de Delay et Deniker
II.2.3. Classification de Pelletier
III. Les différents types de drogues
III.1. Les sédatifs
III.1.1. L’alcool
III.1.2. L’héroïne
III.1.3. Les solvants
III.2. Les stimulants
III.2.1. Le tabac
III.2.2. La cocaïne
III.2.3.L’amphétamine
III.3.Les hallucinogènes
III.3.1. Le cannabis
III.3.2. L’acide lysergique(LSD)
III.4. Les benzodiazépines
IV. PRISE EN CHARGE DE LA TOXICOMANIE
IV.1. Diagnostic
IV.1.1. L’anamnèse
IV.1.2. Diagnostic clinique
IV.1.3. Recherche et dosage des principales substances utilisées par les toxicomanes
IV.2. Prévention
CHAPITRE 2: Pharmacien d’officine face à la toxicomanie
I.Le pharmacien d’officine face aux toxicomanes détournant l’usage de médicament
II.Le pharmacien d’officine face aux toxicomanes sous suivis médicale
DEUXIEME PARTIE : TOXICOMANIE ET PHARMACIEN D’OFFICINE AU SENEGAL
I. CADRE D’ETUDE
II.1. Type d’étude
II.2. Population d’étude
II.2.1. Critères d’inclusion
II.2.2. Critères d’exclusion
II.3. Echantillonnage
II.4. Procédure de collectes des données
III. Résultats
III .1. Pharmaciens enquêtés
III.1.1. Répartition des pharmaciens selon la fonction ou le sexe
III.1.2. Répartition des pharmaciens selon leur ancienneté
III.2. Connaissance relative à la toxicomanie
III.2.1. Elément de reconnaissance d’un toxicomane
III.2.2. Comment devient-on dépendante de la drogue ?
III.3. Connaissance relative à la drogue
III.4. Connaissance relative à la dépendance
III.4.1. Les type de dépendances
III.4.2. La drogue la plus dépendante
III.5. Connaissance relative à la tolérance
III .6 Demande de conseil sur les drogues
III.6.1. Relation entre le demandeur et le consommateur
III.6.2. Les types de drogues utilisées
III.7. Relation entre médicament et toxicomanie
III.8. La prise en charge de la toxicomanie
III.9. Disposition de substances indiquées dans la prise en charge des toxicomanes
III.10. La dispensation des médicaments aux toxicomanes en cours de traitement
III.11. Les problèmes rencontrés lors de cette dispensation
III.12.Les conditions requises lors de la délivrance des seringues stériles
III.13. Les maladies véhiculées par ces seringues
III.14. Connaissance des struaaactures prenant en charge les toxicomanes
III.15. La place du pharmacien d’officine dans cette prise en charge
III.16. Besoin de renforcer leurs connaissances sur la toxicomanie
DISCUSSION
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE
ANNEXES