Entretenu par les médias, notre « besoin viscéral » de sécurité nous incite à vivre dans le mythe d’une médecine scientifique toute puissante. Nous devons ouvrir les yeux sur ses erreurs et ses échecs, car une critique de la médecine actuelle peut conduire à des changements bénéfiques. Dans les années 80, les chercheurs nous promettaient des résultats magnifiques : la guérison prochaine de la majorité des cancers et une victoire définitive sur toutes les maladies infectieuses. Au début de l’épidémie de SIDA, les chercheurs promettaient un vaccin dans un délai de 5 ans. Tous ces défis n’ont comme support, que la découverte et l’utilisation des médicaments.
Aujourd’hui, pas un mois ne s’écoule sans que l’on découvre, après leur commercialisation, la dangerosité de médicaments récents, le manque de transparence et l’insuffisance des expérimentations [11]. Dans tous les pays, les laboratoires pharmaceutiques sont juridiquement tenus de tester leurs médicaments sur des volontaires sains et malades avant de les mettre sur le marché. Ces essais cliniques permettent en général de déterminer le niveau d’efficacité d’un médicament contre une maladie donnée et ses effets nocifs potentiels. Néanmoins, ils ne donnent pas d’indications pour des populations plus importantes, sur lesquelles il n’y a pas eu d’essais et dont les caractéristiques peuvent différer de celles du groupe testé : âge, sexe, état de santé ou origine ethnique. Pour tout médicament, la surveillance de la sécurité ne prend pas fin au stade de la fabrication. Elle doit se prolonger par un suivi étroit des malades et la collecte de nouvelles données scientifiques. C’est ce qu’on appelle la pharmacovigilance et son efficacité au niveau national dépend directement de la participation active des professionnels de la santé. Les professionnels de santé (médecins, pharmaciens, infirmiers, dentistes, etc.) sont les mieux placés pour notifier les suspicions d’effets indésirables dans le cadre de leurs activités quotidiennes de soins. Ils doivent notifier ces effets indésirables même s’ils ont un doute sur la relation effective entre le médicament pris et ces effets. Les différences entre pharmacovigilance et iatrogénie médicamenteuse ne sont pas toujours bien comprises par les professionnels de santé. Du fait du profil de risque particulier des médicaments qu’ils utilisent, les oncologues ont une bonne habitude de la lutte contre l’iatrogénie médicamenteuse, mais ils envisagent rarement l’activité de pharmacovigilance dans sa dimension de santé publique, d’amélioration de l’offre de soins. Pourtant, l’évolution des thérapeutiques en cancérologie permet d’envisager un intérêt croissant pour la pharmacovigilance. L’analyse du rapport bénéfice-risque des nouvelles molécules de la thérapeutique cancérologique dans le cadre des essais cliniques se rapproche de celle des médicaments classiques.
De ce fait, il est important d’assurer la surveillance à long terme des patients traités par les anticancéreux anciens ou plus récemment commercialisés. La pharmacovigilance doit se doter d’outils nouveaux de surveillance des patients sous anticancéreux pour découvrir et évaluer les signaux de toxicité des nouvelles thérapeutiques ciblées. Par ailleurs, malgré l’arrêté ministériel n°05036/MSP/ du 22/04/09 relatif à la pharmacovigilance au Sénégal, le système national de pharmacovigilance ne dispose pas encore de mécanismes d’évaluation et de surveillance de la sécurité d’emploi des médicaments en général, et en particulier ceux utilisés en cancérologie.
GENERALITES SUR LA PHARMACOVIGILANCE
DEFINITIONS ET TERMINOLOGIE
Définition
Selon l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), la pharmacovigilance est « la science et les activités relatives à la détection, l’évaluation, la compréhension et la prévention des effets indésirables et de tout autre problème lié aux médicaments ou produits de santé ». La pharmacovigilance (PV) est aussi définie comme un ensemble de techniques d’identification, d’évaluation et de prévention du risque d’effets indésirables des médicaments ayant une autorisation de mise sur le marché (AMM) ou une autorisation temporaire d’utilisation (ATU).
Objectifs de la pharmacovigilance
Selon l’OMS, les principaux objectifs de la PV sont les suivants [27] :
− la détection précoce des effets et des interactions indésirables nouveaux,
− la détection des augmentations de fréquence des effets indésirables,
− l’identification des facteurs de risque pouvant expliquer les effets indésirables,
− l’évaluation du rapport bénéfice/risque,
− la diffusion de l’information nécessaire à l’amélioration de la prescription et de la réglementation du médicament.
En plus de ces objectifs fondamentaux, d’autres utilités de la gestion des effets indésirables doivent être considérées. Il s’agit :
− d’une meilleure connaissance du médicament ; de savoir l’utilité au mieux de ses qualités et de ses inconvénients, tant dans ses indications précises que dans ses doses efficaces, sa durée d’administration à ne pas dépasser et éventuellement ses associations thérapeutiques utiles, inutiles et surtout dangereuses,
− de l’identification des groupes de sujets à risques, chez qui l’emploi du médicament sera limité, déconseillé, voire interdit [4].
Les médicaments
Le Code de la Santé Publique (article L. 5111-1), modifié par la loi n°2007-248 du 26 février 2007 portant diverses dispositions d’adaptation au droit communautaire dans le domaine du médicament, définit le médicament comme suit : « On entend par médicament, toute substance ou composition présentée comme possédant des propriétés curatives ou préventives à l’égard des maladies humaines ou animales, ainsi que toute substance ou composition pouvant être utilisée chez l’homme ou chez l’animal ou pouvant leur être administrée, en vue d’établir un diagnostic médical ou de restaurer, corriger ou modifier leurs fonctions physiologiques en exerçant une action pharmacologique, immunologique ou métabolique. Sont notamment considérés comme des médicaments les produits diététiques qui renferment dans leur composition des substances chimiques ou biologiques ne constituant pas elles mêmes des aliments, mais dont la présence confère à ces produits, soit des propriétés spéciales recherchées en thérapeutique, diététique soit des propriétés des repas d’épreuve. Les produits utilisés pour la désinfection des locaux et pour la prothèse dentaire ne sont pas considérés comme des médicaments. Lorsque, eu égard à l’ensemble de ses caractéristiques, un produit est susceptible de répondre à la fois à la définition du médicament prévue au premier alinéa et à celle d’autres catégories de produits régis par le droit communautaire ou national, il est, en cas de doute, considéré comme un médicament».
La notification
Elle désigne la transmission de l’effet indésirable présumé d’un médicament à un centre de pharmacovigilance. Elle doit comporter au minimum:
• un notificateur identifiable,
• un patient identifiable,
• un ou des médicaments suspects,
• un ou des effets indésirables suspects.
Lorsque cette notification émane d’un professionnel de santé n’étant pas médecin, des informations complémentaires sont recherchées auprès du prescripteur ou du médecin traitant. Rendue obligatoire par l’article R5144-19 du Code de la Santé Publique, la notification spontanée est la base du système national de pharmacovigilance en France. La notification est une méthode universelle irremplaçable pour déclencher les alertes malgré la faible informativité des effets, l’inégale qualité de la déclaration et de la variabilité dans le temps. La difficulté pour obtenir une réponse précise et rigoureuse de la notification est due au fait que la survenue d’un effet indésirable iatrogène est souvent multifactorielle [13]:
– pathologie sous-jacente,
– malade (auto-médiqué, polymédicamenté),
– médicament (principe actif, excipients).
Un certain nombre d’efforts sont faits au niveau de la direction de la pharmacie et des laboratoires du Sénégal avec la sortie en 2009 de l’arrêté n°05036/MSP/ du 22/04/09 présentant une nouvelle organisation du système national sénégalais de pharmacovigilance.
L’imputabilité
Elle définit l’analyse, cas par cas, du lien de causalité entre la prise d’un médicament et la survenue d’un événement indésirable. Il s’agit d’une analyse individuelle pour une notification donnée, qui ne peut prétendre étudier le potentiel de dangerosité du médicament dans l’absolu ou l’importance du risque induit par ce médicament pour une population. Une méthode française officielle [5] est d’utilisation obligatoire en France, y compris pour les industriels dans le cadre de la déclaration obligatoire. L’imputabilité combine des critères « chronologiques », des critères « sémiologiques » et un score « bibliographique ».
• Les critères chronologiques et critères sémiologiques Ils constituent l’imputabilité intrinsèque permettant de définir le degré de relation de cause à effet entre un médicament et un événement clinique ou biologique chez un patient donné [5, 6, 7].
• Le score bibliographique Il est défini par l’imputabilité extrinsèque, très utile pour qualifier le degré de nouveauté de l’effet inattendu ou toxique médicamenteux au moment de sa constatation. 4 degrés ont été ainsi déterminés :
– B3 : effet notoire décrit dans au moins une des références habituelles (VIDAL MARTINDAL, Meyler’s side effect of drugs…).
– B2 : effet non notoire seulement publié une ou deux fois.
– B1 : l’effet décrit ne correspond ni à la définition du score B3 ni à celle du score B2.
– B0 : l’effet rapporté semble tout à fait nouveau et n’a jamais été publié.
La méthode d’imputabilité, très codifiée, doit être basée sur des données fiables et validées pour qu’une conclusion puisse être apportée quant à la responsabilité d’un médicament dans l’apparition d’un effet indésirable.
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Table des matières
INTRODUCTION
PREMIERE PARTIE : GENERALITES
I – GENERALITES SUR LA PHARMACOVIGILANCE
I. 1 – Définitions et terminologie
I.1.1 – Définition
I 1.2 – Objectifs de la pharmacovigilance
I.1.3 – Les médicaments
I.1.4 – La notification
I.1.5 – L’imputabilité
I.1.6 – Le signal
I.1.7 – L’alerte
I.1.8 – Les effets indésirables
I.1.8.1 – Classification des effets indésirables des médicaments suivant leurs mécanismes
I.1.8.1.1 – Effets indésirables directement liés à l’effet pharmacologique principal
I.1.8.1.2- Effets indésirables liés à une propriété pharmacologique parallèle de la molécule
I.1.8.1.3- Effets indésirables non liés à une propriété pharmacologique connue du médicament
I.1.8.2- Classification des effets indésirables des médicaments selon la cause
I.1.8.2.1- Effets indésirables dus au médicament
I.1.8.2.2- Effets indésirables dus à la rencontre médicament- malade
I.1.8.3- Classification des effets indésirables par ordre alphabétique
I.1.9- Techniques de détection des effets indésirables
I.1.9.1- Méthode de la notification spontanée
I.1.9.2- Méthode de suivi des prescriptions (Prescription-Even Monitoring)
I.1.9.3- Méthode bayésienne
I.1.9.4- Méthode de détection systématique par informatique
I.1.9.5- Méthodes épidémiologiques
I.2- Les limites de l’étude des effets indésirables
I.2.1- Les méthodes
I.2.2- Le facteur temps
I.2.3- Les sujets tabous
I.3- Les obstacles a la pharmacovigilance
I.3.1- Les principaux obstacles
I.3.1.1- Des connaissances fragmentaires
I.3.1.2- Les inconvénients de la notification spontanée : la sous notification
I.3.1.3- L’absence d’organismes efficaces
I.3.2- Les autres obstacles
I.3.2.1- Autorités sanitaires et agences du médicament
I.3.2.2- Les obstacles au niveau de l’industrie pharmaceutique
I.3.2.2.1- La désinformation
I.3.2.2.2- Un manque de transparence
I.3.2.2.3- Des obstacles dressés face aux notifications
I.4- les obstacles auprès des professionnels de santé et des patients
I.4.1- Médecins
I.4.2- Pharmaciens
I.4.3- Infirmiers et autres professionnels de santé
I.4.4- Patients
II- GENERALITES SUR LE CANCER ET SUR LA CHIMIOTHERAPIE ANTICANCEREUSE
II.1- Rappels sur le cancer
II.1.1- Définition
II.1.2- Les circonstances de découverte des cancers
II.1.2.1- Des arguments en faveur du diagnostic
II.1.2.2- Des arguments de certitude
II.1.3- Les moyens thérapeutiques dans la maladie cancéreuse
II.2- Généralités sur la chimiothérapie anticancéreuse
II.3- Pharmacologie des anticancéreux disponibles au Sénégal
II.3.1- Antimétabolites
II.3.1.1- Le méthotrexate
II.3.1.2- Les médicaments leurres
II.3.2- Alkylants : les alkylants monofonctionnels
II.3.3- Modificateurs du DNA
II.3.3.1- Anti-topo-isomérase I
II.3.3.2- Anti-topo-isomérase II
II.3.3.3- Agents intercalants
II.3.3.4- Agents divers sur l’ADN
II.3.3.5- Poisons du fuseau cellulaire
II.3.3.6- Taxanes
DEUXIEME PARTIE : TRAVAIL PERSONNEL
I- OBJECTIFS DE L’ETUDE
II- CADRE DE L’ETUDE
II.1- L’hôpital Aristide le Dantec
II.2- L’hôpital Principal de dakar
III- MATERIELS ET METHODES
III.1- Population d’étude
III.2- Questionnaires
III.3- L’échantillonnage
III.3.1- Critères d’inclusion
III.3.2- Critères de non inclusion
III.4- Méthodes d’administration du questionnaire
III.5- Méthodes d’exploitation des résultats
IV- RESULTATS
IV.1- Répartition des prestataires enquêtés selon leur fonction
IV.2- Connaissance des prestataires sur la pharmacovigilance
IV.2.1- Connaissance de la pharmacovigilance
IV.2.2- Niveau de formation du personnel enquêté en pharmacovigilance
IV.2.3- Souhait d’une formation en pharmacovigilance
IV.2.4- Degré de connaissance de la définition de la pharmacovigilance
IV.2.5- Connaissance des objectifs de la pharmacovigilance
IV.2.6- Connaissance d’une fiche de notification
IV.2.7- Importance de la surveillance des médicaments après leur mise sur le marché selon les enquêtés
IV.2.8- Nécessité d’avoir un centre de pharmacovigilance au Sénégal
IV.3- Attitudes et pratiques
IV.3.1- Prescription des anticancéreux
IV.3.2- Attitude des professionnels de santé par rapport aux effets indésirables
IV.3.2.1- Place des effets indésirables médicamenteux en pratique chez les prestataires des services oncologiques
IV.3.2.2- Signes cliniques des effets indésirables rencontrés par les prestataires
IV.3.2.3- Conduite à tenir des prescripteurs face aux effets indésirables
IV.3.2.4- La notification des effets indésirables
IV.4- Recommandations recueillies auprès des enquêtés
V- DISCUSSION
VI- RECOMMANDATIONS
CONCLUSION