Rappels sur l’émission thermique
Lorsqu’un corps quelconque est à l’équilibre thermodynamique à une température T, les particules qui le composent sont soumises à des mouvements aléatoires qui constituent l’agitation thermique. Par conséquent, lorsqu’il s’agit de particules chargées, l’agitation thermique crée un courant fluctuant j, qui rayonne un champ électromagnétique qu’on appelle émission thermique ou incandescence.
Loi de Kirchhoff
Pour étudier le rayonnement thermique, nous allons rappeler quelques définitions de radiométrie en suivant le cours de Jean-Louis Meyzonnette et Thierry Lépine [Meyzonnette et al. 2001].
Flux La puissance transportée par un champ électromagnétique est appelée flux, exprimée en watt, et est donnée par la norme de la valeur moyenne du vecteur de Poynting II = E×H.
Luminance La luminance L est le flux dans une direction u, par unité d’angle solide, par unité de surface. Elle s’exprime donc en watt par mètre carré par stéradian.
Nous pouvons également définir la luminance spectrique Lλ telle que la luminance émise entre les longueurs d’onde λ et λ+δλ soit Lλ(λ)δλ. Dans ce manuscrit nous utiliserons systématiquement la luminance spectrique, qui sera désormais notée simplement L et appelée luminance. Définissons en outre la luminance polarisée L(l) qui désigne la luminance émise dans la polarisation l = TE ou TM (transverse électrique ou transverse magnétique). Ainsi, L = LT E + LTM. (1.1)
Rayonnement de corps noir
Considérons un corps noir, parfaitement absorbant. Nous pouvons nous figurer par exemple une enceinte fermée et vide aux parois parfaitement réfléchissantes. Ainsi, un photon à l’intérieur de cette enceinte est réfléchi sur les parois un très grand nombre de fois et se thermalise. Il s’agit donc d’étudier un gaz de photons à l’équilibre thermodynamique à une température T. Pour étudier le rayonnement qui sort d’une telle enceinte, perçons-la d’un trou infiniment petit, c’est-à-dire tel qu’on puisse toujours considérer que le photon se réfléchit un très grand nombre de fois sur les parois. En suivant par exemple la démonstration donnée dans le cours d’Antoine Georges et Marc Mézard [Georges et al. 2010], on peut alors calculer la luminance émise.
Terminons par quelques remarques. Premièrement, l’absorptivité est par définition inférieure à 1. Par conséquent, un corps à une température T ne peut pas émettre plus de puissance en champ lointain qu’un corps noir à une longueur d’onde, dans une polarisation et dans une direction données. Ensuite, l’émissivité permet de rendre compte de toutes les propriétés spécifiques au corps considéré tandis que L0 reflète la dépendance en température qui est parfaitement générale. Nous voyons ainsi que, paradoxalement, concevoir un bon émetteur thermique revient à imaginer un bon absorbant. Le calcul explicite est détaillé dans [Rytov et al. 1989] et [Joulain et al. 2005]. Dans le cas d’une interface plane, l’absorptivité et l’émissivité sont en fait égales à la transmission de l’interface, ce qui constitue un cas particulier de la loi de Kirchhoff.
Contrôle de l’émissivité en longueur d’onde, direction et polarisation
L’émissivité est donc une grandeur qui caractérise uniquement l’incandescence d’un corps. Elle dépend de la longueur d’onde et de la direction d’émission. Cependant, la première idée qui vient à l’esprit à propos de l’incandescence est le rayonnement de corps noir, c’est-à-dire une émissivité constante égale à 1. Cela implique un rayonnement isotrope et large spectralement mais ces propriétés ne sont pas intrinsèques à l’incandescence. Nous allons donc donner quelques exemples du contrôle de l’émissivité, qui permet de réaliser des sources incandescentes aux propriétés différentes.
Cohérence spatiale
Dans le cas d’un corps noir, le rayonnement thermique est isotrope : cela provient du fait que la source est incohérente spatialement. En effet, les courants fluctuants créés par l’agitation thermique ne présentent pas de corrélation spatiale. Autrement dit, l’agitation thermique en un point du corps noir est décorrélée de l’agitation thermique en un autre point. Les champs émis par les différents points de l’échantillon ne peuvent donc pas interférer constructivement dans certaines directions et destructivement dans d’autres. Comment peut-on alors concevoir un objet qui émette de manière directionnelle lorsqu’il est porté à une température T ?
Cohérence temporelle
D’autre part, l’émission thermique par un corps noir est caractérisée par une faible cohérence temporelle, c’est-à-dire un spectre large. De manière similaire au paragraphe précédent, il est en fait possible de concevoir une source telle que son émissivité dépende de la longueur d’onde, notamment pour obtenir un spectre étroit. Cela a d’abord été démontré par Irina Puscasu et William Schaich [Puscasu et al. 2008] puis par le groupe de Willie Padilla dans l’article [X. Liu et al. 2011]. La loi de Kirchhoff indique qu’il faut créer un échantillon qui soit un absorbant total à une longueur d’onde. C’est ce que les auteurs ont réalisé en employant une structure métal-isolant-métal (MIM), dont l’absorptivité est représentée sur la figure 1.3a. En chauffant cette structure à différentes températures, il est donc possible de mesurer la puissance émise en fonction de la longueur d’onde, représentée sur la figure 1.3b avec le spectre d’un corps noir à 300 ◦C. Cela montre bien que, pour cet échantillon absorbant à une longueur d’onde bien définie, le spectre d’émission thermique présente un pic à cette même longueur d’onde. En calculant le rapport de la puissance émise par l’échantillon à celle d’un corps noir à la même température, les auteurs mesurent l’émissivité. Elle présente effectivement un pic à λ = 5,8 µm comme l’absorptivité, ce qui est prédit par la loi de Kirchhoff. En revanche, elle varie légèrement avec la température : les auteurs attribuent cette dépendance à la dilatation de la couche de diélectrique en fonction de la température. En conclusion, il est possible de réaliser une source thermique à spectre étroit en contrôlant les propriétés d’absorption de l’échantillon.
Polarisation
L’absorptivité pouvant dépendre de la polarisation de la lumière incidente, la loi de Kirchhoff nous indique donc que le rayonnement peut aussi être polarisé, contrairement au rayonnement de corps noir. Dans le cas du réseau de [Greffet et al. 2002] par exemple, l’absorptivité n’est significative qu’en polarisation TE. Dans l’autre polarisation, le réseau ne joue aucun rôle et le carbure de silicium est essentiellement réfléchissant. La polarisation du rayonnement thermique a également été démontrée par l’étude de nanobâtonnets de platine chauds dans [Ingvarsson et al. 2007].
Modulation de la température
Modulation de la température de l’émetteur
La solution la plus évidente pour moduler en amplitude le rayonnement thermique est de moduler la température de l’ensemble de l’émetteur. En effet, la luminance du corps noir L0 dépend exponentiellement de la température, ce qui permet d’atteindre un fort contraste entre l’état chaud et l’état froid.
Micro-membranes Des émetteurs utilisant des micro-membranes de platine ont été realisés [Hildenbrand et al. 2010]. Ils modulent la température entre 800 ◦C et 20 ◦C, mais la fréquence est limitée à 10 Hz. Dans le même esprit, [Ali et al. 2015] atteignent une fréquence de coupure de 70 Hz. Ces émetteurs à micro-membranes sont limités par l’inertie thermique de la structure.
Graphène Le rayonnement thermique dans le graphène a d’abord été utilisé pour rendre compte des propriétés électriques et thermiques du matériau : [Bae et al. 2010 ; Bae et al. 2011 ; Freitag et al. 2009 ; Grosse et al. 2011 ; Luxmoore et al. 2013 ; Son et al. 2017]. Mais il est également possible de s’en servir comme source incandescente rapide : [Lawton et al. 2014] rapportent ainsi une fréquence de modulation de 100 kHz cependant le contraste à 100 kHz est à peu près 100 fois plus faible qu’à 1 kHz. Par la suite, [Mahlmeister et al. 2016] proposent d’augmenter la résistance thermique entre l’émetteur de graphène et le substrat, ainsi que d’encapsuler le système dans du nitrure de bore hexagonal (hBN). [Barnard et al. 2016] ont effectivement démontré l’émission thermique du graphène encapsulé dans du hBN, sans toutefois caractériser la réponse en fréquence. [Miyoshi et al. 2018] atteignent un temps de réponse de 100 ps pour un échantillon d’une surface de 1 µm2 . Cela leur permet notamment de démontrer la modulation du rayonnement thermique à une fréquence de 1 GHz. Ce temps de réponse très court peut laisser penser que le problème de la modulation rapide est réglé définitivement. Cependant le graphène n’est pas idéal à tous points de vue car son émissivité demeure faible, de l’ordre de 2% et les échantillons produits demeurent fragiles.
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Table des matières
Introduction
Chapitre 1 Généralités sur la modulation de l’émission thermique
Chapitre 2 Source thermique en bande II modulable rapidement
Chapitre 3 Source thermique modulable et polarisée linéairement
Chapitre 4 Propositions de métasurfaces pour la polarisation circulaire et l’émission en bande III
Conclusion
Annexe A Procédés de fabrication des échantillons
Annexe B Méthodes de caractérisation expérimentale
Annexe C Données des matériaux
Bibliographie
Table des matières
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