Depuis de nombreuses années, le silicium (Si) est le semi-conducteur de référence dans les systèmes de conversion de puissance, en particulier avec l’utilisation de composants bipolaires IGBT, de transistors MOS ou encore de thyristors GTO. Néanmoins, la technologie Si atteint aujourd’hui ses limites face à l’évolution des besoins en électronique de puissance de plus en plus exigeants. En effet, le développement actuel des énergies issues de sources renouvelables et l’augmentation de la consommation électrique nécessitent de nouveaux composants intégrés de puissance qui doivent minimiser les pertes et assurer une meilleure efficacité de conversion d’énergie, tout en optimisant la densité de puissance au niveau système.
Grâce à l’avènement des matériaux « grand gap » — c’est-à-dire à large bande interdite — tels que le nitrure de gallium (GaN) ou encore le carbure de silicium (SiC), un nouveau marché de conversion de puissance émerge et met à profit les propriétés exceptionnelles de large bande interdite et de fort champ électrique de claquage. Les applications des dispositifs à base de GaN s’étendent alors sur une gamme de fréquences et de puissances inatteignable par les autres matériaux, et plus particulièrement par le silicium, ce qui se traduit par des perspectives applicatives très élargies (Figure I-1). De plus, les progrès technologiques, et notamment d’épitaxie, permettent désormais la production de qualité industrielle de fines couches actives de matériaux GaN sur des substrats silicium de large diamètre (jusqu’à 200 mm). On parle alors de matériaux GaN sur Si (GaN-on-Si). Le coût de fabrication du matériau GaN s’en trouve donc considérablement réduit et l’intérêt de son application à l’échelle industrielle particulièrement accru.
Des composants à base de GaN particulièrement performants sont les transistors à haute mobilité électronique (HEMT pour l’anglais « High Electron Mobility Transistor») qui présentent des tensions de claquage, des vitesses de saturation et des mobilités des porteurs de charge très élevées, ce qui est un avantage majeur pour la conversion de puissance à haute efficacité. Cependant, ils présentent l’inconvénient d’être normally-on : leur canal (gaz bidimensionnel d’électrons 2DEG à très forte densité et haute mobilité) est peuplé d’électrons même à une tension de grille nulle, ce qui constitue une limitation pour la plupart des applications de puissance qui exigent l’utilisation d’interrupteurs normally-off, notamment pour des raisons de sécurité.
Le nitrure de gallium pour l’électronique de puissance
Historique du GaN
L’histoire du nitrure de gallium (GaN) remonte aux années 1932 où Johnson et al. [2] ont réussi à le synthétiser pour la première fois en faisant passer de l’ammoniac gazeux sur du gallium métallique à des températures élevées (entre 900 °C et 1000 °C). Le même procédé de synthèse a été suivi par Juza et Hahn [3] qui ont utilisé cette fois-ci une source de gallium liquide. Le GaN synthétisé était sous forme de poudre constituée d’aiguilles et plaquettes, ce qui a permis d’étudier la structure cristalline du GaN et son paramètre de maille. Les recherches se sont poursuives mais ce n’est qu’en 1968 que Maruska et Tietjen ont réussi à faire croître la première couche de GaN par épitaxie en phase vapeur d’hydrure (HVPE pour « Hydride Vapour Phase Epitaxy ») sur un substrat saphir [4]. Tout le GaN fabriqué à l’époque était de type N même s’il n’était pas intentionnellement dopé, les lacunes d’azote étant considérées comme donneurs. Plus tard, ce modèle a été remis en question et l’oxygène a été proposé comme donneur [3]. Les premiers succès de croissance de cristaux GaN, rapportés par Maruska et Tietjen au début des années 1970, ont conduit à une vague d’activités dans de nombreux laboratoires. Le potentiel du GaN a été mis en évidence à travers la fabrication du premier dispositif émetteur de lumière bleue (LED) basé sur une structure MIS [5].
À partir des années 1980, le GaN a connu une période de désintérêt de la part de la communauté scientifique. Plusieurs laboratoires ont arrêté leurs recherches sur le GaN en raison des difficultés rencontrées pour l’obtention de couches de bonne qualité cristalline, le contrôle du dopage résiduel de type N et du dopage de type P ainsi que le choix du substrat sur lequel s’effectue la croissance des couches. Seul un effort, très réduit, a été poursuivi pour lever les verrous technologiques liés à l’amélioration des couches et ce n’est que dans les années 1990 qu’une technique de croissance a été développée permettant l’obtention de couches de GaN de meilleure qualité cristalline. En effet, en 1986 Amano et al. [6] ont réussi à améliorer les propriétés morphologiques, optiques et électriques des couches GaN à travers l’introduction d’une couche intermédiaire (couche de nucléation) et, surtout, à obtenir un dopage de type P. Ces travaux ont abouti à la réalisation d’une jonction P-N puis à la fabrication de LED à lumière bleue en 1991 [7].
Les applications du GaN ne se sont pas limitées aux seules sources lumineuses bleues. Le potentiel du GaN pour l’électronique de puissance, pour les applications haute fréquence et pour la détection ultraviolet n’avait pas échappé à de très nombreux laboratoires dans le monde qui se sont investis dans des thématiques de recherche portant sur le GaN et son introduction dans diverses applications en électronique. En 1991, la formation spontanée d’un gaz d’électrons (2DEG) dans l’hétérostructure AlGaN/GaN a été observée pour la première fois par Asif Khan et al. [8]. Ce même groupe de chercheurs a démontré deux ans plus tard la faisabilité du premier transistor à haute mobilité électronique (HEMT). Le GaN s’est alors positionné comme concurrent du silicium, matériau de référence en microélectronique.
Propriétés du GaN
Structure cristallographique
Le nitrure de gallium cristallise essentiellement suivant deux structures distinctes : la structure zinc-blende (cubique) et la structure wurtzite (hexagonale).
La structure zinc blende est métastable thermodynamiquement [10]. Elle est obtenue sur des substrats de structure cubique comme le Si (001) [11] ou le SiC (100) [12]. L’utilisation des couches de GaN en phase cubique est limitée par la densité des défauts très élevée que présentent ces couches [13].
La structure cristalline hexagonale du GaN (phase Wurzite) est la plus communément obtenue et la plus stable thermiquement et mécaniquement. Elle est constituée de deux sous-réseaux hexagonaux : un avec les atomes de gallium (Ga) et l’autre avec les atomes d’azote (N), interpénétrés et décalés suivant l’axe c [9]. La surface de l’épitaxie obtenue est définie par le type d’atomes déposés en dernier lieu. Deux types de films sont à distinguer : le GaN à face azote (azote déposé en fin du réseau) et le GaN à face gallium (avec atomes de gallium en dernier réseau). De plus, l’épitaxie des couches peut se faire suivant plusieurs directions de croissance (plan a, plan m, plan c). Le choix de la direction se fait en fonction de l’application envisagée. En effet, pour les applications électriques haute fréquence, la croissance se fait suivant l’axe c compte tenu du fort champ électrique interne. À l’inverse, le domaine de l’optoélectronique recherche la suppression de ce champ interne donc l’utilisation d’une croissance suivant le plan m ou le plan a.
Le caractère direct de la bande interdite du GaN prédestine ce matériau à des applications en optoélectronique. En effet, il offre la possibilité de réaliser des alliages ternaires d’InGaN ou d’AlGaN à travers l’ajout de composés In (indium) ou Al (aluminium). L’énergie de la bande interdite peut varier de ~0,7 eV (pour l’InN) à ~6,3 eV (pour l’AlN) en fonction de la concentration d’Al ou d’In, ce qui permet de couvrir la quasi-totalité du spectre lumineux, du visible à l’ultraviolet. De plus, le GaN est aussi avantageux pour des applications hautes tensions et hautes températures grâce aux polarisations spontanée et piézoélectrique que présente le matériau, sous l’effet d’une contrainte, en plus de son champ de claquage élevé.
Champ de claquage
Le champ de claquage EC, ou champ électrique critique, est la valeur du champ électrique maximum que peut supporter le matériau avant toute détérioration irréversible. Il existe une relation de proportionnalité entre la largeur de la bande interdite et le champ de claquage : plus la bande interdite est grande et plus le champ de claquage est élevé. Étant donné que le GaN est un matériau à large bande interdite, son champ de claquage est très important (3 MV.cm-1 [16]) et 10 fois supérieur à celui du Si [17]. Cette propriété permet aux transistors à base de GaN de supporter des tensions de fonctionnement élevées, ce qui rend ce matériau adapté à des applications de puissance.
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Table des matières
Introduction générale
I Chapitre 1 : Généralités sur la filière nitrure de gallium et les transistors HEMTs AlGaN/GaN
I.1 Introduction
I.2 Le nitrure de gallium pour l’électronique de puissance
I.2.1 Historique du GaN
I.2.2 Propriétés du GaN
I.2.2.1 Structure cristallographique
I.2.2.2 La bande interdite
I.2.2.3 Champ de claquage
I.2.2.4 Mobilité des porteurs
I.2.2.5 Conductivité thermique
I.2.3 Les substrats de croissance du nitrure de gallium GaN
I.2.3.1 Le saphir
I.2.3.2 Le carbure de silicium SiC
I.2.3.3 Le silicium Si
I.2.4 Les méthodes de croissance du nitrure de gallium
I.2.4.1 Épitaxie en Phase Vapeur à partir d’Hydrure (EPVH)
I.2.4.2 Épitaxie en Phase Vapeur d’OrganoMétalliques (EPVOM) MOCVD
I.2.4.3 Épitaxie par Jets Moléculaires (MBE)
I.3 Généralités sur les transistors HEMTs AlGaN/GaN
I.3.1 Composition de la structure HEMT AlGaN/GaN
I.3.2 L’hétérojonction et le gaz bidimensionnel d’électrons
I.3.2.1 Polarisations spontanée et piézoélectrique
I.3.2.1.1 Polarisation spontanée
I.3.2.1.2 Polarisation piézoélectrique
I.4 État de l’art des transistors HEMTs « normally-off »
I.4.1 Grille enterrée (« Recess gate »)
I.4.2 Grille P-GaN
I.4.3 Implantation aux ions fluor
I.4.4 P-GaN enterré
I.4.5 Cascode
I.5 Conclusion
II Chapitre 2 : Une nouvelle structure de HEMT normally-off AlGaN/GaN avec une grille à barrière P-GaN par reprise d’épitaxie localisée
II.1 Introduction
II.2 Nouvelle structure de HEMT AlGaN/GaN normally-off
II.2.1 Étalonnage de la simulation physique
II.2.1.1 Maillage
II.2.1.2 Modèle physique et paramètres
II.2.1.3 Étude à l’état passant
II.2.2 Résultats de simulations du HEMT normally-off avec une grille à barrière P-GaN
II.2.2.1 Grille Schottky
II.2.2.2 Grille MIS
II.3 Conception des masques pour la fabrication du HEMT
II.3.1 Description des étapes de fabrication de la structure HEMT normally-off à grille à barrière P-GaN par épitaxie localisée
II.3.2 Conception du jeu de masques
II.3.2.1 HEMT normally-off et normally-on (groupes A, B, C, D, P & S)
II.3.2.2 Structures de tests
II.3.2.2.1 Structures TLM
II.3.2.2.2 Barre de Hall et motif Van der Pauw
II.3.2.2.3 Diodes Schottky et capacité MIS
II.4 Conclusion
III Chapitre 3 : Mise en place du procédé technologique de fabrication d’un HEMT normallyoff avec une grille à barrière P-GaN par épitaxie localisée
III.1 Introduction
III.2 La gravure de grille
III.2.1 Techniques de lithographie
III.2.1.1 Lithographie optique par contact
III.2.1.2 Lithographie optique par proximité
III.2.1.3 Lithographie optique par projection (Stepper ou Photorépéteur)
III.2.1.4 Lithographie électronique par écriture Laser
III.2.2 La gravure : principe et procédés
III.2.2.1 Définition des paramètres caractérisant une gravure
III.2.2.2 Les techniques de gravure
III.2.2.2.1 La gravure humide
III.2.2.2.2 La gravure par plasma
III.2.2.2.3 Gravure par couche atomique (Atomic Layer Etching)
III.2.3 La gravure de l’AlGaN
III.2.3.1 Etat de l’art
III.2.3.2 Développement du procédé de gravure de l’AlGaN
III.2.3.2.1 Protocole expérimental
III.2.3.2.2 Détermination du temps de gravure
III.2.3.2.3 Caractérisation après gravure
III.2.3.2.4 Influence du temps de gravure et de la taille des échantillons
III.2.3.2.5 Résidus post-gravure
III.2.3.2.6 Synthèse des résultats de gravure
III.3 La reprise d’épitaxie localisée d’une couche P-GaN
III.3.1 Préparation des échantillons
III.3.2 Reprise d’épitaxie par MOCVD
III.3.3 Reprise d’épitaxie par MBE
III.3.3.1 Reprise d’épitaxie de GaN non dopé
III.3.3.2 Reprise de GaN dopé p
III.3.4 Retrait du SiO2
III.4 Étude des contacts ohmiques
III.4.1 Bases théoriques du contact métal/ semi-conducteur
III.4.1.1 Travail de sortie et affinité électronique
III.4.1.2 Jonction idéale métal/semi-conducteur
III.4.1.3 Modes de conduction à travers une barrière Schottky
III.4.2 Cas du contact métal/hétérostructure dans un HEMT AlGaN/GaN
III.4.2.1 Stratégie de création optimisée d’un contact ohmique sur une hétérostructure AlGaN/GaN
III.4.2.2 Etat de l’art des contacts ohmiques pour HEMTs en AlGaN/GaN
III.4.2.3 Synthèse et choix des métaux pour la structure HEMT AlGaN/GaN avec une grille à barrière P-GaN
III.5 Description des étapes complémentaires pour la fabrication du HEMT
III.5.1 Isolation des composants
III.5.2 Passivation et traitement de surface
III.5.3 Métallisation des contacts
III.6 Conclusion
Conclusion Générale