Le mot « urgence » vient du latin urgere et signifie presser. Selon le dictionnaire Larousse (2) « est urgent ce qui ne souffre aucun retard », L’urgence en médecine est définie par une situation médicale qui ne peut pas ou très peu attendre une prise en charge. Il faut cependant distinguer l’urgence « objective » (situation impliquant l’intervention rapide d’un médecin, seul compétent pour administrer les soins ou prescrire les médicaments nécessaires) de l’urgence « subjective » (situation ressentie comme urgente par le patient, qui selon lui ne peut souffrir de retard et qui est influencée par des facteurs personnels tels que la peur, la résistance à la douleur, le vécu personnel…).
Ces critères nous permettent d’avoir une première approche pour distinguer la «vraie» urgence de la « fausse» urgence. Il est donc important de différencier les urgences douloureuses des urgences dites « de confort » afin de prioriser les prises en charge et de moduler le planning de manière adaptée et justifiée. Une autre définition de l’urgence fait intervenir la notion de douleur : « L’urgence est une situation pathologique aigue ou chronique, essentiellement marquée par la douleur, pouvant mettre en jeu le pronostic vital et nécessitant une action immédiate et spécifique [66].
L’urgence en odontologie pédiatrique prend une place importante dans nos actes de tous les jours. C’est un acte souvent inattendu auquel il faut faire face. Les urgences dentaires existent au niveau de chaque classe d’âge mais elles sont aussi fréquentes au niveau de la classe d’âge infantile. Les urgences en pathologie bucco-dento-maxillaire résultent pour une grande partie, de la négligence et de l’ignorance de l’enfant et des parents. Même si les urgences bucco-dentaires ne mettent que très rarement le pronostic vital en jeu, elles sont néanmoins invalidantes par la douleur et les conséquences à long terme. Cependant, elles nécessitent une prise en charge rapide et adaptée à l’enfant notamment lorsqu’elles s’accompagnent d’un tableau douloureux [59]. En effet, il est certain que la douleur reste encore le principal motif de consultation d’urgence en odontologie pédiatrique quel que soit l’âge et le type de dent concerné : temporaire ou permanente immature. Cette douleur était associée à une lésion carieuse, traumatique, parodontale ou un problème d’éruption [3,45]. Soulager la souffrance des patients est la raison d’être de la médecine. Leur prise en charge est un devoir, ainsi le rôle de tout personnel soignant est d’aider à soulager le plus rapidement et le plus complément possible la douleur. Il s’agit d’un impératif légal mais aussi éthique.
GENERALITES SUR LA DOULEUR
Définition de la douleur
La douleur est définie comme « une sensation pénible en un point ou dans une région du corps » (Le petit Robert, 2008). D’après l’IASP (International Association for the Study of Pain, 1979), elle est définie comme une « expérience sensorielle et émotionnelle désagréable associée à un dommage tissulaire réel ou potentiel, ou décrite en termes d’un tel dommage. ». On décrit habituellement trois composantes de la sensation douloureuse:
– sensori-discriminative: c’est la capacité à analyser la nature (piqûre, brûlure…), la localisation, l’intensité et la durée du stimulus nociceptif ;
– affective et émotionnelle: c’est la tonalité désagréable de la douleur, pénible, voire insupportable, pouvant évoluer vers l’anxiété ou la dépression. Cette composante est au premier plan chez les enfants ;
– cognitive : c’est l’ensemble des processus mentaux capables d’influencer la perception de la douleur et des comportements qu’elle induit. Elle permet d’en comprendre la cause ou le mécanisme, de communiquer des informations pour obtenir un soulagement, et de comparer avec des expériences antérieures. Elle demande une certaine maturation intellectuelle et donc dépend fondamentalement de l’âge et des acquis car elle fait intervenir les souvenirs de l’individu. Elle varie en fonction d’un éventuel handicap [58].
Évolution de la compréhension de l’enfant sur les causes et les conséquences de la douleur et de la maladie
Les stades de développement selon PIAGET
La perception de la maladie par l’enfant aux différents stades est décrite.
Stade préopératoire : de 2 à 7 ans
Pendant ce stade, les enfants ne sont pas capables de prendre de la distance par rapport à leur environnement. Leur explication sur la maladie repose sur une simple relation de cause à effet fondée sur des repères spatiaux et temporels spécifiques de leur environnement [51]. Deux notions sont décrites :
– le phénoménisme : la cause de la maladie est perçue comme un phénomène extérieur concret qui survient en même temps que la maladie ;
– la contagion : la cause de la maladie est localisée dans les objets ou dans les personnes qui sont proches de l’enfant mais qui ne le touchent pas ; le lien entre la cause de la maladie et celle-ci est due à la proximité ou à de la magie [63].
Stade opératoire concret: de 7 à 11 ans
L’enfant devient capable de se différencier des autres. Il peut faire la différence entre les causes de la maladie et les conséquences de celle-ci. Deux phénomènes sont présents :
– la contamination : la cause de la maladie est une personne ou un objet ou une action externe à l’enfant, qui peut être « mauvais » ou porter atteinte à son corps ; la cause perçue influe sur la maladie par un contact physique ou par l’enfant qui entreprend une action nocive.
– l’intériorisation : la maladie est localisée dans le corps bien que sa cause fondamentale reste externe. Elle est encore décrite en termes vagues [63].
Stade opératoire formel: 12 ans et plus
Les enfants commencent à penser et à comprendre le monde en des termes plus abstraits [44] ; la cause de la maladie est décrite comme un mauvais fonctionnement ou le non fonctionnement d’un organe ou d’un processus. L’enfant est capable de décrire sa maladie comme une succession d’évènements. Il donne également des explications psycho-physiologiques ; il réalise que des actions psychologiques et certaines attitudes ont un impact sur la santé et sur la maladie. Cette maladie est décrite en termes de processus internes physiologiques prenant en compte des facteurs psychologiques [51].
Perception de l’enfant sur les causes et les conséquences de la douleur en fonction de son âge
– de 2 à 7 ans : la douleur est une expérience essentiellement physique. L’enfant peut croire à une disparition magique de la douleur ; il ne fait pas la distinction entre la cause et les conséquences de la douleur. La douleur est souvent perçue comme une punition pour une mauvaise action ou une mauvaise pensée, surtout s’il a fait une chose interdite juste avant de ressentir la douleur. Il tient quelqu’un d’autre pour responsable de la douleur qu’il ressent et donc il peut devenir verbalement ou physiquement méchant, agressif. [63]
❖ De 7 à 11 ans : la douleur est une expérience physique mais il peut localiser la douleur à certaines parties du corps. La peur d’une destruction du corps et de la mort s’immisce dans les pensées.
❖ De 10 à 12 ans : stade transitoire. La perception de la douleur n’est pas aussi conforme à la réalité que dans le stade précédent et pas aussi sophistiquée que dans le stade suivant.
❖ 12 ans et plus : commence à résoudre les problèmes. Il peut imaginer les conséquences néfastes de la douleur. [63] Jean Piaget s’est intéressé à comprendre et à étudier les mécanismes de développement cognitif et intellectuel de l’enfant en les isolant de l’affectivité. Or nous savons que la composante affective, émotionnelle est très importante dans l’approche de la douleur et qu’il convient d’y être attentif.[37] La connaissance des stades de développement cognitif reste un repère théorique qui doit permettre aux soignants d’être plus proches de l’enfant. L’utilisation de termes adaptés à l’enfant et à son environnement doit aider à mieux évaluer ladouleur, de comprendre une agressivité ou un silence trop grand. Cette meilleure communication doit permettre de diminuer l’anxiété et la détresse et d’améliorer la qualité de la relation thérapeutique et donc la prise en charge de la douleur.
Le vécu de la douleur en fonction de l’âge de l’enfant
La connaissance des différents stades évoqués par Piaget permet d’adapter l’approche comportementale à chaque enfant. Les protagonistes qui interviennent à ce moment sont l’enfant, la famille et le praticien. Selon l’âge de l’enfant et son appréhension de la douleur, l’approche thérapeutique sera différente.
Le nourrisson : de 0 à 2 ans
C’est la phase orale. La sphère buccale est un organe de plaisir et de découverte de l’environnement. La succion est la fonction psychologique de sécurisation affective. L’enfant apprend progressivement à sortir de la phase symbiotique et à se distinguer de sa mère. Dans la grille de Piaget, cette phase correspond au stade sensori-moteur. Pour supporter la séparation maternelle l’enfant utilise souvent un objet transitionnel (doudou, peluche, chiffon…)[51]. Lors de cette phase, le petit ne supporte pas d’être maintenu sur le fauteuil et d’ouvrir la bouche : ceci peut déclencher des pleurs : l’enfant ne peut pas comprendre le bienfait des soins et donc, il ne peut pas coopérer. A cet âge, les pleurs sont un signe d’inconfort, autant sinon plus qu’une expression de peur ou de douleur.
La petite enfance : de 2 à 6 ans
De 2 à 4 ans :
L’enfant a encore peu de vocabulaire mais il comprend beaucoup de choses. Il sait dire « je». [51] A trois ans, il a une phase d’opposition qui est l’affirmation d’un moi. Cette période est appelée stade anal. Elle est marquée par l’obstination et l’entêtement.
La fonction représentative et symbolique se met en place, d’où l’importance de commenter chacun de nos actes. [9] Il n’y a pas encore de véritable notion du temps, de même que douleur est encore confondue avec gêne. Les pleurs remplacent souvent l’expression verbale devant une expérience nouvelle et ne sont pas forcément un signe de douleur. Le temps d’attention est limité à 5 minutes environ.
De 4 à 6 ans :
C’est le stade phallique ou œdipien. L’enfant teste son pouvoir de séduction. Le langage se développe avec le « pourquoi ? » Il aime imiter. Sa durée de concentration progresse mais sans excéder 10 minutes.
La grande enfance : de 6 à 11 ans
C’est une période de latence, plutôt paisible. Il y a un développement intense des relations sociales et des capacités intellectuelles.
L’adolescence
A partir de 12 ans, c’est la période de la puberté. Cette période peut être plus ou moins houleuse ; l’enfant peut être susceptible et la communication n’est pas toujours facile.
Conséquences de la douleur chez l’enfant : la mémoire de la douleur
La SFETD (Société Française d’Etude et de Traitement de la Douleur) met la douleur iatrogène au centre des préoccupations de santé publique, au sein notamment des plans de lutte contre la douleur à partir de 1998. [73] La douleur provoquée par les soignants peut être amplifiée par le vécu et le conditionnement du patient. Cela peut entraîner parfois une réponse disproportionnée par rapport au stimulus provoqué par le geste thérapeutique.
Le problème ainsi évoqué est la mémorisation de la douleur : une mémoire exceptionnellement négative lors d’une expérience précoce peut entraîner une forte peur des traitements médicaux, voire une somatisation à l’âge adulte. C’est pourquoi les enfants doivent être préparés aux expériences douloureuses pour éviter l’impact négatif provoqué par la mémoire de la douleur. La peur de la douleur est en effet parfois pire que la douleur elle-même. [64] La détresse et la douleur lors d’un geste influencent de manière négative le souvenir des enfants sur le détail du geste. L’étude de Salmon et Coll. a montré que plus les enfants pleurent, moins ils se rappellent précisément les détails du geste. Les enfants douloureux font plus attention aux mots se rapportant à la douleur et s’en souviennent mieux : la douleur rend plus vigilant à la douleur. Le souvenir d’une douleur et d’une détresse peut influencer une anxiété anticipatoire et / ou les capacités à faire face lors des gestes ultérieurs. L’étude de Davey en 1989 montre qu’un enfant ayant eu des soins dentaires douloureux a plus de risque d’être anxieux lors de soins futurs. [64] Les enfants peuvent se rappeler longtemps les détails de gestes douloureux et stressants. Le souvenir de douleurs antérieures peut être déformé si une douleur intense est vécue au moment du test de rappel, de même que l’anxiété du moment peut influencer le souvenir d’une douleur antérieure. [64] Les enfants réagissent de façon plus violente aux expériences douloureuses aiguës que les adultes. C’est à la fois une conséquence de leur incapacité à concevoir un lien de causalité entre la sensation douloureuse et un évènement de nature transitoire en particuliers et de la peur de la douleur. [64] La mémorisation de la douleur peut être affectée par de nombreuses différences individuelles comme l’âge, le tempérament, l’anxiété, la réponse à la douleur et les expériences antérieures. Ainsi pour un même geste, les enfants plus jeunes rapportent plus de douleurs que les enfants plus âgés.
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Table des matières
INTRODUCTION
PREMIÈRE PARTIE : DONNÉES FONDAMENTALES
1. GENERALITES SUR LA DOULEUR
1.1. Définition de la douleur
1.2. Évolution de la compréhension de l’enfant sur les causes et les conséquences de la douleur et de la maladie
1.2.1. Les stades de développement selon PIAGET
1.2.3. Perception de l’enfant sur les causes et les conséquences de la douleur en fonction de son âge
1.3. Le vécu de la douleur en fonction de l’âge de l’enfant
1.3.1. Le nourrisson : de 0 à 2 ans
1.3.2. La petite enfance : de 2 à 6 ans
1.3.3. La grande enfance : de 6 à 11 ans
1.3.4. L’adolescence
1.4. Conséquences de la douleur chez l’enfant : la mémoire de la douleur
2. URGENCES
2.1. Définition de l’urgence
2.2. Formes cliniques des urgences et leur prise en charge
2.2.1. Urgences endodontiques
2.2.1.1. En Denture temporaire
2.2.1.1.1. Pulpite aigue
2.2.1.1.2. Pulpite avec participation desmodontale
2.2.1.1.3. Syndrome de septum
2.2.1.2. En denture permanente
2.2.1.2.1. Pulpite réversible ou hyperhémie pulpaire
2.2.1.2.2. Pulpite irréversible
2.2.1.2.3. Parodontite apicale aigue
2.2.2. Urgences en rapport avec l’éruption dentaire
2.2.2.1. Accidents de la première dentition
2.2.2.1.1. Prurit gingivo-dentaire
2.2.2.1.2. La péri coronarite
2.2.2.2. Les accidents de la deuxième dentition
2.2.2.2.1. La stomatite odontiasique
2.2.2.2.2. La péricoronarite
2.2.3. Urgences infectieuses
2.2.3.1. Fistule
2.2.3.2. Abcès alvéolaire aigu
2.2.3.2.1. En denture temporaire
2.2.3.2.2. En denture permanente
2.2.3.3. La cellulite circonscrite aigue
2.2.3.3.1. Définition
2.2.3.3.2. En denture temporaire
2.2.3.3.3. En denture permanente
2.2.3.4. Abcès parodontal
2.2.4. Urgences en rapport avec les pathologies de la muqueuse
2.2.4.1. Les aphtes
2.2.4.2. La gingivo-stomatite herpétique
2.2.5. Urgences traumatiques
2.2.5.1. Urgences traumatiques en denture temporaire
2.2.5.1.1. Concussion
2.2.5.1.2. Subluxation
2.2.5.1.3. Extrusion
2.2.5.1.4. Luxation latérale
2.2.5.1.5. Expulsion
2.2.5.1.6. Intrusion
2.2.5.1.7. Fêlures
2.2.5.1.8. Fractures
2.2.5.1.9. Traumatismes dento-alvéolaire
2.2.5.2. Urgences traumatiques en denture permanente
2.2.5.2.1. Concussion ou subluxation
2.2.5.2.2. Extrusion
2.2.5.2.3. Intrusion
2.2.5.2.4. Luxation latérale
2.2.5.2.5. Expulsion
2.2.5.2.6. Fêlures et fractures amélo-dentinaires
2.2.5.2.7. Fractures amélo-dentino-pulpaires
2.2.6. Urgences hémorragiques
2.2.6.1. Définition
2.2.6.2. Conduite à tenir en urgence face à une hémorragie
DEUXIEME PARTIE
1. JUSTIFICATIONS ET OBJECTIFS
2. MATERIEL ET METHODE
2.1. Type d’étude
2.2. Population et cadre d’étude
2.3. Critères de sélection
2.4. Procédure et collecte des données
2.5. Analyse statistique
3. RESULTATS
3.1. Caractéristiques sociodémographiques
3.1.1. Répartition selon l’âge
3.1.2. Répartition selon le sexe
3.2. Données cliniques
3.2.1. Type de consultation
3.2.2. Répartition des urgences selon les années
3.2.3. Motif de la consultation
3.2.4. Nature de l’urgence
3.2.5. Dent causale
3.2.6. Type de denture
3.2.7. Diagnostic
3.2.8. Traitement
DISCUSSION
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE /WEBOGRAPHIE
ANNEXES