Généralités sur la construction en terre crue
Les intérêts de la construction en terre crue
On peut dénombrer trois avantages principaux de la construction en terre crue. Sur le plan socio-économique, l’un des premiers avantages de ce type de construction est le fait que le matériau de base soit largement disponible et le plus souvent immédiatement à la portée des utilisateurs. En effet, de par leur origine géologique, les sols constructibles sont en général à la surface juste en dessous des terres dites végétales épaisses de quelques dizaines de centimètres. Ce processus géologique est retrouvé sur une large partie du globe. Aussi, avant l’essor et l’expansion des matériaux modernes tels que le béton et l’acier, chaque région du monde jouissait d’une longue histoire de construction vernaculaire. Le patrimoine bâti ancien et les vestiges archéologiques en sont les témoins intemporels. Grâce à sa large disponibilité, le matériau terre crue se retrouve dans la culture constructive de diverses régions du monde. En 2011, on estimait à environ 10% la part de constructions en terre crue sur le patrimoine mondial (UNESCO Centre du patrimoine, n.d.). Ainsi, la construction en terre crue fait partie de l’identité culturelle de certaines régions du monde comme le sud-ouest de la France (Ruefly et al., 2017), Tombouctou au Mali, voire de certains pays comme le Yémen (Minke, 2009). Outre l’intérêt de la continuité culturelle, la construction terre crue peut être une réponse pertinente à la problématique de logement. En effet, le coût de production et de transport des matériaux de construction modernes, en l’occurrence le béton, les rend inaccessibles aux populations des pays en voie de développement. Aussi, la réalisation d’ouvrages et de bâtiments dans les pays développés donne lieu à l’excavation et à la mise en décharge de millions de m3 de terre qui aurait pu être valorisée en matériau de construction.
L’aspect environnemental de la construction en terre crue est l’un de ses avantages les plus promus dans le contexte actuel de lutte contre le réchauffement climatique. Le matériau terre crue a un impact environnemental qui repose essentiellement sur l’énergie nécessaire à son extraction, à son transport et à sa mise en œuvre pour ses formes les plus industrielles. L’impact environnemental lié au transport est d’autant limité de par le principe que le matériau est disponible à proximité du site de construction. Très peu transformé, il est également recyclable quasiment à l’infini. Enfin, un certain nombre de propriétés intrinsèques du matériau terre crue longtemps mises à profit dans les constructions anciennes suscitent de nos jours un intérêt particulier pour les acteurs du bâtiment. Grâce à ses capacités hygroscopiques, le matériau terre crue est capable de réguler naturellement l’humidité de l’air et par suite la température à l’intérieur du bâtiment. D’abord, l’ajustement naturel de l’humidité intérieure limite les risques de pathologies liées à une condensation prolongée telles que l’apparition de moisissures et de maladies respiratoires pour les habitants (Minke et al., 2009). Aussi, l’inertie thermique qui en découle permettrait de réduire les coûts énergétiques de chauffage et de climatisation des maisons selon le climat de la région.
Les techniques de construction
Il existe diverses techniques de construction en terre crue. Dans certains cas, la terre est amendée de fibres essentiellement végétales pour limiter les fissurations de retrait ou augmenter ses propriétés isolantes. Nous pouvons distinguer les parois monolithiques et celles faites à base de briques.
Les BTC, les briques extrudées et le pisé sont les techniques adoptées par la construction moderne en terre crue. Cela peut s’expliquer par leur caractère mécanisable et standardisable. Aussi, la terre coulée est une technique en phase d’étude. Si cette technique a l’avantage de bénéficier des techniques de mise œuvre déjà existantes du béton, le défi majeur est la réduction du temps de séchage pour de bonnes cadences de mise en œuvre ainsi que la réduction des impacts environnementaux de cette technique liés à sa composition (quantités importantes de liants et utilisation d’adjuvants (fluidifiants) (Pinel, 2017).
En plus de ces éléments de structure, il y a l’utilisation de la terre crue comme matériau de finition. A l’intérieur ou à l’extérieur, les enduits en terre crue jouent un rôle essentiellement esthétique. Placés à l’intérieur d’un bâtiment, ils amélioreront grandement le confort hygrothermique grâce aux fortes capacités de régulation hygroscopique de la terre. Le projet ANR BIOTERRA qui s’est terminé en 2018 a d’ailleurs démontré que l’épaisseur active de ces enduits est inférieure ou égale à 2 cm (McGregor et al., 2017). Si dans la plupart des cas la construction est faite avec la terre disponible dans les environs du chantier, une sélection locale est tout de même réalisée selon les caractéristiques du matériau et leur compatibilité avec le type de construction.
Le matériau terre crue
♦ Formation géologique
Les sols sont des matériaux meubles issus de l’altération profonde des roches. Les interactions physiques (variations climatiques), chimiques (dissolution par l’eau) et biologiques (racines des plantes et actions de micro-organismes) avec la roche mère au fil de plusieurs milliers d’années aboutissent à la formation d’une couche géologique superficielle qui se décline en plusieurs souscouches pédologiques .
Proche de la surface, on distingue les horizons O et A qui sont riches en matières organiques utiles au développement des plantes. Les couches comportant très peu de matières organiques (Horizons E à C) sont plus appropriées pour la construction. Essentiellement minérale, cette partie du sol est un mélange d’argile, de limon, de sable et, accessoirement, de gravier.
♦ La composition granulométrique de la terre crue .
La fraction argileuse est un constituant essentiel dans les sols utilisés pour la construction. Elle lui confère sa cohésion. En présence d’eau, la fraction argileuse forme une pâte qui agglomère les autres grains et forme un bloc cohérent après séchage. Le comportement du sol vis-à-vis de l’eau dépend de la proportion de sa fraction argileuse et de la nature minéralogique du ou des argiles qu’il contient.
♦ Les argiles
On distingue la notion d’argile « granulométrique » de celle d’argile « minéralogique » : dans le premier cas, le terme « argile » désigne la fraction du sol dont les grains sont de diamètre < 2µ? quelque soit leur nature chimique ou minéralogique alors que dans le second cas, il est question d’espèce minéralogique caractéristique des argiles. Ainsi, les argiles (dans le sens minéralogique du terme) font partie, avec les micas, de la famille des phyllosilicates (silicates en feuillets) produits lors de la dégradation des minéraux des roches mères (feldspaths notamment).
♦ Classifications des sols
Plusieurs classifications des sols existent et s’appuient essentiellement sur les résultats d’essais géotechniques. L’analyse granulométrique (NF P94-041, 1995, p. 94; NF P94-057, 1992, p. 94), les limites d’Atterberg (NF P94-051, 1993) et la valeur au bleu de méthylène du sol (VBS) (NF P94-068, 1993) sont les essais géotechniques sur lesquels se basent la plupart des classifications. Les classifications les plus rencontrées sont :
o Le “American Association of State Highways and Transportation Officials (AASHTO)”
o Le « Unified Soil Classification System (USCS) » équivalente à celle du laboratoire des Ponts chaussées (LPC),
o La classification du Guide des travaux Routiers (GTR).
La construction en terre s’appuie sur ces classifications développées pour des applications routières afin de proposer des recommandations de sols convenables aux différents types de construction. Ainsi, la norme (XP P 13-901, 2001) recommande pour la réalisation des BTC .
Généralités sur les liants
Les liants minéraux
On regroupe sous le terme « liants minéraux » toutes les substances, généralement sous forme de poudre, composées de matière minérale et qui, en présence de solvant (en l’occurrence l’eau), réagissent pour former une pâte qui durcit par divers mécanismes en agglomérant des grains afin de former un bloc solide et pérenne. Les liants minéraux sont pour la plupart artificiels (seules les pouzzolanes naturelles échappent à cela mais n’ont un effet liant qu’en présence de chaux, ellemême artificielle). Les liants les plus couramment utilisés dans la construction en terre crue sont les ciments et les chaux. Quelques sous-produits industriels peuvent aussi être utilisés en addition ou en substitution partielle dans ces deux types de liants.
➤ Les ciments
Il existe plusieurs types de ciment selon leur composition. Les ciments Portland normalisés sont à base de clinker, d’autres constituants (d’origine naturelle ou de sous-produits industriels) et de sulfate de calcium ajouté pour réguler la prise du ciment. Le clinker est obtenu par cuisson à 1450°C d’un mélange d’argile et de calcaire. Il contient des minéraux anhydres hydrauliques qui, en présence d’eau, produisent des hydrates responsables de la prise et du durcissement de ce liant. Le durcissement pouvant se faire sous l’eau, on parle de liant hydraulique (NF EN 197-1, 2012). Le béton de ciment est le matériau de construction le plus utilisé dans le monde (Torgal et al., 2011). La production mondiale de ciment a été estimée à environ 4100 millions de tonnes en 2018 selon une étude du United States’ Geological Survey (USGS) (Curry, n.d.). Selon (Gartner, 2004), la production d’une tonne de ciment est à l’origine de l’émission de 0,94 tonnes de gaz carbonique (CO2), dont 0,55 tonnes par réaction chimique, et 0,39 tonnes par le combustible de cuisson. Notons que la part d’émission de CO2 du transport n’est pas comptabilisée pour cause d’absence de données pertinentes. L’émission totale de CO2 du clinker peut donc être estimée à une tonne pour une tonne de clinker. Néanmoins, le recours aux ciments composés permet de réduire cet impact.
➤ Les chaux
A l’instar du ciment, on distingue plusieurs types de chaux. La chaux est obtenue par calcination de certains minéraux comme la calcite (CaCO3), la dolomite (CaMg(CO3)2) et la magnésite ou carbonate de magnésium (MgCO3) plus ou moins pure. La température nécessaire à la calcination complète est respectivement de 898°C pour les carbonates de calcium et de 402°C à 480°C pour les carbonates de magnésium (Crump, 2000).
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Table des matières
INTRODUCTION GENERALE
CHAPITRE I: ETAT DE L’ART ET PRESENTATION DE LA PROBLEMATIQUE DE THESE
INTRODUCTION
REVUE BIBLIOGRAPHIQUE
Généralités sur la construction en terre crue
Généralités sur les liants
Stabilisation de la terre crue pour la construction
PRESENTATION DE LA PROBLEMATIQUE
Quel type de produit de construction en terre crue avec quelle technique ?
Quelles sont les caractéristiques les plus importantes à prendre en compte ?
Est-il nécessaire de stabiliser les briques en terre crue ?
La stabilisation avec les liants minéraux classiques est-elle pertinente ? Si non, quelles sont les alternatives ?
CHAPITRE II: MATIERES PREMIERES ET PROCEDURES EXPERIMENTALES
INTRODUCTION
MATIERES PREMIERES
Les sols
Les liants organiques
Les liants minéraux
COMPOSITION DES MELANGES STABILISES AUX LIANTS MINERAUX ET ORGANIQUES
Etude préliminaire sur les liants organiques
Choix des dosages
PROCEDURES EXPERIMENTALES
Caractérisation géotechnique
Caractérisation chimique et minéralogique
Fabrication des éprouvettes
Essai de compression simple à l’état sec
Essai de compression simple à l’état humide
Caractérisation hygrothermique
CONCLUSION
CHAPITRE III: CARACTERISATION DES MATIERES PREMIERES ET FORMULATIONS DES MELANGES
INTRODUCTION
CARACTERISATION DES SOLS
Caractérisation géotechnique des sols
Caractérisation chimique et minéralogique des sols
ETUDE EXPERIMENTALE PRELIMINAIRE SUR LES LIANTS ORGANIQUES
Résultats des tests préliminaires
Classification des liants organiques étudiés
Conclusions de l’étude préliminaire
ESSAIS PROCTOR SUR SOLS STABILISES
COMPOSITIONS ET COMPACITES DES MELANGES ETUDIES
CONCLUSION
CHAPITRE IV: CARACTERISTIQUES DES MATERIAUX EN TERRE CRUE STABILISEE
INTRODUCTION
COMPORTEMENTS MECANIQUES ET TENUES A L’EAU
Etude de l’effet des conditions de cure sur les formulations avec liants minéraux
Comportement mécanique à l’état sec
TENUE A L’EAU (RESISTANCE A LA COMPRESSION HUMIDE)
PROPRIETES HYGROSCOPIQUES ET THERMIQUES
Conductivité thermique
Effet des stabilisations sur le comportement hygroscopique
MODIFICATIONS MINERALOGIQUES INDUITES PAR LA STABILISATION DES SOLS
Diffractogrammes des rayons X des sols stabilisés
Analyses par spectrométrie infrarouge des sols stabilisés
Analyse thermogravimétrique différentielle de la stabilisation du sol B avec la chaux
CONCLUSION
CONCLUSION GENERALE