Généralités sur Ciona intestinalis

GENERALITES SUR CIONA INTESTINALIS 

HISTORIQUE

Les ascidies forment un groupe d’organismes modèles bien établis en biologie du développement. Les expériences fondatrices menées par Chabry en 1887 montrent que les cellules se développent différemment, en fonction des informations maternelles qu’elles reçoivent. En 1905, Conklin complète les connaissances sur cet organisme en décrivant la conservation de l’orientation des axes de clivages, associée à un lignage invariant. Bien plus tard, la biologie moléculaire bouleversera ces codes en montrant que de nombreux destins sont induits par une communication entre les différentes cellules. Il est cependant clair que les déterminants maternels ont une importance capitale dans le développement des ascidies, mais ne peuvent expliquer à eux seuls la génération de l’ensemble des destins cellulaires (Lemaire, 2009).

CYCLE DE VIE

Le cycle de vie des ascidies est composé de deux grandes phases. Dans la première, le zygote subit 13 cycles de divisions cellulaires selon des plans de clivages invariants, générant une larve composée d’environ 2600 cellules et présentant un plan d’organisation typique des Chordés (Fig. 1.1). Cette larve est entourée par une tunique de cellulose sécrétée par l’épiderme. La courte vie de la larve permet une nage autour de la zone de reproduction avant la métamorphose. Après l’éclosion, la larve se fixe rapidement sur un support par l’intermédiaire de trois papilles adhésives épidermiques. Après fixation, elle commence la métamorphose, caractérisée par trois évènements simultanés (Richard et al., 2009) ; régression et disparition de la queue larvaire, développement d’organes adultes, et rotation générale du corps d’environ 180°.

POSITION PHYLOGENETIQUE

Les ascidies appartiennent au sous-phylum Tunicata. La structure des Tuniciers adultes semble ne pas correspondre au phylum des Chordés puisque, excepté les appendiculaires, ils sont dépourvus de tube nerveux et de chorde. Ainsi jusqu’en 1870, les ascidies étaient classées au voisinage des Mollusques. L’embryologiste Alexander Kovalewsky remarqua que le têtard d’ascidie présente un plan d’organisation caractéristique des Chordés, proche de celui l’amphioxus et classifia les ascidies parmi les Chordés (Christiaen et al., 2009; Richard et al., 2009). Des études récentes, utilisant les nombreuses données génomiques disponibles, ont placé les Tuniciers comme étant le groupe sœur des Vertébrés (Fig. 1.2 A). Les Chordés (Vertébrés, Tuniciers et Céphalochordés) constituent un groupe monophylétique (Bourlat et al., 2006; Delsuc et al., 2006). Le sous-phylum Tunicata est composé de plus de 3000 espèces, réparties en 4 classes nommées Sorberacea, Appendicularia, Thaliacea et Ascidiacea. La classe des Ascidiacea, auquel appartiennent les ascidies, est subdivisée en deux ordres nommés Stolidobranchia et Enterogona (lui-même subdivisé en deux sousordres : Aplousobranchia et Phlebobranchia) (Fig1.2 B) (Christiaen et al., 2009). Différentes espèces d’ascidies sont utilisées en laboratoire de recherche. Dans notre laboratoire, nous utilisons les espèces Ciona intestinalis et Phalusia mammillata qui appartiennent toutes les deux au groupe Phlebobranchia, alors qu’un autre modèle d’ascidie, Halocynthia roretzi qui appartenant au groupe Stolidobranchia, est utilisé uniquement au Japon. Malgré l’éloignement phylogénétique, Ciona intestinalis et Phalusia mammillata présentent en commun avec Halocynthia roretzi, une forte conservation des lignages et du plan d’organisation de la larve. Cependant, il existe une variabilité des mécanismes moléculaires impliqués pour les spécifications des destins cellulaires (Hudson and Yasuo, 2008; Lemaire, 2009). Par exemple, une partie des cellules musculaires secondaires, localisées au bout de la queue, viennent du même lignage cellulaire chez C. intestinalis et H. roretzi, bien qu’elles soient spécifiées par des mécanismes moléculaires différents (revue par Hudson and Yasuo, 2008).

AVANTAGES AU LABORATOIRE

La conservation des lignages entres les différentes espèces d’ascidies permet d‘exploiter au maximum les spécificités de chacune. Par exemple, les embryons de C. intestinalis sont pigmentés et permettent une approche en imagerie limitée. En revanche, les embryons de P. mammilata sont transparents et sont applicables et sont alors préférentiellement utilisés pour une approche en imagerie « live » (Prodon et al., 2010). Le séquençage du génome de C. intestinalis révèle un génome compact ne comportant pas de duplication du génome comme chez les Vertébrés (Dehal and Boore, 2005). Si l’on compare avec les Vertébrés, cela limite la redondance fonctionnelle et facilite l’ensemble des approches génétiques (Dehal and Boore, 2005; Dehal et al., 2002). L’injection d’ARNm ou de morpholinos (MO), oligonucléotides anti-sens inhibant soit la transcription des ARNm (hybridation sur le codon initiateur), soit l’épissage des ARNm (hybridation sur les séquences signal de l’épissage) est fréquemment utilisée pour l’analyse fonctionnelle (Satou et al., 2001; Stolfi and Christiaen, 2012). L’électroporation de plasmides directement dans le zygote permet d’obtenir l’expression d’exogènes dans un millier d’embryons synchrones (Corbo et al., 1997). Cette technique facilite l’analyse fonctionnelle en permettant la surexpression de gènes, l’expression de dominants négatifs ou encore d’ARN interférents (Nishiyama and Fujiwara, 2008). Enfin, l’avantage le plus remarquable provient du mode de développement des ascidies, qui implique un faible nombre de cellules et un patron de divisions cellulaires invariant (Fig. 1.1). Chez H. roretzi, ces propriétés ont permis de déterminer les lignages cellulaires de chaque cellule jusqu’à la gastrulation, par l’injection de traceurs intracellulaires (Fig. 1.3) (Nishida, 1987; Nishida and Satoh, 1983, 1985). Après la gastrulation, les lignages neuraux sont particulièrement bien décrits chez C. intestinalis, grâce à l’utilisation de la microscopie à balayage (Nicol and Meinertzhagen, 1988a, 1988b). Les lignages neuraux ne sont toutefois pas complets. L’avancée des connaissances des lignages neuraux repose sur une étude basée sur l’historique des mitoses après la gastrulation, qui n’as pas permis de décrire l’ensemble des lignages neuraux (Cole and Meinertzhagen, 2004). Seuls quelques lignages très étudiés sont complètement connus.

DEVELOPPEMENT EMBRYONNAIRE 

NOMENCLATURE 

La nomenclature du lignage établie par Conklin est toujours utilisée aujourd’hui (Conklin, 1905). Chaque cellule de l’embryon est désignée par une lettre et un code chiffré (ex : a4.2). La lettre « A » désigne la partie antérieure de l’embryon et la lettre « B » la partie postérieure. La lettre est en minuscule si la cellule appartient à l’hémisphère animal ou en majuscule si elle appartient à l’hémisphère végétatif. Le premier chiffre correspond au nombre de cycles cellulaires. Le deuxième chiffre permet d’identifier précisément la filiation des cellules et commence à être utilisé à partir du stade 8-cellules. A chaque division cellulaire, on ajoute 1 au premier chiffre et on double la valeur du second chiffre. On retranche également 1 au second chiffre d’une des deux cellules filles. Ainsi la division de la cellule « a4.2 » génère deux cellules filles désignées par « a5.3 » et « a5.4 ». L’embryon étant symétrique le long de l’axe droite-gauche, il n’y a pas de nomenclature spécifique. Ainsi, chaque embryon possède deux cellules « a4.2 » qui généreront deux cellules « a5.3 » et deux cellules « a5.4 » (Venuti and Jeffery, 1989).

AXES EMBRYONNAIRES

L’établissement de l’axe animal-végétatif a lieu pendant la maturation de l’ovocyte. Le premier signe de polarisation est le positionnement décentralisé de la vésicule germinative d’un côté de l’ovocyte qui correspond au pôle animal (Prodon et al., 2008). L’établissement de l’axe animal-végétatif devient visible par la localisation polarisée d’organites (mitochondrie, réticulum et ARNm associés au réticulum) qui forment un gradient suivant cet axe (Fig. 1.4)(Sardet et al., 2007). Ce gradient est initié après la rupture de la vésicule germinative, qui induit un mouvement cytoplasmique cortical acto-myosine dépendant (Prodon et al., 2008). L’entrée du spermatozoïde se fait généralement par l’hémisphère animal. Il est suivi de deux réarrangements cytoplasmiques successifs qui vont établir définitivement les axes embryonnaires. L’entrée du spermatozoïde induit, via un « facteur spermatique » inconnu, une vague calcique qui se propage vers le pôle végétatif en suivant un axe défini par le point d’entrée du spermatozoïde. Cela induit le premier réarrangement cytoplasmique et la concentration de certains ARNm maternels au pôle végétatif (Fig. 1.4). La migration des pronoyaux commence durant la deuxième moitié du cycle cellulaire et aboutit à la rencontre des pro-noyaux au centre du zygote. Ce mouvement est généré par les microtubules venant du spermatozoïde, qui créent des forces qui induisent une translocation massive des organites et des ARNm qui leurs sont associés au pôle postérieur vers une région corticale appelée CAB (Centrosome Attracting Body) (Hibino et al., 1998). Le CAB contrôle une série de divisions inégales dans cellules végétatives postérieures qui en hérite. Lorsqu’un fragment cellulaire contenant le CAB, appelé PVC (Posterior-Vegetal Cytoplasm), est enlevé, l’embryon se développe sans les divisions inégales spécifiques aux cellules végétatives postérieures. Le lignage végétatif postérieur (lignage « B ») adopte alors un destin végétatif antérieur (Nishida, 1994).

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Table des matières

INTRODUCTION
INTRODUCTION I : Modèle de l’ascidie Ciona intestinalis
Généralités sur Ciona intestinalis
Développement embryonnaire
INTRODUCTION II : Induction neurale
Induction neurale
Spécification des destins neuraux chez l’ascidie
INTRODUCTION III :Régionalisation antéro-postérieure du système nerveux
Régionalisation antéro-postérieure du système nerveux
Régionalisation antéro-postérieure du système nerveux chez l’ascidie
INTRODUCTION IV : La voie de signalisation éphrine-Eph
1) Introduction
2) Histoire évolutive
3) Fonctions biologiques de la signalisation éphrine
4) Fonctionnement de la voie éphrine
5) Interactions avec les MAPK
RÉSULTATS & DISCUSSIONS
PROJET I : Rôle de p120-RasGAP dans l’atténuation de la voie FGF par la voie éphrine/Eph dans les embryons
d’ascidie
Questions et buts de l’étude
Données préliminaires
Manuscrits de l’article
Annexe 1 : localisation subcellulaire de p120-RasGAP dans les embryons d’ascidie
Bilan et perspectives
PROJET II : Rôle de l’antagonisme entre les voies FGF et éphrine dans la réponse binaire lors de l’induction
neurale dans les embryons d’ascidie
Introduction
Résultats
Discussion
Matériels et méthodes
Annexe 2 Réponses binaires : une analyse littéraire
Projet III : Régionalisation antéro-postérieure de la plaque neurale dans les embryons d’ascidie
Introduction
Résultats
Discussion
Matériels et méthodes
CONCLUSION
FIGURES
BIBLIOGRAPHIE

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