Les eaux côtières de la région d’Afrique Nord-Ouest bénéficient de conditions hydroclimatiques avantageuses. Le régime des vents alizés à l’origine du phénomène d’upwelling et le courant des Canaries font de cette zone l’une des plus productives au monde (Binet, 1988 ; Roy, 1992; Chavance et al. 2004). Pour la période 1990-2010, les captures totales de petits poissons pélagiques ont fluctué avec une moyenne d’environ 1,8 millions de tonnes au niveau des six pays de la Commission Sous-régionale des pêches (CSRP) et le Maroc (CSRP, 2012).
Au Sénégal, le secteur de la pêche joue un rôle primordial dans l’économie nationale. Il contribue à hauteur de 4,88% au PIB, génère près de 600 000 emplois directs et indirects, assure 15% de la masse salariale de la population active du territoire, génère des devises, près de 175,5 milliards de francs CFA en 2011 (DPM, 2011), fournit plus de 75% des besoins en protéines animales des populations (Kébé, 1982 ; Aliez, 1998 ; Ndiaye, 2004). ). La pêcherie pélagique côtière a comme principal caractéristique la domination des sardinelles dans la composition spécifique des prises. En considérant la totalité des débarquements de la pêche artisanale, les sardinelles, occupent 70% (DPM, 2011). Au Sénégal, les débarquements de petits pélagiques sont essentiellement constitués de Sardinella aurita et Sardinella maderensis avec respectivement 38% (116000 tonnes) et 32 % (100000 tonnes) des captures (DPM, 2011).
Malgré l’importance de la pêche dans l’économie nationale, les tendances actuelles de la production halieutique halieutiques montrent des signes inquiétants. L’état de surexploitation des principales ressources halieutiques exploitées se traduit par une stagnation, voire un fléchissement de la production, cela malgré la très forte pression de pêche artisanale et industrielle.
Ainsi, ces dernières années, des quantités importantes de juvéniles de sardinelles sont débarquées surtout en saison chaude sur la petite côte par la pêche artisanale. Sur le plan économique, l’exploitation des petits pélagiques est confrontée à une augmentation soutenue des investissements pour des rendements de plus en plus bas. L’implantation d’usines spécialisées dans la fabrication de farines de poisson constitue également une difficulté de taille puisque ces entreprises s’appuient sur les juvéniles entre autres comme matière première.
Suite aux évaluations scientifiques réalisées au niveau sous-régional, la FAO (2010) a recommandé de réduire l’effort de pêche total des pêcheries de 50% et de limiter les captures à 220 000 tonnes pour les sardinelles. Les études scientifiques réalisées sur les sardinelles dans l’Atlantique Nord Est sont jugés cependant insuffisantes (CSRP, 2012). Par ailleurs, une absence de suivi biologique depuis plusieurs années a été signalée. En effet, Les données de captures, de structures en taille et en âge et d’efforts de pêche ne sont pas complètes. Dés lors, il apparait difficile de faire une bonne évaluation du stock, d’estimer le recrutement et de déterminer les différents segments du stock exploité. Tous ces manquements font qu’il est nécessaire d’effectuer des recherches supplémentaires. L’étude des paramètres biologiques des sardinelles sont ainsi indispensables pour la connaissance des stratégies reproductives développées face aux pressions de pêche, aux changements climatiques et à la pollution. Leur analyse permettrait de mieux comprendre les réactions des stocks de sardinelles aux contraintes extérieures. Ainsi, l’objectif principal de cette étude est de contribuer à la gestion durable des ressources de sardinelles des côtes sénégalaises. L’étude se focalise sur l’analyse des traits de vie de Sardinella aurita au niveau de la petite côte (Mbour et Joal) et de la grande côte (Kayar) du Sénégal où la pêche est plus importante. L’étude comprend deux parties. La première partie traite la reproduction dont le sex ratio, la taille de première maturité sexuelle, la période de ponte et la fécondité. La deuxième partie porte sur la croissance à savoir la biométrie, la relation taille-poids, le coefficient de condition, la structure en taille et la croissance linéaire.
GENERALITE SUR LA SARDINELLE RONDE
Taxonomie et caractères morphologiques
La sardinelle ronde a été décrite pour la première fois par Valenciennes en 1847. Elle a été ensuite rédécrite depuis par de nombreux auteurs, notamment par Regan (1917). Son nom scientifique valable est Sardinella aurita Valenciennes, 1847. On rencontre parfois le nom de Clupea aurita. Il est défini par la place qu’il occupe dans la classification zoologique:
Super-Classe : Poissons
Classe : Osteichthyens
Sous-Classe : Actinoptérygiens
Super ordre : Téléostéens
Ordre : Clupeiformes
Sous –Ordre : Clupéoidei
Famille : Clupeidae
Sous-Famille : Clupeinae
Genre : Sardinella
Espèce : aurita
La classification adoptée ici est celle de Whitehead (1985). La description des caractères morphologiques de la sardinelle ronde (Sardinella aurita) a été faite par Seret et Opic en 1990.C’est une espèce qui appartient à la famille des Clupeidae à corps oblong plus ou moins comprimé (Figure.1). Des écailles en chevrons forment une carène aiguë sur le bord ventral de l’abdomen. Par ailleurs, les écailles sont lisses et caduques. La bouche terminale a une mandibule prognathe. Il n’existe qu’une seule nageoire dorsale, sans rayons épineux, située au milieu du dos. La caudale est fourchue, bien échancrée. L’anale est réduite, tandis que les pelviennes sont absentes. Le dos est bleu, les flancs et le ventre blanc argenté. A la limite du dos et des flancs, se situe une bande jaune doré chez les spécimens frais et il existe à l’angle supérieur de l’opercule une tache diffuse sombre.
Ecologie
Sardinella aurita fréquente le plateau continental et évite les eaux dessalées inférieures à 34‰. L’espèce préfère les eaux non turbides de 18 à 24 °C (Ben-Tuvia, 1960; Fréon, 1986 ; Marchal, 1991). C’est donc une espèce qui évite les eaux froides ou trop chaudes et se rencontre principalement au niveau des eaux tropicales (Figure. 2). Elle fréquente cependant certaines eaux tempérées, comme la Méditerranée, bien que de façon moins importante (Quignard, 1978 ; Quéro, 1984). Elle a été décrite dans l’Océan Pacifique, au large de la Chine et du Japon, ainsi qu’autour des Philippines et de l’archipel IndoAustralien (Ben-Tuvia, 196O; Whitehead, 1985). Au large de l’Afrique de l’Ouest, elle est présente de façon continue depuis la méditerranée, y compris le sud du Portugal et de l’Espagne, jusqu’au Cap Frio, au sud de l’Angola, à 18° de latitude Sud. Elle est également présente en mer noire et en Adriatique (Whitehead, 1985), ainsi qu’au niveau des Açores (Ben-Tuvia, 1960). De l’autre coté de l’Atlantique, sur les côtes américaines, sa distribution va jusqu’au Cap Cod au Nord de l’Argentine (Ben-Tuvia, 1960 ; Whitehead, 1985). Malgré son immense aire de répartition, cette espèce semble inféodée aux zones de production primaire que sont les upwellings. Ces remontées d’eaux froides apportent des sels minéraux qui permettent le développement du phytoplancton puis du zooplancton servant de nourriture aux sardinelles. En Afrique de l’Ouest, la distribution des sardinelles rondes est continue, mais elle ne donne lieu à des concentrations importantes qu’au niveau de trois zones principales (Fréon, 1988), (Figure 3) qui s’étendent:
– de la Mauritanie (26° N) à la Guinée (10° N). Il est pêché régulièrement en moyenne plus de 400 000 tonnes par an entre 1996 et 2006. Les débarquements ont atteint 600 000 tonnes en 2010 (CSRP, 2012).
– de la Côte d’Ivoire au Ghana (5°N). Depuis 20 ans, les prises ont fluctué entre 100 000 et 150 000 tonnes (Chikhi, 1995).
– du sud du Gabon (0°) au sud de l’Angola (18°S). Plus de 200 000 tonnes sont pêchées par an en moyenne dans cette zone, principalement au large de l’Angola (Chikhi, 1995).
D’après Boëly et al. (1982), le cycle migratoire de Sardinella aurita adulte du stock sénégalomauritanien peut se résumer ainsi :
– d’octobre à décembre, phase de dispersion de la Mauritanie au Sahara;
– janvier ou février, phase de descente rapide vers le sud (Petite côte au Sénégal) ;
– de mars à avril, phase de concentration de préponte dans la partie sud de l’aire habitée (Guinée Bissau, sud Sénégal);
– de mai à septembre, phase de remontée vers le nord jusqu’à 24°N et 25°N, avec ponte.
Deux nurseries principales ont été clairement identifiées et font l’objet d’une exploitation. L’une en Mauritanie, au sud du cap Blanc, l’autre au Sénégal, au sud de la presqu’île du CapVert (Dakar), le long de la Petite Côte (Figure. 4). Selon Fréon (1988), l’analyse des statistiques de pêche des sardiniers indique deux périodes de départ des jeunes reproducteurs qui vont venir grossir le sous-stock d’adultes. Le premier départ débute en juin et s’intensifie en juillet, lorsque les eaux tropicales chaudes et moins riches envahissent le plateau continental jusqu’au cap Timiris (Mauritanie). II est probable que la majorité des jeunes sardinelles regagnent le stock principal et remontent alors vers le nord, où les conditions de vie sont plus favorables.
Vers le début d’octobre, d’importantes concentrations se forment au large de la Gambie puis remontent progressivement vers le nord. Cette apparition dans le sud du Sénégal, suivie d’un déplacement vers le nord, avait fait envisager dans un premier temps l’existence possible d’une population guinéo-sénégalaise migrant avec les eaux guinéennes (Boëly et al., 1969). Après la ponte, ces sardinelles se dispersent et pendant les mois de janvier et février suivent les adultes dans leur migration vers le sud : c’est le deuxième départ.
Biologie
La reproduction des sardinelles est externe et se déroule dans la colonne d’eau. Les œufs de sardinelles sont pélagiques et de très petite taille comprise entre 1 et 2 mm (Ben-Tuvia, 1960). Ils éclosent après environ 24 heures (Conand, 1977), donnant des larves qui grandissent très rapidement, gagnant environ 1 mm par jour pendant un mois, atteignant ainsi une taille de 3 cm. Elles sont ensuite ramenées vers la côte. Aucune véritable métamorphose ne semble alors se dérouler et des juvéniles de 4 à 6 cm commencent à apparaître dans les sennes de plage (Boëly et al., 1982). Les juvéniles ont également une croissance rapide passant d’une taille de 4-6 cm à environ 12 cm en quelque six mois (Ben-Tuvia. 1960). Les individus atteignent 21 à 22 cm en un an, et en trois ans une taille proche de la taille maximale moyenne qu’atteint cette espèce (Boëly, 1982). La première reproduction a lieu à des tailles variables allant de 12 à environ 20 cm selon les localités (Ben-Tuvia, 1960). Au large de la zone sénégalaise, deux saisons de ponte principales sont distinguées. La première s’étend de mai à juillet dans des eaux de 22 à 25°C et de salinité importante (35,5 à 36,5‰), tandis que la seconde se déroule en octobre et novembre, dans des eaux de température importante (28 à 29°C) et de salinité relativement basse (34,5 à 35,0‰) (Conand, 1977 ; Boëly, 1982 ; Cury et al, 1988). La ponte principale commence au large de la Guinée, en mai, et que la présence d’œufs et de larves augmente très rapidement en s’étendant vers le nord pendant la migration des adultes vers la Mauritanie (Figure 4). La seconde ponte est bien moins importante que la première et plus localisée, au sud de Dakar sur la petite côte. Deux « micro-cohortes » sont nettement observées par an, dont l’étude des moyennes vertébrales a permis de confirmer l’identité (Ben Tuvia, 1960; Gheno et Poinsard, 1968; Boely, 1980). La première de mars à août, mais surtout de mai à août, correspond à la ponte de saison de froide. La seconde, d’octobre à janvier, correspond à la ponte de la saison chaude. La sardinelle ronde est planctophage et a un régime alimentaire mixte. En général, chez les juvéniles, le régime est plutôt à base de phytoplancton (diatomées, débris d’algues vertes ou brunes) et de détritus. Au fur et à mesure de la croissance, le régime devient zooplanctonique (copépodes, cladocères, dinoflagellés, larve de cirripèdes) et la taille des proies augmente. Cependant, d’après l’étude de l’alimentation des principaux stocks de clupéidés côtiers de l’Atlantique Est, Nieland (1982) et Medina-Gaertner, (1985) concluent que la proportion des différents composants de l’alimentation dépendrait plus de la composition planctonique du milieu que de l’espèce ou de l’âge des prédateurs concernés (comportement trophique opportuniste).
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Table des matières
I. INTRODUCTION
II. GENERALITE SUR LA SARDINELLE RONDE
2.1. Taxonomie et caractères morphologiques
2.2. Ecologie
2.3. Biologie
III. MATERIEL ET METHODES
3.1. Zone d’étude
3.2. Protocole d’échantillonnage
3.3. Etude de la reproduction
3.3.1. Calcul du sex-ratio
3.3.2. Calcul de la taille de première maturité sexuelle
3.3.3. Calcul de la période de reproduction
3.3.4. Calcul de la fécondité
3.4. Etude de la croissance
3.4.1. Calcul des relations longueurs-longueurs et poids total-poids éviscéré
3.4.2. Calcul de la relation taille-poids
3.4.3. Calcul du facteur de condition
3.4.4. Calcul de la structure de taille
3.4.5. Calcul des paramètres de la croissance par l’analyse des fréquences de taille
3.5. ANALYSES STATISTIQUES
IV. RESULTATS
4.1. Reproduction
4.1.1. Détermination du sex-ratio
4.1.2. Détermination de la maturité sexuelle
4.1.3. Détermination de la période de reproduction
4.1.4. Estimation de la fécondité
4.2. Croissance
4.2.1. Détermination des relations longueurs-longueurs
4.2.2. Détermination de la relation poids total – poids éviscéré
4.2.3. Détermination de la relation taille-poids
4.2.4. Détermination de la condition
4.2.5. Détermination de la structure de taille
4.2.6. Estimation des paramètres de croissance de Von Bertalanffy
V. DISCUSSION
5.1. Reproduction
5.1.1. Sex-ratio
5.1.2. Maturité sexuelle
5.1.3. Période de reproduction
5.1.4. Fécondité
5.2. Croissance
5.2.1. Allomètrie
5.2.2. Structure de taille
5.2.3. Croissance linéaire
VI. CONCLUSION ET PERSPECTIVES
REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES
ANNEXES