Gaines des crayons combustibles dans les Réacteurs à Eau Pressurisée
Le principe des Réacteurs nucléaires à Eau Pressurisée (REP), illustré sur la Figure 1.1, est le suivant : les réactions de fission nucléaire se produisant au sein du combustible (de l’oxyde d’uranium enrichi UO2 ou du MOX) sont exothermiques et créent un échauffement du liquide caloporteur (eau à l’état liquide, à 280-320°C, sous une pression de 155 bar en conditions nominales) dans le circuit primaire (en rouge sur la Figure 1.1). Via un échangeur de chaleur entre le circuit primaire et le circuit secondaire (en bleu), l’eau contenue dans ce dernier monte également en température (jusqu’à environ 270 ou 290°C selon le type de REP) et se vaporise (la pression dans le circuit secondaire est de 55 ou 72 bar selon le type de REP). La vapeur alors formée entraîne une turbine reliée à un alternateur qui produit de l’électricité. Enfin, la vapeur du circuit secondaire est refroidie et condensée via un circuit de refroidissement utilisant une source froide (fleuve, mer, aéroréfrigérant). Lors des réactions nucléaires, des éléments communément appelés produits de fission sont générés et doivent être retenus dans la gaine de par leur radioactivité. La fonction de première barrière de confinement du combustible, et de ces produits de fission, est assurée par les gaines en alliage de zirconium des crayons combustibles (l’enveloppe du circuit primaire et l’enceinte du réacteur constituent respectivement la seconde barrière et la troisième barrière de confinement). Du fait des conditions particulières de fonctionnement en réacteur, ce gainage doit répondre à un cahier des charges bien précis en termes de propriétés (transparence neutronique, résistance à la corrosion, tenue mécanique, …), notamment vis-à-vis des critères de sûreté.
Les gaines sont des tubes de plus de 4m de long, de 9,5 mm de diamètre externe et 0,57 mm d’épaisseur. L’ensemble gaine/pastilles de combustible est appelé crayon combustible, et l’ensemble des crayons forme ce que l’on appelle un assemblage combustible (cf. Figure 1.2). Un assemblage de REP « 17×17 » comprend 264 crayons combustibles ainsi que 24 tubes guides à l’intérieur desquels coulissent les barres de contrôle (constituées d’éléments « neutrophages » et permettant de réguler la réaction nucléaire) et un tube réservé à l’instrumentation.
Dans un REP, l’eau (légère) joue le rôle de modérateur – c’est-à-dire qu’elle ralentit les neutrons issus des réactions nucléaires et donc « modère » leur énergie – ainsi que celui de fluide caloporteur. Dans les conditions normales de fonctionnement, la température et la pression de l’eau du circuit primaire sont de l’ordre de 280-320°C et de 155 bar, respectivement. Le matériau constituant les gaines doit donc, en plus d’être autant que possible transparent aux neutrons, avoir une bonne résistance à la corrosion et une bonne tenue mécanique dans ces conditions de fonctionnement. Dès les années 1940, des études ont été menées pour choisir les matériaux répondant le mieux à ce cahier des charges (Kass 1962). Par exemple, l’aluminium et le magnésium ont une section efficace de capture des neutrons faible, ce qui permettrait un bon rendement des réactions et serait donc intéressant économiquement parlant, mais leur résistance à la corrosion ne serait pas suffisante pour de telles applications. Un autre choix aurait pu être le béryllium, mais qui présente une haute toxicité. De plus, il s’agit d’un élément rare, dont la fabrication s’avère complexe et qui possède de faibles propriétés mécaniques en comparaison avec le zirconium. Les gaines des premiers réacteurs nucléaires à eau légère développés dans les années 1950-1960, initialement pour la propulsion navale, étaient en acier inoxydable, ce qui induisait une pénalité neutronique imposant un enrichissement élevé en uranium 235 et augmentant de ce fait le coût du combustible. Voilà pourquoi le zirconium s’avérait être un bon candidat permettant de répondre de manière satisfaisante à l’ensemble des critères vis-à-vis de l’application. En effet, en plus d’être abondant et d’avoir un coût de fabrication raisonnable, il possède une faible section efficace de capture des neutrons (0,18 barns), une bonne stabilité dimensionnelle sous irradiation (en effet, l’irradiation induit des défauts conduisant notamment au gonflement des gaines, qui est une problématique assez largement étudiée), une bonne résistance à la corrosion ainsi que des propriétés mécaniques suffisantes. Les alliages de zirconium sont donc utilisés pour cette application depuis les années 1960. Plusieurs alliages ont été développés et testés. Actuellement, le Zircaloy-4 (Zy-4), le M5® et le Zirlo™ sont utilisés dans les REP français, le premier étant progressivement remplacé par les deux derniers, en particulier par le M5®, qui présentent une meilleure résistance à la corrosion en conditions nominales de fonctionnement. En effet, la gaine en alliage de zirconium s’oxyde au contact de l’eau du circuit primaire, ce qui conduit à la formation d’une couche de zircone ZrO2 pouvant atteindre quelques dizaines de microns d’épaisseur en fonction de l’alliage et de son historique en réacteur ; cette évolution est illustrée sur la Figure 1.3 (Mardon, Garner, and Hoffmann 2010).
D’autre part, une fraction de l’hydrogène (10 à 20% environ, selon l’alliage et les conditions en réacteur) provenant de la dissociation de l’eau lors de l’oxydation pénètre dans le matériau (absorption d’hydrogène appelée Hydrogen Pick Up ou HPU en anglais) et forme des hydrures dès que la limite de solubilité de l’hydrogène dans le zirconium est atteinte (environ 120ppm-massique (ppm-mass.) d’hydrogène aux températures de fonctionnement d’un réacteur (Kearns 1967)). Comme l’illustre la Figure 1.4, en « fin de vie » en réacteur (soit actuellement pour un taux de combustion autour de 52 GWj/tU), le Zircaloy-4 peut présenter des teneurs en hydrogène de près de 600ppm-mass. tandis que l’alliage M5® affiche des teneurs inférieures à 100ppm-mass. (Mardon, Garner, and Hoffmann 2010). Cette différence significative de prise d’hydrogène entre les deux matériaux s’explique en majeure partie par la meilleure résistance à la corrosion du M5® dans les conditions nominales de fonctionnement en réacteur et à une fraction d’hydrogène absorbée plus faible, ce qui limite le HPU.
Accident par Perte de Réfrigérant Primaire et hydruration secondaire
Les exigences de sureté et les critères associés ne doivent pas uniquement être définis et vérifiés pour les conditions nominales. Ils doivent également l’être pour des conditions accidentelles, incluant les deux accidents (hypothétiques) de 4ème catégorie dimensionnants suivants :
– l’accident d’éjection de grappe de contrôle étudié en tant qu’enveloppe des Accidents d’Insertion de Réactivité – RIA (Reactivity Initiated Accident en anglais) ;
– l’Accident par Perte de Réfrigérant Primaire – APRP (Loss Of Coolant Accident en anglais
– LOCA).
C’est dans les conditions de ce dernier que ce travail de thèse s’inscrit.
L’Accident par Perte de Réfrigérant Primaire
Ces travaux visent à étudier les propriétés métallurgiques et mécaniques des gaines en conditions hypothétiques d’APRP. Il s’agit d’un accident hypothétique de dimensionnement pour les REP pour lequel on considère qu’une brèche se forme dans le circuit primaire (les barres de contrôle chutent immédiatement et stoppent la réaction nucléaire). Il en résulte une dépressurisation du circuit primaire, ce qui entraîne la vaporisation de l’eau dont la température est initialement autour de 300°C. Les assemblages n’étant plus correctement refroidis, la chaleur étant moins bien évacuée par l’eau sous forme de vapeur que par l’eau liquide, la gaine subit une montée rapide en température (quelques °C/s à quelques dizaines de °C/s) jusqu’à environ 1 200°C (d’après les critères APRP règlementaires), ce qui correspond à la phase 1 (rigoureusement, il s’agit déjà de la phase 2 car l’oxydation est déjà significative entre 100°C et 1 200°C) de la Figure 1.5, qui illustre l’évolution de la température de la gaine en fonction du temps au cours d’un APRP. Cette augmentation de température peut, si elle est suffisante, induire un recuit des défauts d’irradiation, une dissolution des hydrures ou encore une transformation allotropique du zirconium de sa phase α, stable dans les conditions de fonctionnement nominales, en sa phase β. La gaine, sollicitée en pression interne du fait de la dépressurisation du circuit primaire et de l’augmentation de la pression à l’intérieur du crayon due à l’hélium de remplissage du crayon combustible et au relâchement des gaz de fission, peut ballonner voire éclater lors de cette phase. La gaine exposée à la vapeur d’eau à Haute Température – HT (phase 2) pendant potentiellement quelques minutes s’oxyde relativement rapidement (vis-à-vis des cinétiques d’oxydation en fonctionnement normal du réacteur), avant la mise en route du système de refroidissement d’urgence (phase 3). Cette dernière étape conduit à un refroidissement plus ou moins progressif (vitesse de refroidissement de l’ordre de 1 à 10°C/s) de la gaine puis à une trempe à l’eau (vitesse de refroidissement estimée de plusieurs centaines à environ 1 000°C/s) (phase 3) depuis une température comprise typiquement entre la température atteinte avant le renoyage du cœur et 400°C, selon le transitoire et la position considérée (cote axiale notamment) dans l’assemblage.
À quelques exceptions près, les gaines en alliages de zirconium n’absorbent pas d’hydrogène lors de l’oxydation sous vapeur d’eau à HT, l’oxyde formé dans ces conditions étant protecteur de ce point de vue. Mais dans certaines conditions, en environnement confiné à l’intérieur de zones ballonnées-éclatées de la gaine notamment, il peut survenir lors du maintien sous vapeur d’eau à HT une prise massive et relativement rapide d’hydrogène pouvant aller localement jusqu’à plusieurs milliers de ppm-massique (de l’ordre de 3 000ppm-mass.) ; ce phénomène, décrit plus en détail dans la partie suivante, est appelé « hydruration secondaire ». D’autres conditions, comme par exemple un maintien prolongé sous vapeur d’eau au voisinage de 1000°C, peuvent mener à de fortes prises d’hydrogène, mais le phénomène, souvent appelé « breakaway », qui en est à l’origine, n’intervient qu’à partir d’au moins 1h pour le Zircaloy-4 et au-delà de 5000s pour le M5® comme le montre la Figure 1.6 (Portier et al. 2005; Steinbrück, Ver, and Große 2011), soit pour un temps a priori supérieur aux durées « typiques » considérées lors d’un APRP (quelques minutes avant le renoyage du cœur).
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Table des matières
INTRODUCTION
1 ÉTUDE BIBLIOGRAPHIQUE
1.1. Introduction
1.2. Gaines des crayons combustibles dans les Réacteurs à Eau Pressurisée
1.3. Accident par Perte de Réfrigérant Primaire et hydruration secondaire
1.3.1. L’Accident par Perte de Réfrigérant Primaire
1.3.2. L’hydruration secondaire
1.4. Les matériaux étudiés : le Zircaloy-4 et le M5®
1.5. Oxydation à haute température de la gaine
1.5.1. Différentes couches présentes
1.5.2. Microstructure après refroidissement depuis le domaine de phase b
1.5.3. Influence de l’oxygène
1.5.4. Influence de l’hydrogène
1.5.5. Influence de la température
1.5.6. Influence du scénario de refroidissement
1.6. Conclusions
2 OBTENTION ET CARACTÉRISATION PRÉLIMINAIRE DES MATÉRIAUX « MODÈLES » PRÉHYDRURÉS
2.1. Introduction
2.2. Procédé et méthodes expérimentales
2.3. Étude paramétrique des conditions de chargement
2.4. Microstructure à l’issue du chargement en hydrogène
2.5. Conclusions
3 CARACTÉRISATIONS MÉTALLURGIQUES AU COURS ET APRÈS REFROIDISSEMENT DEPUIS LE DOMAINE DE PHASE b
3.1. Introduction
3.2. Nature fraction et répartition des phases présentes
3.3. Température de transformation eutectoïde
3.4. Effet de l’hydrogène sur les paramètres de maille
3.5. Conclusions
4 ÉVOLUTIONS DES PROPRIÉTÉS MÉCANIQUES AU COURS DU REFROIDISSEMENT DEPUIS LE DOMAINE DE PHASE b
4.1. Introduction
4.2. Conditions expérimentales
4.3. Résultats et discussions
4.3.1. Élasticité
4.3.2. Rupture
4.3.1. Plasticité
4.4. Conclusions
CONCLUSION GÉNÉRALE
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