Le procédé de fusion par confinement inertiel en attaque directe
Différentes approches existent pour la FCI. Elles considèrent différents vecteurs d’énergie pour mener l’implosion et différents scénarios qui conduisent à l’allumage des réactions thermonucléaires. Nous exposons ici les principales avant d’introduire les concepts qui pilotent l’écoulement hydrodynamique du processus. Initier l’implosion du combustible Nuckolls et al. proposèrent les premiers [59] l’éclairement direct d’une cible par un rayonnement laser intense pour obtenir son implosion : c’est le schéma de l’attaque directe (voir la figure 2). Les couches externes de la coquille sont ionisées par le rayonnement et se détendent dans le vide. Par effet fusée, la coquille se comprime : une onde de choc qui se propage vers le centre est générée et met en vitesse derrière elle la coquille. De plus l’interaction de l’onde de choc avec la surface interne de la coquille engendre une onde de détente réfléchie qui, en remontant dans la coquille, va faire accélérer son mouvement centripète déjà initié par l’onde de choc. Plusieurs faisceaux laser sont nécessaires pour irradier complètement la cible et le principal inconvénient de l’attaque directe est la non uniformité d’irradiation engendrée par le recouvrement ou non des tâches focales. L’attaque indirecte tente de contourner ce problème en focalisant les faisceaux laser sur les parois d’une cavité en élément lourd (de l’or par exemple), appelée hohlraum (voir figure 3), au centre de laquelle est placée la cible. En chauffant, la cavité joue le rôle de four et génère un rayonnement X beaucoup plus uniforme et plus pénétrant que le rayonnement laser initial. La conversion en rayonnement X fait perdre cependant une partie de l’énergie incidente. D’autres schémas envisageables existent pour imploser la cible. Notamment ceux des laboratoires Sadia (Sandia National Laboratories à Albuquerque) qui utilisent le rayonnement X produit par un ou plusieurs z-pinch, ou encore les schémas dans lesquels des ions sont utilisés comme vecteurs d’énergie. Dans la suite, nous considérerons le cas d’une irradiation en attaque directe par un laser de longueur d’onde 351 nm. L’allumage de la cible Porter toute la masse de combustible à la température de combustion thermonucléaire par compression serait trop coûteux en énergie. La stratégie employée, de l’allumage par point chaud central, consiste à investir uniquement l’énergie nécessaire pour porter à cette température une faible quantité centrale et de capturer l’énergie des particules α produites pour chauffer le combustible froid à proximité. On peut ainsi obtenir une onde de combustion thermonucléaire se propageant dans tout le combustible. D’autres scénarios découplent l’allumage de la compression. Dans ce cas de figure, la première phase met en jeu l’énergie suffisante pour comprimer le combustible. Une fois assemblé, il est allumé dans une deuxième étape par la génération décorrélée d’un point chaud. C’est le cas de l’allumage rapide [76] mettant en jeu des lasers pétawatts pour creuser un canal et générer un point chaud latéral, ou encore de l’allumage par choc où l’allumage est réalisé par l’intermédiaire d’une onde de choc générée par la mise en forme de la fin de l’impulsion laser, quand le combustible est assemblé [73, 11].
L’instabilité de Richtmyer-Meshkov
Considérons deux couches parallèles, superposées de milieux différents (composition, densité…) et une onde de choc plane dont la direction de propagation est perpendiculaire à l’interface qui les sépare (voir figure 1.3). A l’interface, l’onde de choc est transmise dans le second milieu avec une vitesse différente, l’interface est mise en mouvement et une onde de détente ou de choc peut être réfléchie selon les impédances acoustiques des deux milieux [92]. Si l’interface n’est pas parfaitement lisse, l’instabilité de Richtmyer-Meshkov (IRM) se traduit, après le passage de l’onde, par l’accroissement de l’amplitude des rugosités au cours du temps. Velikovich a montré [86] que c’est l’écoulement transverse induit au niveau de l’interface qui est responsable du développement de l’instabilité. Dans le cadre de la fusion par confinement inertiel, cette instabilité intervient au début du processus : les défauts dans la coquille de combustible constituent les perturbations initiales dont l’amplitude va croître après le passage de l’onde de choc générée par la détente du plasma en face avant. Dans les scénarios d’allumage par choc, on produit successivement plusieurs ondes de choc qui vont chaque fois occasionner le développement de l’IRM.
L’IRM avec champ magnétique
Depuis 2003, plusieurs auteurs se sont intéressés à l’évolution de l’instabilité en présence de champ magnétique. Samtaney [69] a étudié numériquement le comportement de l’interface en milieu idéalement magnétisé selon la direction parallèle à la propagation de l’onde de choc. La vorticité créée par effet barocline lors du passage de l’onde de choc, et responsable du développement de l’IRM, est transportée par des chocs magnétosoniques et l’amplitude des perturbations sature, l’instabilité est supprimée ; et ce d’autant plus que la pression magnétique est grande devant la pression cinétique du milieu. Wheatley et al. [88], qui ont étendu le modèle impulsionnel à la configuration de Samtaney, ont retrouvé cette saturation de l’amplitude. La comparaison à des simulations numériques linéaires avec accélération impulsionnelle de l’interface a donné des résultats similaires. Toutefois le rapprochement avec des simulations linéaires où l’accélération de l’interface est engendrée par le passage d’une onde de choc ou avec des simulations non linéaires ne donnent qu’un accord qualitatif pour lequel est confirmée la saturation et donc la suppression de l’instabilité lorsqu’un champ parallèle à la direction de propagation du choc est présent.
Influence de l’anisotropie sur la relation de dispersion
Le comportement des taux de croissance vis-à-vis du paramètre D est rapporté sur la figure 3.25. On observe bien le comportement stabilisateur croissant avec l’anisotropie de diffusion. Même pour des coefficients très proches de 1, on note un changement significatif dans la relation de dispersion de Masse. Lorsque D augmente, elle est globalement abaissée mais de manière plus importante sur les grands nombres d’onde de telle sorte que le nombre d’onde de coupure, kc, diminue et que chaque relation de dispersion reste au dessous de celle obtenue avec un coefficient D plus faible. Le maximum de taux de croissance se déplace également vers les petits nombres d’onde. Du fait du raccord à la coupure par l’intermédiaire du paramètre a, nous avons déjà évoqué la relation de dispersion du modèle de Masse plus élevée que celle du modèle de Goncharov-Betti. Lorsque D croît et donc que la relation de dispersion chute, on passe sous la relation de dispersion de Goncharov-Betti sur un intervalle hk∗, kGBci. Le nombre d’onde à partir duquel cela se produit, k∗, diminue à mesure que D augmente. L’effet de l’anisotropie étant plus marqué pour les grands nombres d’onde, il faut atteindre des coefficients de l’ordre de D = 2 pour avoir un taux de croissance plus faible que celui du modèle de Goncharov-Betti pour les nombres d’onde que nous avons pu simuler. À ce stade, on peut tracer le début des relations de dispersion issues de l’adaptation du modèle de Masse à différents temps avec l’effet des champs magnétiques auto-générés. À partir de nos simulations avec champ, en relevant au front d’ablation la valeur des champs magnétiques, on peut en effet obtenir un paramètre de Hall et donc un coefficient D que l’on remplace dans le modèle de Masse.
CONCLUSIONS
Les instabilités hydrodynamiques constituent une des problématiques majeures dans l’accomplissement de la fusion par confinement inertiel. Elles compromettent le gain du processus et sont l’objet de nombreuses études. La particularité de ce travail de thèse a été d’analyser l’influence du champ magnétique sur l’instabilité de Rayleigh-Taylor et sur celle de Richtmyer-Meshkov. La première partie de cette thèse traite de l’instabilité de Richtmyer-Meshkov en présence de champ magnétique. Nous avons étudié l’effet du champ et de la compressibilité sur l’évolution de l’amplitude des perturbations au cours du temps en régime linéaire. En linéarisant les équations de la MHD idéale, compressible, nous avons obtenu une formulation générale de l’évolution spatiale et temporelle des perturbations. Elle montre qu’il n’y a pas d’effet du champ magnétique sur le comportement de l’instabilité s’il est perpendiculaire à la fois à la direction de propagation de choc et au vecteur d’onde des perturbations. Le champ magnétique agit néanmoins sur les vitesses de propagation des ondes transmises et réfléchies à l’interface. Dans la configuration où le champ magnétique est parallèle au vecteur d’onde des perturbations, nos simulations numériques avec le code LPC-MHD, développé au CEA, ont mis en évidence, non plus la croissance linéaire de l’amplitude des perturbations (lorsqu’il n’y a pas de champ) mais leurs oscillations avec une fréquence et une amplitude dépendantes du nombre d’onde et de l’amplitude du champ. Ce résultat est confirmé par un modèle impulsionnel et incompressible existant dans la littérature. Nous montrons ainsi que les effets de la compressibilité sur le comportement de l’instabilité de Richtmyer-Meshkov sont négligeables. Dans la deuxième partie de la thèse, nous avons considéré l’instabilité de RayleighTaylor au front d’ablation en phase d’accélération. Depuis une trentaine d’années, la plupart des modélisations de cette instabilité, qu’elles soient numériques ou analytiques sous l’hypothèse d’isobaricité dans la détente du plasma, ont abouti aux modèles de Takabe, de Goncharov-Betti et de Masse. À l’aide du code numérique FCI2, nous avons simulé cette phase instable en géométrie plane, à deux dimensions et commencé par comparer les taux de croissance de l’instabilité aux modèles existants. Seul un accord qualitatif a été trouvé. Par ailleurs, l’approximation isobare ne permet pas de rendre compte de l’autogénération de champ magnétique par les gradients croisés de température et de pression, alors que cette configuration particulière existe dès que se développe une perturbation. Nous nous sommes intéressés aux écarts induits par cette contribution par rapport aux modèles cités. Nous avons obtenu le début d’une courbe de taux de croissance relative au développement de l’instabilité en présence de champs magnétiques auto-générés quasi similaire au cas sans champ. La quantification de ces champs a montré qu’ils ne sont pas assez intenses pour pouvoir modifier le comportement hydrodynamique de l’écoulement de base. La densité volumique d’énergie magnétique dans le fluide est en effet localement inférieure de plusieurs ordres de grandeur à la pression cinétique. Toutefois, l’influence du champ magnétique sur la conductivité thermique électronique devrait modifier le mécanisme d’ablation qui introduit une coupure aux faibles longueurs d’ondes. À plus forte accélération et aux plus grands modes, les dernières simulations montrent un léger décrochement du taux de croissance avec l’auto génération de champ magnétique qui va dans ce sens. Nous avons tenté de modéliser cette influence du champ en adaptant le modèle de Masse qui considère l’effet de l’anisotropie de la diffusion thermique sur le comportement de l’instabilité de Rayleigh-Taylor au front d’ablation. Les champs magnétiques introduisant une direction privilégiée, nous avons construit, dans la limite des faibles paramètres de Hall, une relation entre les champs magnétiques auto-générés et le coefficient d’anisotropie. Nous n’avons toutefois pas réussi à rendre le modèle complètement auto-consistant. De plus, seule l’évaluation des champs auto-générés a été prise en compte, sans considérer la diffusion, la convection ou les autres effets et les résultats obtenus ne donnent qu’une tendance qualitative. Enfin, aux temps suffisamment longs pour entrer dans le régime non linéaire de développement de l’instabilité, une analyse de Fourier des perturbations au cours du temps dans nos simulations numériques mono mode a révélé la prédominance de la troisième harmonique du mode fondamental initialisé, lorsque l’auto-génération de champ magnétique est activée. La dernière partie concerne la phase de décélération du processus de fusion par confinement inertiel. Plusieurs études rapportent le comportement de l’instabilité lors de la décélération. Temporal et al. notamment, ont montré que l’écoulement hydrodynamique contraint l’instabilité de Rayleigh-Taylor aux grandes longueurs d’ondes et que son comportement diffère du modèle de Goncharov-Betti appliqué à cette phase du processus. Nous avons utilisé dans ce chapitre le code eulérien HADES, qui prend en compte la géométrie sphérique du problème en deux dimensions sans réaction de fusion mais avec conduction thermique et la possibilité d’activer l’auto-génération de champs magnétiques. La simulation du développement de l’instabilité sans champ magnétique a montré des taux de croissance du même ordre de grandeur que ceux de Temporal et al. En activant l’autogénération de champs nous avons trouvé des intensités de champ magnétique de l’ordre de la centaine de tesla en accord avec la publication de Hata et al.. Toutefois, malgré ces intensités, nous n’avons relevé aucune différence sur le comportement temporel de l’amplitude des perturbations, en régime linéaire, par rapport au cas sans champ. Nous montrons que les contraintes considérables qui règnent dans cette phase, où des compressions de près d’un facteur 1000 sont atteintes, s’avèrent largement au dessus des effets sur les perturbations du front d’ablation engendrés par le champ magnétique. Par ailleurs, les conditions sont réunies pour avoir une très forte fréquence de collision : les températures sont peu supérieures à celles de la phase d’accélération et les densités sont beaucoup plus importantes. Le paramètre de Hall qui pilote le transport du flux de chaleur et donc l’ablation qui pourrait modifier le comportement de l’instabilité, reste par conséquent très faible. Nous avons également montré que l’aspect quasi linéaire de l’instabilité n’est pas non plus modifié par le champ. D’autre part les effets sur le fonctionnement hydrodynamique de la cible sont également exclus. Par contre, le champ magnétique aurait tendance à rallonger le parcours des particules α dans le point chaud qui seraient plus facilement interceptées par la coquille de DT comprimée autour qui possède a priori les pré-requis nécessaires à leur capture sans ralentissement préalable. Ce travail affine les réponses sur cette problématique à savoir que des champs intenses sont clairement générés lors du processus mais ne semblent pas altérer le comportement linéaire de l’instabilité de Rayleigh-Taylor, que ce soit en phase d’accélération ou en phase de décélération. Plusieurs perspectives se dégagent de cette thèse. La complétion des courbes de taux de croissance en phase d’accélération s’avère très intéressante puisque l’on peut s’attendre à obtenir une modification de la coupure. On pourrait également envisager une résolution numérique du système des équations de la MHD résistive que nous avons linéarisé, pour tenter d’analyser les différences avec les modèles isobares et avoir un comparatif aux courbes de taux de croissance. Cette méthode nous affranchirait de la transition au régime non linéaire. Des calculs dédiés à l’effet des champs magnétiques sur la transition au régime non linéaire pourraient également approfondir cette étude sur le comportement de l’instabilité.
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Table des matières
Introduction
Le procédé de fusion par confinement inertiel en attaque directe
Les différentes étapes et scénarios
Détails du processus en attaque directe
Les instabilités hydrodynamiques en FCI
Les champs magnétiques en FCI
1 Les instabilités de Richtmyer-Meshkov et Rayleigh-Taylor
1.1 Le contexte MHD du problème
1.1.1 Description hydrodynamique du plasma
1.1.2 Description magnétohydrodynamique du plasma
1.1.2-a) Équations associées
1.1.2-b) Relations de fermeture de Braginskii
1.1.2-c) Système fermé
1.1.2-d) Système de la MHD idéale
1.2 État de l’art
1.2.1 L’instabilité de Richtmyer-Meshkov
1.2.1-a) Le modèle impulsionnel
1.2.1-b) La théorie linéaire compressible
1.2.1-c) Le développement non linéaire
1.2.1-d) L’IRM avec champ magnétique
1.2.2 L’instabilité de Rayleigh-Taylor
1.2.2-a) Les premiers travaux sur l’IRT
1.2.2-b) L’IRT en présence de champ magnétique
1.2.2-c) L’IRT en FCI
1.2.2-d) Comportement non linéaire
1.2.3 L’IRT et les champs auto-générés
1.3 Modèles des instabilités de RM et RT en phase linéaire
1.3.1 Un exemple de linéarisation : idéalisation du problème de l’IRT
1.3.2 L’IRM et le modèle impulsionnel
1.3.3 Le problème linéarisé de l’IRM
1.3.3-a) Lorsqu’une onde de choc est réfléchie
1.3.3-b) Lorsqu’une onde de détente est réfléchie
1.3.4 L’IRT ablative et le modèle de Goncharov-Betti
1.3.4-a) Pour les grands nombres de Froude F r 1
1.3.4-b) Pour les faibles nombres de Froude F r 1
1.3.4-c) Raccord
1.3.5 D’autres aspects de l’IRT ablative
1.4 Linéarisation des équations de la MHD
2 L’instabilité de Richtmyer-Meshkov avec champ magnétique
2.1 L’IRM avec champ selon Qiu et al
2.2 Description analytique en fluides compressibles
2.2.1 linéarisation des équations
2.2.1-a) Équation vectorielle
2.2.1-b) Projection
2.2.2 Quelques géométries particulières
2.2.2-a) Cas où B est perpendiculaire à k et à la direction de propagation
2.2.2-b) Cas où B est parallèle à k
2.2.2-c) Cas où B est parallèle à la direction de propagation
2.2.3 Discussion
2.3 Les résultats numériques
2.3.1 Le code numérique LPC-MHD
2.3.1-a) Description
2.3.2 Résultats
2.3.2-a) Cas où B est perpendiculaire à k et à la direction de propagation
2.3.2-b) Cas où B est parallèle à k
3 L’IRT au front d’ablation en phase d’accélération
3.1 Description du problème
3.1.1 Configuration simplifiée
3.1.2 Le code de calcul
3.1.3 Hydrodynamique de base
3.1.4 Initialisation des perturbations
3.1.5 Modélisation du laser
3.2 Comportement de l’IRT sans champ magnétique
3.2.1 Méthode d’évaluation des perturbations
3.2.2 Taux de croissance de l’IRT en régime linéaire
3.2.3 Comparaison au modèle de Goncharov-Betti
3.3 L’IRT en présence de champs magnétiques auto-générés
3.3.1 Processus de génération
3.3.2 L’influence du champ sur l’instabilité
3.3.3 Adaptation du modèle de Masse à l’IRT avec champs magnétiques auto-générés
4 L’IRT en phase de décélération sans et avec champs auto-générés
4.1 Initialisation des calculs numériques
4.1.1 hydrodynamique de base
4.1.2 Les perturbations
4.2 Résultats numériques sur l’IRT en phase de décélération
4.2.1 Sans champ magnétique
4.2.2 Avec les champs magnétiques auto-générés
4.3 Discussion
4.3.1 Quantification des champs auto-générés
4.3.2 Effet des champs magnétiques sur l’IRT
4.4 Incidence sur le fonctionnement de la cible
Conclusions
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