Frontière : le même et l’autre (et ce qui tient des deux)

Frontière : le même et l’autre (et ce qui tient des deux)

En quittant l’acception purement territoriale précédente et examinant les emplois les plus courants du mot « frontière », on observe que le rapport à « l’autre » – appellation certes trop large – est toujours sous-jacent. Cependant s’il est vrai, comme le rappelle Jean-Pierre Vernant, que l’image de soi se construit dans son vis-à-vis, celui-ci a des visages différents et des traits parfois flous : étrangers pour les autochtones, nomades pour les sédentaires, esclaves pour les hommes libres, auxquels on pourrait ajouter les morts pour les vivants, les dieux pour les mortels, etc.

Sur un même ensemble de personnes, les frontières ainsi dessinées sont multiples et se superposent, sans coïncider : on peut être à la fois étranger et homme libre, autochtone et esclave. Et, comme dans le cas précédent des territoires, chaque frontière instaure entre des groupes une relation qui peut être envisagée à deux, mais aussi à trois : le même, l’autre et ce qui tient des deux .

Pour en donner un exemple simple, certains groupes de personnes peuvent nomadiser dans les périodes où les pâturages le permettent et se fixer lorsque ce n’est plus le cas : qualifiera-t-on ces groupes de nomades dans un cas et de sédentaires dans l’autre ? Et définir un « étranger » est un exercice encore plus redoutable : y a-t-il un vis-à-vis qui lui faitface et permet de le qualifier ainsi ?

Il peut être intéressant d’examiner quels concepts élabore, à partir de situations concrètes, une discipline dont l’objet est d’abstraire. Parce que le mot « frontière » estemployé dans des contextes très variés, la topologie mathématique utilise de façon imagée les mots de « frontière », d’« intérieur » et d’« extérieur », illustrant ce qui a été dit sur une relation qui peut être à deux, mais aussi à trois .

Le XIVe, un siècle de calamités ? 

Il est tentant de décrire le XIVe siècle avant notre ère dans des termes qui ressemblent à ceux que l’historienne Barbara Tuchman a employés pour le XIVe après notre ère, ce siècle  de la peste noire, de guerres et de famines incessantes où les champs, lorsqu’ils n’ont pas été dévastés par les combattants de l’un ou l’autre camp, sont en jachère, faute de bras.

Lorsque le Proche-Orient ancien émerge des « siècles obscurs » au début du XIVe siècle avant notre ère, deux des quatre grandes puissances de l’époque étendent leur ombre sur la Syrie : au nord le Mitanni, alors au faîte de sa puissance, et au sud l’Égypte. L’empire hittite émerge tout juste de graves troubles intérieurs et doit faire face à des attaques qui partent des rives du Pont jusqu’à la Méditerranée. La Babylonie est absorbée par ses luttes contre les montagnards du Zagros et l’Élam. L’Assyrie, quant à elle, est encore sous domination mitannienne et peine à se faire reconnaître, notamment par l’Égypte, comme une grande puissance à l’égal des quatre autres .

Le XIVe siècle va voir un grand bouleversement géopolitique.

L’Égypte d’Aménophis III se rapproche du Mitanni devant la montée hittite.

Sous l’impulsion de Šuppiluliuma I, qui va mener trois campagnes syriennes pendant la première moitié du XIVe siècle pour asseoir son autorité sur la Syrie du nord, puis celle de son fils Muršili II, l’empire hittite devient en effet une puissance majeure en Syrie, au détriment de l’Égypte et du Mitanni. À noter que ses armées ramènent de Syrie la peste (nom générique donné aux épidémies), qui va être un fléau durable.

La puissance du Mitanni décline à tel point après sa défaite par les Hittites qu’Aššuruballiṭ I saisit cette occasion pour débarrasser l’Assyrie de sa tutelle. En raison de luttes internes pour le pouvoir, le Mitanni disparaît en tant que puissance politique et est remplacé par deux royaumes, l’un à l’ouest de l’Euphrate sous tutelle hittite et l’autre à l’est sous tutelle assyrienne : le Ḫanigalbat, qui vont jouer le rôle d’États tampons entre les Hittites et lesAssyriens jusqu’au XIIIe siècle. L’Assyrie réduit alors le Ḫanigalbat au statut de simple province, dirigée par un membre de la famille royale assyrienne.

La Babylonie, bien qu’elle conserve un grand rayonnement culturel, voit son importance politique décliner pendant que celle, économique, politique et militaire de l’Assyrie s’accroît.

L’Égypte conserve dans sa zone d’influence la Syrie du sud et le pays de Canaan, mais lanature des liens qu’elle entretient avec les petits royaumes locaux est différenciée dans letemps et l’espace.

Du XIVe siècle au début du XIIe siècle, moment où l’empire hittite est détruit et la côte méditerranéenne ravagée par les « peuples de la mer », les villes syriennes, qu’elles soient siège d’un État comme Ugarit ou non comme Emar, sont intégrées et parfois de façon successive dans la zone d’influence de l’un ou l’autre empire, mitannien, hittite ou égyptien. Un royaume apparu au XIVe siècle, sans être constituéautour d’une ville comme la plupart des autres États syriens, est particulièrement intéressant à cet égard : l’Amurru, quichangera deux fois de parti. «Marches », ces États vont tenter de maintenir une certaine autonomie, par exemple en diversifiant les allégeances, en les jouant l’une contre l’autre. Dans le même temps, les relations entre les États syriens sont l’objet de jeux plus ou moins coopératifs ou conflictuels. S’agissant de frontières géopolitiques, il y a donc un double entrelacs : les relations horizontales entre les États syriens et les relations verticales de ces mêmes États avec les grandes puissances auxquelles ils ont dû faire allégeance.

Abondance de la documentation écrite concernant la Syrie 

Des grandes puissances ayant une influence directe sur la Syrie, trois ont livré au cours des dernières décennies une documentation officielle très riche, qu’elle soit écrite dans leur propre langue (exemple des versions en hittite des traités hittites) ou en akkadien, langue écrite des échanges internationaux (très grande majorité des lettres trouvées en Égypte à El Amarna , version en akkadien des traités hittites), les deux pouvant coïncider (inscriptions royales assyriennes). Les fouilles récentes dans les villes de la période médioassyrienne, Dūr-Katlimmu (Sheikh Ḫamad) ou Tell Sabi Abyad ont fait apparaître de nouveaux écrits, qui complètent une documentation déjà très riche concernant la Syrie. Le corpus des textes du Mitanni (et plus généralement celui des textes en hourrite) estmalheureusement limité jusqu’ici, alors que l’influence hourrite a été très importante dans toute la région sur le plan culturel et religieux.

Pour la vie quotidienne des royaumes dans la période choisie, on dispose de nombreux documents privés (contrats, lettres) et officiels (donation de terres par le roi, etc.) qui ont ététrouvés en particulier dans les villes d’Alalaḫ, d’Emar, d’Ekalte et surtout d’Ugarit, pour celle- ci dans plusieurs langues mais surtout en akkadien et dans la langue locale, l’ougaritique. On a trouvé également à Ugarit une correspondance avec les rois d’autres États syriens, Amurru, Tyr, etc., ainsi que des traités.

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Table des matières

INTRODUCTION
1. Frontière : le même et l’autre (et ce qui tient des deux)
2. Objet de la recherche
3. Aire géographique choisie
4. Période choisie
5. Corpus
6. Présentation
Des changements d’allégeance : la Syrie à partir du xive siècle
1. À l’époque du Bronze moyen (XVIIIe-XVIe siècles)
2. À l’époque du Bronze récent (XVe – XIIe siècles)
Brève chronologie intéressant la Syrie de la fin du IIe millénaire
PREMIÈRE PARTIE : Tracer des frontières
Chapitre 1 : Frontière, les mots
Introduction
Limite, frontière, confins en akkadien (et en ougaritique)
Conclusion
Chapitre 2 : Des frontières entre institutions ?
Position du problème
Des frontières juridiques ?
Introduction
1. Ugarit
2. Emar et son voisinage (Ekalte, etc.)
Conclusion
Des frontières économiques ?
Introduction
I. Les marchands du roi, pourquoi les taxes-tu ?
1. Des « frontières » fiscales ?
2. Les mots de la fiscalité au Proche-Orient ancien
Conclusion
II. Le tribut
1. Le tribut, un contrat ?
2. Quatre empires et le tribut des États syriens : les textes
Conclusion
Chapitre 3 : La fixation des frontières par les États
Introduction
1. Frontières, deux philosophies : l’Égypte et l’empire hittite
2. L’Égypte et la Syrie : l’administration de provinces
3. Les Hittites et la Syrie : des règles écrites de bonne conduite
4. Des frontières définies bilatéralement par les États syriens ?
Conclusion
Chapitre 4 : Langues et frontières
Introduction
1. Les langues parlées ou écrites en Syrie à l’époque du Bronze récent
2. La langue, à la fois frontière et moyen de dépasser les frontières
3. Au Proche-Orient, la langue (et l’écriture) moyen(s) de dépasser les frontières ?
4. Des « frontières intérieures » qui traversent la langue écrite ?
5. Entre deux, des langues « frontières » ?
Conclusion
Chapitre 5 : Sur la frontière
Introduction
1. Aperçu sur l’histoire de Qaṭna et de Ṣumur avant le XIVe siècle
2. Le tournant du XIVe siècle
Conclusion
DEUXIÈME PARTIE : Franchir les frontières
Introduction
Chapitre 6 : Le voyage
1. Les nomades
2. Les messagers
3. Les marchands
4. Les artisans (et « experts »)
Chapitre 7 : Ceux qui sont partis de chez eux
1. Les ʿApiru/Ḫabiru
2. Ceux qui cherchent refuge, exilés et fugitifs
3. Reprendre ceux qui s’enfuient
TROISIÈME PARTIE : De l’autre côté
Introduction : être un étranger
1. Un concept ?
2. Un large éventail sémantique
3. Vous suis-je étranger ou suis-je un étranger ?
Chapitre 8 : Qui est ressenti, ou se ressent, comme étranger
1. Né(e) ailleurs
2. Relève d’une autre autorité
3. Appartient à une autre culture
4. Représente une menace
Conclusion
Chapitre 9 : Les étrangers résidents
Introduction : des étrangers divers et inégaux
1. En Grèce, un métèque
2. L’étranger qui réside en Israël : un « guēr »
3. Au Proche-Orient ancien : un ubāru
4. Citoyens et résidents à Ugarit
Le rituel des murailles
Chapitre 10 : Comment cesse-t-on d’être un étranger ?
1. Des « naturalisations » collectives
2. Une intégration individuelle
En conclusion de la troisième partie
CONCLUSION

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