Sous l’impulsion des rapports d’experts et de chercheurs internationaux, la communauté mondiale a pris conscience de la probable responsabilité des actions humaines dans divers dérèglements climatiques. Ainsi, en 1987, le protocole de Montréal a été ratifié par 31 nations. Quelques années plus tard, des révisions successives de ce protocole ont eu lieu pour compléter la liste des substances à bannir, en raison de la participation de ces fluides à la dégradation possible de la couche d’ozone ou/et à l’augmentation de l’effet de serre.
Les ChloroFluoroCarbures (CFC) et les HydroChloroFluoroCarbures (HCFC) font partie de ces substances montrées du doigt. Ces fluides ont été largement utilisés dans les applications industrielles de la production du froid et du conditionnement d’air, mais leur élimination progressive a amené à l’adoption à court terme d’autres fluides de remplacement, tels que les HydroFluoroCarbures (HFC). Ces derniers ne possèdent pas de composé chloré et leur action sur la couche d’ozone est nulle, mais leurs performances demandent à être évaluées ou confirmées. De plus, les HFC ne sont pas solubles dans les huiles minérales, traditionnellement employées avec les CFC et les HCFC. Ceci a entraîné l’utilisation de nouvelles huiles pour la lubrification des compresseurs.
Miscibles avec les nouveaux frigorigènes HFC, les huiles synthétiques de type Polyol-ester (POE), Polyalkylene-glycol (PAG) ou encore Polyvinylether (PVE) se sont imposées au détriment des huiles minérales. Cependant, l’affinité exigée entre frigorigène et lubrifiant peut être à l’origine de nombreux problèmes risquant de provoquer des avaries aussi bien thermiques que thermodynamiques. Ces incidences sur les performances des systèmes frigorifiques et sur chacun des composants du circuit restent encore mal connues, en particulier pour les nouveaux couples frigorigène/huile.
Frigorigènes et lubrifiants
Rôles de l’huile dans le circuit frigorifique
Dans les unités frigorifiques à compression de vapeur, l’huile est utilisée principalement pour assurer le bon fonctionnement du compresseur. Son premier rôle est de créer un film d’huile suffisant pour la lubrification de toutes les pièces mécaniques en mouvement dans le compresseur. Elle assure aussi l’étanchéité qui peut être :
➤ statique, l’huile contribue à obturer les micro-orifices que peuvent présenter les pièces ou les assemblages fixes ;
➤ dynamique, l’huile maintient un joint fluide entre les pièces en mouvements relatifs et par ailleurs soumises à des différences de pression ; c’est le cas pour les inter-lobes dans les compresseurs à vis, pour le piston/chemise dans les compresseurs à pistons, et pour la garniture des joints tournants dans les compresseurs ouverts (Duminil, 2003).
En outre, l’huile joue aussi un important rôle caloporteur et sert comme un agent de refroidissement, tout en remplissant d’autres fonctions secondaires telles que la réduction du bruit et l’évacuation des impuretés chimiques et des dépôts qui peuvent circuler dans le système dû au rodage ou aux débris produits lors de la fabrication de l’unité (Giniès, 2003). Toutes ces actions favorables de l’huile montrent son utilité au sein du circuit frigorifique. Pourtant, nous verrons que cette présence s’accompagne de divers inconvénients.
Compatibilité entre frigorigène et lubrifiant
Le fluide frigorigène utilisé dans le circuit et le lubrifiant du compresseur doivent être compatibles afin d’assurer une stabilité thermique et chimique du couple. Cette compatibilité est évaluée par la miscibilité de l’huile avec le fluide frigorigène à l’état liquide, ou encore la solubilité du fluide frigorigène dans l’huile. La miscibilité est une caractéristique indispensable pour garantir un retour correct du lubrifiant au compresseur. Ce point sera détaillé plus loin. Nous nous intéresserons particulièrement aux huiles miscibles avec les frigorigènes. Les huiles minérales ont été les premiers lubrifiants utilisés avec les fluides frigorigènes traditionnels (CFC et HCFC) en raison de leur forte miscibilité. Ces lubrifiants sont produits à partir d’huiles naturelles par distillation et se composent de paraffines, de naphtalines et d’aromatiques .
La faible miscibilité des huiles minérales avec quelques HCFC (R22 et R13 en particulier) a encouragé la recherche de nouvelles huiles synthétiques (March et Kandil, 2002). Une bonne miscibilité a été obtenue avec les Alkyl-Benzènes (AB). A partir des années quatre-vingt-dix, l’abandon des fluides frigorigènes de type CFC et HCFC en Europe dans les applications industrielles de la réfrigération et du conditionnement d’air (suite au Protocole de Montréal et aux directives européennes les plus récentes) a amené à l’adoption à court terme des fluides frigorigènes de type HFC (sans chlore) dont les plus connus aujourd’hui sont : le R134a, le R125, le R32, le R143a ainsi que leurs mélanges (R407C, R410A, R404A, …). Associées à cette nouvelle génération de frigorigènes, les huiles de lubrification ont également évolué ; une nouvelle gamme d’huiles synthétiques s’est imposée au détriment des huiles minérales utilisées avec les CFC. Il en est de même des Alkyl-Benzènes avec les HCFC.
Présence de l’huile dans le système frigorifique : où et comment ?
Dans un fonctionnement normal d’un système frigorifique, il serait idéal que le lubrifiant du compresseur reste aux différents points de graissage pour remplir l’ensemble des rôles décrits précédemment ; or, il est inévitable qu’une certaine quantité d’huile s’échappe du compresseur, en particulier au démarrage après un arrêt. En effet, à l’arrêt, l’évaporateur de la machine frigorifique s’échauffe, la pression d’évaporation s’élève. Dans le même temps, le compresseur se refroidit et l’huile présente dans le carter du compresseur absorbe une grande quantité de frigorigène jusqu’à l’égalisation des pressions. Lors de la remise en route de la machine, la diminution rapide de la pression dans le carter crée une désorption du frigorigène, d’où un phénomène de moussage au démarrage. La mousse peut envahir les cylindres, ce que l’on désigne par « coup d’huile ». En régime permanent de fonctionnement, la quantité d’huile rejetée par le compresseur dans le circuit dépend essentiellement de deux paramètres :
➤ Le compresseur lui même : son cycle de fonctionnement et sa technologie de fabrication (tolérances, conception des clapets, qualité d’étanchéité, …) ;
➤ Les propriétés de l’huile et particulièrement sa viscosité.
Entraînée par le compresseur, l’huile se trouvera en différents points du circuit et conduira à des conséquences nuisibles dans certaines conditions de fonctionnement.
En général, l’huile entraînée par le compresseur circule :
❖ Dans la conduite de refoulement, sous forme de gouttelettes entraînées par le gaz chaud. Comme le refoulement est le point le plus chaud du circuit, ces gouttelettes sont pratiquement pures en huile. Le séparateur d’huile est obligatoire lorsque le circuit présente des difficultés vis-à-vis du retour d’huile vers le compresseur. Son rôle consiste à stopper l’huile en faisant chuter la vitesse des gaz et à assurer son retour dans le carter du compresseur ;
❖ Dans le condenseur, l’huile se dissout dans le fluide frigorigène en phase liquide et y reste pendant toute la phase de condensation ;
❖ Après détente, l’évaporateur est alimenté par un mélange liquide-vapeur. L’huile contient une partie de fluide frigorigène en solution (homogène dans le cas d’une huile miscible), sa viscosité a tendance à freiner le mouvement. Au niveau de l’évaporateur, on assiste à deux effets contradictoires de la température et de la viscosité :
1. Lorsque le fluide frigorigène s’évapore, la phase liquide contient moins de frigorigène et devient plus visqueuse ;
2. L’évaporateur est le point le plus froid du circuit frigorifique. En fin d’évaporation, au fur et à mesure que l’huile avance, elle se réchauffe dans la zone de surchauffe, ce qui tend à réduire sa viscosité.
L’évaporation du fluide frigorigène augmente la viscosité de l’huile plus rapidement que ne peut la diminuer l’augmentation de la température. Lorsque ces deux effets arrivent à s’équilibrer, la viscosité de l’huile atteint sa valeur maximale. Ce point se situe, typiquement, pour des surchauffes voisines de 15 à 20°C. Au-delà, la viscosité diminue progressivement du fait du réchauffement de l’huile (Revue Pratique du Froid, 1968).
Par ailleurs, la présence d’huile dans le circuit frigorifique peut être répartie différemment selon la vitesse d’écoulement et la conception du circuit. En effet, en fonctionnement réel de la machine frigorifique, l’huile se trouve en concentration plus élevée dans certains éléments que dans d’autres. Clodic et Ben-Yahia (2002) indiquent qu’en dehors de la tuyauterie de refoulement, les sections de l’installation privilégiées pour le stockage de l’huile sont la zone de surchauffe de l’évaporateur et les canalisations de retour au compresseur. Ainsi, selon la position relative de l’évaporateur vis à vis du compresseur, le débit de retour d’huile est profondément différent et donc les quantités stockées dans ces zones varient. Ce phénomène doit être soigneusement pris en compte pour des installations où les distances sont longues entre les évaporateurs et les compresseurs, comme en froid commercial pour les grandes surfaces, où les longueurs de tuyauteries peuvent être supérieures à 200 m et les différences d’altitude supérieures à 10 m.
En régime transitoire, l’huile peut s’accumuler lorsque les vitesses de circulation sont faibles, en particulier dans les tuyauteries en phase gazeuse où les quantités stockées s’accroissent avec le temps. Lorsque l’accumulation d’huile atteint un certain seuil, la vitesse du gaz augmente dans le diamètre équivalent laissé libre. Ces amas d’huile accroissent les pertes de charge et peuvent rapidement poser des problèmes de manque d’huile au compresseur (Clodic et Ben-Yahia, 2002).
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Table des matières
INTRODUCTION
CHAPITRE I : ETUDE BIBLIOGRAPHIQUE
1 Frigorigènes et lubrifiants
1.1 Rôles de l’huile dans le circuit frigorifique
1.2 Compatibilité entre frigorigène et lubrifiant
1.2.1 Les huiles Polyol-ester (POE)
1.2.2 Les huiles Polyalkylene-glycol (PAG)
1.2.3 Les huiles Polyvinylether (PVE)
1.3 Présence de l’huile dans le système frigorifique : où et comment ?
1.4 Retour de l’huile au compresseur
2 Comportement thermodynamique et thermique des mélanges de frigorigène et d’huile
2.1 Propriétés thermophysiques du lubrifiant
2.1.1 Masse volumique
2.1.2 Viscosité cinématique
2.1.3 Conductivité thermique
2.1.4 Capacité thermique massique
2.1.5 Tension superficielle
2.2 Propriétés thermodynamiques des mélanges frigorigène/huile
2.2.1 Miscibilité
2.2.2 Solubilité
2.2.3 Courbes de solubilité : équilibre liquide-vapeur
2.2.3.1 Modèles thermodynamiques
2.2.3.2 Approches empiriques
2.2.3.3 Choix et orientation
2.2.4 Masse volumique
2.2.5 Viscosité
2.2.5.1 Viscosité cinématique
2.2.5.2 Viscosité dynamique
2.2.6 Conductivité thermique
2.2.7 Capacité thermique massique
2.2.8 Tension superficielle
3 Transfert thermique en présence d’huile
3.1 Condensation
3.1.1 Paramètres d’influence
3.1.2 Modèles de prédiction
3.1.2.1 Corrélation de Shah (1979)
3.1.2.2 Corrélation de Dobson et Chato (1998)
3.2 Evaporation
3.2.1 Mécanismes de transfert
3.2.2 Tendances générales
3.2.3 Modèles de prédiction
3.3 Pertes de pression dans les échangeurs thermiques en présence d’huile
3.3.1 Modèles de prédiction
3.3.1.1 Modèles homogènes
3.3.1.2 Modèles à phases séparées
4 Impact de l’huile sur la charge en fluide dans une machine frigorifique
CHAPITRE II : SOLUBILITE FRIGORIGENE/HUILE
1 Mesure de solubilité du fluide frigorigène dans l’huile
1.1 Méthodes de mesure de solubilité
1.1.1 Méthode “Gas Liquid Chromatography”
1.1.2 Méthode isochore
1.1.3 Choix de la méthode de mesure
1.2 Résultats expérimentaux
1.2.1 Couple CO2/PAG
1.2.2 Couple R134a/POE
1.2.2.1 Comportement dynamique du mélange
1.2.2.2 Courbes de solubilité
1.2.3 Couples R32/POE et R125/POE
2 Modèles thermodynamiques de calcul de solubilité
2.1 Paramètres des modèles
2.1.1 Coefficient d’activité
2.1.2 Coefficient de fugacité
2.1.3 Effet Poynting
2.2 Procédures de calcul
2.3 Résultats de la modélisation numérique
2.3.1 Paramètres d’interaction binaires
2.3.2 Déviation moyenne
2.3.3 Courbes de solubilité
3 Solubilité différentielle
4 Conclusion
CHAPITRE III : ENTHALPIE FRIGORIGENE/HUILE
1 Calcul d’enthalpie d’un mélange frigorigène/huile
1.1 Modèle thermodynamique
1.2 Exemples d’application du modèle
1.2.1 Rapport d’enthalpie
1.2.2 Quantité non-évaporée
2 Etude expérimentale in-situ d’une machine de grande puissance fonctionnant au R407C : validation du modèle
3 Conclusion
CHAPITRE IV : SYSTEME FRIGORIFIQUE : EXPERIENCES ET MODELISATION
CONCLUSION