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Freeda : un média militant ? Entre « empowerment », « inspiring », « girlpower » : le recyclage des hashtags féministesNon esiste un solo tipo di donna
Freeda – come freedom, al femminile – è un progetto editoriale che celebra la libertà e i tanti modi di essere di una nuova generazione di donne. Per questo cerchiamo continuamente donne vere, tutte diverse, con una storia da raccontare. »
Parité, inclusion, pouvoir mais aussi changement, sortir du carcan et, surtout, liberté : ce sont les mots-clés à retenir dans cette présentation qui essaie d’expliquer la valeur du projet éditorial de Freeda. Ce texte est suivi par une invitation à écrire à la rédaction pour raconter sa propre histoire et devenir protagoniste des prochains contenus de Freeda, pour travailler avec eux et, ensuite, pour proposer un partenariat commercial.
Dans une interview pour le magazine italien Il Libraio, Daria Bernardoni, responsable éditoriale de Freeda, déclare que son projet veut représenter « la voix plus puissante des femmes entre 18 et 24 ans ».
Freeda : narration et contenus proposés
Comment Freeda construit-il sa narration quotidienne ? Quels types de contenus sont-ils proposés ?
Freeda possède une page Facebook (la première à avoir été créée), une page Instagram, une page YouTube (créée en 2019) et une landing page (page de renvoi ou page d’atterrissage), rattachée à la page Facebook.
Freeda est un média entièrement disponible sur les réseaux sociaux. Il ne possède pas un site web de référence et pour cela, est un cas, si non pas unique, mais rare dans le contexte des médias numériques italiens. Le travail de recherche inclut exclusivement les contenus issus des pages Facebook et Instagram de Freeda ; cela car c’est ici qu’y est publiée la majorité des publications du média.
La page Facebook de Freeda a été créé en premier. L’équipe de Freeda y publie environ 5 publications par jour.
Son contenu est constitué de :
a. Des images : dont photos et des dessins originaux créés par l’équipe du projet éditorial (exemple : annexes 4,6,8,9).
b. Des vidéos : soit publiées directement via Facebook (et c’était le cas surtout avant, quand Freeda ne possédait pas encore un canal YouTube), soit des vidéos provenant de la page Youtube. Dans tous les cas les vidéos sont chargées directement dans la plateforme Facebook (avec, des fois, le renvoie à la page YouTube), pour rendre la navigation plus rapide, en évitant des passages supplémentaires à l’utilisateur (en général la chaine YouTube est réservée aux contenus plus longs (interviewes complètes etc).
c. Des articles courts (exemple : annexes 5,3,2) : il s’agit d’articles dont le format est adapté à la lecture dans le contexte d’utilisation des réseaux sociaux et notamment, dans ce cas, de Facebook. Les articles courts adressent à une page d’atterrissage. Cette page d’atterrissage a une double raison d’être : d’un côté la page d’atterrissage est beaucoup plus rapide et facile à télécharger qu’un article provenant d’un site web. De l’autre côté (en rappelant que l’un des bouts de Freeda est ainsi de cibler les goûts du jeune public pour des finalités commerciales et publicitaires), cette forme permet de mieux encadrer le fluxe et les données des utilisateurs. Il s’agit d’un outil souvent utilisé dans le marketing digital pour attirer le visiteur d’un contenu et, pour le dire synthétiquement,
à travers une série de procédures, le faire devenir consommateur et, ensuite, client. C’est une valeur ajoutée qui permet de justifier l’effet que le contact visiteur laisse le plus d’informations possibles à son passage. Les articles courts ont pour objectif de traiter des sujets d’actualités ou de mettre en avant des personnages clé du féminisme pop ; les sujets choisis reprennent surtout des actualités qui ont eu de l’écho d’un point de vue international, comme, par exemple, l’approbation d’une loi sur l’avortement en Argentine ou Olga Misik, jeune fille russe qui pendant des démonstrations contre le gouvernement de Poutine, pendant lesquelles plus de 1000 personnes ont été arrêtés, elle s’est assise face au blocus de la police et elle a lu la constitution en acte de rébellion. Toutefois, parmi ces articles, les références aux faits d’actualités qui se passent en Italie et qui ont comme protagonistes des femmes sont quasiment absentes. Alors que les collectifs et les institutions féministes italiennes sont très attentifs aux féminicides et la façon dont la presse généraliste traite le phénomène, Freeda, en contre-tendance, préfère s’occuper de l’actualité internationale et des sujets qui ont déjà retrouvé un certain écho ailleurs.
d. Nous dédions également un petit focus au groupe “secret” Facebook de Freeda, qui s’appelle Freeda Love Guide, où Freeda propose la possibilité d’échanger sur des sujets tels que la vie de couple, la vie sexuelle, etc. En jetant un petit coup d’œil, on s’aperçoit qu’ici le rôle de Freeda est plus celui de modérateur, plutôt que d’animateur. Ce sont les membres du groupe à proposer des arguments ou poster leurs problématiques. Freeda prête juste son nom pour ressembler sa communauté et donner un moment de partage virtuel. Cette page rappelle la poste des lecteurs d’un célèbre magazine italien papier dédié aux adolescents et qui circulait dans les années ‘90, qui s’appelle Cioé26. Freeda fait souvent des rappels à la pop culture italienne (et ne pas seulement) des années 80-90.
Si nous avons vu ce que propose Freeda d’un point de vue du dispositif, qu’en est-il d’un point de vue des contenus ?
On a identifié trois types de contenus. Tout d’abord, on y trouve les informations de type magazine au féminin, comme on peut la trouver dans la presse magazine. Ensuite, il y a des contenus à connotation militante féministe, qui se déclinent notamment par la mise en avant d’une femme à la fois normale et susceptible de jouer le rôle-modèle promu par le site. Chaque follower peut se proposer pour jouer ce rôle-modèle. Enfin, il y a la publicité.
Freeda, rhétorique des images, représentation du féminin
Pour donner une idée de ce qu’est le discours militant de Freeda, nous avons choisi d’analyser deux images, la première issue de la page Instragram et la deuxième de la page Facebook de Freeda. Les deux images (la première est une photo, la deuxième est un dessin original produit par les graphistes de Freeda) abordent la thématique du consentement. Tout d’abord nous montrerons un aperçu de la page d’accueil Instagram du média, vue par un smartphone.
La capture permet de montrer le déroulement de la narration quotidienne de Freeda.
On peut y constater, en Figure 1, la coprésence de photos et dessins : ces derniers peuvent être des dessins originaux conçus par les graphistes de l’agence (comme c’est le cas de deux images au milieu en haut), ou des dessins repostés par d’autres comptes (comme c’est le cas de la troisième image tout à gauche à partir du haut).
Freeda dans le débat sur le consentement après l’affaire #Metoo
En octobre 2017, le New York Times publie un article qui accuse ouvertement le producteur cinématographique Harvey Weinstein38, d’avoir utilisé sa position de pouvoir pour forcer des jeunes femmes du monde du spectacle à avoir des rapports sexuels avec lui.
Ce n’est pas la première fois que quelqu’un lance ce genre d’accusations au producteur américain ; déjà en 1998 l’actrice Gwyneth Paltrow, invitée dans une célèbre émission, avait avancé des accusations de ce genre. Plus tard, la chanteuse américaine Courtney Love avait conseillé aux jeunes filles de “ne pas accepter des invitations de Weinstein à leur rejoindre dans sa chambre d’hôtel”. Mais jusqu’à cela, il ne s’agissait que de cas isolés.
Ce n’est qu’en 2017, grâce à l’article du New York times que plusieurs actrices commencent à formuler des accusations précises, en se réunissant pour arriver à poursuivre Weinstein en justice. Parmi elles, l’actrice italienne Asia Argento, qui accuse le producteur de l’avoir forcée à subir des rapports sexuels lorsqu’elle n’avait que 20 ans.
Suite à cet article, les dénonciations se multiplient, sur twitter est créé l’hashtag #MeeToo, à travers lequel plusieurs femmes commencent à dénoncer les violences subies, pas seulement de la part du producteur en question mais aussi en racontant des expériences les plus diverses de harcèlement sexuel et abus subis dans le lieu de travail, en famille, dans la rue.
Grâce à cette campagne sur les réseaux sociaux, le débat sur le consentement prend une place importante dans l’opinion publique ; les femmes libèrent pour la première fois la parole d’une façon compacte. Cela permet aussi aux hommes de faire face à leurs propres comportements et leurs conséquences sur la vie des filles.
Asia Argento, l’une des premières personnalités à avoir avancé des accusations face au producteur hollywoodien, en Italie, devient victime d’une vraie campagne de haine. Fille d’un des plus importants réalisateurs italiens contemporaines, Dario Argento, Asia a été toujours traitée par les médias italiens, comme un personnage transgressif. C’est pour cela que, au moment du #MeToo ses dénonciations suscitent les critiques plus féroces ; comment une femme comme elle, qui ne représente certainement pas l’idéal de la victime parfaite à cause de son vécu, peut-elle se permettre d’accuser un producteur d’abus sexuels ?
La plupart des commentaires sur les réseaux sociaux et dans la presse italienne visent à décrédibiliser le témoignage de l’actrice italienne en l’accusant de faire cela pour se donner de la visibilité et d’avoir profité, à l’époque, de l’influence de Weinstein dans sa carrière.
Asia Argento est la victime idéale pour les sceptiques du #MeToo et, pour cela, son témoignage prend une importance encore majeure, car c’est ici que réside la problématique principale du consentement. Pour basculer les consciences, un personnage tel qu’Argento est emblématique de ce que l’image de Freeda veut dire en figure 3 ; son style de vie et ses excès, si ne font pas d’elle une victime « idéale », ne justifient pas les abus subis. En autre, Argento est une des protagonistes de #MeToo qui s’est exposée en première personne et activement, il est célèbre, par exemple, son discours au Festival de Cannes 2018.39
Les accusations et les réactions subies par l’actrice italienne montrent comme il est nécessaire, pour faire basculer les consciences sur un sujet si délicat, de s’exposer d’une manière forte et engagée dans le débat.
On peut dire que ce n’est pas le cas des images traitées dans le paragraphe précédent. En vue de la cristallisation du stéréotype de la parole de la femme qui ne peut se libérer qu’en fonction du rapport de pouvoir avec le regarde de l’homme (dont la hiérarchie du regard voit l’homme comme prioritaire dans l’échelle), Freeda n’est pas capable d’aller au-delà de ce conflit. D’ailleurs, Freeda n’apporte pas un regard nouveau dans le débat, mais finit au contraire par répéter des slogans et des imaginaires déjà abondamment usés et, hors de leur contexte, privés de leur efficacité, répétition réduite de phrases qui ont été déjà vécues par d’autres personnes. La façon dont Freeda traite la thématique du consentement la pose au milieu du débat entre celles qui accusent, courageusement, les violences subies (même quand il s’agit de personnalités contradictoires qui risquent la critique facile, comme c’est le cas de Daria Argento,), et la position des femmes des “générations précédentes”, telles que Catherine Deneuve et les autres signataires de la lettre à Le Monde40 et qui voient dans le comportement de Weinstein une continuation “naturelle” d’une attitude masculine “à la chasse”, dans un schéma culturel qui perdure depuis des siècles et duquel ne sont pas en grés de se détacher.
A bien voir donc, Freeda essaie de se faire porte-parole de cette nouvelle génération de femmes qui est plus consciente et en capacité de se rendre compte ou, de moins, de réveiller sa propre conscience face à des expériences qui ont laissé des traces dans leurs vies ; mais il se trouve que Freeda elle-même n’est pas capable de se détacher de cette dynamique dont c’est toujours à l’homme de comprendre des signaux qu’une femme, toujours parfaite et bien attirante, n’est pas totalement capable ou autorisée à exprimer d’une façon nette.
On dirait que Freeda possède les éléments pour lire les passages significatifs qui ont traversé ces dernières années le débat sur la thématique du consentement, mais elle n’est pas totalement consciente de la nouveauté et de l’importance principale qui a été apportée au débat, c’est à dire l’appropriation, de la part de la femme, de prendre parole et d’exprimer clairement ses envies et, dans tous moments, de nier cette même envie face aux attentions sexuelles montrés par un homme.
Certes, le débat sur le consentement reste toujours ouvert car il s’agit de pratiques et conventions sociales sédimentées et construites au long de notre histoire. Sa déconstruction, non évidente et facile, demande une mise en discussion des dynamiques entre hommes et femmes, pour ensuite aboutir à des nouvelles pratiques qui puissent rendre les rapports de plus en plus égalitaires. Mais, s’il y a une chose fondamentale que #MeToo nous a appris, c’est qu’il est de plus en plus nécessaire que la femme s’auto-autorise à prendre la parole et exprimer librement ses intentions et, surtout, sa contrariété, car, comme le dit Annie Ferrand : “ Le fantasme que les scénarios (du porno, mais ainsi des médias de masse), mettent scène est que le désir et le plaisir de la femme sont contraires à la volonté qu’elle exprime spontanément. Il faut donc la forcer, surmonter ses résistances, pour lui révéler sa vérité profonde qui est la manière dont elle jouit. Le refus n’y est que le manque d’un désir qu’elle ne peut assumer que dans un premier temps, car il est contraire à son intégrité et à sa dignité. Mais “au fond”, elle veut être prise, être disponible totalement pour satisfaire les désirs des hommes. Cette tension entre le “fond” et le refus de pure forme créent une subjectivité de “salope” mue par un désir qui nie la subjectivité elle- même.”41
Cette image de la femme comme objet de désir n’existant qu’à travers le regard de l’homme et de ses envies, n’est, pour Annie Ferrand, qu’une représentation de la libération sexuelle comme projet politique néolibéral ; ce n’est qu’une mise en scène de la brutalité d’un mythe néolibéral et patriarcal.
“Il suffit d’invoquer ce mythe de la femme “libérée” pour nier les crimes commis par les industries dites “du sexe”, et aussi par les consommateurs. […] En cela, “la libération sexuelle, au sens libéral, libère l’agressivité sexuelle masculine au sens féministe.” (MacKinnon, 2005, 153).”42
En voulant déconstruire une pratique patriarcale et en voulant, en même temps, s’insérer dans le débat féministe contemporain, Freeda finit par s’ancrer dans ce mythe néolibéral de la femme pudique et passive, objet du regard masculin, en inculquant, encore une fois, l’image de la femme regardée, jamais propriétaire du regard sur son propre corps, mais à la fois victime inconsciente et heureuse d’accueillir la volonté et les désirs de l’homme.
Freeda et la stéréotypisation des visions du féminin
On a précédemment fait référence à la présence, surtout dans la page Instagram de Freeda, d’une image de la femme hypersexualisée. On a vu aussi comment cette action s’insère en plein débat sur le consentement.
L’image de la femme construite par Freeda représente une continuation de l’idéal patriarcal de la femme, et qui prétend pour elle la perfection en la modelant selon des caractéristiques à la fois impossibles et contradictoires : “Parce que l’idéal de la femme blanche, séduisante mais pas pute, bien mariée mais pas effacée, travaillant mais sans pas trop réussir, pour ne pas écraser son homme, mince mais pas névrosée par la nourriture, restant indéfiniment jeune sans se faire défigurer par les chirurgiens de l’esthétique, maman épanouie mais pas accaparée par les couches et les devoirs de l’école, bonne maîtresse de maison mais pas boniche traditionnelle, cultivée mais moins qu’un homme, cette femme blanche heureuse qu’on nous brandit tout le temps sous le nez, celle à laquelle on devrait faire l’effort de ressembler, à part qu’elle a l’air de beaucoup s’emmerder pour pas grand-chose, de toute façon je ne l’ai jamais croisée, nulle part. Je crois bien qu’elle n’existe pas.”
Dans ce célèbre passage de son essai King Kong Théorie, Virginie Despentes, considérée comme figure clé du féminisme contemporain, nous explique cette tension entre l’idéal de la femme que la société occidentale et les médias nous transmettent, et la femme réelle, qui vit dans un sens continu de frustration entre ce qu’elle est et ce que la construction sociétale de son genre s’attend d’elle.
Dans les images analysées auparavant, on a vu comment cette tension persiste toujours dans la narration quotidienne de Freeda. Si Freeda essaie et se décrit comme une voix puissante d’une nouvelle génération de femmes-féministes, il s’avère par contre que le projet éditorial se retrouve à poursuivre certains stéréotypes liés aux représentations du féminin et, comme l’explique Ruth Amossy, consentements proposés par la littérature et les médias de masse : “Dans la société contemporaine, les constructions imaginaires dont l’adéquation au réel est douteuse sinon inexistante sont favorisées par les médias, la presse et la littérature de masse. […] L’impact de ces représentations s’avère puissant dans le cas non seulement des groupes dont on n’a pas une connaissance effective, mais aussi de ceux qu’on côtoie quotidiennement ou auxquels on appartient.
L’image de la femme, qui a fait l’objet de nombreuses investigations, est exemplaire à cet égard. […].
Il en ressort clairement que la vision que l’on se fait d’un groupe est le résultat d’un contact répété avec des représentations tantôt construites de toutes pièces, tantôt filtrées par le discours des médias. Le stéréotype serait principalement l’effet d’un apprentissage social.”
En réalité, dit Amossy, cette observation directe du stéréotype est sujette à caution car “ce que nous percevons est déjà modelé par les images collectives que nous avons en tête : nous voyons, disait Lippmann, ce que notre culture a, au préalable, défini pour nous.”
Toutefois, elle explique aussi comme à ce moment, dans les sciences sociales, le stéréotype n’est pas étudié par rapport à l’effet qu’il soit au moins correct, mais en tant qu’il puisse s’avérer utile ou nocif46. Autrement dit, ce n’est pas sa valeur à être mise en question, mais il est étudié par rapport aux effets positifs ou négatifs sur les images auxquelles les stéréotypes se réfèrent.
Dans le cas des images analysées, il ne s’agit pas de commenter la valeur des stéréotypes véhiculés par Freeda mais plutôt d’analyser les contradictions et les conflits entre cette image construite et idéalisée de la femme moderne et la réalité des femmes contemporaines.
En ce sens le média Freeda œuvre pour une mythification du féminisme et de ses valeurs. Freeda se sert d’un sujet délicat et controversé comme celui du consentement pour montrer sa proximité avec le mouvement féministe contemporain et conquérir l’attention de son public cible ; mais, à travers cette constante divulgation de la femme parfaite, qui se trouve plus que jamais à libérer sa parole mais en essayant de ne pas trop s’écarter de son image séduisante, il ne fait que reproduire et offrir mutuellement une image sociale préexistante.
En reprenant Jean Maisonneuve, Amossy fait d’ailleurs une distinction entre ce qui est la représentation sociale et le stéréotype, la première désignée comme un “univers d’opinion” et le deuxième comme la cristallisation du premier, qui sert seulement d’indicateur47.
En ce sens Freeda œuvre à une cristallisation des images de la femme fournies par les représentations sociales. En essayant de proposer de nouvelles représentations, elle finit par reproduire partiellement les anciennes, ce qui fait penser qu’en réalité, et comme d’ailleurs le disait Jessa Crispin, il n’y a pas de volonté de fournir du nouveau mais, bien au contraire, de ne pas déranger les consciences48.
Freeda ne représente que le produit d’une « tendance », à sympathiser pour le féminisme, sens vraiment s’y engager dedans.
Le silence de Freeda sur l’actualité italienne
Si on a vu comment Freeda essaie de proposer sa vision du féminisme, il me semble toutefois nécessaire de faire un point sur certains “manques” dans la narration quotidienne de Freeda. Expression d’un mouvement politique, social et militant, le projet éditorial a, à plusieurs reprises, manqué certains débats qui ont animé le débat politique italien sur le droit de la femme.
Je citerai tout d’abord le manque de réaction face à l’organisation en Italie, d’un congrès sur la famille, soutenu par l’ancien ministre de la famille, élu avec la Ligue du Nord de Salvini, Lorenzo Fontana, et qui rassemblait plusieurs personnalités internationales anti-avortement et contraires aux unions homosexuelles49.
Lancé en 1997 par l’américain Brian Brown, président de l’Organisation internationale de la famille, ce congrès mondial réunit chaque année depuis 2012 les défenseurs de la famille traditionnelle, pour « affirmer, célébrer et défendre la famille naturelle comme seule unité fondamentale et durable de la société »50.
Face au soutien du gouvernement, plusieurs organisations féministes, réfutant l’image de la femme émanant de ce type de manifestation, nocive et anti-progressiste, ont subitement réagi en organisant des contre-manifestations et en répondant à cette image soumise de la femme proposée à Vérone, en réaffirmant le droit seul et unique de la femme de disposer de son propre corps. C’est le cas de la vidéo réalisée, par exemple, par le collectif Non Una Di Meno51, parmi les organisateurs de la contre-manifestation ; dans cette vidéo une voix-off répète “ça sera un orgasme qui vous enterrera”, accompagné par des gémissements de plaisir de plusieurs femmes et d’ images plus ou moins explicites de vulves52.
L’intention est bien évidemment provocatrice et semble vouloir rappeler aux participants à ce congrès qu’à l’état actuel la femme a bel et bien le choix sur son corps (elles-mêmes ont, par ailleurs, dénoncé la présence alarmante des gynécologues catholiques qui refusent de pratiquer des avortements, la presque majorité en Italie, où leur choix moral est protégé par la loi53).
Freeda, de son côté, n’a pas réagi face à un sujet qui a pourtant animé la presse italienne tant généraliste que spécialisée, ainsi que les associations, les collectifs, féministes ou proches du mouvement.
Ceci n’est qu’un exemple d’une des différentes inactions du média par rapport à des sujets remarquablement importants dans l’actualité italienne sur l’égalité entre sexes.
Il manque aussi des articles ou des publications au sujet des nombreux féminicides qui chaque jour sont commis en Italie ainsi que de la façon dont les médias italiens généralistes approchent le sujet.
Je me réfère, par exemple, à deux cas qui ont fait scandale cet automne ; le cas de Elisa Pomarelli, femme lesbienne tuée par un de ses proches que les médias ont défini comme son compagnon. Cela a suscité la réaction de plusieurs associations féministes et LGBTQ+54 , ainsi que de plusieurs médias italiens55.
Freeda, aussi dans ce cas, n’a pas exprimé un seul mot à ce sujet. Alors que l’ordre des journalistes italiens, ainsi que leur syndicat, ont exprimé leur déception sur certains types de narrations exprimées dans différents articles de presse, jugées discriminatoires envers les femmes et les homosexuels56. En effet, dans ces narrations le tueur était décrit comme “un géant gentil”, qui a agi par amour, en se voyant refusé par sa bien-aimée57.
Freeda et la métamorphose des médias : plus d’espace identifié pour la marque ?
Comme on l’a vu dans l’introduction de partie, il s’agit maintenant de montrer comment les contenus sponsorisés, que Freeda appelle partenariats, jouent le rôle final dans le processus de mythification du féminisme. Mais, avant de voir dans les détails comment cela se reproduit à travers les partenariats de Freeda, il est nécessaire de comprendre un enjeu plus complexe, qui se joue depuis un certain temps entre les marques et les médias.
Si on a vu précédemment comment Freeda réussit à être, en même temps, média militant, agence de publicité et, à la fois, marque militante, on voit ici quel est le contexte qui permet cette connivence de rôles apparemment impossibles.
Comme le décrit Valérie Patrin-Leclère, une métamorphose a lieu depuis quelques temps dans le journalisme et notamment dans le rapport entre les médias et les marques. Ceci est le résultat “des relations complexes entre trois univers, celui du journalisme et des médias, celui de la “communication”, celui du marketing et de la publicité”.62
Cette métamorphose dont parle Patrin-Leclère, crée une certaine ambiguïté : « Paradoxalement, les marques se sont inspirées des médias au moment où elles prenaient une relative autonomie par rapport aux médias existants. Elles sont nombreuses à s’évertuer à créer leurs propres médias, webzines, chaînes YouTube, films, jeux vidéo, « stories » [..]
L’enjeu de ces formats est de laisser croire que la marque n’est pas là pour promouvoir des ventes, mais pour conseiller, inventer des modes de vie, créer du plaisir, fournir de l’information. On « invisibilise » le fait que la marque reste une marque marchande. »63
Elle en conclut que, « quand la marque n’a plus d’espace identifié, la média peine à rester crédible ».64 Mais le cas spécifique de Freeda n’est pas seulement la crédibilité d’un média à être mise en question, mais aussi celle d’un mouvement politique et social, le féminisme, dans son expression de quatrième vague.
Freeda se sert de cette transformation des dynamiques entre médias et publicité, ce qui apporte une division de moins en moins tranchée entre les différentes compétences : “Ces interactions se jouent dans un cadre économique spécifique : la plupart des médias sont dépendants des revenus publicitaires. Cette dépendance est particulièrement visible dans le « système de l’audience ». Les mesures d’audience consistent en une « saisie » des consommateurs qui constituent les cibles potentielles des annonceurs susceptibles de payer en échange de l’insertion de leur publicité dans l’espace du média.”65
Freeda, en tant que projet éditorial créé et dirigé par une grande agence de publicité, Ag Digital Media, ne fait donc rien d’autre que de s’emparer d’une pratique déjà assez répandue dans le marché éditorial.
Dans une interview au journal en ligne Il Libraio66, c’est Daria Bernardoni (éditrice en chef de Freeda) elle-même qui déclare la pleine ouverture de Freeda aux marques qui souhaitent aborder leur public-cible, c’est à dire les jeunes entre 18 et 34 ans. L’utilisation de ce lexique spécifique rappelle les discours et les stratégies du marketing et de la publicité, ce qui peut sembler tout-à-fait étrange pour un média qui se déclare militant. Mais, encore une fois, il ne s’agit pas d’une nouvelle pratique :
“Du point de vue du marché publicitaire, un « bon » support est un support qui ne se contente pas de supporter la publicité mais qui s’en fait le supporteur en lui servant pour ainsi dire d’écrin. Dans cette perspective, la production journalistique doit idéalement être conçue de telle sorte que l’insertion publicitaire n’apparaisse pas comme une rupture sémiotique.
Ce récit publicitaire est tout à fait mis en acte dans la narration quotidienne de Freeda. Les partenariats rémunérés sont présents dans les réseaux sociaux de Freeda : un ou deux contenus sur le genre parmi les contenus publiés quotidiennement sur ses page Facebook et Instagram. Ces contenus peuvent prendre la forme de vidéos ou de dessins créés ad hoc par l’équipe de Freeda. Avant de passer à l’analyse de deux contenus issus de la page Instagram et de la page Facebook de Freeda, nous allons voir comment ces contenus sont mis en avant dans la narration.
En parcourant le fil d’actualité, il est difficile de remarquer une différence nette entre les contenus engagés et les contenus publicitaires ; en effet on a l’impression qu’ils sont conçus pour faire en sorte qu’il n’y ait pas une différence remarquable.
La forme est la même que les autres contenus, la seule différence est que juste au-dessus du post est marquée l’expression « partenariat rémunéré ». J’ai choisi encore une fois comme exemple une capture d’écran de la page d’accueil Instagram de Freeda car il est plus difficile ici de faire une distinction.
On peut toute de suite faire une première remarque : les slogans utilisés ont la même structure que les contenus créés pour canaliser des messages engagés, ce qui réduit encore plus l’écart entre les deux (exemple : annexes 10 et 11). On peut dire donc qu’il y a une vraie continuité entre les deux dans la narration de Freeda, selon la pratique répandue exposée par Valérie Patrin-Leclère.
FreedaXDiadora : un partenariat pour légitimer la marque
Le cas du partenariat rémunéré de Freeda avec Diadora, marque de sport connue au niveau international depuis au moins une vingtaine d’années, est un peu spécial : il ne s’agit pas, dans ce cas, d’une campagne que Freeda fait pour le compte d’une marque, mais d’un vrai partenariat entre les deux marques (comme d’ailleurs spécifié tout en haut du post Facebook qui a été pris comme exemple).
Le but de ce partenariat est la création d’une collection de t-shirts conçus ainsi : Diadora met à disposition matériellement des t-shirts en coton et Freeda s’occupe de créer les dessins et les slogans qui y sont imprimés. La ligne de t-shirts est appelée Diadora is a Woman, en exclusivité et disponible sur le site de Diadora, et présente dans différentes catégories : personal style, not prejudice, bodypositivity et sisterhood70.
Comme expliqué dans le post Facebook en question, Freeda souhaite, avec cette collaboration, mettre en avant ses propres valeurs et proposer à ses followers d’y adhérer ; l’invitation à l’adhésion est sur la forme de l’achat des produits proposés.
Ce partenariat semble emblématique car ici on peut y distinguer toutes les différentes fonctions de Freeda : média militant (en proposant des slogans positifs, comme encourager la femme à s’exprimer elle-même et sa propre unicité) ; Freeda en tant qu’agence de publicité (Freeda fait la promotion d’une marque et, à travers sa position de porte-parole-média exprimant la voix des femmes entre 18 et 34 ans, donne légitimité à Diadora en tant que marque qui promeut la diversité et qui est sensibles aux nécessités des femmes) ; Freeda en tant que marque féministe (porter ces t-shirts implique de faire la promotion de Freeda tout en voulant faire un acte militant).
Les trois fonctions se croisent donc parfaitement et elles sont l’une au service de l’autre. Il y a une sorte de transparence aussi, car il est bien explicité, en tête du post, qu’il s’agit d’un partenariat rémunéré, comme le veut d’ailleurs le règlement de Facebook. Toutefois il est compliqué de séparer les contenus militants des finalités commerciales ; il semble, surtout, que les premiers sont utilisés afin de développer les seconds.
Comme on peut le voir, il y a trois femmes, en plein milieu de la photo, qui se serrent dans les bras : les trois portent des t-shirts de la collection FreedaXDiadora. Il s’agit d’un dessin créé par l’équipe de Freeda, tout comme les estampes qu’on peut apercevoir sur leurs t-shirts.
Tout en haut de l’image le slogan “siamo uniche”, nous sommes uniques. Cette unicité serait possible par l’effet de porter la collection FreedaXDiadora, mais aussi par l’effet que les trois femmes sont différentes les unes des autres ; la première à partir de droite a les cheveux verts et la peau noire, et elle est un peu plus “curvy” que les autres, celle du milieu a aussi une peau mate et les cheveux roses, celle de gauche a la peau blanche et les cheveux châtains et très courts. Cette mise en scène semble vouloir nous dire qu’unicité et diversité sont des valeurs imbriqués ; l’unicité de chaque femme (et d’ailleurs chacune d’entre elles porte une pièce différente de la collection), chacune dans sa beauté unique et la diversité, physique (raciale?) y sont célébrées dans leur complexité. La célébration de la diversité est sublimée par la mise en scène du concept de la sororité ; les femmes se serrent l’une l’autre pour se soutenir et cela au-delà des préjugés (raciaux, physiques, etc). Toutes les valeurs de la collection et de Freeda, ainsi que du mouvement duquel elle est porte-parole, la quatrième vague féministe, le féminisme libéral, y sont synthétisées d’un seul coup.
Discours publicitaire et discours militant se croisent parfaitement, selon ce principe de continuité sémantique exprimé par Valérie Patrin-Leclère : “Ces quelques exemples […] suffisent à illustrer la place qu’a acquis le « marketing rédactionnel », qui s’appuie en grande partie sur des études de marché censées aider à définir les attentes des consommateurs de médias. Mais par-delà la recherche de la meilleure adaptation à la demande du public, ce qui se dessine, c’est une tentative pour s’ajuster à la demande des annonceurs. Il ne suffit pas toujours de s’adresser à des lecteurs-consommateurs : il faut être lu, écouté ou regardé par des consommateurs qui consomment beaucoup, et surtout qui sont susceptibles de consommer les produits pour lesquels les annonceurs investissent des budgets publicitaires.71
Or, dans le contexte des réseaux sociaux, et notamment Facebook et Instagram, les instruments pour l’analyse du marché se multiplient de plus en plus et deviennent au fil du temps efficaces et faciles à utiliser, ainsi qu’économiquement avantageux et l’équipe de Freeda le sait bien car elle est l’une des premières, dans le marché éditorial italien, à s’être lancée dans un projet 100% social. Comme l’explique d’ailleurs Fausto Colombo72, en reprenant certaines réflexions de Foucault sur les relations de pouvoir, dans la pratique du Web 2.0., c’est l’utilisateur lui-même qui s’expose volontairement au contrôle dans un contexte d’interveillance, c’est-à-dire de surveillance horizontale, stimulée par la pression communicative. Cela fait que les individus, les utilisateurs ont “un prix à payer pour la possibilité d’avoir à notre disposition des relations, des informations, des images et des pensées des autres, de la même manière que le risque que nos données personnelles fournies à un site de commerce en ligne puissent être utilisées d’une manière impropre et à notre insu est compensé par la rapidité de la transaction, et le cas échéant par l’économie réalisée.”73
L’utilisateur est donc idéalement bien conscient des conséquences de son acte communicationnel, et il s’y prête pour pouvoir profiter des avantages, c’est à dire la rapidité de la transaction.
Dans le cas de Freeda et de la publicité en question, l’utilisateur “s’expose” à ce risque car son acte communicationnel représente aussi un acte militant : suivre Freeda et en partager les contenus est donc une façon pour mettre en avant son propre engagement envers la cause féministe. Et encore, dans le cas spécifique du partenariat FreedaXDiadora, cette forme de militantisme peut sortir des réseaux sociaux, et se matérialiser littéralement dans l’effet de porter les t-shirts de la campagne et, donc, dans un acte marchand.
Le texte du post Facebook, qui accompagne l’image analysée, est une exhortation de la part de Freeda à acheter les t-shirts qui portent les valeurs (citées auparavant) dans lesquels le projet éditorial dit croire fortement.
Il se trouve qu’en réalité toutes ces valeurs sont contredites par la pratique publicitaire ; l’unicité de la femme est célébrée à travers un acte commercial, qui implique d’acheter des produits d’une collection exclusive, mais qui est de même produite à grande échelle.
L’expression de l’unicité se traduit donc dans un acte d’homologation.
L’acte militant est de se faire ambassadeur, en portant les t-shirts de la collection, de la marque Freeda et, par conséquent, Diadora. Ceci rappelle l’effet de porter des vêtements sur lesquels ont été imprimés les logos de marques iconiques tels que coca-cola ou Pepsi, etc. Il s’agit donc d’une expression du capitalisme la plus basique ; l’acte militant est donc réduit à un acte de consommation ce qui fait que toutes les valeurs militantes sont vidées, d’un seul coup, de leur signification.
Le féminisme se transforme alors en pure slogan commercial, mythe contemporain asservi et réduit en marchandise
Mais ce n’est pas le seul enjeu ; Freeda, en tant qu’expression légitimée, par son audience, des valeurs militantes d’une cible spécifique, aide Diadora à s’inscrire aussi dans ce récit, en l’investissant ainsi de marques qui partagent les valeurs de cette cible et qui est attentive à leurs exigences et particularités. Il s’agit donc de l’ethos74 de la marque, basé sur le postulat que “la présentation de soi repose toujours sur une négociation d’identité à travers laquelle le locuteur tout à la fois se pose, et tente d’imposer ou, tout au moins, de faire partager, ses façons de voir”.75 Cet enjeu est à la base du contrat du partenariat entre Freeda et Diadora ; chacun aidant l’autre à développer son image. Le public ciblé dans le cadre de ce partenariat sont autant d’agents de promotion des intérêts de Freeda.
Si on a vu ici comment Freeda représente et va au-delà d’une mutation des rapports entre médias et marques, en devenant à la fois média, marque et média pour les marques (nouvelle évolution et outil de l’agence de publicité dans sa forme classique), il s’avère aussi que de plus en plus, et on l’a vu aussi dans la première partie du travail, les marques s’approchent des thématiques citoyennes et sociales.
Cette dernière transformation de la marque, en tant qu’acteur dans le progrès citoyen, semble, en réalité, une conséquence directe de la fusion entre médias et marques. La marque, pour faire oublier au public sa fonction commerciale, sait de plus en plus se faire discrète ; et si on a vu comment progressivement elle s’empare des instruments des médias numériques pour la construction de sa propre image, le passage suivant semble logiquement celui de s’approprier aussi des discours typiques des médias. Un média a toujours, en quelque sorte, un engagement social, dans la diffusion de l’information et en fournissant des instruments pour interpréter le quotidien. Mais en l’état actuel, dans ce processus de transformation et fusion marketing-communication, la marque finit, ou risque de finir par s’approprier cette fonction sociale. Dans le cas de Freeda, c’est ce média même qui finit par prêter cette prétendue fonction sociale, en tant que média militant féministe, aux marques (en tant que média pour les marques et outil d’une agence de publicité).
Dans notre cas spécifique de Diadora (et on verra plus avant, dans le cas aussi de Barilla), Freeda, selon le schéma cité, promeut Diadora comme marque socialement engagée dans la lutte contre les discriminations, comme le montre le fait que, ensemble, ils ont créé une marque qui « valorise » les slogans féministes. Parité, inclusion, sororité, sont des slogans qui appartiennent, dans un contexte plus général, aux mouvements de lutte contre les discriminations, dont le féminisme se porte progressivement comme porte-parole (et surtout est l’un de leurs valeurs les plus mises en avant, comme expliqué avant dans la citation de Daria Bernardoni).
Freeda pour Barilla : un média militant et une marque devenue exemple de gestion de crise
Dans le paragraphe précédent, on a vu comment Freeda, en tant que média qui a réussi à s’inscrire, parmi son public cible, comme militant et expression d’une nouvelle génération de féministes, utilise cette influence pour légitimer les discours sociaux des marques partenaires en tant qu’engagées dans la promotion de la diversité.
Dans le cas de Diadora il s’agissait d’un vrai partenariat commercial, ayant comme but la marchandisation de produits féministes et, ainsi et par conséquent, le couronnement de Freeda en tant que « marque féministe ». On a vu aussi comment cela représente un risque, pour le mouvement féministe, de finir par être décrédibilisé, une fois ses messages vidés de leur potentiel de lutte et réduits à un simple produit marketing.
Le cas que nous allons voir maintenant montre comment Freeda agit en tant que média pour les marques, c’est-à-dire comment Freeda aide les marques à se positionner dans le débat de la quatrième vague féministe.
Dans une interview pour la revue Engage, les deux fondateurs et CEO de Freeda, Andrea Scotti Calderini et Gianluigi Casole, parlaient ainsi des marques avec lesquelles ils décidaient de coopérer : “Puntiamo a creare relazioni forti e durature con il nostro target.Per questo selezioniamo con cura i marchi a noi affini, con i quali condividiamo un sistema di valori preciso. Quando lavoriamo con le aziende ragioniamo in termini strategici, fornendo creatività e produzioni corredate da una pianificazione media garantita e da metriche definite.[..] Attualmente, è in fase di studio lo sviluppo di nuove fonti di ricavo, anche offline.[..] la vendita di contenuti e format per terze parti, principalmente editori, piattaforme video on demand, operatori delle telecomunicazioni ed emittenti; la fornitura di prodotti e servizi orientati al consumatore e l’organizzazione di eventi sul territorio.”77
On voit donc comment les investisseurs ont une place importante dans la création des contenus de Freeda. Il est ainsi important, pour les deux Ceo, de bien choisir les marques pour lesquelles elles décident d’engager des campagnes dans leur projet éditorial.
Il n’est donc pas anodin qu’ils aient choisi une marque comme Barilla et d’en placer la promotion dans ses contenus, à travers une série de campagnes en automne 2018 (campagnes apparues sur leurs pages Facebook, Instagram et Youtube). Un an tout juste venait de passer depuis le scandale déclenché après certaines déclarations de Guido Barilla, président de la marque homonyme. L’entreprise commençait déjà à faire oublier cet “accident” et à reconstruire son image, à travers la mise en place d’actions concrètes en termes de soutien aux salariés mais surtout en termes de mise en place de dispositifs, à l’intérieur de l’entreprise, pour combattre et prévenir toutes formes de discriminations.
Mais pourquoi le cas des campagnes de Freeda pour Barilla est-il si emblématique ? Barilla est l’une des marques de pâtes et multinationales italiennes le plus célèbres au monde. Le cas de Barilla est emblématique car c’est une marque qui a su utiliser un cas de gestion de crise pour passer de marque homophobe à marque gay friendly78 en très peu d’années.
Il s’agit d’un vrai exemple de reconversion réussie de la part d’une marque. Voici, dans les détails, l’évènement déclencheur à la base de ce changement radical d’image.
Le 25 septembre 2013, le président de Barilla, Guido Barilla, est invité de l’émission radiophonique “la zanzara”, sur Radio2479 (service public italien).
A la question de savoir pourquoi Barilla n’a jamais fait de publicité ayant comme protagonistes des familles homosexuelles (question légitimement provocatrice vu que Barilla est connue pour ses campagnes qui ont presque toujours été centrées sur la famille80 et d’ailleurs son slogan le plus célèbre est “dove c’è Barilla c’è Casa”, où il y a Barilla il y a la maison ou la maison c’est là où il y a Barilla), il répond tout de go qu’il n’a aucune intention de le faire car il est pour la “famille traditionnelle” et que si les homosexuels ont des problèmes avec ça, ils n’ont qu’acheter d’autres marques de pâtes.
Comme prévu, la déclaration a fait scandale et a suscité toute de suite la réaction des associations LGBTQ+, ainsi que de nombreuses personnalités publiques, tant en Italie qu’à l’étranger, toutes accusant la marque Barilla d’homophobie.
L’image de la marque est tellement entachée qu’il semble impossible pour Guido Barilla de s’en sortir.
Mais l’équipe communication de Barilla prend tout de suite la situation en main ; d’abord Guido Barilla s’excuse auprès de ses consommateurs, et ensuite la marque commence un processus de requalification qui amènera Barilla à se transformer de marque homophobe à marque à prendre comme exemple la promotion de la diversité81 ; à travers des actions concrètes en entreprise et d’un point de vue publicitaire, par exemple, en arrivant à obtenir une évaluation exemplaire en tant que Human Right Campaign82, reconnaissance destinée chaque année aux entreprises qui se sont faites remarquer pour des actions significatives dans la lutte contre les discriminations et parmi celles qui se distinguent grâce à leur Corporate equality index.
Barilla devient donc un modèle à suivre en gestion de crise pour l’efficacité de ses actions.
On n’expliquera pas dans les détails les démarches faites par Barilla pour mettre en place ce processus de transformation, mais il semble important d’anticiper cet aspect car il en dit beaucoup sur le genre de marque desquelles Freeda décide de faire la promotion.
Barilla représente un exemple de marque qui a su transformer une situation de crise en occasion de requalifier l’image de sa propre marque, en retournant totalement l’opinion du public. Freeda, (en tant que média de marque spécialisé dans la lutte contre toutes discriminations et étant ce dernier, l’une des valeurs fondamentales revendiqués par la quatrième vague féministe, dont Freeda est porte-parole), sublime, à travers cette campagne, la transformation, la révolution de l’image de Barilla.
Voici dans les détails comment cela s’opère ; ci-dessous la campagne de Freeda pour Barilla, les trois captures prises de la page Instagram de Barilla (il s’agit d’un re-post de la part de Barilla, d’un contenu publié en amont par Freeda).
Dans cette mise en scène, on voit deux femmes à table. Il s’agit de trois images : dans la première on voit une femme, un long fil de spaghetti sortant de sa bouche. Le spaghetti s’étire en passant par la deuxième image (et en traversant une table dressée, sur laquelle on aperçoit un paquet de spaghetti Barilla) : le spaghetti se tire jusqu’à la troisième image, où on retrouve une deuxième femme qui tient l’autre but de spaghetti dans sa bouche.
Une phrase, elle aussi, s’étend au long des trois images :
● La vera amica è (la vraie amie est).
● Quella con cui puoi condividere (celle avec qui tu peux partager).
● Il tuo ultimo spaghetto (ton dernier spaghetti).
Tout en bas, au milieu des trois images la phrase FreedaXBarilla (Freeda pour Barilla, la x des multiplications, dans l’argot italien substitue le per, pour, car les deux ont la même prononciation phonétique).
La séquence d’images fait clairement référence à la célèbre scène du dessin animé Disney, Belle et le Clochard, où le couple de chiens, en partageant une assiette de pâtes bolognaises finit, sans s’en rendre compte, par prendre le même spaghetti jusqu’à ce que les deux finissent par s’embrasser. C’est donc une référence à un mythe de l’enfance, les dessins animés Disney. Par ailleurs la scène de la Belle et le Clochard à laquelle la publicité se réfère est l’une des plus marquantes du film d’animation ; le moment où les deux protagonistes tombent amoureux. Mais pas seulement ; dans le film Disney, ce moment romantique est rendu possible grâce à l’intervention des deux restaurateurs italiens, qui offrent toujours à Clochard (qu’ils appellent d’ailleurs Bandito), de la nourriture italienne préparée dans leur restaurant, pour se réconforter. Le clin d’œil au dessin animé Disney est une première référence, mais on peut aussi reconnaître, dans la table dressée, une claire référence à un des mythes italiens, celui des grands repas familiaux. Et encore, la table est un lieu de réconfort, comme il est cas pour les deux chiens de la Belle et Clochard et pour les deux protagonistes de la campagne.
Barilla, d’ailleurs, est elle-même, depuis ses origines, la marque qui fait de la famille traditionnelle le sujet principal de ses campagnes.
Mais il y a aussi un point de rupture, et ensuite un trait d’union entre ce que Barilla était avant et ce que Barilla est maintenant. En d’autres termes ; Barilla avant était la marque des familles traditionnelles, mais, suite au processus de transformation dû à la crise dont on a parlé juste en dessous, cette famille traditionnelle s’ouvre à des nouveaux types de famille, que Barilla (et Freeda) partagent et accueillent : la famille sujet de la photo est, en effet, une couple d’amies. Le texte du post Instagram récit : “ il y a très peu de choses qui unissent comme manger un bon plat de pâtes et @freeda le sait bien. Et vous, vous avez fêté comment le #WorldPastaDay ? » Freeda, en tant que média innovant et ouvert aux nouvelles générations, garantit et légitime le rôle de Barilla en tant que marque capable d’unir la tradition et la modernité.
Le WorldPastaDay est aussi la fête de l’une des traditions italiennes les plus connues (et mangées) au monde : la pasta.
Freeda et Barilla assurent le lien entre tradition et modernité italiennes, dans leur ouverture vers l’international.
La table est aussi au centre de la narration car elle représente l’union, la famille, la quotidienneté, mais il est aussi le lieu où tout est possible ; dans l’imaginaire italien tout le monde est le bienvenu à table. La table est donc, dans l’imaginaire italien, symbole de refuge et d’accueil.
Comme on a vu, c’est le moment de réconfort pour Belle et Clochard, mais il devient aussi un moment de partage pour les deux amies protagonistes de la campagne. La sororité, une autre des valeurs revendiquées par Freeda et la quatrième vague féministe, est possible à table grâce à Barilla (en milieu de la séquence de photos) et à Freeda, qui donnent forme (à travers ses dessins caractéristiques) à l’imaginaire de femme contemporaine souhaité par cette quatrième vague et, prétendument, par le public auquel Freeda a choisi de s’adresser.
On a vu donc dans ce paragraphe, un exemple de comment Freeda construit la narration des marques qui sont ses clients. Il était question de donner un exemple de comment Freeda agit en tant que média pour les marques- outil d’une agence publicitaire. Il nous reste à voir ce que cela implique pour le mouvement féministe.
Les exemples de Diadora et de Barilla représentent la forme la plus agressive à travers laquelle Freeda déconstruit les messages féministes.
S’il est vrai que, comme promis par l’équipe éditoriale à travers la directrice en chef Daria Bernardoni, les valeurs promues par Freeda, même dans son discours publicitaire, sont tout à fait celles de la quatrième vague féministe, il est encore plus vrai que ces valeurs, transformées en simples slogans publicitaires, finissent par perdre leur valeur et efficacité politique.
Il est évident que l’effet d’acheter un t-shirt à 40 euros (fabriquées où ? quelles conditions des salariés qui le produisent ?), sur lequel sont imprimés des dessins soi-disant féministes, ne peut pas représenter un acte militant, mais plutôt un acte marchand.
Et encore, même si Barilla a réussi, à travers un programme d’actions bien réussies, à requalifier totalement son image de marque auprès des associations féministes et LGTBQ+, rien ne peut nous confirmer qu’il s’agit vraiment d’un changement d‘idéaux de la part du président et son exécutif et non pas seulement d’une stratégie de repositionnement de marque.
Le discours publicitaire-militant de Freeda
Depuis des années, et surtout grâce à l’invention des réseaux sociaux, et comme le soutient d’ailleurs Valérie Patrin-Leclère dans plusieurs de ses travaux, on a assisté à une métamorphose des discours publicitaires : “ S’intéresser aux nouveaux discours publicitaires, c’est observer deux objets distincts mais connexes : les formes publicitaires – entendons par là les productions visant la valorisation symbolique et économique des marques – et les discours sur la publicité – les métadiscours émanant principalement des professionnels de la communication, mais aussi des consommateurs eux-mêmes. Dans les deux cas, productions comme représentations, un constat s’impose : le publicitaire déborde du cadre de la publicité.
[…] Le fait que la publicité ne soit plus la forme de communication de marque hégémonique ne signifie pourtant pas qu’elle n’a plus cours. Mais elle est plus que jamais concomitante à d’autres formes [..] non strictement publicitaires, notamment désignées par cet anglicisme accueillant qu’est le « brand content ». [..] Pour le dire rapidement, l’appellation « brand content » repose sur la présomption d’une révolution, alors qu’elle désigne toutes les productions qui émanent des marques – ce qui constitue une constante et non une nouveauté en termes de construction d’une image de marque – et que la focalisation sur le « contenu » fait singulièrement abstraction de la matérialité des dispositifs mis en œuvre.”83
Or, on a vu comment, dans le cas de Freeda, média militant, « marque militante » et agence de publicité convergent sous le même objet médiatique.
Il est intéressant d’observer, et on peut s’en apercevoir dans les analyses sémiotiques faites le long de ce travail, qu’il n’y a pas de distinction nette entre les contenus engagés et les discours publicitaires, bien que ces derniers ne soient pas cachés, mais placés dans la narration quotidienne de Freeda dans une sorte de continuité entre les uns et les autres.
Pour le dire autrement, les thématiques et les “valeurs” mises en avant dans les trois types de discours sont les mêmes, et tous font appel aux discours féministes contemporains de cette quatrième vague à laquelle Freeda déclare adhérer : sororité, « body positivity », etc, sont proposés dans la narration de Freeda sans séparation nette.
Bien que, comme expliqué dans l’article, il ne s’agisse pas d’une pratique ni nouvelle ni exclusive du média Freeda, mais d’une transformation en acte depuis des années, le cas de Freeda représente un cas presque unique dans le panorama des médias réseaux sociaux italiens, déjà pour sa nature-même de média 100% social.
Cette attention particulière pour la thématique de la diversité, encore une fois, ne représente pas une nouveauté mais une tendance générale en Italie, cependant on trouve en Freeda l’un de ses pionniers. On approfondira ce dernier aspect dans le paragraphe suivant.
Mais il me semble d’abord nécessaire de faire un peu de clarté sur ce premier aspect de Freeda, c’est à dire comment Freeda tient en équilibre le “brand content” et les contenus militants et de quelle manière, vue la particularité de la thématique affrontée au quotidien par le média, ce croisement finit par absorber les deux types de contenus jusqu’à ce que les premiers, deviennent une production asservie à la deuxième, en faisant de Freeda un grand laboratoire de “brand content” sur la diversité et du féminisme un mythe asservi à la marchandisation.
Freeda met en acte une vraie appropriation culturelle du féminisme : il semble tout à fait légitime, au vu du grand succès qu’il a su atteindre, de s’interroger et de comprendre la portée de ce phénomène dans un contexte, comme celui italien, où le discours féministe commence, grâce à plusieurs associations et collectifs, à se rapprocher et arriver à sensibiliser plusieurs générations et types de public.
Il est intéressant, dans les actions menées par Freeda, d’entrer dans “ l’effet paradoxal et symétrique de la dépublicitarisation : plus la publicité s’exprime en-dehors d’espaces médiatiques circonscrits, plus les médias ont l’air de supports publicitaires dont les formes et les contenus seraient prescrits par les marques-annonceurs. Plus les gestionnaires des marques visent la créativité, plus ils exploitent les ressorts sémiotiques de la mise en valeur et en visibilité, dans une surenchère que nous désignons sous le terme hyperpublicitarisation”84
Il semble, dans le cas de Freeda, qu’on se trouve face à une forme de dépublicitarisation, dans le sens que contenu éditorial et contenu publicitaire finissent par s’intriquer complètement, “l’imitation des formes médiatiques instituées [..]; production de formes […]; mise en place de dispositifs communicationnels émergents, reposant sur une apparente redistribution des rôles […]” 85
Dans le cas spécifique du média Freeda, cette imitation s’avère dans sa construction, tout d’abord, comme média militant, en produisant des contenus qui abordent des thématiques chères au mouvement féministe, pour ensuite les transformer-utiliser dans son travail de création de contenus de marque.
Freeda se construit avant tout une réputation en tant que marque féministe lui-même, pour se positionner face à son public cible et garder l’attention de ce dernier ; cette pratique est d’ailleurs le cas de la campagne publicitaire faite avec Diadora, dont Freeda créé, avec le support d’une autre marque, ses produits de consommation qui peuvent renforcer le lien avec son public de référence. Ensuite, même si la campagne de Barilla remonte à bien avant que celle de Diadora, elle se sert aussi de la réputation positive construite par des marques (comme Barilla) dans le domaine de son centre d’intérêts pour renforcer la sienne et devenir une référence dans le domaine.
Freeda s’insère aussi dans un contexte d’hyperpublicisation, en tant que « média tactique »86, une sorte de cheval de Troie qui s’introduit dans le discours militant féministe pour aider les marques à s’approprier et à se requalifier dans ce type de discours car ici l’“intention de masquer la publicité et la surenchère publicitaire coexistent donc, et dans une certaine mesure, c’est même l’intention de masquage qui engendre la suractivation et l’omniprésence”.87
Dans son action de dépublicitarisation des marques, Freeda se transforme en média publicitarisé88; c’est à dire qu’il ne s’agit plus d’un média susceptible d’être envahi par des discours publicitaires, mais comme “support intégralement exploitable”.
Cette pratique mise en acte par Freeda permet aux marques de dépasser la “méfiance” d’un public de plus en plus capable de reconnaître et d’esquiver les contenus publicitaires plus “explicites”, (bien que ceux créées par Freeda soient, par contre, explicités), mais aussi, dans un moment particulier dans lequel le débat féministe prends une place de premier plan (grâce notamment aux campagnes telles que #MeeToo, comme expliqué précédemment), de se positionner en tant que protagonistes et innovatrices face au changement.
Toutefois, dans le cas unique de Freeda, il ne s’agit pas d’un processus d’adaptation d’un média face aux changements des pratiques éditoriales ; il s’avère que les médias mettent en acte cette stratégie car de plus en plus liés à l’exigence de trouver de subventions (d’ailleurs le support digital est en train de dépasser largement le support papier qui assurait une rente garantie) pour survivre.
“Il n’est pas seulement affaire de forme, mais de valeur : les expériences de valorisation des marques ont nécessairement à voir avec la valeur symbolique des médias ; premièrement parce que les procédés de dépublicitarisation consistent pour une large part à s’immiscer dans l’espace non publicitaire des médias pour gagner en efficacité, deuxièmement parce que les gestionnaires des marques s’inspirent amplement des médias pour proposer une relation qui n’ait pas l’air ostensiblement marchande.”89
Freeda naît comme projet éditorial d’une agence de publicité et donc, dans ce contexte, Freeda est un produit fini de cette métamorphose et outil direct de l’agence de publicité et, au final, de l’annonceur.
Dans ce contexte, le média Freeda se publicise pour dépublicitariser les marques qui sont ses clients ; l’objectif ici n’est plus, pour la marque, de trouver des clients, mais bien de créer un public, de rendre sa relation avec les consommateurs permanente.
Freeda donc, en tant que média publicitaire créé uniquement pour utiliser le féminisme pour de la marchandise, transforme et fixe ce premier en mythe contemporain, en tant que construction publicitaire visant à utiliser une “mode”, une tendance du marché éditoriale d’ouverture et attention envers les discours féministes selon le processus suivant : “Dans la publicité traditionnelle, la fonction économique des marques – promouvoir une offre, un bien ou un service – se mêle étroitement à leur fonction symbolique. Les productions médiatiques de marques consistent à l’inverse à euphémiser, voire à nier la motivation économique, pour mettre en lumière l’inscription culturelle et sociale de la marque.”
Cette pratique correspond à une exigence, de la part des marques, de se détacher des discours typiquement publicitaires, devenus trop prévisibles et faciles à démasquer, pour engendrer un discours médiatique plus subtil et donc plus efficace en termes de création d’un public fort et non plus d’une clientèle à fidéliser.
Or, si dans la plupart des cas il s’agit plutôt de la création de magazines de marque, le cas de Freeda est tout à fait exceptionnel car il ne s’inscrit pas en ces termes mais plutôt en termes de magazine pour les marques, outil publicitaire tout court et créé ad hoc pour remplir un vide du marché éditorial italien, c’est à dire le manque de médias spécialisés dans cette pratique, mais aussi le manque d’un média avec des discours liés aux thématiques sensibles du féminisme.
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Table des matières
Partie 1 Quatrième vague féministe/féminisme digital : essor du féminisme contemporain à travers l’analyse du média italien Freeda
1. Introduction
1.1 Freeda : un média militant ? Entre « empowerment », « inspiring », « girlpower » : le recyclage des hashtags féministes
1.1.1 Freeda : narration et contenus proposés
1.2 Freeda, rhétorique des images, représentation du féminin
1.3 Freeda dans le débat sur le consentement après l’affaire #Metoo
1.4 Freeda et la stéréotypisation des visions du féminin
1.5 Le silence de Freeda sur l’actualité italienne
Partie 2 Freeda et le marketing : quand les messages publicitaires s’incrustent dans la narration militante
2. Introduction
2.1 Freeda et la métamorphose des médias : plus d’espace identifié pour la marque ?
2.2 FreedaXDiadora : un partenariat pour légitimer la marque
2.3 Freeda pour Barilla : un média militant et une marque devenue exemple de gestion de crise
2.4 Le discours publicitaire-militante de Freeda
2.5 Mythologie de la diversité : une forme de contrôle?
3. Conclusions
4. Résumé
5. Bibliographie raisonnée
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