Fred Vargas , une polareuse inclassable ? 

Le premier galop chez le Masque.

   La métamorphose de Fred Vargas en une écrivaine de roman policier remonte à 1985 où elle écrit son premier roman nommé Les Jeux de l’amour et de la mort. Nous savons que, ne se contentant pas de sa carrière en tant qu’archéologue, elle tenait à trouver une autre activité, sous le signe du loisir afin de satisfaire son désir de s’évader de la routine professionnelle et dans le même temps d’équilibrer son existence tout en explorant son talent littéraire. Cette année-là, son projet est sur le point de porter ses fruits, car il ne lui reste plus qu’à trouver une maison d’édition. Hélène Amalric est éditrice aux éditions du Masque depuis 1983. En fait, les deux femmes se connaissent déjà, comme l’explique Hélène Amalric: J’ai fréquenté Sciences Po, à la fin des années 70, et me suis liée avec une jeune femme, Hélène Poursin, qui faisait partie d’un groupe d’amis issus de trois familles différentes, dont la famille Audoin. J’ai alors fait la connaissance de Joëlle, Fred, Stéphane et de leurs parents. J’étais étudiante. Fred travaillait déjà sur des chantiers d’archéologie. Jo voulait devenir peintre. J’étais invitée chaque Noël à Benodet où les trois familles passaient régulièrement leurs vacances, dans une maison de location. Ainsi une bande d’amis est-elle formée, qui partage un intérêt pour le roman policier. Il semblerait tout naturel que Vargas envoie son premier livre aux éditions du Masque où Hélène Amalric parvient à lancer Patricia Cornwell et Val McDermid. Même si Vargas n’aime pas son écriture balbutiante, estimant qu’elle comporte trop de traces personnelles, ce manuscrit est tout de même bien accueilli par H. Amalric : J’ai trouvé ce premier roman intéressant. D’abord, Fred utilisait un personnage de peintre qui évoluait dans un milieu original. Il y avait un ton. Plus exactement, un timbre unique, qu’elle amplifiera dans ses oeuvres ultérieures. Tout était déjà contenu dans ce premier manuscrit. La chance sourit à l’auteure débutante, parce que le soutien accordé par H. Almaric lui ouvre la porte qui conduira plus tard au succès. Bien que Vargas renie ce roman, des éléments, qui fonderont l’originalité de l’auteure, sont donc déjà en gestation. Et H. Almaric découvre avec clairvoyance et perspicacité le « ton » et le « timbre » qui correspondent justement à la « musique de mots » de Vargas, généralement reconnue par la critique. L’éditrice renforce son soutien jusqu’à soumettre ce manuscrit au jury du prix Cognac qui, en collaborant avec le Masque, récompense les nouveaux talents du roman policier. En 1986, Vargas fait partie de la liste des lauréats, et le troisième prix lui permet d’être publiée dans la collection du Masque : Fred Vargas a été choisie, parmi une quarantaine de manuscrits, par un jury de sept personnalités présidé par l’actrice Andréa Ferréol. Son livre – une enquête dans le milieu de la peinture – sera édité dans la collection du Masque (Hachette), la plus ancienne collection française de romans policiers, créée en 1927 et qui publie six titres par mois. Ses vedettes sont Agatha Christie et Charles Exbrayat. Dans cet extrait de la lettre que le jury lui fait parvenir le 6 mars 1986, nous pouvons prévoir un avenir romanesque très prometteur à Vargas. Et le prix l’autorise à passer le seuil pour entrer dans le milieu du roman policier. Le festival est aussi un lieu de rencontre où Vargas se retrouve face à des personnalités prestigieuses : La récompense lui est remise sur scène par Léo Malet et Andréa Ferréol. «Allez, il faut dire un petit mot», lui souffle le père de Nestor Burma. Pétrifiée de timidité, littéralement soutenue par les épaules, d’un côté par Ferréol, de l’autre par Malet,Fred aperçoit, au premier rang, Robert Mitchum, invité d’honneur du Festival. Le grand «Mitch», son idole. Celui dont elle collectionne même les mauvais films. Alors, elle se lance: «Eh bien, s’il suffit de signer un roman policier pour voir Robert Mitchum en vrai, je crois que je vais en écrire une douzaine…»

Le rejet des grands éditeurs

   Pour un nouvel espoir primé et déterminé à poursuivre sa carrière d’écrivaine, la période qui s’ensuit est, sans aucun doute, assez décourageante pour qu’il renonce définitivement. En réalité, Ceux qui vont mourir te saluent aurait pu être publié chez le Masque à condition que Vargas veuille accepter les compromis par la Collection: En 1987, l’enthousiasme éditorial est donc au rendez-vous et l’augure est favorable pour la publication d’un prochain Vargas. Mais il faut compter avec les ajustements nécessaires à la mise en adéquation entre ce nouveau roman et la ligne éditoriale de la collection. En effet, Ceux qui vont mourir te saluent s’éloignent du roman d’énigme, proposant un prototype parfait des futurs romans atmosphériques de Fred Vargas. Il est très difficile de savoir, vu les déclarations de Vargas très évasives concernant ce parcours, si oui ou non elle apporte des retouches à cette oeuvre, visant à répondre à la ligne éditoriale qui réclame du « classique ». Bien évidemment, Vargas ne choisit pas d’être encadrée par un éditeur de grand nom. Pour une archéologue qui considère initialement sa création de romans policiers comme une activité de distraction, il paraît peu probant d’affirmer que son refus est dû à la réclamation d’un « statut d’écrivain » censé se battre contre la mercantilisme éditorial. La raison pour laquelle Vargas n’est pas soumise à la demande de l’éditeur est peut-être plus simple que l’on peut l’imaginer. En 1985, elle pose sa candidature au CNRS, ce qui correspond à l’année où elle achève son premier manuscrit. En tant que chercheuse scientifique, la création de roman policier n’est alors rien d’autre qu’un divertissement. Elle se focalise en effet sur son travail de recherche au CNRS puisqu’entre 1986 et 1994, période où elle subit le rejet des grands éditeurs, elle accomplit une grande quantité de travaux scientifiques.

Les Editions Viviane Hamy et la collection « Chemins Nocturnes »

   Pour parler de la maison d’édition fondée par Viviane Hamy en 1990, il est nécessaire de retracer le parcours professionnel de l’éditrice elle-même. Elle apprend le métier comme représentante en librairie pour les Editions de la Différence pendant trois ans. Elle est initiée à la fabrication, à la lecture des manuscrits et à la vente. Après cette expérience, elle travaille comme attachée de presse pour les Editions Belfond, Robert Laffont, Lieu Commun et Phébus. C’est en 1989 qu’elle démissionne pour mettre en oeuvre ses rêves : créer sa propre maison d’édition. Au tout début, sans porter un grand intérêt à la littérature anglosaxonne (ce qui dépend probalement de sa stratégie commerciale qui vise à trouver un créneau de marché), elle développe une ligne éditoriale qui a pour cible la littérature des pays de l’Est ou de l’Espagne. Elle publie en 1990 trois textes inconnus ou oubliés : Terre tranquille d’Armande Gobry – Valle, Fille des pierres de Cécile de Tormay (traduit du hongrois), Mémoires du Capitan Alsonso de Contreras (traduit de l’espagnol). La singularité éditoriale s’explique par le fait que la couleur de la maquette varie selon la langue: rouge (le français), bleu (le hongrois), jaune (l’espagnol), gris (les nordiques), etc. Cette déclinaison des couleurs selon les différentes langues est abandonnée en 2003. Le succès ne va pas tarder à venir. En 1991, trois titres édités chez elle remportent des prix: Les Enfances de Michel Calonne obtient le Prix Giono, Iblis ou la défroque du serpent d’Armande Gobry-Valle le Goncourt du Premier roman, et Les Mains de Jeanne-Marie de Gisèle de Rouzic le Prix Terre de France. Evidemment, ses débuts n’ont rien à voir avec le roman policier. Et sans vouloir être enfermée dans un certain « ghetto », Viviane Hamy gère donc quatre collections non policières. Dans «Littérature étrangère», elle édite des auteurs étrangers, surtout des autres pays européens; dans «Littérature française », elle donne une place prioritaire à des auteurs passés inaperçus en leur temps et à la découverte des jeunes écrivains français; dans « Bis»: elle propose des rééditions en format semi-poche à prix réduit; et enfin dans sa collection «Hors collections», elle publie des textes « hors collection », souvent illustrés. Dans son catalogue, les livres non policiers semblent représenter un pourcentage important et les prix littéraires ne manquent pas: En 1991, Les Enfances de Michel Calonne, récompensé par le Prix Giono. En 1991, Iblis ou la défroque du serpent d’A. Gobry-Valle, récompensé par le Goncourt. En 1991, Les Mains de Jeanne-Marie de G. Le Rouzic, récompensé par le Prix Terre de France-la Vie. En 1994, Lumière du soir de Brigitte Le Treut, récompensé par le Prix François Mauriac. En 1997, Refus de témoigner de Ruth Kiϋger, récompensé par le Prix Mémoire de la Shoah. En 2001, Madame Angeloso de François Vallejo, sélectionné pour le Prix Goncourt, le Goncourt des lycéens, le Prix Fémina, et le Prix Renaudot; obtient le Prix Roman France-Télévision 2001. En 2003, La Porte de Magda Szabo, récompensé par le Prix Fémina étranger. En 2004, Groom de François Vallejo, récompensé par le Prix des Libraires et par le Prix Culture et Bibliothèque. En 2007, Ouest de François Vallejo, récompensé par le Prix du Livre inter. En 2007, Rue Katalin de Magda Szabo, récompensé par le Prix Cévennes du roman européen. En 2010, Apprendre à prier à l’ère de la technique de Gonçalo M. Tavares, récompensé par le Prix du Meilleur livre étranger. En 2012, Le roi n’a pas sommeil de Cécile Coulon, récompensé par le Prix du livre “Mauvais Genres” Quant à la littérature policière, elle n’est pas partisane de la « ségrégation ». Pour elle, il n’y a pas de mauvais genres, et il y a juste de mauvais livres. Elle s’exprime non sans autodérision sur son attitude envers le roman policier. Ce “n’importe quoi” qu’elle emploie pour désigner le genre révèle une posture d’éditeur, qui s’oppose à un découpage hiérarchique monolithique de la littérature : Quand j’ai créé la collection policière, le genre était en déconfiture – depuis on publie tout et n’importe quoi – mais à vrai dire le roman policier, je m’en fiche, ce qui m’intéresse profondément, ce sont les personnages et surtout une originalité de style. A l’occasion du Salon du Livre 2012, elle s’exprime encore dans des termes approchants :Le policier n’est pas ma tasse de thé. Je suis un éditeur littéraire. Je ne considère pas les auteurs que je publie comme des auteurs de genre mais comme des auteurs à part entière de littérature.

Les indicateurs de notoriété et l’accumulation de capital symbolique et économique

   Nous avons sommairement fait la lumière sur la trajectoire de Fred Vargas qui comprend son entrée dans l’univers du roman policier, sa traversée du désert et son rencontre avec son éditrice à laquelle elle reste fidèle (jusqu’en 2015). Cela nous aide à avoir des connaissances préliminaires propres à éclaircir le succès de l’auteure. A mieux y regarder, nous pouvons d’ailleurs constater que ce succès prend une si vaste ampleur qu’un véritable phénomène de Fred Vargas prend naissance et entre en effervescence. Afin de cerner, de manière plus convaincante, la diffusion médiatique des oeuvres vargassiennes et la consécration de l’auteure, nous tenterons d’analyser, dans cette sous-partie, les nombreux prix littéraires que Fred Vargas a obtenus, en ce qu’ils témoignent, dans une large mesure, de la reconnaissance institutionnelle aussi bien que populaire; Ensuite, la primauté sera donnée à une enquête au sujet des ventes des oeuvres vargassiennes. Il va de soi que les chiffres de ventes sont un indicateur primordial pour examiner la popularité d’un écrivain de la littérature populaire qui suit strictement la logique de marché. La reconnaissance de son statut de “reine du polar français” est donc nécessairement liée aux ventes considérables de ses ouvrages. Fred Vargas fait partie des écrivains les plus lus de France, et ses oeuvres plus récentes (après le succès fulgurant de Pars vite et reviens tard) sont souvent au sommet des palmarès, ce qui mérite, bien évidemment, que nous portons un regard attentif. De plus, la notoriété de Fred Vargas a dépassé le territoire français, ce dont témoigne la traduction de ses livres en langues étrangères, l’anglais et l’allemand entre autres. De toute façon, le phénomène de Fred Vargas est en ébullition dans l’hexagone si bien que l’auteure franchit, à grandes enjambées, les frontières pour étendre son influence à l’étranger. Nous ne nous contenterons cependant pas de circonscrire notre regard à l’univers des imprimés, parce que la valorisation de l’auteure se caractérise également par la valeur transmédiatique de ses oeuvres. Nous analyserons donc l’adaptation cinématographique et télévisuelle pour soutenir, de manière probante, notre affirmation concernant le bouillonnement causé par le phénomène Vargas dans le paysage médiatiquel. Prix après prix, les oeuvres vargassiennes semblent pouvoir être regardées, à juste titre, comme garantie littéraire, et davantage comme garantie de vente et d’audience. Tout natuellement, elle fait partie des modèles à succès qui prennent naissance dans le contexte du travail en synergie entre différents pôles de la culture médiatique, à savoir l’éditeur, l’institution littéraire, la presse journalistique, l’industrie cinématographique et télévisuelle, sans oublier le lectorat. Ces facteurs constituent l’axiome de départ pour examiner, de manière bien fondée, Fred Vargas en tant qu’auteure de best-sellers. Pour entrer dans les détails, les prix littéraire nous éclairent tout d’abord sur l’accumulation de capital symbolique par Fred Vargas.

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Table des matières

Remerciements
Avertissement
Introduction
I . Fred Vargas dans le paysage éditorial 
1. 1. La trajectoire d ’une auteure à succès
1.1.1. Le premier galop chez le Masque
1.1.2. La migration éditoriale
1.1.2.1. Le rejet des grands éditeurs
1.1.2.2.La rencontre avec Viviane Hamy et la fidélité de Fred Vargas
1.1.2.3.Les éditions Viviane Hamy et la collection « Chemins Nocturnes »
1.2. Les indicateurs de notoriété et l’accumulation de capital symbolique et économique 
1.2.1.La lauréate des prix littéraires
1.2.2.Un écrivain à succès
1.2.3.Vargas traduite à l’étranger
1.2.4.Vargas adaptée à l’écran
1.3. Vargas , une figure d ’écrivain décalé 
1.3.1. La reconnaissance des critiques journalistiques
1.3.2. Une identité créatrice marquée par les expériences socialisatrice
1.3.2.1. Les influences d’une famille à fort capital socio-culturel
1.3.2.2. La métamorphose en polarchéologue
1.3.2.3. L’engagement politique de Fred Vargas dans la vie réelle
II . Fred Vargas , une polareuse inclassable ? 
2.1 . Le rapport à la sérialité et au genre policier 
2.1.1. Le cycle d’Adamsberg dans la production sérielle
2.1.2. Pour une mise en perspective: retour sur l’histoire d’un mauvais genre
2.1.3. Le respect des lois du roman à énigme : le mystère, l’enquête et le retour à l’ordre
2.2. L’hybridité des codes : une tentative de brouiller les pistes 
2.2.1. Le positionnement à la lisière du noir : la modération de la pratique sociale et le registre noir faible
2.2.2. La tendance à affaiblir la visée réaliste: le recours au fantastique
2.2.3. L’Armée furieuse, le figement ou la stabilisation ?
2. 3 . Le péritexte dans les romans vargassiens
2.3.1. Le péritexte auctorial
2.3.2. Le péritexte éditorial
III. La catharsis dans les romans vargassiens 
3.1. Le refus du réalisme: l’art du décalage chez Vargas 
3.1.1. Le dépaysement géographique
3.1.2. Le dépaysement historique
3.1.3. Le dépaysement social
3.1.4. Le dépaysement fantastique
3.2. L’atypie des personnages récurrents
3.2.1. Vargas en phase de quête : le cycle des « trois évangélistes »
3.2.2. Le personnage du Commissaire Jean-Baptiste Adamsberg
3.3. La tragédie antique et la comédie moderne 
3.3.1. La purification des péchés originels : il n’y a pas que du beau dans la tête de l’homme
3.3.2. La purgation des émotions : la consolation de l’âme
3.3.2.1.La peur de la mort
3.3.2.2. Il n’y pas d’amour heureux
3.3.2.3. L’humour à la vargassienne
3.3.2.4. Le réenchantement de la fin heureuse
Conclusion
Bibliographie

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