La leude
De 1676 à 1681, François Millet i Català s’occupe de la perception du droit de la leude à Perpignan, mais son statut n’est pas connu. Était-il un simple commis ? Il est difficile de savoir quelle a été sa véritable fonction durant ce laps de temps. Comme il a été vu en introduction, plusieurs travaux ont présenté la leude en Roussillon, du Moyen-âge à l’époque moderne. Dans ces nombreuses études, le XVIIe siècle a été souvent laissé pour compte. La leude est un droit perçu sur certaines marchandises entrante, sortante ou vendues sur son périmètre fiscal, c’est-à-dire de son leudaire. Seules les marchandises circulant à l’intérieur du leudaire sont exemptées de ce droit. Les premières mentions de leude au sens de péage apparaissent au début du XIIIe siècle en Roussillon. Après l’annexion du Roussillon, la fiscalité n’a pas été modifiée. Pour Anne Conchon, « le roi ne fit que s’approprier les anciens droits catalans ainsi que le tarif de 1654 ». En effet, selon un mémoire non signé fait à Perpignan le 17 juin 1717, « la leude et le mestrat de port sont des droits dépendant du Domaine du Roussillon acquis au roy par le traité des Pyrénées ». Ce changement de souveraineté et de fiscalité a redimensionné les frontières, notamment fiscales.
Au XVIIe siècle, le Roussillon est annexé et la frontière avec l’Espagne se cristallise par une présence de soldat, mais également par une redéfinition des limites fiscales. Dorénavant, le Roussillon, considéré comme « région étrangère », possède des frontières fiscales avec le Nord (le royaume de France) et une frontière fiscale et politique avec le Sud (le Royaume d’Espagne). Ainsi les marchandises sont taxées à l’entrée et à la sortie sur toutes les frontières du Roussillon, par terre et par mer. Selon Anne Conchon, les coutumes d’échanges du Roussillon avec le reste de la Catalogne ont été brutalement modifiées et les marchés avec le Principat impactés. La fiscalité est un facteur important de cette modification, un phénomène qu’Anne Conchon perçoit comme la création d’une « ceinture fiscale ». Cette « ceinture fiscale » redéfinit de nouvelles frontières avec l’extérieur, mais également à l’intérieur même du Roussillon. Les flux de personnes, de marchandises sont modifiés et cela aurait des conséquences, on constate une déviation des circuits commerciaux et donc une augmentation de la fraude.
Les travaux d’Anne Conchon et d’Eva Serra i Puig ont permis de donner les bases à la compréhension de la fiscalité aux frontières. Si la leude a été étudiée en profondeur au XVIIIe siècle, quelques zones d’ombre existent au XVIIe siècle. Une criée regroupant l’ensemble des droits et fiscalités de tout le Roussillon et qui sont rattachés au domaine royal a permis de mettre au jour un certain nombre d’informations ; nous tenterons d’en présenter les principales. Il existe de nombreuses criées dans les manuels de la cour du Domaine, mais elles ne concernent qu’un leudaire ou qu’une ville. Cette criée rassemble l’ensemble des leudaires et détaille les particularités liées à chacun d’entre eux pour le XVIIe siècle. Ce type de source n’a pas été exploitée pour le cas de la leude.
Un droit régalien
Comme nous l’avons vu, la leude est un droit repris par le royaume de France officiellement en 1660. Plus de quatorze fiscalités différentes dépendent du domaine royal. Une criée rédigée par Francesc Pujol, notaire, signée par Martí de Viladamor, adjudant général, sur ordre de François de Sagarra, Président du Conseil Souverain, rappelle, de la part du roi, les pragmatiques et ordonnances royales concernant les droits régaliens du Domaine Royal Cette criée s’appuie sur une précédente datée de 1663. Les villes de Perpignan, Prats-de-Mollo, Collioure, Canet, Vinça et de Villefranche de Conflent devaient se munir et présenter ces criées au public. Quel était le rôle de ces villes ? Était-ce les centres des territoires fiscaux, c’est-à-dire des leudaires ? Anne Conchon présente, pour le XVIIIe siècle, sept leudaires : du Vallespir, de Perpignan, de Salses, de Bouleternère, d’Estagel, de Conflent et de Capcir et enfin de Cerdagne. La carte ci-dessous a été réalisée en s’appuyant sur les informations comprises dans la criée. Selon la criée, il semblerait que pour le XVIIe siècle, seulement quatre leudaires existaient :
– Celui de Perpignan, dont le territoire fiscal est en rouge. Canet serait peut-être rattaché à son leudaire.
– Celui de Salses, dont le leudaire s’étend de La Cabanasse jusqu’à Fitou, Saint Hyppolite et Claira, c’est-à-dire regroupant quasiment l’ensemble de la frontière Nord avec le Royaume de France formant alors un demi-cercle allant jusqu’à la frontière maritime fiscale (avec la maîtrise de port) à l’Est. Ce territoire fiscal est représenté en bleu.
– Celui du Boulou, dont le leudaire s’étend du Boulou, Argelès, Prats de Mollo et qui concerne les marchandises passant du Roussillon vers l’Empordà, ou de l’Empordà en Roussillon, prenant ainsi la quasi-totalité de la frontière avec la monarchie hispanique formant un demi-cercle allant jusqu’à la frontière maritime fiscale à l’Est. Ce territoire fiscal est représenté en jaune.
– Celui de Villefranche de Conflent. Pourquoi Villefranche ne rentre pas dans le leudaire du Boulou ? Garde-t-elle son statut de « ville franche » après le traité des Pyrénées ? Ce leudaire est représenté en vert, mais il se pourrait que ce territoire fiscal s’allonge jusqu’à la frontière avec l’Andorre à l’ouest de sa position. Territoire fiscal représenté en vert.
Les six premiers articles du règlement concernent la ville de Perpignan. Le leudaire de Perpignan possède des clauses particulières qui le différencient des autres territoires fiscaux.
ninguna persona de qualsevol grau, estament, condició sie tant estranya que natural gose ni presume passar en la vila de Perpinyà ni en son lleudari ni passar per dita vila ni per son lleudari ni tràurer de dita vila ni de son lleudari ningunes mercaderies ni altra cosas compreses en la Tarifa del dret de la lleuda Real de Perpinyà. Que primer no haja aquelles denunciat y despatxat en poder de l’arrendador o col·lector de dita lleuda y pagat dit dret, sots pena de sexanta sous de Perpinyà per quiscú y quiscuna vegada serà trobat o trobat fer o haver fet lo contrari, y de confiscació de dites mercaderies y dels bestiars av que seran posades, passades o tretes, o serà trobat, a probat haver las posat passat, tret, y que los que tenen y pretenen tenir franquesa de lleuda tingan obligació de denunciar així mateix y manifestar las mercaderies y demés cosas sobre dites tots la mateixa pena la qual serà aplicada ço és la tercera part a l’acusador y las restants a dit Domene Real.
Tous les hommes de Perpignan et tous les étrangers sont concernés par cette criée. Il est bien rappelé et notifié que toute marchandise passant, ou traversant tant la ville que le leudaire de Perpignan doit être soumise au droit de leude. Selon Alícia Marcet, le droit de leude était perçu seulement à l’entrée d’une ville. Il semblerait ici que ce droit s’applique également à un territoire fiscal autour de la ville, cependant, il n’est pas indiqué dans quel espace ce leudaire s’étend. En cas de non-respect du règlement et du non-paiement au collecteur ou fermier de la leude, le contrevenant devra payer soixante sous (3 livres) de Perpignan pour chaque fois qu’il fraudera et il lui sera confisqué toutes les marchandises ainsi que les bêtes. Il y avait au moins deux personnes qui s’occupaient de sa collecte. Le fermier détenait la ferme et le collecteur était l’assistant du premier. Un problème concerne quasiment l’ensemble de la criée, il n’est jamais détaillé chacune des marchandises assujetties, mais simplement « les marchandises ». Le « tarif » n’a pas été retrouvé dans les documents dépouillés. Le deuxième article précise un cas particulier.
Item que tots mercaders, negociants, y altres qualsevols així estranys com naturals que comparan y vendran mercaderies dins la vila de Perp[inyà] y dins lo lleudari de aquella, així com hauran fet lo mercat de dites mercaderies a en de pagar lo dret de la lleuda a l’arrendador o col·lector de aquella, sots la pena de sexanta sous y un diner de argent monedat de Rosselló y de confiscació de dites mercaderies per quiscú y quiscuna vegada que serà trobat o probat fet o haver fet lo contrari aplicadora dita pena com està dit en lo precedent article.
Ce deuxième article s’adresse aux marchands et négociants, à tout homme qui viendrait faire du commerce à Perpignan et donc vendre ses marchandises. Il est notifié que les marchandises sont marquées après avoir payé le droit de leude par le fermier ou le collecteur. Quelle est la manière de marquer ces marchandises ? La sentence en cas de non respect du règlement est plus élevée pour eux, puisqu’ils devront payer soixante sous ainsi qu’un denier d’argent (3 livres et un denier), monnaie de Roussillon, en plus de la confiscation des marchandises. On pourrait en déduire que la vente à Perpignan est bien plus contrôlée que le simple passage de marchandises. Par rapport au poids du Roi (qui sera développé dans la partie suivante), les informations que l’on trouve dans les cahiers de la leude de François Millet i Català, ne concernent pas exclusivement les marchandises vendues à Perpignan, mais également celles qui traversent son territoire fiscal. La peine prend une ampleur encore plus importante pour un cas particulier, expliqué dans le troisième article :
Item que ninguna persona de qualsevol estat o condició ni gose, ni presuma tràurer ni fer tràurer ninguna sorta de ferro, ni altres mercaderies obligades a pagar dret de lleuda en poca o en molta quantitat fora de la p[resent] vila de Perp[inyà] ni del lleudari de aquella per aportar el mar o carregador que no haja pagat dit dret, sots pena de vint y sinc lliures moneda de Perpinyà y confiscació de dits ferros y mercaderies y de les besties av que se trauran aquelles per quiscú y quiscuna vegada que serà trobat o provat fet o haver fet lo contrari.
Les personnes et les bêtes qui transportent des marchandises, dont le fer, et qui apportent par mer ou embarquent par mer sans payer ce droit, devront payer vingt-cinq livres, monnaie de Perpignan. En cas de non-respect, les bêtes et les marchandises seront confisquées. Les routes maritimes sont plus surveillées et contrôlées que les routes terrestres. Pourquoi le fer était-il clairement énoncé par rapport « aux autres marchandises » ? Le fer en Roussillon était de très bonne qualité, « ainsi, le fer catalan, très apprécié à l’étranger, était exporté massivement ». Muriel Taurinyà voit cette exportation perdurer jusqu’à la première moitié du XVIIe siècle. Peut-on dire qu’il y aurait une continuité dans la seconde moitié du XVIIe siècle ? La question de la quantité est importante, qu’il y ait peu ou beaucoup de marchandises, il est obligatoire de payer le droit de leude. D’ailleurs la peine encourue en cas de non-respect du règlement est 88% plus importante qu’en cas de passage par terre. Le contrôle des flux commerciaux par mer est d’autant plus surveillé qu’il permet de transporter de plus grandes quantités de marchandises.
Item que tots los corredors y portadors encontinent que hauran fet venda de alguna mercaderia aquella vagen a denunciar al dit arrendador o collector çots la pena de cinc sous per quiscuna vegada y privació de llur ofici per un any immediadament seguent.
Les intermédiaires de la vente, c’est-à-dire les porteurs ou courtiers, ont aussi la responsabilité de dénoncer au fermier ou au collecteur toutes les marchandises qu’ils transportent sous peine de cinq sous ainsi que l’interdiction de pratiquer leur emploi pendant un an. Il s’agirait ici des porteurs, qui s’occupent d’aider les marchands ou muletiers à transporter les marchandises en ville, comme Joan-Pere Bertran, portefaix, à Perpignan l’a fait au début du XVIIe siècle92. La criée présente également d’autres circuits commerciaux par terre.
Les circuits commerciaux par terre
Comme nous pouvons le voir dans l’article 18 ci-dessous, les circuits commerciaux terrestres passant de part et d’autre des Pyrénées sont clairement identifiés. Les marchands et habitants avaient pour habitude, avant le traité des Pyrénées, de pratiquer ces routes sans payer de droit de passage : il n’existait pas de frontière entre les deux versants des Pyrénées. Après 1659, se met en place un intérêt particulier à informer les marchands et muletiers de cette nouvelle frontière fiscale. Argelès, à l’Est, est un lieu de passage d’abord pour les marchandises arrivant par mer, en particulier par Collioure, Port-Vendres ou Banyuls, mais également en longeant la côte par Cerbère jusqu’à Figueres. Le Boulou, situé aussi en contrebas du col du Perthus, est un passage privilégié pour faire passer des marchandises entre le Roussillon et le Principat. Plus à l’Ouest, Prats-de-Molló était aussi un lieu de passage, en particulier des muletiers. Peut-on recréer ce circuit commercial avec la Catalogne du Sud par l’intermédiaire des cahiers ? La voie terrestre n’est pas pour autant la seule à être pratiquée. Le commerce maritime est également possible grâce aux ports bordant la Méditerranée, en particulier celui de Collioure.
Item que qualsevol persona que passarà del Rosselló al l’Empurdà o vindrà de l’Empurdà a Rosselló o portant qualsevols mercaderies o altres cosas passant aquelles per los límits y térments de la lleuda real de la vila del Voló, ço és per las vilas de Argelès, Prats de Molló, o al entorn de aquelles y per tots aquells llochs aont se acostuma pagar la dita lleuda, hagen de pagar lo dret de dita lleuda a l’arrendador o col·lector com atestà dit lleudari per escusar-ce de pagar dit dret sots pena de sexanta sous de Rosselló y confiscació de dites mercaderies lo qual dret de lleuda podrà exhigir y corbar dit arrendador o col·lector en las dites vilas de Arles, Prats de Molló, en la capella de Sant Ferriol y altres parts aont se acostuma y es acostumat exhigir y cobrar y no sie persona alguna de qualsevol estat o condició que gose ni presume fer impediment al dit arrendador o col·lector de cobrar dit dret en las vilas y llochs predits çots pena de cent ducats de or aplicadora dita pena com en los precedents articles està dit.
Les circuits commerciaux maritimes
L’article 14 concerne les circuits commerciaux maritimes. On constate à travers cet article, à partir de Collioure, un commerce avec le royaume de France, mais également avec Valence, Pise et Gênes, soit des villes et territoires plus à l’Est et au Nord-Est. D’autre part, les relations commerciales avec la Catalogne, Valence et Majorque sont également citées. Deux principaux ports, celui de Collioure et de Canet sont cités. On remarque que la sentence appliquée de cent ducats d’or prend une proportion bien plus importante que les autres sentences pour les circuits par terre : le transport par mer permet de faire transiter une plus grande quantité de marchandises.
Item que ningun mercader negotiant ni altres qualsevols persones patrons mariners y altres que passaran per los mar de la vila de Coplliure y lleudari de aquella y entra la vila de Coplliure y lo Regne de Mallorca y vindran de la part de França, de Pises, de Gènova, y altra parts y arrivan a las parts de Cathalunya, València, y Mallorca y passaran de las parts de Cathalunya Valencia y Mallorca a las parts de França, Pisa, Gènova y altra parts agen de denunciar y donar manifest de las mercaderies aportaran y passaran a l’arrendador o col·lector de dita lleuda de Caplliure íntegrament y sens fraus en la vila de Canet o de Caplliure y pagar lo dret de dita lleuda de dites mercaderies a l’arrendador o col·lector ço és venint de la parts de França, Pisa, o Gènova en la vila de Canet y venint de las parts de Cathalunya, València y Mallorca en la vila de Caplliure o Canet sots pena de cent ducats de or, y de confiscació de dites mercaderies y dels vexells ab que possaran per quiscú y quiscuna vegada que serà trobat o provat fer o haver fet lo contrari aplicadora dita pena com en los precedents articles est à dit.
Le poids du Roi à Perpignan
Le poids du Roi n’a guère été étudié par l’historiographie roussillonnaise et perpignanaise. Si l’on retrouve des informations dans un ouvrage d’Henry Aragon et quelques bribes dans l’article réédité de Gilbert Larguier, il paraissait toutefois nécessaire de mener une recherche plus poussée pour comprendre quel était le rôle de cette institution afin de déterminer l’intérêt des cahiers.
Historique
Tant au Moyen-Âge qu’à l’époque moderne, chaque province ou ville possédait ses propres unités de mesure97, par exemple, alors que la livre (unité de poids) de Villefranche de Conflent faisait 400 grammes, celle de Lérida en faisait 35098. De ces changements d’unités de poids et mesures, les contemporains savaient probablement en jouer, pour Henry Aragon « plus des trois quarts des habitants étaient illettrés »99. Certaines marchandises, venant parfois d’assez loin, devaient être pesées au poids du pays, ou de la région concernée par la vente. Il était alors nécessaire pour le vendeur et l’acheteur de se mettre d’accord sur un poids commun. Perpignan se dote de son poids du Roi au Moyen-Âge à un moment où la ville s’ouvre sur les marchés.
En deux siècles, la ville crée tout un appareil administratif, de poids et de mesures, pour contrôler le commerce : « un poids de Perpignan est signalé en 1095, une » mesure de Perpignan » en 1124 »100. Entre le Xe et le XIe siècle, la surface du centre a sextuplé. L’administration du poids du Roi est inaugurée en 1322. Cette création intervient pendant le « décollage industriel », au moment de l’essor des villes et de la population urbaine. À Paris, son établissement remonte à un temps antérieur à Louis VII (1137-1180). À Marseille on retrouve à partir du 19 février 1229 un « bureau des poids et casse » ou « bureau des balances et mesures »104. Perpignan se retrouve dans un contexte général de création et de mise en place d’un système normatif pour contrôler et gérer des flux marchands.
Le poids du Roi a été créé pour « éviter les contestations des vendeurs et acheteurs sur la quantité de marchandises vendues et achetées et pour mettre un terme à la défiance et à la crainte légitime qu’éprouvaient les commerçants volés et de fausses évaluations de poids »105. Les villes qui reçoivent des marchandises d’autres pays ou régions ne possèdent de poids publics. Lors de la comparaison des diverses sortes de poids du Roi dans les grandes villes, Jacques Savary présente en introduction « Amsterdam, qu’on peut regarder comme la Ville du plus grand Commerce d’Europe, & peut-être du monde, a aussi ses Poids publics, dont l’un est établi dans la place du Dam, devant l’Hôtel de Ville ». On retrouve ici trois points essentiels : une ville présentant des flux commerciaux et un poids public situé sur une place devant une institution qui symbolise le pouvoir et la puissance économique.
À Perpignan, au moment de l’annexion du Roussillon en 1659 par la France, les anciens revenus fiscaux furent repris par le royaume de France, certains furent doublés, c’est le cas avec les droits d’impariage et de real. Le poids du Roi est repris et géré par le Conseil Souverain qui s’occupe entre autres de gérer les biens royaux : « il est nommé Conseil Royal non seulement à différence des autres tribunaux qui portent le nom de la province regardent les interests mais encore pour estre celluy qui execute aveuglement les ordres du Roy connoist de ses interest, defend son authorité, accepte ses resolutions contre tous et en tout cas son parti ». Le Conseil Souverain reprend cette institution sans en modifier son mode de fonctionnement, ses règlements, ce qui pose parfois des problèmes.
Les principaux règlements
Il n’a pas été possible de trouver des règlements du poids du Roi au Moyen-Âge. On retrouve simplement quelques informations précises contenues dans une pièce de procédure du XVIIIe siècle de marchands droguistes contre l’institution du poids du Roi. Pour étayer leur défense, les marchands droguistes rappellent que le droit de pesage date du XIIe siècle et les privilèges que possédaient alors les habitants de Perpignan.
L’on trouve dans les usages inférez au privilège de Girard, Comte de Roussillon, de l’année onze cens soixante-deux, article vingt-huit, que chaque habitant de cette ville, peut avoir chez lui des poids & des mesures, tan de bled, vin, huile que de toute autre chose, & avec ses poids et mesures, vendre & acheter chez lui & ailleurs, même les prêter à son voisin, à l’exception du poids d’un quintal, qui appartenoit alors au Maître de la Ville, lequel exigeoit trois deniers de droit de pesage sur les Etrangers, & rien du tout des Habitants. ».
Plusieurs points sont notables. D’abord les poids et mesures tant pour le blé, le vin, l’huile et les autres types peuvent être détenus par la population à l’exception seulement des poids au-dessus d’un quintal. Tous les poids au-dessus d’un quintal sont possédés par « le Maître de la ville », c’est-à-dire le roi. Ce droit royal requiert trois deniers de droit de pesage pour les étrangers, mais ce droit ne s’applique pas pour les habitants de la ville. Qu’en est-il pour la seconde moitié du XVIIe siècle ?
Au XVIIe siècle, le poids du Roi est désigné comme un bureau où est perçu un droit royal sur des marchandises assujetties et vendues à Perpignan. Des criées étaient publiées et rappelaient le règlement de plusieurs impôts indirects et droits (leude, poids du Roi) à tout homme, boutiquier, marchand, transporteur habitant ou non à Perpignan. C’est par l’intermédiaire d’une criée (la même que pour la leude) que l’on en sait davantage sur cette institution. Celle-ci présente trois paragraphes concernant le poids du Roi.
Les marchandises assujetties
Si les criées renseignent sur le règlement général, aucune liste des marchandises assujetties n’apparaît dans nos sources. Ce problème se retrouve au moment du procès de François Millet i Català pour fraude : aucun document ne stipulait clairement quelles marchandises devaient être pesées à la différence de la leude où un Tarif existait. Curieusement, le tribunal demande aux témoins quelles marchandises étaient assujetties par les anciens peseurs au poids du Roi au début du siècle. Par exemple, pour le cas du chanvre, Rafel Riu qui était cordier, rapporte que le prédécesseur de François Millet i Català, Hyacintho Sabardell, n’aurait jamais obligé de faire peser cette marchandise. Pourtant, selon Pere Bendos, portefaix dans les années 1630, l’ancien peseur Narcís Prats faisait assujettir le chanvre, les figues, les pignons et d’autres marchandises. Est-ce le peseur qui choisit les produits à faire peser ? Comment décidait-il d’assujettir une marchandise ? La législation sur la pesée des marchandises reste floue, et lorsque le Conseil Souverain cherche à en savoir plus, il n’hésite pas à demander directement aux personnes concernées (cordiers, nattiers ou portefaix) quelles marchandises les prédécesseurs assujettissaient au poids du Roi. Les réponses des contemporains sont imprécises, comme il est possible de le voir dans l’audition de Pere Bendos « y per lo que jo freqüentava tant dit pes del Rei me recordo y sé molt bé que tot que portaven mercaderies en dit pes com són figas, cànem, pinyons, y altres mercaderies subjectes ». Sans liste exhaustive, il est difficile de présenter l’ensemble des marchandises assujetties, mais certaines d’entre elles peuvent être détaillées.
Les noisettes, les pignons, les figues, le chanvre, le miel et le savon étaient tous assujettis au poids du Roi. Cette petite liste, réalisée par l’agrégation de plusieurs auditions, ne rend pas compte de tout ce qui devait passer par la pesée. Ce qui pose un véritable problème, car un plus grand nombre de marchandises se retrouvent dans les cahiers de François Millet i Català. Par exemple, on peut retrouver des objets surprenants : le 20 septembre 1664, c’est une carga d’ollas de fer et le 20 mars 1665 de l’aiguardent. De nombreux passages de clous se retrouvent également dans les cahiers. Si ces trois marchandises passent bien par le poids du Roi, dans aucun des cahiers, elles ne sont pesées.
Au contraire, il est possible d’établir une petite liste des marchandises non assujetties. Quand François Millet i Català est interrogé pour savoir pourquoi il faisait peser certaines marchandises non assujetties, plusieurs d’entre elles sont citées : « […] també altres que no són subjectes al pes com són vidre, terrissa, cabassos, concas, palas y altres coses semblants ». Là encore, il est difficile d’énumérer une liste complète : si plusieurs marchandises sont citées, le « et autres choses semblants » nous laisse dans l’imprécision.
Il semblerait que ces deux listes montrent une chose : les marchandises pesées étaient pour la consommation (alimentaire et non alimentaire). Les autres, comme les pelles ou le verre étaient des objets qui ne rentraient pas dans la catégorie des « non consommables » ou, pour reprendre les catégories de Denis Fontaine, seraient considérés comme des objets « domestiques »128. Il s’agirait plutôt d’ustensiles. Reste à déterminer si l’aiguardent, les marmites ou les clous étaient ou non sujets au droit de peser : pourquoi sont-ils passés par ce poids du roi alors qu’ils n’ont pas été pesés ? Est-ce que les marchandises ne faisaient que passer ?
Un lieu de vente : la boutique du poids du Roi
Le poids du Roi, aussi appelé boutique du poids du roi, était un lieu où se rencontré les acheteurs et les vendeurs et où les vendeurs pouvaient déposer leur marchandise pour les vendre au détail. Au début du XVIIIe siècle, cette possibilité de vendre au détail est perçue comme une atteinte à la confrérie des boutiquiers :
« Le huitième article, permet au Fermier & au peseur de vendre les marchandises au Poids du Roy, pour compte de ceux qui les y portent en recevant les droits accoûtumez. Cet article favorise les fraudes ; le Fermier à qui il est défendu de vendre audit Poids du Roy aucune marchandise sur son compte, pourroit dans la suite suposer une commission par écrit du Marchand forain qui lui auroit réellement vendu sa marchandise, & sous la foi de cette commission suposée dont on ne pourra découvrir la faussetté, le public ne jouïroit pas des trois jours de faveur des Réglemens lui donnent, & les Corps des Marchands verroient audit Poids du Roy, une Boutique continuellement ouverte à leur préjudice ».
Si l’on retrouve généralement le terme de « poids du Roi », la « boutique du poids du Roi » se trouve parfois inscrite au XVIIe siècle. D’ailleurs, au moment d’une perquisition, plusieurs types de marchandises : du fromage, des figues, des marmites de fer, de la palme, des olives, des sardines et bien d’autres ont été saisies, nous y reviendrons. Mais le poids du Roi est avant tout un lieu où l’on vient faire peser ses marchandises.
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Table des matières
Remerciements
Avant-propos
Introduction générale
Partie I. Des cahiers, des institutions, des marchandises, une famille
Chapitre 1. Des cahiers aux institutions
1.1) Présentation des cahiers
1.2) La leude
1.3) Le poids du Roi à Perpignan
1.4) Romaners et peseurs du poids du Roi
Chapitre 2. Des cahiers, des marchandises, une méthode
2.1) Le savon
2.2) Les autres marchandises
2.3) Quantifier, mettre en réseau : méthode et critique
Chapitre 3. Des cahiers à la famille
3.1) La famille Millet i Català
3.2) Rafel Millet i Català : jeunesse, famille et implication dans la vie municipale
3.3) La trajectoire personnelle de Rafel Millet i Català
Conclusion de partie
Partie II. François Millet i Català, nattier et peseur au poids du Roi (1622-1694)
Chapitre 1. Une jeunesse tumultueuse (1622-1660)
1.1) Un enfant de Perpignan (1622-1650)
1.2) Un « milicien » engagé contre le Royaume de France (1639-1652)
1.3) Le meurtre de Ramon Coll (1647-1660)
Chapitre 2. Le nouveau peseur au poids du Roi (1660-1681)
2.1) L’installation de François Millet i Català à Perpignan (1660-1663)
2.2) Du poids du Roi à la leude : une promotion socioprofessionnelle ? (1663-1681)
2.3) Un nattier devenu « opulent » (1676-1681)
Chapitre 3. Le cas d’un échec (1681-1694)
3.1) Le procès pour fraude au poids du Roi
3.2) Le procès pour le meurtre de Ramon Coll
3.3) Deux procès en civils et la fin d’une trajectoire personnelle
Conclusion de partie
Partie III. Les acteurs du commerce : pour un renouvellement de l’histoire quantitative
Chapitre 1. Les acheteurs
1.1) Les acheteurs de savon : entre professionnels et inconnus
1.2) Les autres marchandises : le poids du roi et la leude
1.3) La place des femmes dans le commerce
Chapitre 2. Les vendeurs et la conjoncture : les cinq temps du renouvellement des vendeurs
2.1) Un commerce franco-catalan ? (1664-1673)
2.2) La conspiration de 1674 : un arrêt du commerce ?
2.3) Un réseau d’échanges doubles entre le Principat de Catalogne et le Royaume de France ? (1675-1681)
Chapitre 3. Entre réseau, conjoncture et contexte : l’évolution des acteurs et du commerce à Perpignan
3.1) Principaux acteurs et réseaux
3.2) L’absence des acteurs réguliers : une aubaine pour les acteurs intermédiaires et irréguliers ?
3.3) Des réseaux interdépendants des cycles de renouvellement des vendeurs
Conclusion de partie
Conclusion générale
Glossaire
Sources d’archives
Bibliographie
Annexes
Table des cartes, documents, figures, graphiques et tableaux
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