Depuis quelques décennies, les circuits intégrés à base de semi-conducteurs n’ont cessé d’envahir les objets de notre quotidien. Au départ confinées aux activités bureautiques, leurs applications se sont diversifiées et ont investi les équipements automobiles, les téléviseurs, les téléphones et bientôt de nombreux appareils avec l’essor de la domotique. Le développement de ces circuits est supporté par le marché de la microélectronique. Celui-ci est très dynamique et a généré au cours de l’année 2014 un chiffre d’affaire de plus de 300 milliards d’euros [Gartner, 2014]. La bonne santé de cette économie est basée sur une augmentation constante de la densité d’intégration des composants sur une même puce. Pour cela, un consortium international définit régulièrement une feuille de route qui comprend les recommandations que le secteur doit suivre. Pour atteindre ces objectifs et produire des circuits toujours plus perfectionnés, les entreprises de microélectronique réinvestissent une grande partie de leurs bénéfices dans la recherche et le développement. Depuis 1971, date de la commercialisation du premier microprocesseur par la compagnie Intel, les dimensions latérales d’un transistor unique ont été drastiquement réduites. Cette course à la miniaturisation est confrontée à des limites physiques et à l’apparition d’effets quantiques et de courants parasites lorsque les dimensions atteignent quelques atomes. Pour éviter ces courants parasites sans opérer de changements significatifs dans l’architecture des transistors, une solution consiste à isoler complètement la couche de silicium active du support mécanique sur lequel le transistor est gravé. Un tel substrat, souvent abrégé par son acronyme anglais SOI, est appelé « Silicium-sur-Isolant ». Au début des années 1990, plusieurs chercheurs du CEA-LETI à Grenoble mettent au point un procédé de fabrication de ces substrats basé sur l’implantation d’hydrogène [Aspar, Bruel, Zussy, & Cartier, 1996; Bruel, 1995]. Cette technique licenciée ensuite par l’entreprise SOITEC sous le nom de Smart Cut™ est de loin la plus courante pour fabriquer des substrats SOI. Elle permet de transférer un film cristallin de silicium mince, de quelques centaines de nanomètres, depuis un substrat « donneur » sur un substrat « accepteur ». La maîtrise de ce procédé repose sur le contrôle de deux étapes décisives. D’un côté, l’implantation ionique d’ions légers permet la formation d’une région endommagée dans le substrat donneur où va s’amorcer la fracture du film mince à transférer au cours d’un recuit ultérieur. D’un autre côté, le collage direct permet de faire adhérer les surfaces des deux substrats pour récupérer le film transféré sur le substrat dit « accepteur ».
Fracture de films minces de silicium provoquée par l’implantation d’hydrogène
Intérêts technologiques de l’élaboration de Silicium-sur-Isolant
L’application essentielle du procédé Smart Cut™ est l’élaboration de Silicium-sur-Isolant, ou SOI pour Silicon-On-Insulator, dont le principal marché est le secteur de la microélectronique. C’est pourquoi, dans un premier temps, nous présenterons brièvement les principaux avantages d’un transistor MOS fabriqué sur ce substrat. Suite à cela, nous décrirons les étapes technologiques ainsi que des mécanismes physiques intervenants dans ce procédé.
Architecture du Silicium-sur-Isolant
La logique actuelle d’élaboration des transistors consiste à modeler la surface d’une plaque d’un matériau semi-conducteur, appelé couramment wafer, à l’aide d’une gravure extrêmement fine (approche dite « top-down »). Pour les transistors fabriqués sur silicium massif, le transfert électronique effectif concerne moins de 0,1% de l’épaisseur totale de la plaque, l’épaisseur restante étant responsable d’effets parasites. De plus, la forte proximité des composants peut produire des courants indésirables entre les transistors (« crosstalk »). C’est pourquoi les procédés actuels de fabrication de transistors sur silicium prévoient l’isolement des transistors par des caissons d’isolation ainsi qu’un espacement suffisant pour éviter la communication parasite entre deux transistors côte-à-côte. Dans le SOI, les zones actives sont entourées par un isolant électrique et sont donc totalement isolées les unes par rapport aux autres. L’architecture la plus courante du SOI consiste en une superposition de trois couches .
La couche supérieure est un film de silicium monocristallin très mince de l’ordre de quelques dizaines de nanomètres. La couche intermédiaire est constituée d’un isolant électrique généralement en SiO2. Enfin, la couche inférieure n’est pas fonctionnalisée et sert essentiellement de support mécanique.
Description du procédé Smart Cut™
Principe général de la fabrication de SOI par Smart Cut™
Une première plaque de silicium est oxydée thermiquement puis implantée par des ions hydrogène formant ainsi une zone saturée en hydrogène en dessous de la surface du wafer. Une seconde plaque de silicium est ensuite solidarisée par collage direct et sert de raidisseur mécanique. Cette structure se fracture lors d’un recuit à des températures comprises entre 300°C et 600°C, et permet d’obtenir un substrat de SOI ainsi qu’une plaque de silicium réutilisable. Le SOI subit alors plusieurs traitements de finition consistant à éliminer les défauts résiduels de l’implantation, avec par exemple un recuit à haute température (de l’ordre de 1100°C). Enfin, un polissage mécano-chimique permet de diminuer la rugosité de surface du film de silicium transféré et éventuellement d’ajuster son épaisseur.
Ce procédé est en théorie tout à fait générique. Il peut ainsi servir à reporter d’autres matériaux que le silicium comme le carbure de silicium (SiC) [Di Cioccio et al., 1996], le phosphure d’indium (InP) [Aspar et al., 2001], le nitrure de gallium (GaN) [Tauzin et al., 2005] ou le germanium (Ge) [Deguet et al., 2004]. Si le procédé de fabrication Smart Cut™ est aujourd’hui relativement bien maitrisé pour obtenir des substrats de SOI, certains mécanismes sous-jacents à la fracture du silicium restent encore à éclaircir.
Évolution thermique des défauts générés par l’implantation d’hydrogène
Au cours du recuit, l’agglomération des défauts hydrogénés se fait par des transformations successives à plusieurs échelles . Les dimensions des défauts observés sont caractéristiques de l’avancée du phénomène de fracture dans le matériau.
Avant recuit : dommage et complexes formés à la suite de l’implantation
L’implantation d’hydrogène à température ambiante génère trois types de défauts ponctuels : les lacunes, les interstitiels de silicium et les atomes d’hydrogène. Ces défauts étant mobiles à la température ambiante, ils peuvent s’associer et former des complexes multi-lacunaires (Vn), multiinterstitiels (In), à base d’hydrogène (Hm), mais aussi des complexes VnHm et InHm. En plus de ces complexes, la rencontre d’un interstitiel avec une lacune (I+V) conduit à l’annihilation de ces deux défauts.
Aucune technique expérimentale ne permet de mesurer les concentrations respectives de ces complexes. De plus, la seule existence des complexes Vn et In n’a pas pu être mise en évidence. Toutefois, la présence des complexes hydrogénés (VnHm, InHm et H2) peut être détectée à l’aide de techniques de spectroscopie optique de type Raman ou infra-rouge (FTIR) [Daix, 2009; Personnic, 2008]. Ces techniques reposent sur l’identification des modes de vibration des liaisons Si-H excitées par une onde électromagnétique [Bech Nielsen et al., 1996; Lavrov et al., 2001; Weldon et al., 1997].
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Table des matières
Introduction générale
I. Fracture de films minces de silicium provoquée par l’implantation d’hydrogène
I.1 Intérêts technologiques de l’élaboration de Silicium-sur-Isolant
I.1.1 Architecture du Silicium-sur-Isolant
I.2 Description du procédé Smart Cut™
I.2.1 Principe général de la fabrication de SOI par Smart Cut™
I.2.2 Évolution thermique des défauts générés par l’implantation d’hydrogène
I.2.2.1 Avant recuit : dommage et complexes formés à la suite de l’implantation
I.2.2.2 Avant recuit : contrainte et déformation générées dans la couche implantée
I.2.2.3 Après recuit : platelets d’hydrogène
I.2.2.4 Après recuit : nano et micro-fissures
I.3 Bilan et objectifs
II. Déformation et contrainte engendrées par l’implantation d’hydrogène dans le silicium
II.1 Introduction
II.2 Théorie des milieux continus : déformation, contrainte et élasticité
II.2.1 Contrainte dans un matériau
II.2.2 Déformation dans un matériau
II.2.3 Relations d’élasticité dans un matériau homogène
II.2.4 Valeurs moyennes des constantes élastiques du silicium
II.3 Déformations et contraintes dans le silicium implanté par des ions hydrogène
II.3.1 Relations d’élasticité
II.3.2 Mesures des déformations générées par l’implantation d’hydrogène
II.3.3 Variations du coefficient de Poisson avec la concentration d’hydrogène
II.3.4 Contrainte générée par l’implantation d’hydrogène dans le silicium
II.4 Conclusion
III. Défauts ponctuels générés par l’implantation d’hydrogène à température ambiante
III.1 Introduction
III.2 Simulations Monte Carlo
III.2.1 Simulations par TRIM
III.2.2 Simulations avec « Sentaurus Process »
III.3 Détection expérimentale des défauts ponctuels dans le silicium
III.3.1 Boucles de dislocations comme détecteurs de défauts ponctuels
III.3.2 Couches « delta » de bore : estimation des concentrations d’interstitiels libres
III.4 Effet de la dose d’hydrogène
III.4.1 Procédure expérimentale
III.4.2 Observations TEM
III.4.3 Analyse statistique des défauts
III.5 Conclusion
IV. Modélisation de la précipitation de défauts ponctuels sous la forme de complexes
IV.1 Introduction
IV.2 Modèle de précipitation des défauts sous la forme de complexes AnBm
IV.2.1 Concentration locale des complexes en fonction des concentrations locales de défauts
IV.2.2 Concentrations locales et concentration moyenne
IV.3 Application à la formation de complexes hydrogénés
IV.3.1 Caractéristiques des complexes considérés
IV.3.2 Réactions de formation des complexes
IV.4 Ajustement du modèle à partir des mesures de déformations
IV.4.1 Déformations hors du plan et concentrations moyennes des complexes
IV.4.2 Hypothèses physiques pour l’ajustement du modèle
IV.4.3 Ajustement des paramètres
IV.4.4 Exploitation des résultats
IV.5 Conclusion
V. Energie libre d’un platelet d’hydrogène formé sous l’effet d’une contrainte
V.1 Introduction
V.2 Modélisation de la précipitation de l’hydrogène sous la forme de platelets
V.2.1 Taux de nucléation d’un platelet à partir d’un complexe précurseur
V.2.2 Caractéristiques des platelets d’hydrogène
V.2.3 Energie libre de Gibbs d’un platelet d’hydrogène
V.3 Mesures des occurrences des platelets
V.3.1 Protocole expérimental
V.3.2 Variants équivalents et non équivalents
V.3.3 Avant recuit : complexes précurseurs disponibles
V.3.4 Après recuit : occurrences des variants des platelets d’hydrogène
V.4 Détermination de l’énergie de Gibbs d’un platelet d’hydrogène
V.4.1 Contrainte compressive dans les plans parallèles à la surface
V.4.2 Calibration des paramètres intervenant dans l’énergie de Gibbs
V.4.3 Impact de la température de recuit
V.4.4 Discussion
V.4.5 Exploitation des résultats : énergétique des platelets d’hydrogène
V.4.6 Levée de la dégénérescence énergétique des platelets dans différentes plaques
V.5 Conclusion
Conclusion générale
Annexes