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Notion de norme linguistique
L’objectif de cette section est de comparer diverses approches étudiant la norme linguistique pour introduire notre propre définition. Notre définition réunit les normes d’usage et grammaticale systématiquement séparées dans les autres définitions proposées. Les réunir évite d’évaluer les variations linguistiques en se basant uniquement sur la notion de fautes grammaticales. La comparaison des travaux sur la norme linguistique met en lumière la difficulté pour la définir, et les enjeux socio-politiques liés à sa définition. Dans la section 2.1.1 suivante, nous montrons que les diverses définitions de la norme reposent sur deux choix : le choix des valeurs qu’une langue devrait incarner, le choix de l’entité légitime pour édicter la norme. Puis, nous exposons en section 2.1.2 comment certaines approches abordent la norme à travers la définition d’un français standard comme variété linguistique de référence.
Norme(s) linguistique(s)
Choisir une norme linguistique revient à choisir un ensemble de règles à suivre. Le contenu de ces règles diffèrent selon l’entité en charge de leur établissement et selon l’idée de ce que doit être la langue française. Par exemple, des plaidoyers comme Tirons la langue : plaidoyer contre le sexisme dans la langue française de (Borde 2018) ou Pour une langue sans sexisme de (Labrosse 2021) voient la langue française comme une langue sexiste avec des règles grammaticales telles que le genre masculin qui l’emporte sur le genre féminin au pluriel. Ils remettent en question la norme linguistique actuelle résultante d’une vision patriarcale de la société puisqu’établie par des grammairiens masculins. Cet exemple montre que le choix d’une norme linguistique équivaut à se positionner sur des questions socio-politiques. Illustrant différentes prises de position, plusieurs types de normes existent dans la littérature. Cette section détaille des typologies de normes, avant de présenter notre propre définition de la norme linguistique.
Types de norme linguistique De nombreux travaux étudient la norme linguistique, pour n’en citer qu’une infime partie : (Rey 1972 ; Prikhodkine 2011 ; Pöll et Schafroth 2010 ; Moreau 1999 ; Maurais 2008 ; Marcellesi 1976 ; Manessy 1994 ; Lafontaine 1986 ; etc.) Parmi eux, nous retenons trois études : celle de (Gadet 2007), celle de (Paveau et Rosier 2008) et celle de (Ledegen 2021). Nous les avons choisies car ces trois études proposent des typologies partageant des types communs de normes. Dans la première typologie, (Gadet 2007) oppose deux types de norme linguistique : la norme objective et la norme subjective. La norme objective renvoie à une contrainte issue d’un organisme officiel qui édicte les règles à suivre pour un bon usage de la langue. La norme subjective renvoie à une contrainte collective issue des jugements de valeurs sur les pra-tiques linguistiques d’une communauté de locuteurs. Elle a pour effet de renforcer la cohésion sociale de cette communauté. La principale limite de cette proposition est la mise en opposition des deux normes. Isolées, elles ne peuvent pas conduire à une langue moderne et commune. La norme objective risque d’être toujours en retard par rapport aux usages réels de la langue, car longue à être établie. Prenons, par exemple, l’édition actuelle du dictionnaire de l’Académie française publiée en 2011. 11 années ont été néces-saires pour mettre à jour la 8e édition de 1935. La norme subjective, quant à elle, risque d’établir des règles linguistiques trop spécifiques à une communauté entravant la compré-hension entre locuteurs de communautés différentes. Il faudrait associer ces deux normes pour assurer un ensemble de règles communes à l’ensemble des locuteurs et adaptables aux nouveaux usages.
Dans (Ledegen 2021) l’auteur reprend ces types de normes en les intégrant dans une typologie plus nuancée qui en distingue cinq au total. Elle montre graduellement comment la norme peut être un outil de description ou de prescription :
La norme objective, qui désigne les habitudes linguistiques partagées au sein d’une communauté.
La norme descriptive, qui explicite les normes objectives définies ci-dessus.
La norme prescriptive, qui donne un ensemble de normes objectives comme le modèle à suivre.
La norme subjective, qui concerne les attitudes et représentations linguistiques, et attachent aux formes des valeurs esthétiques, affectives, ou morales : élégant vs. vulgaire, chaleureux vs. prétentieux. . .
La norme fantasmée, qui est « un ensemble abstrait et inaccessible de prescriptions et d’interdits que personne ne saurait incarner et pour lequel tout le monde est en défaut » (Baggioni et Moreau 1997 dans Ledegen 2021).
La limite de cette typologie est qu’elle n’envisage pas la norme descriptive comme im-posant des règles à suivre. Or, les locuteurs d’une même communauté suivent ces règles implicites pour pouvoir être compris. La norme descriptive a donc une action prescriptive au même titre que la norme prescriptive. Dans la dernière typologie, (Paveau et Rosier 2008) décrit des types de postures 4. Trois types de postures sont distingués :
La posture normative, qui est fondée sur le respect du bon usage tel qu’il est défini et conservé dans les grammaires et les dictionnaires, et tel qu’il s’exprime au sein de conseils et prescriptions pour parler une belle et bonne langue.
La posture puriste, qui se caractérise par une forte prégnance de valeurs esthétiques, politiques, pseudo-linguistiques et métaphoriques.
La posture scientifique, qui est revendiquée par la linguistique depuis Saussure, pour laquelle la norme légitime est celle, interne, des règles du système de la langue.
Trois types de normes se retrouvent dans toutes ces typologies : la norme prescrip-tive qui édicte des règles grammaticales de bon usage à suivre ; la norme subjective qui édicte des règles empreintes de valeurs idéologiques et esthétiques sur ce que devrait être la langue ; la norme objective qui dégage des règles à partir de l’usage de la langue. Par-tant de ce constat, nous avons travaillé sur une définition de la norme afin d’évaluer les variations linguistiques. Nous ne voulions pas baser la perception de la variation sur la no-tion de faute grammaticale, car cette dernière est insuffisante pour l’analyse des registres. Si le repère pour évaluer les variations linguistiques était la norme grammaticale, alors comment différencier les registres courant et soutenu la suivant tous les deux ? Une forme correcte grammaticalement mais inadaptée à la situation de communication peut-elle être perçue comme du registre soutenu ? Imaginons l’utilisation de la formulation « Je vous prie d’agréer, Messieurs, l’expression de mes sentiments respectueux » pour saluer une foule après un discours politique. La formulation ne sera pas perçue comme complète-ment soutenue bien qu’elle respecte la norme grammaticale. En effet, son utilisation ne suit pas la norme d’usage qui la réserve aux échanges écrits. Le non respect de l’usage crée une impression d’erreur limitant la reconnaissance du registre soutenu. Cet exemple met en avant le besoin d’une norme d’usage complémentaire à la norme grammaticale pour l’analyse des registres de langue.
Notre définition de la norme Dans le cadre de notre travail, les enjeux politiques, voire idéologiques, sous-jacents à l’établissement d’un modèle linguistique ne sont pas pris en compte, car hors de nos objectifs. C’est pourquoi nous n’avons pas considéré la norme subjective. En revanche, nous pensons que la norme prescriptive est nécessaire pour assurer la compréhension entre locuteurs. Nous pensons également que la norme objective est importante pour permettre aux règles linguistiques de s’adapter aux nouveaux usages. Notre définition de la norme découle donc à la fois de la norme objective en se basant sur l’usage, et de la norme prescriptive en se basant sur la grammaire. La figure 2.1 explicite que l’usage dépend selon nous de trois variables : le genre (discours politiques, SMS, etc.), la situation de communication (milieu familial, milieu professionnel, etc.) et le support (oral, écrit sur papier, numérique, etc.). Différents usages émergent des règles linguistiques qui ne sont pas forcément formalisées et rédigées dans un document officiel tel qu’un dictionnaire, une convention ou bien une grammaire. À l’inverse, la norme grammaticale contient des règles entérinées et décrites par une institution à caractère officiel comme l’académie française. Suivant cette définition de la norme linguistique, nous décidons de considérer un texte comme pouvant appartenir à trois registres distincts définis comme suit :
familier : lorsque la norme grammaticale et la norme d’usage ne sont pas suivies ;
courant : lorsqu’il se conforme partiellement à la norme grammaticale et d’usage ;
soutenu : lorsqu’il se conforme complètement à la norme grammaticale et d’usage.
Par exemple, les textes (6), (7) et (8) sont des tweets 5, respectivement, des registres familier, courant et soutenu.
Bosh il lui a fait un sal boulot à kaaris il lui a montré que maintenant y’a plus de petit et grand
Le tweet (6) est perçu comme familier. Il ne suit pas la norme d’usage dès lors qu’aucun
élément propre aux tweets, tels que les hashtags ou bien la mention d’un autre utilisateur,
n’est utilisé. Il ne suit pas non plus la norme grammaticale avec des fautes d’orthographe
comme l’utilisation de « y’a » pour « il y a ».
Un grand chelem sans Nadal Federer et Djoko, c’est comme une ligue des champions sans Messi et Ronaldo #USOpen2020
Si le tweet (7) est perçu comme courant, c’est parce qu’il respecte la norme d’usage avec l’utilisation d’un hashtag, sans respecter totalement la norme grammaticale avec la forme contracter de « cela est ».
[#LeSaviezVous] Le ministère a confirmé que les résultats de la C.L.A.S. élective qui s’est tenue le 4 mars 2020 sont valides. La responsable #UNSA Police Yvelines est la nouvelle vice-présidente de la CLAS78 ! url_path
Enfin, le tweet (8) est perçu comme soutenu, car il respecte les deux normes. La norme d’usage est suivie avec l’utilisation des hashtags pour référencer son contenu, ou bien l’insertion d’URL pour renvoyer à un contenu informatif complémentaire. La norme grammaticale est parfaitement respectée avec l’absence de fautes.
Variété linguistique de référence
Cette section montre comment certains travaux ont abordé la question de la norme linguistique à travers celle de la variété linguistique de référence. Ce que nous appelons la « variété linguistique de référence » renvoie au français choisi comme français modèle à suivre :
Selon une définition de R.-L. Wagner, une attitude normative « implique que l’on ait discerné des niveaux entre plusieurs manières de s’exprimer, hiérar-chisé ces niveaux et conféré à l’un d’eux la dignité de modèle » (Wagner et Quemada 1969 dans Authier et Meunier 1972). Tout comme dans la section précédente, le choix d’un modèle est accompagné de questions socio-politiques. Par exemple, les travaux de (Valdman 1982) remettent en question le choix d’un « français standard » renvoyant à une classe sociale bourgeoise et parisienne :
Il devient de plus en plus malaisé de répondre à la question : quel français enseigner ? En effet, la reconnaissance de la primauté du français standard (FS), défini comme « le parler soutenu de la bourgeoisie cultivée de la région parisienne », ne fait plus l’unanimité, tant à l’intérieur qu’hors de l’hexagone. » (Valdman 1982)
Illustrant la difficulté de tomber sur un consensus sur ce que devrait être le modèle à suivre, de nombreuses appellations différentes co-existent. Parmi elles, citons le « français standard » (Valdman 1982 ; Beaufort, Roekhaut et Fairon 2008 ; Charaudeau et Maingueneau 2002 ; Guerin 2008 ; Durand et Lyche 1999 ; Rebourcet 2008) ; oubien le « français courant » (Bonnard 1981 ; Hellermann 1969 ; Glasco 2011 ; Rigat et Piccardo 2008), ou encore le « registre neutre » (Mercier, Verreault et Lavoie 2002 ; BERTOCCHINI et Costanzo 2010 ; Juan et Zhihong 2018). Ce principe de neutralité est repris par (Gadet 2007, p. 20) qui décrit le « français standard » comme une variété se voulant neutre : « il prétend à la neutralité devant les genres discursifs ».
Toutes ces terminologies renvoient à une sorte de français dit standard/courant/neutre/de base à partir duquel sont évaluées les variations linguistiques :
Le français « de base », est un seuil entre ce qui est formel et ce qui ne l’est pas. Il est associé à l’usage correct : une langue épurée de tout énoncé erroné. En somme, il correspond à une entité linguistique qui peut être aussi bien écrite qu’orale. Le bon français, c’est le français correct. » (Rebourcet 2008)
Une stratégie mise en place pour définir ce français standard est de l’appréhender de manière négative, par élimination de ce qu’il n’est pas : « Le français standard n’est pas le français régional mais n’est pas non plus le français oral, ni même le français populaire. » (Rebourcet 2008). Mis en perspective avec les registres de langue :
Le français standard devient le français incarnant la limite entre ce qui est oral et informel, et ce qui est plus formel, plus soutenu et littéraire. […] Il [le français standard] englobe, en quelques sortes, des caractéristiques qui ne permettent pas pragmatiquement de le définir mais qui le définissent plutôt en comparaison à d’autres réalités linguistiques. » (Ibid.).
Cette définition met en exergue l’intérêt de notre approche qui caractérise les registres de langue de manière comparative. Elle permettrait, par exemple, d’extraire les motifs lin- guistiques caractéristiques du registre courant renvoyant au français standard par rapport aux registres familier et soutenu. Nous voyons ici, comment notre approche pourrait être utilisée par des travaux en sociolinguistique ou linguistique. La section suivante dresse justement un panorama des travaux étudiant la variation linguistique.
Entre sociolinguistique et linguistique
L’étude de la variation linguistique relève de la sociolinguistique et linguistique. De nombreux travaux sociolinguistiques cherchent à comprendre pourquoi les formes linguis-tiques varient et quelles variables socio-économiques ou culturelles sont éventuellement liées à ces variations. Tandis que les études linguistiques cherchent à décrire comment les formes varient et à exposer les moyens linguistiques mobilisés pour les produire. Selon le domaine de l’étude et son aire linguistique (francophone ou bien anglophone), la variation linguistique est appelée « niveau de langue », « registre » ou bien « style ».
Le terme « niveau de langue » n’est employé que dans la littérature francophone et renvoie à des variétés linguistiques associées à une classe sociale (Stourdzé et Collet-Hassan 1969).
Le terme « registre » : dans la littérature francophone, renvoie aux variétés linguistiques mais sépare variations et classes sociales ;
dans la littérature anglophone, renvoie à des genres de textes et s’est imposé notamment grâce aux travaux de (D. Biber et Finegan 1990 ; D. Biber 1991 ; D. Biber 1994 ; etc).
Le terme « style » :
dans la littérature francophone, renvoie aux ressources linguistiques mobilisées par un locuteur particulier et se place dans le domaine de la « stylistique » introduite par (Bally 1909) ;
dans la littérature anglophone, renvoie à des variations linguistiques comme définies dans (Labov 1988) ; dès lors, leur analyse est sociolinguistique.
l’instar de ces définitions, nous parcourons dans cette section des études sociolinguis-tiques puis linguistiques, en différenciant les travaux anglophones et francophones.
En sociolinguistique
Cette section présente dans un premier lieu les travaux anglophones, puis les travaux francophones issus de la sociolinguistique.
Travaux sociolinguistiques anglophones
Les travaux fondateurs du sociolinguiste américain (Labov 1966) mettent en avant le lien entre la prononciation du /r/ et la classe sociale du locuteur de la ville de New York. Pour ce faire, il choisit 4 grands magasins qui visent 4 clientèles de classes sociales différentes. Dans tous ces magasins, le rayon de chaussures est au 4ème étage. Ainsi, lorsqu’il demande aux clients où se trouve l’étage pour les chaussures il note la prononciation du /r/ lorsqu’ils lui répondent « the fourth floor ». Une autre étude conduite en 1972 présentée dans (Labov 1972) sur le parler vernaculaire africano-américain met en lumière le fonctionnement linguistique de cette variété linguistique. Nous pouvons notamment citer le lien que cette étude met au jour entre les structures linguistiques choisies par le locuteur et la place que ce dernier occupe dans sa communauté. Citons également les travaux présentés dans (Wolfram 1969) qui fut l’un des premiers à étudier la variété de l’anglais américain à Détroit Michigan en 1969. Il montre une corrélation importante entre des variables phonologiques et grammaticales avec le statut social des locuteurs. Lorsqu’en 1974 l’étude présentée dans (P. Trudgill et al. 1974) applique la méthodologie proposée par (Labov 1966) en Angleterre, il montre à travers plusieurs variables phonologiques que leur prononciation est aussi liée au statut social du locuteur. Ce lien établi entre variables extra-linguistiques et productions linguistiques se retrouve dans les travaux de (Milroy 1986). Toutefois, il cherche à établir un lien entre des variations linguistiques et des communautés de locuteurs.
Ces variations linguistiques sont désignées avec le terme de « style » qui a été intro-duit dans la littérature scientifique anglophone par Labov. Il appelle style le degré de surveillance » du locuteur porté à son discours, selon la situation dans laquelle il est produit. La notion de surveillance a été présentée dans les travaux de (Labov 1972), elle peut être décrite comme la conscience linguistique du locuteur sur son propre discours au moment où il le produit. Le terme de style dans une acceptation labovienne est lar-gement repris dans la littérature scientifique anglo-saxonne. Parmi les travaux utilisant ce terme, nous pouvons mentionner les travaux présentés dans (Hymes 2013) qui pro-posent une liste de facteurs pouvant infléchir le style des locuteurs. Citons également les travaux présentés dans (Irvine 1985) qui étudient les styles en Amérique du Nord selon les différentes classes sociales. Les recherches introduites par (Khalid et P. Srinivasan
2020) analysent le style de différentes communautés en ligne 6 à travers l’étude de 262 traits linguistiques. Citons également les travaux présentés dans (Eckert 2003) qui ne se concentrent pas sur des communautés de locuteurs mais plus spécifiquement sur le style d’un locuteur. Ils observent le rôle du style comme outil de construction de la personnalité des locuteurs. Proche de cet angle d’analyse, (Auer 2008) regroupe différents articles sur le lien entre styles et constructions de l’identité. Les travaux de (Kiesling 2009) quant à eux cherchent à comprendre la construction de l’identité du locuteur lors de prise de posi-tion, il veut voir comment le style permet aux locuteurs de créer des prises de position et comment ces styles sont associés aux positions. Cette dimension psychologique des styles peut être illustrée par l’étude présentée dans (Taylor et Thomas 2008). Elle examine lors de prises d’otage, la relation entre la correspondance des styles linguistiques (entre négociateurs et preneurs d’otages) et le résultat de la négociation.
Travaux sociolinguistiques francophones
Dans la littérature francophone, la notion de variation linguistique se retrouve dans celle de « niveau de langue ». La notion de niveau de langue est une notion francophone qui vient de deux champs de recherches différents : la stylistique et la didactique des langues. D’une part, c’est autour de questions posées par la traduction que l’École de la Bibliothèque de stylistique comparée menée par (Malblanc 1944) fait émerger la no-tion de niveau de la langue dans les années cinquante. D’autre part, c’est en didactique que la notion est utilisée dans les années soixante par le mouvement de renouvellement pédagogique de la langue maternelle. Cette origine historique peut en partie expliquer l’im-portance des travaux traitant des niveaux de langue en traduction. Ces travaux montrent la complexité sociolinguistique des niveaux de langue en illustrant la difficulté à traduire ces variations linguistiques qui découlent de deux aires socioculturelles différentes. Pour n’en évoquer que quelques uns, nous pouvons citer les travaux présentés dans (Gallardo 2005) qui tentent d’utiliser un critère de fréquence afin de créer des tables d’expressions figées italien/français. Au même titre que dans le cadre du travail mené par F. Gadet, son travail différencie la variation géographique dite diatopique, et sociale dite diastratique. Le terme choisi dans ses travaux pour désigner la variation diastratique est celui de niveau de langue. Nous pouvons également mentionner le travail sur la traduction phraséologique présenté dans (Xatara 2002). Il met particulièrement en avant la difficulté de traduire les expressions idiomatiques 7 en respectant les niveaux de langue d’une langue source à une langue cible. Les travaux présentés dans (Chuquet et Paillard 1987) soulignent quant eux la difficulté de certaines transpositions français/anglais que posent les niveaux de langue. Ils exposent la nécessité de « retourner en amont du procédé de traduction afin d’examiner les principaux facteurs qui déclenchent son emploi ». Ils renvoient à des fac-teurs liés au contexte d’énonciation et au locuteur afin de comprendre et donc de traduire au mieux cette variation linguistique. Lors d’une étude sur le niveau familier dans les ro-mans québécois présentée dans (Demaizière 1989), les niveaux de langue sont montrés comme intrinsèquement liés au contexte d’énonciation. D’après cette étude, les niveaux de langue donnent des informations sur le locuteur telles que sa classe sociale, ses orienta-tions politiques, la zone géographique où il évolue ainsi que son histoire. Ces nombreuses informations en font un objet d’étude riche dont elle en souligne l’importance.
Les niveaux de langue comme indicateurs de la variété sociale se retrouvent aussi dans l’étude présentée dans (Gadet 1996). Cette étude décrit les niveaux de langue comme une variation diastratique, c’est-à-dire qu’elle renvoie à la diversité sociale des locuteurs. Par exemple, la partition de l’espace linguistique tirée de l’étude présentée dans (C. Demanuelli et J. Demanuelli 1991) va du registre populaire au registre soutenu, et révèle une certaine corrélation entre variation linguistique et classe sociale avec l’usage du terme « populaire ». Le terme niveau de langue est utilisé pour désigner :
Un ensemble de marqueurs soit au même niveau d’analyse soit à différents niveaux, convergeant dans une même direction, [qui] contribuera à imprimer à un texte un certain niveau de langue (populaire / courant / familier / sou-tenu). » (C. Demanuelli et J. Demanuelli 1991)
Ce lien entre variations linguistiques et classes sociales est étendu au « milieu du locuteur » dans l’étude présentée dans (Chuquet 1990), où les niveaux de langue sont définis comme :
différents types d’usage linguistique qui varient selon le milieu et la situation où se trouve le locuteur (milieu socioculturel, classe d’âge, milieu professionnel, etc.) » (Chuquet 1990)
L’étude de ce « milieu du locuteur » à travers sa perception des niveaux de langue se retrouve (Cajolet-Laganière et Martel 2011). Cette étude met en regard un travail linguistique qui liste des marqueurs linguistiques de différents niveaux de langue avec une étude sociolinguistique qui fait état de la perception des locuteurs de ces mar-queurs. Leurs travaux révèlent la force de l’association faite par (Cajolet-Laganière et Martel 2011) entre niveaux de langue et variables sociales. Cette double étude est également intéressante pour la mise en exergue de l’hypothèse faite par les chercheurs sur la capacité qu’auraient tous les locuteurs de percevoir les niveaux de langue. Cette faculté, qui serait innée, est exprimée dans l’étude présentée dans (Authier et Meunier 1972) où les auteurs parlent de « sentiment de niveaux de langue » : « une échelle relative, cor-respondant à une intuition nette qu’il y a des niveaux ou registres divers s’opposant dans la langue ». L’idée que les niveaux de langue soient une « capacité langagière » des locu-teurs est reprise dans les travaux de (Fuchs 2021a) qui différencient niveau de langue et registre de langue. Ainsi, pour cette étude, le niveau de langue renvoie à différents moyens de s’exprimer pour les locuteurs ; tandis que le registre de langue renvoie au discours pro-duit : « On appelle « registres de langue » les usages que font les locuteurs des différents « niveaux de langue disponibles », en fonction des situations de communication. » (Fuchs 2021a).
En linguistique
Les travaux sociolinguistiques précédemment présentés étudient la variation linguis-tique en considérant des critères tels que la classe sociale du locuteur, ou bien sa commu-nauté culturelle. À l’inverse, sous l’angle de la linguistique, les travaux tendent à décrire de quelle manière les formes varient. Cette section en présente un panorama, à nouveau dans la littérature anglophone, puis francophone.
Travaux linguistiques anglophones
En linguistique, la variation linguistique est appelée register dans la littérature scien-tifique anglophone. Citons par exemple, les travaux présentés dans (Ferguson 1982) qui définissent les registres de langue comme une variation « dans laquelle la structure lin-guistique varie en fonction des occasions d’utilisation ». L’étude de (Ure 1982) précise les occasions d’utilisation » et parle d’activités humaines dont les registres de langue seraient les produits : « chaque communauté linguistique a son propre système de registres[…] cor-respondant à l’éventail des activités que ses membres exercent normalement ».
En linguistique de corpus, le terme registres de langue s’est notamment imposé à tra-vers les travaux de Douglas Biber (D. Biber 1991 ; D. Biber 1994 ; D. Biber 1995 ; S. Biber D. e. C. 2001 ; D. Biber 2012 ; D. Biber et Egbert 2018 ; D. Biber et Conrad 2019). Dans ses travaux, Biber définit un registre comme « une variété linguistique as-sociée à une situation particulière d’utilisation (en comprenant des buts particuliers de communication) » (D. Biber et Conrad 2019). L’importance du contexte déjà évoquée dans les définitions de (Ferguson 1982 ; Ure 1982) est retrouvée dans celle donnée par Biber. En effet, pour (D. Biber et Conrad 2019), le registre est une perspective d’ana-lyse prise parmi trois possibles : le registre, le genre et le style. Elles se différencient entre elles autour de quatre axes principaux : (1) les textes pris en compte, (2) les types de traits linguistiques choisis, (3) leurs distributions et (4) leurs interprétations (table 2.1).
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Table des matières
1 Introduction
1.1 Contexte d’étude
1.2 Problématique et objectifs de la thèse
1.3 Organisation du manuscrit
2 La variation linguistique
2.1 Notion de norme linguistique
2.1.1 Norme(s) linguistique(s)
2.1.2 Variété linguistique de référence
2.2 Entre sociolinguistique et linguistique
2.2.1 En sociolinguistique
2.2.2 En linguistique
2.3 Partitionnement de l’espace linguistique
2.3.1 Représentation de l’espace linguistique : entre modalités orale et écrite
2.3.2 Partitionnement de l’espace linguistique
2.4 Conclusion
3 Constitution de corpus
3.1 Contexte et motivations
3.2 Notre modèle d’apprentissage automatique
3.2.1 Approche générale du modèle
3.2.2 Enjeux et problématiques des étapes du modèle
3.3 Travaux préliminaires : corpus TREMoLo-Web
3.3.1 Corpus et sous-corpus
3.3.2 Description du processus d’apprentissage semi-supervisé
3.3.3 Validation de la technique d’apprentissage semi-supervisée
3.3.4 Exploration linguistique du corpus TREMoLo-Web
3.4 Corpus de référence pour les registres de langue français : TREMoLo-Tweets
3.4.1 Constitution du corpus TREMoLo-Tweets
3.4.2 Annotation manuelle de la graine
3.4.3 Étiquetage automatique du corpus TREMoLo-Tweets
3.4.4 Exploration linguistique du corpus TREMoLo-Tweets
3.5 Conclusion
4 La fouille de motifs comme outil automatique
4.1 Fouille de motifs ensemblistes
4.1.1 Cadre théorique
4.1.2 Algorithmes de fouille de motifs ensemblistes
4.1.3 Synthèse
4.2 Fouille de motifs séquentiels
4.2.1 Cadre théorique
4.2.2 Algorithme de fouille de motifs séquentiels
4.2.3 Synthèse
4.3 Application des techniques de fouille de motifs séquentiels à des données textuelles
4.3.1 Fouille de motifs séquentiels dans des données biomédicales
4.3.2 Fouille de motifs séquentiels à partir de textes
4.3.3 Synthèse
4.4 Conclusion
5 Fouille des ensembles de motifs séquentiels émergents caractéristiques des registres de langue
5.1 Chaîne de traitement complète pour la fouille de motifs séquentiels émergents
5.1.1 Vision globale de la chaîne de traitement
5.1.2 Enjeux et problématiques des étapes de la chaîne de traitement
5.2 Preuve de concept à partir de langages artificiels
5.2.1 Construction de la base de vérité et du corpus de langages artificiels
5.2.2 Fouille des motifs séquentiels émergents
5.3 Fouille de motifs séquentiels émergents à partir du corpus TREMoLo-Tweets
5.3.1 Transformation des tweets en séquences
5.3.2 Fouille des motifs séquentiels émergents
5.4 Conclusion
6 Constitution d’un sous-ensemble interprétable de motifs séquentiels émergents
6.1 Réduction de la redondance des motifs séquentiels émergents
6.1.1 Contexte et motivations
6.1.2 Partitionnement de l’ensemble des motifs séquentiels émergents
6.1.3 Synthèse
6.2 Réduction du nombre de motifs séquentiels émergents
6.2.1 Présentations des méthodes de sélections de motifs représentants
6.2.2 Résultats des sélections de motifs représentants
6.3 Évaluation des résultats expérimentaux
6.3.1 Évaluation automatique
6.3.2 Évaluation perceptuelle
6.4 Conclusion
7 Généralisation de notre chaîne de traitement 197
7.1 Introduction
7.2 Corpus TextToKids
7.3 Caractérisation des genres de textes à partir du corpus TextToKids
7.4 Constitution d’un sous-ensemble de résultats
7.5 Conclusion
8 Conclusion 209
8.1 Bilan de la thèse
8.2 Perspectives
8.2.1 Pistes d’approfondissements de notre travail
8.2.2 Pistes d’ouverture à d’autres questions de recherche et applications 213
9 Annexes 217
Bibliographie personnelle 227
Bibliographie 229
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