L’usinage à grande vitesse
L’Usinage à Grande Vitesse (UGV) est une opération d’enlèvement de matière à des vitesses de coupe élevées, pouvant aller jusqu’à 50 ms-1. Ce procédé s’est très vite développé : d’abord en Europe chez les moulistes, puis au Japon pour la fabrication de très petits outils, et finalement en Amérique du Nord, en particulier pour l’usinage d’alliages légers dans le domaine aéronautique. Aujourd’hui, il semble que l’usinage à grande vitesse tende à se généraliser, et devienne une pratique plus courante. Les principaux avantages de ce procédé sont un accroissement du taux d’enlèvement de matière et une réduction des efforts de coupe. Le comportement thermique du procédé est très favorable : une grande partie de la chaleur produite est évacuée dans le copeau, minimisant l’échauffement de la pièce et de l’outil. L’état de surface obtenu est alors, en général, de très bonne qualité. La quantité de lubrifiant utilisée peut aussi être fortement diminuée, ce qui amène à la fois une amélioration économique et écologique. Le succès de l’usinage à grande vitesse se traduit au final par des améliorations qualitatives et quantitatives de la production, et donc une augmentation importante de la productivité [Aug04, Def05, SIC09].
Etat de maîtrise du procédé
Cependant, l’UGV reste un procédé complexe. Il met en jeu des phénomènes physiques très localisés, dans des conditions extrêmes. Le copeau peut être amené à se segmenter, en raison de la formation de bandes de cisaillement adiabatiques (BCA), à l’intérieur desquelles les températures dépassent 1000°C et la vitesse de déformation 10⁷s⁻¹. Ces bandes, très localisées, ont une largeur de l’ordre du micron. Le comportement des métaux dans de telles conditions est aujourd’hui encore mal connu et imprévisible [Wrt02, Moa02, Lur08].
L’optimisation du procédé est souvent basée sur des connaissances empiriques, et nécessite de longues campagnes d’essais. Cela suffit à rebuter certains industriels, sachant que le temps nécessaire à la mise sur le marché d’un nouveau produit est souvent un facteur de réussite déterminant. De plus, l’expertise en ce domaine est encore plus longue à acquérir que pour de l’usinage traditionnel, et l’erreur est souvent sévèrement sanctionnée par de la casse ou un accident. Il est donc urgent d’améliorer la compréhension de l’UGV et des phénomènes mis en jeu, afin de pouvoir développer des modèles capables de les décrire. La simulation de ce procédé par des méthodes éléments finis permet d’accéder à des informations locales impossibles à observer expérimentalement. Elle pourrait raccourcir de manière importante les campagnes de mise en place d’une gamme d’usinage grâce à des pré-études numériques.
Les projets de la fondation CETIM : PGV 1 et PGV 2
C’est dans cette optique que la Fondation CETIM a financé un programme de recherche en deux parties, visant à mieux comprendre le comportement des métaux dans le cadre de procédés de mise en forme à grande vitesse : Procédés Grande Vitesse (PGV). La première partie, PGV 1, a débuté en 2004. Regroupant quatre laboratoires différents, elle traite de la modélisation analytique et numérique de la formation de bandes de cisaillement adiabatique. La seconde partie, PGV 2, a débuté en 2005. Elle regroupe quatre nouvelles études, et traite de la modélisation analytique et numérique de l’usinage à grande vitesse. Les buts fixés sont d’identifier la loi de comportement d’un acier 304L dans une plage de vitesses de déformation et de températures la plus étendue possible, d’étudier le comportement thermomécanique du contact entre un outil non revêtu et l’acier 304L, et de développer des logiciels de simulation performants capables de modéliser de manière la plus réaliste possible le procédé d’usinage en 2D et 3D, le tout avec des temps de calcul raisonnables.
Contenu de la thèse
Cette thèse s’inscrit dans le cadre du projet PGV 2, et a pour but de développer une formulation éléments finis capable de modéliser le procédé d’usinage à grande vitesse en pointe d’outil le plus efficacement possible. Le code doit être évolutif afin de pouvoir prendre en compte facilement tous les couplages multi-physiques désirés, même s’ils sont complexes et fortement non linéaires. Il doit être capable de gérer un grand nombre de degrés de liberté, afin d’obtenir une modélisation précise des phénomènes. Il doit pouvoir gérer des déformations extrêmes, notamment en ce qui concerne la séparation et la segmentation du copeau. Les temps de calcul obtenus doivent cependant être réduits au maximum, afin de pouvoir envisager des études d’optimisation reposant sur plusieurs dizaines de simulations. Ces contraintes nous ont poussés à nous orienter vers des méthodes de résolution semiexplicites et explicites. Elles peuvent en effet intégrer facilement des lois de comportement et des couplages complexes, et sont particulièrement efficaces dans le cadre de simulation de procédés à grande vitesse. Le travail que j’ai réalisé se divise en deux grandes parties. La première consiste à mettre en place une formulation de type explicite, et à la valider dans le cadre de procédés à grande vitesse. Deux approches ont été envisagées : une formulation semi-explicite avec des éléments tétraédriques vitesse pression à stabilisation bulle, et une formulation totalement explicite avec des éléments tétraédriques linéaires modifiés pour qu’elle ne soit pas sensible au locking volumique. L’étude de validation montre que la formulation explicite est beaucoup plus fiable et performante, et qu’elle semble parfaitement adaptée à la modélisation de procédés à grande vitesse. L’implémentation de la formulation a été réalisée à l’aide de la bibliothèque éléments finis CimLib, développée au CEMEF [Dig03-07]. Initialement prévue pour des applications implicites, elle permet cependant de récupérer de nombreux outils tels que le remailleur, le calcul de distance, l’écriture de fichier résultat, et nous donne la possibilité de programmer facilement des opérations sur des variables élémentaires et nodales en parallèle. La seconde partie du travail que j’ai réalisé consiste à adapter cette formulation explicite à la modélisation de l’usinage à grande vitesse, en deux et trois dimensions. Une résolution explicite du problème thermique est implémentée et couplée à la formulation mécanique. De plus, un algorithme d’adaptation de maillage est mis en place afin d’épauler le remailleur existant pour les simulations 3D. Ces développements permettent de modéliser avec une grande précision la formation de copeau, ainsi que l’apparition et la propagation de bandes de cisaillement adiabatique dans des cas de micro usinage à grande vitesse en deux et trois dimensions. Les simulations sont validées et évaluées par rapport à des résultats expérimentaux et numériques issus de la littérature.
La modélisation de l’usinage par éléments finis de 1970 à nos jours
Le procédé d’usinage peut être modélisé à plusieurs échelles. On peut d’abord étudier le comportement vibratoire de la machine outil en la considérant comme une structure déformable. On peut aussi modéliser la pièce et son bridage, afin d’optimiser ce dernier pour minimiser les défauts de forme. On peut enfin modéliser la coupe, c’est-à-dire se placer à la pointe de l’outil et étudier les phénomènes tels que la formation du copeau, les contraintes résiduelles sur la surface usinée, où encore l’usure de l’outil. C’est à cette échelle de modélisation que l’on s’intéresse dans cette thèse et dans cette étude bibliographique. Les premiers modèles de coupe en éléments finis datent du début des années 1970. Depuis, la recherche dans ce domaine est florissante. On peut se faire une idée du travail effectué en lisant la bibliographie exhaustive de Maekerle [Mae99, Mae03], catalogue de tous les articles traitant de modélisation de l’usinage de 1976 à 2002, et des articles de revue un peu plus ciblés et commentés [Vaz00, Kal01, Dor05]. Jusqu’à 1980, tous les modèles sont en formulation Eulérienne, en prenant des frontières fixes prédéfinies pour la pièce. C’est le régime permanent de l’usinage qui est étudié tel un flux stationnaire de matière autour de l’outil. Cela permet de déterminer les efforts de coupe et la répartition de température. Cependant, il n’est pas possible de modéliser le régime transitoire, de prédire la géométrie du copeau ou encore la qualité de la surface usinée. Ces modèles ne sont bien sûr pas applicables à la modélisation de l’UGV et à la segmentation du copeau, et ne seront donc pas étudiés dans ce rapport. Au début des années 1990 apparaissent les premiers modèles qui prennent en compte la formation et la segmentation du copeau, et dans la seconde partie des années 90 apparaissent les tous premiers modèles 3D. En formulation Eulérienne, Lagrangienne ou ALE, ils parviennent à modéliser le régime transitoire (Fig 2). En 2009, on ne compte qu’une douzaine de modèles éléments finis 2D publiés simulant la formation de copeaux segmentés, ainsi qu’une douzaine de modèles éléments finis publiés simulant la coupe en 3D. Parmi eux, les codes commerciaux AdvantEdge, Deform et Forge parviennent à modéliser la coupe 3D avec segmentation de copeau [Aur06, Tws06, Dor05, Del07-08].
Etendue de l’étude bibliographique
Aujourd’hui, des études bibliographiques précises et complètes ont déjà été publiées en ce qui concerne la modélisation de l’usinage traditionnel en 2D. De plus, la majorité des codes éléments finis dotés d’un remailleur correct parviennent à simuler ce procédé. Pour éviter les redondances, ce chapitre de thèse ne s’attarde donc pas sur la simulation 2D de l’usinage traditionnel. En revanche, les problématiques qui restent d’actualité telles que la modélisation 3D de l’usinage et la modélisation de la formation de copeaux segmentés seront étudiées en détail.
Il y a peu d’articles publiés dans le domaine précédemment délimité. Une douzaine de groupes de recherche ont produit la quasi-totalité des travaux. Tout d’abord, un grand pôle ouest-pacifique regroupe les travaux de la Japanese Society for Precision Engineering et ceux de l’université de Taiwan (Ueda, Hashemi, Obikawa, Lin). Ils ont développé des modèles pionniers, peu représentatifs de la réalité car les tailles de mailles sont trop importantes et les systèmes de séparation ou segmentation de copeau trop basiques. Depuis, en ce qui concerne les travaux académiques, le binôme Owen (Université de Swansea, Pays de Galles) et Vaz (université de Santa Catarina, Brésil), l’équipe de Bäker (Braunschweig, Allemagne), l’équipe de Fang et Zeng (Université de Tsinghua, Beijin), Pantalé (ENI de Tarbes), Barge (ENI de Saint Etienne), l’équipe de Saanouni (Université Technologique de Troyes) et Delalondre et Fourment (Cemef, MINES-ParisTech) ont apporté des améliorations intéressantes et parviennent à modéliser le procédé de manière relativement réaliste. Finalement, deux logiciels sont commercialisés spécialement pour des applications d’usinage : Advant’Edge, développé par Ortiz, Marusich et Molinari, ainsi que le logiciel de forgeage Deform, adapté à l’usinage grâce aux travaux de Ceretti (Université de Brescia, Italie) et Özel (Université de Cleveland, USA). Ceux-ci expliquent la multiplication d’études EF de l’usinage et l’usinage à grande vitesse publiées depuis 2005 environ, mais la majorité d’entre elles ne font qu’utiliser les logiciels sans réellement les enrichir au point de vue numérique.
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Table des matières
Introduction générale
1 Revue bibliographique
1.1 Introduction
1.1.1 La modélisation de l’usinage par éléments finis de 1970 à nos jours
1.1.2 Etendue de l’étude bibliographique
1.1.3 Plan de l’étude
1.2 Formulation des modèles numériques
1.2.1 Modélisation 2D et 3D
1.2.2 Formulations eulériennes, lagrangiennes et ALE
1.2.3 Intégration temporelle implicite et explicite
1.3 Modélisation de la séparation du copeau
1.3.1 Séparation de copeau sur une ligne de coupe prédéfinie
1.3.2 Séparation du copeau grâce à des modèles d’endommagement
1.3.3 Séparation de copeau par déformation plastique
1.3.4 Conclusion partielle
1.4 Segmentation du copeau
1.4.1 Du phénomène physique vers sa modélisation
1.4.2 Segmentation de copeau sans modèle d’endommagement
1.4.3 Segmentation de copeau avec modèles d’endommagement
1.4.4 Conclusion partielle
1.5 Conclusion
2 Formulation semi-explicite
2.1 Introduction
2.1.1 Contexte général
2.1.2 Etat de l’art
2.1.3 Travail effectué
2.2 Description de la formulation
2.2.1 Problème mécanique
2.2.2 Discrétisation temporelle semi-explicite
2.2.3 Problème faible continu
2.2.4 Discrétisation spatiale P1+ P1
2.2.5 Implémentation du système
2.2.6 Simplifications du problème
2.2.7 Stabilisation
2.2.8 Condensation locale et résolution du problème global
2.3 Gestion du contact
2.3.1 Présentation générale
2.3.2 Calcul de la distance et des normales nodales
2.3.3 Condition normale de contact nodal
2.3.4 Imposition du contact par pénalisation
2.4 Validation de la formulation semi-explicite sans contact
2.4.1 Présentation du cas test
2.4.2 Analyse de la formulation sans stabilisation temporelle
2.4.3 Analyse de la stabilisation temporelle
2.5 Validation de la formulation semi-explicite avec contact
2.5.1 Présentation du cas test
2.5.2 Analyse des résultats de la formulation avec contact
2.6 Pas de temps critique en semi-explicite viscoplastique
2.7 Conclusion
3 Formulation explicite
3.1 Introduction
3.1.1 Contexte général
3.1.2 Etat de l’art
3.1.3 Travail effectué
3.2 Présentation de la formulation
3.2.1 Problème mécanique
3.2.2 Discrétisation spatiale P1
3.2.3 Discrétisation temporelle explicite
3.2.4 Modification anti-locking volumique du tenseur des déformations
3.2.5 Calcul des contraintes élastiques ou inélastiques
3.2.6 Gestion de l’amortissement
3.2.7 Gestion du contact et des conditions limites de Dirichlet
3.3 Validation sur cas test élastique incompressible stationnaire
3.3.1 Présentation du cas test
3.3.2 Résultats
3.3.3 Analyse des résultats
3.4 Validation sur cas test dynamique élasto-plastique
3.4.1 Présentation du cas test
3.4.2 Résultats
3.4.3 Analyse des résultas
3.5 Mise à l’épreuve de l’algorithme de contact
3.5.1 Cas 1 : pénétration d’une boule indéformable dans un lopin cylindrique
3.5.2 Cas 2 : enfoncement d’un coin dans la face d’un lopin hexaédrique
3.5.3 Analyse des résultats de contact
3.6 Conclusion
4 Simulation d’usinage à grande vitesse en deux dimensions
4.1 Introduction
4.1.1 Contexte général
4.1.2 Etat de l’art
4.1.3 Travail effectué
4.2 Présentation du cas test d’usinage à grande vitesse 2D
4.2.1 Dimensions du cas test d’UGV
4.2.2 Loi de comportement thermomécanique
4.2.3 Conditions de contact et d’échange thermique
4.2.4 Outils numériques utilisés
4.3 Simulation de la formation du copeau
4.4 Formation d’une bande de cisaillement adiabatique
4.5 Dépendance à la taille de maille
4.6 Avantages numériques de notre formulation
4.7 Limites de la loi de comportement utilisée
4.8 Conclusion
Conclusion générale
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