Complexes quadratiques
Une forme quadratique classique est une forme bilinéaire symétrique définie sur un module classique et à valeurs dans l’anneau de base. Un aspect crucial de cette définition est le fait que le codomaine est inversible en tant que module. On peut généraliser directement cette notion en considérant des formes bilinéaires symétriques sur un dg-module, à valeurs dans l’anneau de base A vu comme Adg-module . On considérera plus généralement des formes quadratiques n-décalées, qui sont des formes bilinéaires symétriques à valeurs dans A[n]. C’est encore un dg-module inversible, d’inverse A[−n]. On pourrait considérer des formes à valeurs dans des dg-modules inversibles, ce qui nous ne feront pas par souci de simplicité. Pour « dériver »des notions classiques, on reprend la définition classique en l’appliquant à des objets dérivés. La subtilité vient du fait qu’un objet dérivé est toujours considéré « à homotopie près », il faut donc que nos constructions ne dépendent pas du modèle choisi pour représenter l’objet. Il faut donc prendre des définitions invariantes par homotopie. Les structures de catégories de modèles considérées nous permettent de donner de telles définitions, en appliquant les constructions classiques à des modèles cofibrants de nos objets. On verra en effet que le résultat obtenu est invariant par homotopie, du moins pour les constructions que nous considérons.
Comparaison avec la L-théorie classique
On montre l’équivalence de la définition classique et de la définition usuelle du premier groupe de L-théorie d’un anneau commutatif A. Ce groupe est également appelé groupe de Witt de l’anneau A. Dans le cadre classique, un A-module quadratique non dégénéré est la donnée d’un A-module classique M et d’une forme bilinéaire symétrique q induisant un isomorphisme M ≃ M∗ . Un lagrangien classique pour un module quadratique classique (M, q) est un sous-module L ⊂ M tel que q|L = 0 et q induit un isomorphisme L ≃ (M/L) ∗ (où M/L est bien le quotient classique de modules). Un module quadratique qui admet un lagrangien classique est dit « métabolique ». Les modules quadratiques non dégénérés (respectivement métaboliques) forment un monoïde abélien pour la somme directe orthogonale. Le contexte dérivé diffère essentiellement en ce qu’il considère des complexes et non seulement des modules concentrés en degré 0, et la notion de lagrangien est plus vaste car il n’y a pas de condition d’injectivité sur le morphisme L → M.
Champs quadratiques et lagrangiens
Jusqu’à présent, on a travaillé sur des anneaux dérivés. Les constructions précédentes satisfont la descente étale et forment donc des champs. Nous définissons le champ des complexes quadratiques, puis le champ des lagrangiens dans un complexe quadratique donné. Après chaque définition, on explique en quoi elle correspond bien à l’espace des modules de la notion considérée, en vérifiant que sur des affines, on retrouve les définitions données précédemment. On calcule ensuite le complexe tangent, afin notamment de déterminer les points lisses. Par la suite, A désignera toujours une algèbre simpliciale commutative, et on fixe un entier n ∈ Z correspondant au décalage des formes. On utilisera la même notation pour un morphisme de Spec(A) vers un champ X, et pour un élément de X(A) (un 0-simplexe) correspondant à ce morphisme via le lemme de Yoneda
Propriétés de semi-inversibilité
On notera k[β±] := k[β, β−1]. Soit une dg-algèbre A sur k, on dit que c’est une algèbre d’Azumaya (dérivée) si c’est un complexe parfait et si le morphisme naturel A ⊗h k Aop → EndkA est une équivalence. Du point de vue de la théorie de Morita dérivée, où on considère les catégories dérivées des algèbres, Aop représente un inverse putatif pour A, et puisque EndkA est Morita-équivalente à k, unité du produit tensoriel, la condition Azumaya signifie que A est inversible pour le produit tensoriel d’algèbres au sens Morita. C’est un analogue pour les algèbres de la notion de dg-module inversible. Lorsqu’une forme quadratique classique est non dégénérée, son algèbre de Clifford est une algèbre d’Azumaya dérivée. Ici l’aspect dérivé se résume à la présence d’une Z/2Z-graduation. On peut le démontrer en considérant d’abord le cas d’une forme possédant un lagrangien. On définit un A − k[β±]−bimodule, appelé module des spineurs, qui établit une équivalence entre la catégorie dérivée de l’algèbre de Clifford et celle de k[β±], autrement dit l’algèbre de Clifford est alors Moritatriviale. Ensuite étant donnée un module quadratique non dégénéré (E, q), on peut considérer la somme de ce module quadratique avec son opposé (E ⊕ E, q⊥ − q). Cette somme possède un lagrangien via le morphisme diagonal E ∆−→ E ⊕ E, donc l’algèbre de Clifford de cette somme est Morita-triviale, et on constate que cette algèbre de Clifford est bien Cliff(E) ⊗k[β±] Cliff(E) op, ce qui prouve l’inversibilité de Cliff(E). Pour une forme quadratique définie sur un complexe non nécessairement concentré en degré 0, ce n’est plus nécessairement le cas. En effet, pour le complexe E = k[1]⊕k[−1] muni de la forme canonique identifiant E et E∗,l’algèbre de Clifford obtenue est (en oubliant les degrés et en prenant β = 1) k{x, y}/{xy−yx = 1}, qui est l’algèbre de Weyl. En particulier, cette algèbre n’est pas de dimension finie donc pas Azumaya. On va s’attacher dans la suite de cette section à montrer que ces algèbres de Clifford vérifient néanmoins une propriété similaire : on les appelera semi-Azumaya.
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Table des matières
1 Formes quadratiques décalées
1.1 Complexes quadratiques
1.1.1 Le foncteur Sym2A
1.1.2 Formes quadratiques décalées
1.2 Lagrangiens
1.2.1 Définitions
1.2.2 Formes standards
1.2.3 Lagrangiens bornés inférieurement
1.2.4 Existence de lagrangiens lisses
2 L-théorie dérivée
2.1 La relation de cobordisme lagrangien
2.2 Groupes de L-théorie
2.3 Chirurgie
2.3.1 Définition
2.4 Chirurgie sous le degré moitié
2.5 Comparaison avec la L-théorie classique
3 Champs quadratiques et lagrangiens
3.1 Le champ des complexes parfaits
3.1.1 Définition
3.2 Le champ des morphismes de complexes parfaits
3.2.1 Définition
3.2.2 Complexes et morphismes tangents
3.3 Le champ des complexes quadratiques n-décalés
3.3.1 Complexe tangent
3.4 Le champ des sous-complexes
3.4.1 Complexe tangent relatif
3.5 Le champ des sous-complexes isotropes
3.5.1 Le morphisme de restriction de la forme à un sous-complexe
3.5.2 Le morphisme tangent au morphisme de restriction
3.5.3 Définition du champ des sous-complexes isotropes
3.5.4 Complexe tangent relatif
3.6 Le champ des sous-complexes lagrangiens
3.6.1 Le complexe tangent relatif du champ des lagrangiens
3.7 Application à la rigidité
4 Algèbres de Clifford décalées
4.1 Rappels sur les En-algèbres et les n-Lie algèbres
4.1.1 Opérades et formalité
4.1.2 Algèbres enveloppantes
4.2 La dg-algèbre de Lie de Heisenberg d’une forme antisymétrique
4.3 La E−n+1-algèbre de Clifford d’une forme quadratique n-décalée
4.4 Propriétés de semi-inversibilité
4.4.1 Le module des spineurs S
4.4.2 Structure de l’algèbre de Clifford d’une forme quadratique standard 0-décalée
4.4.3 Structure des modules S et S*
4.4.4 Semi-equivalence Morita
4.4.5 Propriété semi-Azumaya des algèbres de Clifford dérivées
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