Le paludisme est une érythrocytopathie fébrile due à un hématozoaire du genre Plasmodium et transmise par la piqûre infestante d’un vecteur hématophage, l’anophèle femelle. C’est la plus fréquente des maladies parasitaires dans le monde. Selon l’Organisation Mondiale de la Santé, en 2015, 214 millions de cas de paludisme ont été enregistrés et ont été à l’origine de 438 000 décès [49]. Cette affection se concentre dans les zones tropicales, notamment en Afrique Subsaharienne où la quasi-totalité des cas de paludisme grave est dû à l’espèce Plasmodium falciparum [28 ; 43]. Parmi les cinq espèces pathogènes chez l’homme, Plasmodium falciparum est celle qui est responsable du paludisme grave. Cependant ces dernières années, plusieurs séries de paludisme grave à P.vivax, P.malariae, P.knowlesi, non différenciable cliniquement d’un accès grave à P.falciparum, ont été rapportées .
De grand progrès dans la lutte contre cette endémie ont été noté depuis 2000 : la cible de l’Objectif de Développement Durable (ODD 6C) visant « à avoir maitrisé le paludisme d’ici à 2015 et commencer à inverser la tendance actuelle » a été atteinte selon le dernier rapport de l’OMS qui a démontré une baisse de 37 % des cas de paludisme et la mortalité associée de 60 %. De plus, pour la première fois de son histoire, la région Europe de l’OMS n’a signalé aucun cas de paludisme indigène [49]. Au Sénégal, l’épidémiologie du paludisme a beaucoup changé avec l’avènement des tests de diagnostic rapide (TDR) et des Combinaisons Thérapeutiques à base de dérivés d’Artémisinine (CTA). Malgré ces bons résultats observés, le Sénégal est toujours classé parmi les pays de l’Afrique Sub-saharienne où le paludisme est endémique avec une transmission saisonnière essentiellement en période d’hivernage et demeure un problème majeur de santé publique. La létalité reste encore élevée en milieu hospitalier, variant de 9 à 14 % et touchant aussi bien les adultes que les enfants [12].
DEFINITION DU PALUDISME GRAVE
Le paludisme grave se définit par la présence de formes asexuées de Plasmodium falciparum à l’examen sanguin associé à au moins un critère de gravité clinique ou biologique revisité par l’OMS en 2015.
HISTORIQUE
Le paludisme est une maladie très ancienne. En 3000 avant JC les Egyptiens en souffraient et en mourraient déjà. Cette certitude est issue de la découverte de Plasmodies dans des momies. A peu près à la même époque, des cas d’accès de palustre sont décrits en Chine. Il faudra attendre l’année 1630 pour voir apparaître le premier traitement à base d’écorce de Quinquina découvert par Don Francisco Lopez. Deux siècles seront encore nécessaires pour que les pharmaciens J. Pelletier et J.B. Caventou parviennent à isoler l’agent actif : la quinine. A partir de cette époque, les recherches s’accélèrent et l’agent pathogène est découvert par Alphonse Laveran en 1880. Il a fallu attendre 1897 pour que Welch découvre l’espèce Plasmodium falciparum et en 1922, les quatre Plasmodiums infectant l’homme sont enfin tous décrits : P. falciparum, P. malariae, P. vivax et P. ovale.
Il faudra alors près de 60 ans pour comprendre entièrement le cycle parasitaire et ses caractéristiques. La chloroquine et l’amodiaquine, deux antipaludiques de synthèse très utilisés, font leur apparition en 1944. Malheureusement, dès 1960, des souches de P. falciparum résistantes à la chloroquine sont découvertes sur deux continents (Asie et Amérique du Sud). En 1976, la science progresse grâce à W. Trager et J.B. Jensen qui mettent au point la culture in vitro de P. falciparum. Cette importante avancée ouvre la voie aux approches moléculaires et immunologiques [32]. Le « qing hao su » appelé Artémisinine en Occident est extrait à faible température dans un milieu neutre de plantes de qing hao séchées ou « doux bois de vers » qui est connu pour ses vertus antipyrétiques depuis plus de 1500 ans. Contrairement à la plupart des antipaludiques conventionnels (quinine, méfloquine, pyriméthamine), les dérivés de l’artémisinine (dihydroartémisinine [DHA] ou arténimol, artémether, artésunate [acide artésunique], artélinate, artémotil) ont une action sur presque tous les parasites intra-érythrocytaires, des stades asexués précoces (stade anneau) aux stades tardifs (vieux trophozoïtes et schizontes responsables de la cytoadhérence) et aux formes sexuées (gamétocytes) immatures. Cette classe réduit la parasitémie d’un facteur 10 000 à chaque cycle parasitaire.
En 2010, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a clairement positionné l’artésunate intraveineux (IV) comme le traitement de première intention des formes graves de paludisme chez l’adulte et chez l’enfant [29]. Depuis mai 2011, l’artésunate IV est mis à la disposition des cliniciens hospitaliers en France dans le cadre d’une autorisation temporaire d’utilisation nominative (ATU) et au Sénégal cette recommandation a débuté depuis Décembre 2015.
EPIDEMIOLOGIE DU PALUDISME
Dans le monde
L’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) a estimé qu’en 2015 environ 214 millions de cas de paludisme avec 438.000 décès soit une létalité de 0.2%. Le paludisme n’est plus la première cause de mortalité en Afrique subsaharienne. Entre 2000 et 2015, la baisse du nombre de cas de paludisme dans le monde est estimé à 18%, la mortalité associée a quant à elle diminué de 48%. La plupart des cas de paludisme et des décès associés sont estimés dans la région Afrique loin devant la région Asie du Sud-Est. Chez les enfants de moins de cinq ans, les décès sont passés de 723.000 en 2000 à 306.000 en 2015 ; la baisse des décès dû au paludisme a fortement contribué aux progrès par rapport à la cible 4 des OMD, à savoir réduire de deux tiers le taux de mortalité des enfants de moins de cinq ans entre 1990 et 2015 [49]. Les interventions essentielles recommandées actuellement par l’OMS pour lutter contre le paludisme sont : l’utilisation de moustiquaires imprégnées à longue durée d’action d’insecticides (MILDA) et/ou les pulvérisations intra-domiciliaires d’insecticides à effet rémanent pour la lutte antivectorielle, ainsi que l’accès rapide aux test de diagnostic rapide en cas de suspicion du paludisme grâce aux TDR et le traitement précoce des accès palustres simples par les Combinaisons Thérapeutiques à base d’Artémisinine (CTA). Les interventions supplémentaires recommandées dans les zones de forte transmission pour certains groupes à haut risque sont le traitement préventif intermittent pendant la grossesse (TPIg) et la chimioprévention du paludisme saisonnier (CPS) qui consiste à administrer une combinaison de médicaments antipaludiques à dose thérapeutique durant la saison où le risque lié à la transmission du paludisme est le plus élevé chez les enfants de 3 à 59 mois. Ces mesures ont permis de diminuer de façon drastique la morbi-mortalité palustre. En effet, 1.2 milliards de cas de paludisme et 6.2 millions de décès associés ont été évités au niveau mondial entre 2001 et 2015 ; de plus aucun cas de paludisme indigène n’a été signalé dans la région Europe en 2015.
Au Sénégal
Au Sénégal, le paludisme est endémique tout au long de l’année avec un pic saisonnier de transmission durant les pluies. Toutefois ce fardeau a connu une régression significative de plus de 50% entre 2009 et 2015. En effet, la prévalence parasitaire est passée de 5.9% à 1,2% et la mortalité toutes causes confondues de 72‰ naissances vivantes à 33 ‰ naissances vivantes chez les moins de 5 ans entre 2008 et 2014. Les populations rurales étaient plus exposées à la maladie comparativement aux populations urbaines avec respectivement 1.9 % et 0.3 %. Cette prévalence présente des disparités car les zones du Sud (Ziguinchor, Tambacounda, Sédhiou, Kolda, Kédougou) ont des chiffres élévés allant jusqu’à 9.1%. Pour les régions du Centre (Diourbel, Kaolack, Fatick, Kaffrine ) elle est de 2.2 %. Ces résultats probants ont permis au Sénégal d’atteindre les objectifs de Roll Back Malaria (RBM) en 2015. Le nombre de cas de paludisme dans la population générale a diminué au Sénégal passant de 274 119 cas à 265 624 cas de 2011 à 2014. Cette même tendance est observée chez les enfants de moins de 5 ans et chez les femmes enceintes où le nombre de cas est passé respectivement de 46 930 cas à 41 807 et de 6 672 cas à 6 465. Cette baisse de l’incidence peut s’expliquer en outre par la mise en œuvre sur l’ensemble du territoire, de toutes les stratégies de contrôle du paludisme mais aussi par une meilleure connaissance de la maladie par les populations.
CYCLE EVOLUTIF
Le cycle de développement du Plasmodium comprend deux phases :
✔ La schizogonie ou cycle asexué qui se déroule chez l’homme
✔ La sporogonie ou cycle sexué qui se déroule chez l’anophèle femelle .
➤ Chez l’anophèle, les gamétocytes ingérés par le moustique lors d’un repas sanguin sur un sujet infecté, se transforment en gamètes mâles et femelles qui fusionnent en un œuf libre et mobile appelé ookinète. Cet ookinète quitte la lumière du tube digestif, se fixe ensuite à la paroi externe de l’estomac et se transforme en oocyste. Les cellules parasitaires se multiplient à l’intérieur de cet oocyste produisant des centaines de sporozoïtes qui migrent ensuite vers les glandes salivaires du moustique. Ces sporozoïtes sont les formes infectantes prêtes à être inoculées avec la salive du moustique lors d’un repas sanguin sur un hôte vertébré. La durée du développement sporogonique des Plasmodium varie en fonction des conditions climatiques (entre 9 et 20 jours pour P.Falciparum et entre 30°C et 20°C).
➤ Chez l’homme le cycle est lui-même divisé en deux phases :
– La phase hépatique ou pré-érythrocytaire, elle correspond à la phase d’incubation et débute après le passage dans la circulation sanguine et lymphatique des sporozoïtes inoculés par l’anophèle femelle. Beaucoup sont détruits par les macrophages mais certains parviennent à gagner les hépatocytes. Ils se transforment en schizontes pré-érythrocytaire ou « corps bleus » (formes multi nucléés) qui éclatent et libèrent des milliers de mérozoïtes dans le sang.
– La phase sanguine ou érythrocytaire, elle correspond à la phase clinique de la maladie et débute après la pénétration des mérozoïtes dans les globules rouges. La pénétration du mérozoïte dans l’érythrocyte et sa maturation en trophozoïte puis en schizonte prend 48 ou 72h en fonction de l’espèce et conduit à la destruction du globule rouge hôte et à la libération de 8 à 32 nouveaux mérozoïtes. Ces mérozoïtes pénètrent dans de nouveaux globules rouges et débutent un nouveau cycle de réplication qui correspond à la phase clinique : la parasitémie s’élève, le sujet devient fébrile, c’est l’accès palustre. Après plusieurs cycles érythrocytaires, la reproduction sexuée commence et des gamétocytes se forment et ne pourront évoluer que chez l’anophèle.
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Table des matières
INTRODUCTION
PREMIERE PARTIE
1. DEFINITION DU PALUDISME GRAVE
2. HISTORIQUE
3. EPIDEMIOLOGIE DU PALUDISME
3.1. Dans le monde
3.2. Au Sénégal
4. CYCLE EVOLUTIF
5. PHYSIOPATHOLOGIE DU PALUDISME GRAVE
5.1. Théorie mécanique
5.2. Théorie humorale
6. SIGNES
6.1.Type de description : Neuropaludisme chez l’adulte en zone d’endémie palustre
6.2. Formes cliniques du paludisme grave
7. DIAGNOSTIC
7.1. Diagnostic positif
7.2. Diagnostic différentiel
7.3.Diagnostic étiologique
8. TRAITEMENT
8.1. Traitement curatif
8.2. Traitement préventif
DEUXIEME PARTIE
1. Cadre d’étude
1.1.Description des lieux
1.2. Le personnel médical
1.3. Le personnel paramédical
2. MALADES ET METHODES
2.1. Type et période d’étude
2.2. La population d’étude
2.2.1. Critères d’inclusion
2.2.2. Critères de non inclusion
2.3. Recueil de données
2.4. Saisie et analyse des données
3. RESULTATS
3.1. Aspects épidémiologiques
3.1.1. Prévalence globale du paludisme grave
3.1.2. Aspects socio-démographiques
3.1.3. Antécédents
3.2. Aspects cliniques et paracliniques
3.2.1. Signes de gravité
3.2.2. Autres signes
3.3. Aspects thérapeutiques
3.4. Aspects évolutifs
4. DISCUSSION
4.1. Aspects épidémiologiques
4.2. Aspects cliniques
4.3. Aspects paracliniques
4.4. Aspects thérapeutiques et évolutifs
CONCLUSION ET RECOMMANDATIONS
BIBLIOGRAPHIE
ANNEXE