Former à l’évaluation critique de l’information

Former à l’évaluation critique de l’information

L’évaluation de l’information : définition et enjeux

L’évaluation de l’information

La définition de l’évaluation de l’information que propose le Wikinotions de l’ABDEN est la suivante : « L’évaluation de l’information consiste en l’attribution d’une valeur à l’information, avec des critères personnels de jugement. L’évaluation de l’information s’appuie sur un travail comparatif des sources, elle n’est pas la même selon chaque individu. » ( http://apden.org/wikinotions/index.php?title=Evaluation_de_l%27information ).

L’évaluation de l’information est un concept info-documentaire qui embrasse deux dimensions complémentaires : l’évaluation du contenu de l’information et l’évaluation de sa source. Elle est une étape fondamentale lors d’une activité de recherche d’information et nécessite un système de valeurs, de références qui permette d’opérer des choix et une sélection. Le modèle EST (Évaluation, Sélection, Traitement) de Jean-François Rouet et André Tricot donne un cadre théorique à cette phase d’évaluation et la replace dans ce processus de recherche d’information. La phase de sélection implique que le chercheur d’information va choisir une source plutôt qu’une autre lors de sa phase de lecture des sources disponibles et également en fonction de ses propres connaissances et représentations. L’évaluation de l’information possède donc deux dimensions : une dimension subjective liée aux connaissances individuelles et une dimension sociale liée aux pratiques de la communauté concernée.

Les notions info-documentaires associées : crédibilité, autorité, qualité et pertinence 

– La crédibilité
La crédibilité est ce qui inspire confiance, et est ainsi proche de la notion de croyance ou de foi. Le Trésor de la langue française informatisé (TLFI) la définit ainsi: « Caractère, qualité rendant quelque chose susceptible d’être cru ou digne de confiance ». Quatre types de crédibilité peuvent être distingués (Fogg et Tseng, 1999) : tout d’abord, la crédibilité présumée qui s’appuie sur les représentations des individus vis-à-vis d’une source ou d’un énonciateur ; ensuite la crédibilité de surface, liée à l’apparence de la ressource (design, couverture, mise en page du site web). Il est également à prendre en compte la crédibilité réputée, liée à l’appartenance d’un auteur à une institution, à un média reconnu ou à sa notoriété. Et enfin, la crédibilité d’expérience, liée au jugement d’un individu sur l’expérience passée de la source, de l’auteur. Pour ces quatre types de crédibilité, Alexandre Serres dégage trois critères d’évaluation : la source (l’auteur), le média concerné et le message transmis.

– L’autorité
L’autorité désigne le processus par lequel un individu va donner ou non du crédit à une information en fonction de la confiance ou de sa confiance à l’égard de l’émetteur (Balle, 2006). Sur le web, la notion d’autorité tend à s’approcher de celle de « popularité», ce qui bouleverse le paradigme traditionnel de l’autorité tel que l’a formulé Hannah Arendt : « s’il faut vraiment définir l’autorité, alors ce doit être en l’opposant à la fois à la contrainte par force et à la persuasion par arguments ».

Alexandre Serres souligne que l’autorité peut être à tord confondue avec la popularité et la notoriété (le « pagerank », par exemple). L’autorité peut être « énonciative », c’est à dire émanant de l’auteur. Elle peut également être institutionnelle, émanant d’une institution ou d’un groupe reconnu comme ayant une légitimité pour s’exprimer sur un sujet. L’autorité peut également être en rapport avec le contenu ou bien le support de l’information.

– La qualité
La qualité peut être envisagée selon plusieurs entrées distinctes : l’entrée documentaire, l’entrée journalistique ou l’entrée informatique. Alexandre Serres souligne que ces trois entrées correspondent respectivement aux trois aspects de la notion d’information : l’informationdocumentation (information knowledge), l’information médiatique (info-news) et l’information comme donnée (information data). Dans ce dernier cas, une information peut être considérée de qualité quand elle satisfait le besoin de l’utilisateur ; on peut donc la rapprocher de la notion de pertinence.

Pour les journalistes, une information est réputée comme étant de qualité lorsqu’elle est recueillie et transmise dans un souci de vérité des faits, de respect de la diversité des opinions, dans l’intérêt du public et en privilégiant une « culture du doute » dans le traitement de l’information. D’un point de vue info-documentaire, Paul Otlet dans le Fundamenta de son Traité de documentation publié en 1934 propose une définition de la qualité de l’information qui embrasse plus largement les buts et la philosophie de la documentation :

« Les buts de la documentation organisée consistent à pouvoir offrir sur ordre de fait et de connaissance des informations documentées : 1° universelles quant à leur objet ; 2° sûres et vraies ; 3° complètes ; 4° rapides ; 5° à jour ; 6° faciles à obtenir ; 7° réunies d’avance et prêtes à être communiquées ; 8° mises à la disposition du plus grand nombre ».

Alexandre Serres, pour sa part, postule que la qualité d’une information est multifactorielle et que les critères mobilisés sont variables : une information de qualité doit être identifiée, sourcée, fiable, précise, exacte et complète, apportant de la nouveauté, accessible et actualisée (le degré de fraîcheur nécessaire étant liée au domaine, aux situations), ayant un impact ou un effet (utile, donc), bien structurée, bien présentée et correctement rédigée.

– La pertinence
La pertinence possède deux sens : celui d’adaptation, d’adéquation à un objet (du terme anglais relevance) et celui de justesse, d’à-propos comme un propos fondé, pertinent. Le Wikinotions de l’APDEN caractérise la pertinence ainsi : « La pertinence est un critère d’évaluation de l’information. Liée au besoin d’information, la pertinence établit des liens entre le sujet de recherche, la problématique traitée, les questions posées et les éléments de réponse trouvés lors d’une recherche d’information. ». En prenant appui sur les travaux en psychologie cognitive de Jean-François Rouet et Jérôme Dinet, Pascal Duplessis et Ivana Ballarani Santo soulignent deux conditions pour qu’une information soit considérée comme pertinente. Celle-ci doit être utile pour le chercheur d’information, en lui apportant de nouveaux éléments de connaissance et ainsi d’atteindre le but de sa recherche d’information. L’information doit également être utilisable par l’utilisateur et ne pas engager de sa part un coût cognitif excessif.  L’information, pour être pertinente, sera ainsi nécessairement liée au niveau cognitif de l’utilisateur. Le passage en revue de ces indicateurs d’évaluation de l’information nous permet de garder ces repères fondamentaux en tête, comme grille de lecture des pratiques informationnelles des jeunes.

Les pratiques informationnelles des jeunes 

Internet est le moyen privilégié d’accès à l’information des jeunes, souvent par l’utilisation d’un moteur de recherche généralement Google. En juin 2014, 68% des 12-17 ans se sont connectés à internet via un téléphone mobile et ont majoritairement pratiqué les réseaux sociaux.

Sophie Jehel, maîtresse de conférences à l’université de Paris 8 (Laboratoire CEMTI– Centre d’étude sur les médias, les technologies et l’internationalisation) s’est plus particulièrement intéressée aux modes d’information des adolescents issus de milieux populaires. Son analyse publiée dans la revue Diversité s’appuie sur une enquête réalisée en 2016 par les CEMEA qui repose sur 5095 questionnaires au niveau seconde ainsi que des entretiens qualitatifs. 56% des enquêtés sont en seconde professionnelle ou en première année d’apprentissage. Il apparaît que l’utilisation de réseaux sociaux, notamment Facebook, YouTube ou bien encore Snapchat, est partagé par l’ensemble de la tranche d’age des 12-17 ans. Les fils d’actualité Facebook semblent être les principaux fournisseurs d’information des élèves, ce qui n’est pas sans poser des questions quant au fonctionnement et à la hiérarchisation des informations ; il est difficile pour les adolescents de remettre de l’ordre dans ce « chaos d’informations » où toutes les informations, sérieuses ou fantaisistes, peuvent se côtoyer. L’absence de connaissances quant aux médias traditionnels d’information peut expliquer en partie les difficultés d’évaluation de l’information sur ces réseaux : les réseaux sociaux mettent surtout en exergue la multiplicité des relations « sociales » et l’information est d’avantage liée au réseau d’amis qu’à un soucis de véracité. La sociabilité induite par les réseaux est le moteur des choix opérés par les jeunes, comme le démontre Sylvie Octobre dans son étude « Deux pouces et des neurones » publiée en 2014. L’utilisation de plateformes telle que Twitter est plus courante chez les élèves de lycée général et technologique que de lycée professionnel.

Les résultats de l’enquête PISA 2009 (Programme international pour le suivi des acquis des élèves) portant sur 470 000 élèves de 15 ans de 41 pays démontrent que peu de jeunes savent évaluer correctement l’information : seulement 8% d’entre eux sont capables d’analyser de façon critique l’information sur une thématique qui leur est peu familière. Cette même enquête souligne la corrélation entre les compétences en lecture « papier » et la lecture sur support numérique : les bons lecteurs sur support traditionnel le seront également sur support numérique. Avec la mutation numérique, les pratiques de lecture notamment sur support imprimé sont en recul : on dénombre ainsi 29% de non-lecteurs chez les 15-29 ans en 2008 contre 18% vingt ans auparavant. Pourtant, les activités de recherche informationnelle sur internet sont globalement marquées par une grande confiance des jeunes et un sentiment de sécurité, notamment lors de l’utilisation de moteurs de recherche comme Google. Pour autant, il existe des écarts non négligeables d’appropriation des outils informatiques et de connaissance de la logique du web entre les adolescents : écarts qui se creusent notamment dans la sphère privée. Comme le souligne Karine Aillerie , « trouver de l’information, les outils le font, mais il revient au sujet et à ses capacités individuelles de l’identifier comme telle. » En 2015, en France, selon le CREDOC, 80% des 12-17 ans, déclaraient utiliser leur smartphone pour naviguer sur internet. Ceci a des implications évidentes sur les pratiques de recherche d’information des élèves. L’utilisation du smartphone se fait souvent, comme le rappelle l’étude menée par l’INJEP en 2016, par défaut et remplace parfois l’ordinateur pour des raisons d’ordre économique. On peut aisément avancer que l’ergonomie du smartphone ne permet pas de faire une recherche approfondie, de même que ses conditions d’utilisation (utilisation saccadée entre deux tâches, « multitasking » : passage d’une activité à une autre sur le même support). Cette étude montre également que des liens sont à consolider entre l’information sur internet et les modes d’information physiques (papiers ou humains). Les pratiques sont effectivement très tournées vers l’usage d’internet, pour autant il est nécessaire de coupler ces pratiques avec une démarche physique et kinesthésique.

Évaluer l’information, un enjeu éducatif majeur

L’évaluation de l’information semble donc en enjeu citoyen majeur, particulièrement chez les jeunes dont les pratiques médiatiques tendent à se détourner des formes traditionnelles de savoir, dominées par la culture de l’imprimé. Alexandre Serres (Dans le labyrinthe) souligne que le numérique a introduit une confusion certaine quant à la nature même du document : en effet, à l’ère numérique, document (support d’information) et information tendent à se confondre. L’instabilité des ressources numériques invitent ainsi à repenser l’évaluation de l’information à l’aune de ces changements. De la même manière, les critères ergonomiques et graphiques de l’ensemble des supports numériques peuvent constituer un obstacle cognitif à cette évaluation.

Travailler avec les élèves sur l’évaluation de l’information nécessite de prendre en compte plusieurs aspects : informationnel, médiatique, esprit critique. De même les activités de publication facilitées par les possibilités de communication accrues du web social induisent une remise en question du statut de l’auteur, comme le montre Evelyne Broudoux sur la question de l’autoritativité 18, qu’elle définit ainsi : « L’autoritativité peut donc être définie comme une attitude consistant à produire et à rendre public des textes, à s’auto-éditer ou à publier sur le WWW, sans passer par l’assentiment d’institutions de référence référées à l’ordre imprimé. ». Le monde de l’imprimé est caractérisé par une évaluation en amont de la publication qui permet de poser un premier filtre sur le document et qui permet de lui assigner une valeur.

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Table des matières

Introduction
1 Former à l’évaluation critique de l’information
1.1 L’évaluation de l’information : définition et enjeux
1.1.1 L’évaluation de l’information
1.1.2 Les notions info-documentaires associées : crédibilité, autorité, qualité et pertinence
1.1.3 Les pratiques informationnelles des jeunes
1.1.4 Évaluer l’information, un enjeu éducatif majeur
1.2 L’éducation aux médias : faire pour apprendre, apprendre en faisant
1.2.1 Le cadre institutionnel
1.2.2 Les apports de la recherche en éducation aux médias
1.2.3 De la littératie médiatique à la translittératie
2 Une séquence pédagogique en classe de seconde : « réaliser un journal scolaire »
2.1 Le journal scolaire : une pédagogie de projet
2.2 Contexte de l’établissement
2.3 Objectifs pédagogiques et info-documentaires
2.4 Modalités et scénario pédagogique
3 Construire une didactique de l’évaluation de l’information
3.1 Une enquête sur les pratiques médiatiques des élèves
3.2 L’installation des compétences informationnelles des élèves
3.2.1 Trois temps principaux
3.2.2 L’autoévaluation par les élèves
3.2.3 Le partenariat entre les enseignants
Conclusion
Bibliographie
Annexe 1 : Séquence pédagogique
Annexe 2 : Résultats du questionnaire sur les pratiques médiatiques
Annexe 3 : Le questionnaire d’autoévaluation

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