Réseau de fissures
Un réseau de fissures consiste en tout ensemble de fissures au minimum bidirectionnelles dans le plan d’observation. En revanche, un ensemble de fissures parallèles peut être considéré comme une fissuration multiple. Les fissures, qu’il s’agisse d’un mur lézardé ou d’une assiette fendue, font partie de notre vie de tous les jours. La fissuration multiple et le faïençage se rencontrent aussi fréquemment, et différents phénomènes sont à l’origine de leur apparition. L’écaillage de la peinture, des fissures au fond d’une tasse de thé ou des réseaux de fissures dans une argile séchée sont quelques exemples habituels de réseaux de fissures liés (la tasse de thé, l’argile séchée) ou pas (la peinture écaillée) à la fatigue thermique. Dans l’industrie, les phénomènes de fissuration multiple ou faïençage sont en général associés à des problèmes de corrosion sous contrainte ou à des phénomènes d’origine thermique tels que le choc thermique ou la fatigue thermique. On peut également citer les chargements dynamiques qui peuvent engendrer des réseaux de fissures pour les matériaux fragiles (Denoual 1998). Dans la suite de ce paragraphe, on citera quelques cas industriels de faïençage thermique, et en particulier celui que l’on rencontre dans les centrales nucléaires.
La fissuration des outils de formage à chaud Les outils de coupe, les cylindres de laminoirs et les moules de fonderie sont différents composants de mise en forme de matériaux. Sous des sollicitations de service, ils présentent un endommagement caractérisé par des réseaux de faïençage. Ils subissent un choc chaud lorsqu’ils sont en contact avec la pièce à former, suivi d’un refroidissement plus ou moins rapide. Les cylindres de laminoirs sont soumis à un choc chaud au passage de chaque brame et sont refroidis par arrosage entre deux passages de brame. Il en est de même pour les moules de fonderie à chaque fois que le métal fondu est versé à l’intérieur.
La fissuration des disques de frein Les disques de frein dissipent de l’énergie cinétique sous forme de chaleur. L’énergie cinétique d’un train ou d’une voiture est diminuée par frottement des patins sur le disque et par échauffement des couples patin – disque. La nature répétitive des freinages crée un phénomène de fatigue thermomécanique. Pour les trains par exemple, lors de contrôles préventifs des bogies, les disques de frein font l’objet d’une observation visuelle et d’un ressuage, afin de détecter un éventuel endommagement des disques. Cet endommagement peut se manifester sous forme de fissures macroscopiques radiales. Ces fissures rendrent des disques affectés inutilisables car il y a risque d’éclatement en cas de freinage d’urgence par exemple. Certaines études sur ce sujet (Dufrénoy et al. 2001) montrent que toute la surface de frottement du disque présente des traces d’endommagement de type faïençage thermique avec des fissures circonférentielles peu profondes et des fissures radiales plus profondes.
Faïençage thermique dans les centrales nucléaires Des cas de faïençage thermique ont été mis en évidence lors d’examens de contrôle de certains composants de centrales nucléaires. Ces composants n’ayant pas été soumis aux mêmes conditions de sollicitations, différents phénomènes peuvent être à l’origine de cet endommagement. Dans le cadre de la présente étude on s’intéresse essentiellement au cas de réseaux de faïençage dans les circuits de RRA. Ce problème est devenu un sujet majeur de recherche pour Electricité de France en tant qu’exploitant des parcs nucléaires et pour l’autorité de sûreté nucléaire après l’accident de Civaux. Il s’agit d’une fissuration traversante de circuit qui a entraîné une fuite d’eau. Mais avant expliquer ce cas précis, citons quelques exemples historiques (Maillot 2003) :
• en juin 1988, une fuite de 1300 l/h dans un coude de la ligne d’injection de sécurité (RIS) de Tihange 1 en Belgique s’est produite après 100 000 heures de fonctionnement ;
• en décembre 1987, une fissure circonférentielle traversante sur une ligne d’injection de sécurité à Farely 2, aux Etats-Unis, a conduit à une fuite de 150 l/h ;
• en juin 1988, une fissure traversante sur une ligne de refroidissement à l’arrêt à Genkaï, au Japon, a causé une fuite de 50 l/h ;
• une fuite a été détectée après 31600 heures de fonctionnement sur un coude de la ligne RIS de Bugey 3 dans un acier 304. L’origine de la fuite était une fissure traversante accompagnée par un réseau de faïençage bidirectionnel. Incident de Civaux En mai 1998, une fissure traversante a été détectée dans le circuit RRA de Civaux 1 (réacteur de type N4 – 1400 MWe) lors d’un arrêt à chaud. La fissure détectée se situe en aval du té principal de la zone mélange. La configuration du circuit RRA (tuyauterie en acier inoxydable 304L) à l’époque où l’incident s’est produit, est représentée sur la figure (1-1). La figure (1-2) montre la zone de mélange ainsi qu’une répartition schématique de fissures de faïençage sur cette zone.
Mécanique de la rupture
La mécanique de la rupture propose une solution pour estimer la valeur des paramètres qui gouvernent la durée de vie des pièces fissurées. Depuis 50 ans, elle suscite un certain engouement, surtout dans les domaines de l’aéronautique, de l’automobile, de la marine et de l’industrie nucléaire. En effet, comprendre le comportement des fissures dans les structures soumises à des chargements complexes est souvent une question vitale. La fatigue au sens général du terme peut se traiter à l’aide de trois types de mécanique de la rupture : la mécanique microstructurale de la rupture (MMR), la mécanique non linéaire de la rupture (MNLR) et la mécanique linéaire de la rupture (MLR). Le choix du type de mécanique de la rupture dépend du type de fissure et du comportement du matériau (Miller 1993).
a Différents types de fissures :Il y a différentes échelles de taille de fissure au-dessous desquelles le taux de croissance peut dépendre de sa taille. Suresh et Ritchie (1984 ; 1991) proposent les définitions suivantes pour les fissures courtes :
• fissures microstructuralement courtes : la taille de fissure est comparable à la taille caractéristique de la microstructure, comme la taille de grain pour les matériaux monolithiques ;
• fissures mécaniquement courtes : la taille de la zone plastique est comparable avec la taille de fissure ;
• fissures physiquement courtes : la taille de fissure est supérieure à la taille des grains et à la taille de zone plastique mais ne dépasse pas un millimètre ;
• fissures chimiquement courtes : le comportement de la fissure peut être défini par une analyse basée sur la MLR mais elle présente certaines anomalies liées à la dépendance des effets de fatigue / corrosion à la taille de la fissure. La figure 2-2 montre la répartition de la taille des grains pour l’acier 304L étudié. D’après des expertises faites sur les sites endommagés, la taille moyenne des fissures observées varie entre 0,2 et 0,8 mm selon le site. La comparaison de la taille des fissures détectées et la taille des grains montre qu’a priori, on peut utiliser la MLR pour étudier la propagation des fissures déjà observées. D’autre part, chacun des mécanismes de rupture a ses propres caractéristiques. Ces caractéristiques peuvent être décrites :
• soit par un diagramme dit de Weiss (1995), dans lequel le rapport de l’amplitude des contraintes sur la contrainte ultime est exprimé en fonction de la taille de fissure ;
• soit en se référant au type de fissure existante (Miller 1997). La rupture par fatigue des matériaux dépend de la taille des fissures présentes dans un volume de matière. Les stades de propagation discutés précédemment peuvent être représentés graphiquement en montrant l’évolution de la vitesse de croissance de fissure (da/dN) en fonction de sa taille (a). Deux seuils de fatigue peuvent être distingués sur ce diagramme (figure 2- 3) : le seuil microstructural δ en MMR et la longueur seuil de la fissure ath.
Mécanisme de propagation de fissure lors d’une surcharge
En mécanique linéaire de la rupture, on considère que la pointe de fissure est entourée d’une zone plastique confinée c’est-à-dire suffisamment petite pour ne pas perturber l’avancée de la fissure. Lorsqu’on impose une surcharge ponctuelle, les déformations plastiques locales sont très accentuées et provoquent un retard de la fissuration (figure 2-6). Si l’on continue à solliciter la fissure avec la même amplitude qu’avant la surcharge, elle se propage avec un taux ralenti jusqu’à atteindre le bord de la zone plastique due à la surcharge. Dès que la fissure quitte cette zone, elle reprend sa vitesse de propagation initiale. Des petites surcharges n’ont généralement pas d’influence décelable sur la croissance des fissures de fatigue. Le phénomène de retard n’apparaît que pour une surcharge de niveau supérieur à un niveau seuil c’est-à-dire le plus bas niveau de surcharge auquel on constate un ralentissement significatif. Ce niveau de seuil est généralement environ 40 ou 60% de la surcharge relative à la contrainte maximale sans surcharge (Lindley 1997). Il existe plusieurs types de retard (Lindley 1997) :
• le retard simple (figure 2-7) ;
• le retard différé (retard ne survenant pas immédiatement après la surcharge) ;
• le retard perdu (retard suivi d’une accélération qui permet de revenir au taux de propagation initial) ;
• le blocage (arrêt total de la fissure).
Ces effets de retard très complexes à mesurer et surtout à modéliser dépendent du mode de variation d’amplitude : surcharges multiples, surcharge en traction suivie de surcharge en compression, passage d’un niveau haut à un niveau bas, chargement aléatoire. Différents modèles existent dans la littérature pour analyser ce phénomène. Il faut remarquer que ces études ont été menées à l’aide d’essais réalisés en contraintes imposées uniformes ce qui peut ne pas être le cas en fatigue thermique.
Modélisation du chargement réel
En réalité, la variation de température sur la peau interne des tubes n’est pas périodique. Pour faire des calculs de durée de vie, nous avons besoin de trouver des cycles de chargements qui représentent cette variation de température. Plusieurs méthodes existent dans la littérature pour transformer un chargement aléatoire en une suite de cycles de chargement. Les plus reconnues sont la méthode de comptage de transitions, la méthode de chargement par blocs programmés et le comptage de Rainflow (Murakami 1992). Actuellement des résultats des calculs thermohydrauliques sur une durée temporelle de huit secondes sont disponibles (figure 2-5). Ces calculs montrent que d’une part le chargement thermique des circuits RRA ne contient pas de surcharges isolées et d’autre part ce chargement n’est pas périodique. Cette caractéristique de chargement nous permet d’utiliser la même loi de propagation pour les cas de chargements à amplitude variable. Par contre, la durée de vie calculée de structure dépend de l’ordre d’application des blocs de cycles à cause de la non linéarité du cumul induite par la loi de propagation. En utilisant une des méthodes de détermination de cycles, on peut associer des cycles avec différentes amplitudes de températures calculées. Après avoir défini des cycles équivalents de chargement, différentes combinaisons de cycles, notamment des ordres croissant ou décroissant, devront être étudiées.
Calcul des facteurs d’intensité des contraintes pour une fissure axiale dans un tube infiniment long
De la même façon que dans le paragraphe 3.2.2 on peut calculer les valeurs des facteurs d’intensité des contraintes pour une fissure axiale dans un tube soumis aux variations de la température sur sa peau interne avec différentes fréquences. Ces facteurs correspondent à la contrainte σθθ définie par l’équation (3-41). La figure (3-6) présente des variations de valeurs de FIC en fonction de la profondeur de fissure pour différentes fréquences de chargement. Ces résultats montrent que ; La fréquence 1 Hz (et au-dessus de 1 Hz) : comme pour le cas de la plaque infinie, il y une chute de ΔK à environ 1 mm d’épaisseur et puis un palier à partir de 2mm. Les fréquences 0.3 à 1 Hz : il y une chute de ΔK plus ou moins importante selon la fréquence à environ 1 mm, et la valeur de ΔK ne dépasse quasiment pas celle pour la fissure de 1 mm de profondeur (on se limite au domaine de validité de méthode RCC-M, c’est-à-dire 80% de l’épaisseur). On obtient un minimum de ΔK vers la demi-épaisseur. Les fréquences en-dessous de 0.3 Hz, ΔK est croissant en fonction de la longueur de la fissure.
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Table des matières
Chapitre I Faïençage thermique des circuits de refroidissement du réacteur à l’arrêt (RRA)
1.1 Réseau de fissures
1.1.1 La fissuration des outils de formage à chaud
1.1.2 La fissuration des disques de frein
1.1.3 Faïençage thermique dans les centrales nucléaires
1.1.4 Etendue de l’endommagement par fatigue thermique
1.1.5 Le programme de recherche et développement
1.2 Objectifs du travail
1.3 Bibliographie du chapitre I
Chapitre II Fatigue à grand nombre de cycles (FGNC)
2.1 Croissance de fissures de fatigue
2.1.1 Mécanique de la rupture
2.1.2 Loi de propagation
2.1.3 Identification des coefficients de la loi de propagation
2.2 Chargement à amplitude variable et propagation des fissures
2.2.1 Rappel bibliographique
2.2.2 Modélisation du chargement réel
2.3 Distribution initiale des défauts
2.4 Bilan du chapitre II
2.5 Bibliographie du chapitre II
Chapitre III Chargement thermique
3.1 Distribution de température dans l’épaisseur d’un tube
3.2 Calcul des contraintes d’origine thermique
3.2.1 Champs de contraintes thermiques dans une plaque semi-infinie
3.2.2 Calcul des facteurs d’intensité des contraintes
3.2.3 Champs de contraintes dans l’épaisseur d’un tube long
3.2.4 Calcul des facteurs d’intensité des contraintes pour une fissure axiale dans un tube infiniment long
3.3 Bilan du chapitre III
3.4 Bibliographie du chapitre III
Chapitre IV Modélisation numérique de la propagation dans un réseau de fissures
4.1 Calcul du facteur d’intensité des contraintes dans un réseau de fissures
4.1.1 Méthodes semi-analytiques d’interaction des fissures
4.1.2 Les méthodes basées sur un calcul par éléments finis
4.2 Simulation numérique de la propagation et de l’effet d’écran dans un réseau de fissures en fatigue
4.2.1 Calcul des paramètres
4.2.2 Direction de propagation des fissures du faïençage
4.2.3 Calcul du rapport de charge
4.2.4 Stratégie de modélisation du problème de faïençage thermique en 2D
4.2.5 Validation des développements numériques
4.3 Chargement à amplitude aléatoire
4.4 Bilan du chapitre IV
4.5 Bibliographie du chapitre IV
Chapitre V Etude de la propagation en cas de fissuration multiple
5.1 Etudes paramétriques de propagation d’un réseau prédéfini dans l’épaisseur d’un tube
5.1.1 Modèle étudié
5.1.2 Effet de l’espacement initial entre les fissures
5.1.3 Effet de la fréquence du chargement
5.1.4 Coefficient d’échange thermique
5.2 Effet du choc thermique
5.2.1 Champ de contraintes dans un tube soumis à un choc thermique
5.2.2 Effet du choc thermique sur la formation et la propagation d’un réseau de fissures
5.3 Effet de la plasticité confinée sur le taux de croissance des fissures
5.4 Comparaison des modélisations plane et axisymétrique
5.5 Propagation 3D de fissures
5.5.1 Taux de restitution d’énergie et facteur d’intensité des contraintes
5.5.2 Critères d’initiation de la propagation des fissures planes en 3D
5.5.3 Propagation des fissures en utilisant le développement du front libre
5.5.4 La loi de propagation en fonction de G
5.5.5 Propagation de fissures tridimensionnelles décrite par deux paramètres
5.6 Une méthodologie de simulation de la propagation dans des réseaux 3D
5.6.1 Maillage par éléments finis d’un réseau de fissures 3D
5.6.2 Stratégie de propagation dans un réseau 3D de fissures
5.7 Bilan du chapitre V
5.8 Bibliographies du chapitre V
Chapitre VI Formation et propagation dans un réseau de fissures ; une approche probabiliste
6.1 Modélisation du mécanisme d’amorçage des fissures
6.2 Probabilité d’occultation
6.3 Adimensionnement
6.4 Propagation de fissures dans un réseau
6.5 Fissuration et endommagement
6.6 Germination continue de fissures
6.6.1 Formation de réseau de fissures
6.6.2 Probabilité d’occultation
6.6.3 Changement d’échelle
6.6.4 Modèle d’endommagement
6.7 Coalescence des mésofissures
6.8 Bilan du chapitre VI
6.9 Bibliographie du chapitre VI
Chapitre VII Conclusions générales et perspectives
7.1 Synthèse générale
7.2 Perspectives
7.2.1 Simulations 3D de la propagation de fissures
7.2.2 Implantation numérique du modèle probabiliste
7.2.3 Traitement de la fatigue à amplitude variable
7.3 Bibliographie du chapitre VII
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