Formation et structure des films passifs

La corrosion des mรฉtaux a probablement รฉtรฉ considรฉrรฉe comme nuisible ร  partir du moment oรน ses effets ont touchรฉ les grands navires du XVIIIe siรจcle. ร€ lโ€™รฉpoque, de nombreuses parties de la coque des bateaux รฉtaient recouvertes de cuivre, dont la toxicitรฉ limitait le dรฉveloppement dโ€™organismes marins. Cependant, ces plaques de cuivre se dรฉtรฉrioraient ร  grande vitesse dans lโ€™eau de mer et en atmosphรจre marine. En 1824, lโ€™รฉquipe constituรฉe des anglais H. Davy et M. Faraday dรฉcide dโ€™appliquer des plaques de zinc sur les piรจces en cuivre des bateaux. Ce fut la premiรจre application de la protection cathodique. Dรจs 1836, Faraday รฉnonce les principes de base de lโ€™รฉlectrolyse et relie entre autres la quantitรฉ dโ€™รฉlectricitรฉ traversant lโ€™รฉlectrolyte ร  la quantitรฉ de matiรจre dรฉcomposรฉe [1, 2]. Depuis, avec le dรฉveloppement industriel et lโ€™utilisation croissante du fer et des aciers, lโ€™oxydation de ces matรฉriaux a nรฉcessitรฉ la mise au point de nouveaux alliages toujours plus performants et rรฉsistants ร  la corrosion : les aciers inoxydables en font partie. Au cours des 40 derniรจres annรฉes, de nombreux scientifiques se sont mobilisรฉs [3โ€“6] pour รฉtudier, comprendre et limiter ces phรฉnomรจnes de corrosion, dont les enjeux sont รฉnormes. La corrosion concerne en effet toutes les branches des activitรฉs industrielles : les principales touchรฉes sont lโ€™industrie navale, lโ€™industrie aรฉrospatiale, le secteur nuclรฉaire, le transport, le bรขtiment et lโ€™industrie pรฉtrochimique.

La gestion des problรจmes de sรฉcuritรฉ gรฉnรฉrรฉs par la corrosion est donc primordiale : par exemple, les matรฉriaux constituant les รฉchangeurs thermiques des rรฉacteurs nuclรฉaires ร  eau pressurisรฉe utilisรฉs en France, essentiellement des aciers inoxydables, sont prรฉvus pour durer 40 ans. Quโ€™adviendrait-il si les centrales รฉtaient amenรฉes ร  fonctionner plus longtemps ? Les conteneurs de dรฉchets radioactifs sont mรฉtalliques et stockรฉs dans des puits en bรฉton. Quelles seraient les consรฉquences sur lโ€™environnement en cas de fissures de ces conteneurs ?

Formation et structure des films passifs

Lโ€™intรฉrรชt pour la passivitรฉ a commencรฉ il y a environ 150 ans avec les รฉtudes de Faraday [1] et Schรถnbein [2]. Lโ€™absence de corrosion mรฉtallique dans le cas de fer immergรฉ dans certaines solutions รฉtait attribuรฉe soit ร  la prรฉsence dโ€™un film dโ€™oxydes, soit ร  des modifications รฉlectroniques dans le mรฉtal. Cet argument a persistรฉ sous de nombreuses formes jusquโ€™ร  nos jours, bien que la majoritรฉ des expรฉriences scientifiques suggรจre une protection par un film dโ€™oxyde tridimensionnel.

Films dโ€™oxydes

Le mรฉcanisme par lequel un fin film dโ€™oxyde (quelques nm) se forme sur une surface mรฉtallique doit expliquer la transition dโ€™une couche dโ€™oxygรจne adsorbรฉe ร  deux dimensions ร  un film dโ€™oxyde tridimensionnel. A priori, ce procรฉdรฉ paraรฎt impossible ร  tempรฉrature ambiante car la croissance dโ€™un oxyde demande que les ions passent une barriรจre dโ€™รฉnergie dโ€™environ 1 eV pour rentrer ou sortir de lโ€™oxyde. Lโ€™รฉnergie thermique disponible ร  tempรฉrature ambiante est insuffisante pour passer cette barriรจre. Heureusement, dans leurs travaux, Cabrera et Mott [28] ont montrรฉ comment les รฉlectrons tunnel et un mรฉcanisme รฉlectrochimique peuvent expliquer ces phรฉnomรจnes. Leur modรจle repose sur la capacitรฉ dโ€™un รฉlectron tunnel ร  passer une barriรจre dโ€™รฉnergie sans activation thermique. Le passage 2D ร  3D se fait par croissance dโ€™รฎlots dโ€™oxyde ร  la surface du mรฉtal [29]. Une fois le film dโ€™oxyde formรฉ, les รฉlectrons qui tunnellent ร  travers la couche dโ€™oxyde sont capturรฉs par lโ€™oxygรจne adsorbรฉ en surface. La sรฉparation de charge crรฉe un champ รฉlectrique ร  travers la couche dโ€™oxyde entre la surface dโ€™oxyde et le mรฉtal. Pour que le film dโ€™oxyde sโ€™รฉpaississe, il faut un mouvement ionique ร  travers la surface. ร€ haute tempรฉrature, ce mouvement est possible par agitation thermique, mais ร  tempรฉrature ambiante ce nโ€™est plus le cas, et lโ€™effet tunnel ne se produit pas sur de grandes distances. Par contre, le champ รฉlectrique รฉtabli entre la surface et le mรฉtal permet dโ€™abaisser lโ€™รฉnergie dโ€™activation, autorisant alors lโ€™รฉpaississement du film. Le processus est auto-limitant : en effet, ร  tempรฉrature ambiante, le champ รฉlectrique diminue avec lโ€™รฉpaisseur du film dโ€™oxyde. Lโ€™entrรฉe des ions dans le film dโ€™oxyde croissant se produit ร  lโ€™interface mรฉtal/oxyde pour les cations et ร  lโ€™interface oxyde/gaz (ou solution) pour les anions. Davies et al. [30] a montrรฉ que lโ€™une des espรจces ou les deux peuvent รชtre mobiles dans un oxyde en phase dโ€™anodisation. Dans le cas dโ€™un mouvement de cations, les caractรฉristiques dโ€™orientation cristalline, les dรฉfauts et les impuretรฉs sont importants sur la cinรฉtique de formation de la couche dโ€™oxyde. Par contre, dans le cas dโ€™un mouvement dโ€™anions, les facteurs principaux sont la pression extรฉrieure et le taux dโ€™humiditรฉ (dans le cas dโ€™une formation contrรดlรฉe sous vide).

Les techniques utilisables pour รฉtudier la croissance de ces films dโ€™oxyde ou la structure de films dโ€™oxyde prรฉexistant sont de deux types. Celles reposant sur lโ€™analyse chimique en profondeur par dรฉcapage progressif par bombardement ionique et analyse simultanรฉe par XPS (spectroscopie de photo-รฉlectrons X), Auger ou spectroscopie de masse dโ€™ions secondaires (SIMS). Les autres, physiques, reposent sur lโ€™analyse cristallographique : le LEED (diffraction aux รฉlectrons de basse รฉnergie) ou le RHEED (diffraction dโ€™รฉlectrons de haute รฉnergie par rรฉflection) fournissent des informations sur les premiers stade de formation du film dโ€™oxyde. Ensuite, il faut faire appel au MET (microscope รฉlectronique en transmission) pour des analyses en coupe. Concernant les analyses topographiques en surface, le STM et lโ€™AFM (microscope ร  effet tunnel et microscope ร  force atomique respectivement) permettent dโ€™accรฉder in situ ร  la structure superficielle ร  lโ€™รฉchelle nanomรฉtrique ou atomique.

Les films dโ€™oxyde croissant sur des surfaces de Fe pur, Cr pur ou Ni pur ont รฉtรฉ largement รฉtudiรฉs par ces techniques. Les observations par diffraction รฉlรฉctronique et XPS de lโ€™oxyde formรฉ ร  basse tempรฉrature sur le fer ont dรฉmontrรฉ que lโ€™oxyde est un F e3O4 en รฉpitaxie avec le mรฉtal [31โ€“ 33]. Le fer peut avoir une valence de 2 ou 3 dans les oxydes. En revanche, le nickel a une valence unique et รฉgale ร  2 dans son oxyde. Le chrome, quant ร  lui, forme ร  basse tempรฉrature (infรฉrieure ร  300หšC) son oxyde Cr2O3 principalement par diffusion dโ€™oxygรจne [34]. Ces films dโ€™oxyde une fois formรฉs constituent une barriรจre de protection du mรฉtal vis ร  vis du milieu extรฉrieur, mรชme lorsquโ€™il est exposรฉ ร  des potentiels รฉlevรฉs (passivitรฉ anodique).

Films passifs

Bien quโ€™il soit communรฉment acceptรฉ que la passivitรฉ anodique des mรฉtaux comme le fer ou le nickel est associรฉe ร  la formation dโ€™un film tridimensionnel dโ€™oxydes recouvrant toute la surface et que la chute de la passivitรฉ est due ร  la disparition de ce film protecteur localement ou sur toute la surface, il existe encore de grandes controverses en ce qui concerne la nature, la composition et la structure de ces films passifs. En ce qui concerne la stabilitรฉ des films passifs, nous pouvons pour simplifier nous rรฉfรฉrer aux diagrammes de Pourbaix [3] qui donnent les domaines de stabilitรฉ des diverses espรจces dโ€™un mรฉtal en solution en fonction du pH et du potentiel appliquรฉ au mรฉtal. Ainsi on peut voir sur ces diagrammes que pour les pH acides (infรฉrieurs ร  4-5), quel que soit le potentiel appliquรฉ, le mรฉtal ne sera pas protรฉgรฉ par une couche dโ€™oxyde et donc se dissoudra continuellement. Par contre, lorsquโ€™on augmente le potentiel ร  pH suffisamment รฉlevรฉ (entre 5 et 8), on passe par le domaine de stabilitรฉ des oxydes, on forme donc un film passif. En traรงant une courbe intensitรฉ-potentiel , on sโ€™aperรงoit que le courant est nรฉgatif ร  bas potentiels (courant cathodique) puis sโ€™annule pour une valeur de potentiel (potentiel de corrosion libre ou Ecorr) puis la courbe forme un pic anodique (courant positif) qui correspond ร  la dissolution active du mรฉtal, puis ร  un potentiel donnรฉ (potentiel de passivation ou potentiel de Flade), le courant se stabilise ร  une faible valeur positive et devient indรฉpendant du potentiel, la couche passive sโ€™est formรฉe et cโ€™est elle qui rรฉgule le courant. Enfin, pour des potentiels plus รฉlevรฉs, il y a rupture du film passif et le courant augmente rapidement. On estime que le film passif nโ€™est pas statique au cours du temps : en effet, on considรจre quโ€™il se dissout progressivement ร  lโ€™interface oxyde/solution en mรชme temps quโ€™il se reforme ร  lโ€™interface mรฉtal/oxyde. Ainsi le domaine passif est atteint au moment oรน les cinรฉtiques de dissolution sont infรฉrieures ou รฉgales ร  celles de fabrication du film dโ€™oxyde.

Il a รฉtรฉ montrรฉ que la prรฉsence dโ€™ions Clโˆ’ dans la solution joue un grand rรดle dans la rupture de la passivitรฉ [35โ€“37], spรฉcialement si le film passif a รฉtรฉ construit dans une solution contenantdes ions chlorure [11, 12]. En effet, les scientifiques pensent que les ions chlorure sโ€™adsorbent en surface puis diffusent ร  travers le film passif et sโ€™accumulent ร  lโ€™interface mรฉtal/oxyde. Dโ€™une part, les ions Clโˆ’ remplacent les O2โˆ’ dans le rรฉseau (amorphe ou cristallin) de lโ€™oxyde et le fragilisent [10], et dโ€™autre part leur accumulation ร  lโ€™interface mรฉtal/oxyde peut se combiner, dans le cas du fer par exemple, ร  la formation de complexes type F eCl3 ร  lโ€™interface, ce qui fragilise lโ€™adhรฉsion de lโ€™oxyde sur le mรฉtal. Ces deux phรฉnomรจnes sont responsables de la rupture du film passif (rupture chimique et รฉlectrochimique), favorisant ainsi la formation de piqรปres par exemple. Nous reviendrons plus loin sur comment inhiber les effets des ions chlorure afin dโ€™avoir un matรฉriau plus rรฉsistant ร  la corrosion, cโ€™est-ร -dire possรฉdant un film passif qui laisse peu passer ces ions chlorures.

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Table des matiรจres

Introduction
1 ร‰tat de lโ€™art
1.1 Formation et structure des films passifs
1.1.1 Films dโ€™oxydes
1.1.2 Films passifs
1.1.3 Passivitรฉ des aciers austรฉnitiques
1.1.4 Lโ€™apport des techniques ร  sondes locales
1.2 La corrosion par piqรปres
1.2.1 Rupture de la passivitรฉ
1.2.2 Nuclรฉation des piqรปres et croissance
1.2.3 Aspect probabiliste de la corrosion par piqรปres, incertitudes et difficultรฉs de procรฉdure expรฉrimentale
1.2.4 Conclusions sur la corrosion par piqรปres
1.3 La corrosion sous contrainte des aciers austรฉnitiques
1.3.1 Les modรจles de la corrosion sous contrainte
1.3.2 Effets du facteur dโ€™intensitรฉ de contraintes
1.3.3 Initiation de la CSC : contrainte seuil et rรดle de la corrosion localisรฉe
1.3.4 Lโ€™รฉlectrochimie et les mรฉcanismes de la CSC
1.3.5 Corrosion induite par les contraintes rรฉsiduelles de surface
1.3.6 Conclusions concernant la corrosion sous contrainte
1.4 Discussion sur lโ€™apport des techniques ร  sonde locale
1.4.1 Corrosion par piqรปres au niveau des inclusions de MnS
1.4.2 Autre exemple : corrosion au niveau des prรฉcipitรฉs de carbures chrome
1.4.3 Utilisation des sondes locales en corrosion sous contrainte
1.4.4 Limites des techniques ร  sondes locales
1.5 Objectifs
2 Dispositifs expรฉrimentaux
2.1 Le Microscope ร  Force Atomique (AFM)
2.1.1 Principes et fonctionnement de lโ€™AFM en topographie
2.1.2 Forces dโ€™interaction
2.1.3 Modes dโ€™utilisation de lโ€™AFM
2.2 La diffraction des รฉlectrons rรฉtro-diffusรฉs : EBSD
2.2.1 Historique
2.2.2 Les lignes de Kikuchi (ou EBSP)
2.2.3 Cartographie EBSD dโ€™orientation
2.3 Le montage : un combinรฉ ยซย AFM, cellule รฉlectrochimique et platine de dรฉformationย ยป
2.3.1 Lโ€™AFM
2.3.2 La platine de dรฉformation
2.3.3 La cellule รฉlectrochimique
2.3.4 Lโ€™ensemble global
2.4 Les รฉprouvettes
2.4.1 Matรฉriau utilisรฉ
2.4.2 Design et gรฉomรฉtrie
2.4.3 Prรฉparation de surface
2.5 Conclusions
3 AFM in situ et corrosion en solution chlorurรฉe
3.1 Comportement รฉlectrochimique en milieu chlorurรฉ
3.2 ร€ potentiel contrรดlรฉ proche du potentiel de piqรปre
3.2.1 Piqรปres aux joints de grains
3.2.2 Piqรปres au niveau des bords de marches prรฉexistantes
3.2.3 Piqรปres au niveau de protubรฉrances de surface
3.2.4 Influence de lโ€™รฉcrouissage
3.2.5 Dรฉveloppement des piqรปres
3.3 Cinรฉtique de croissance des piqรปres
3.3.1 Suivi in situ de piqรปres au cours du temps
3.3.2 Dรฉtermination du temps exact รฉcoulรฉ pour un profil donnรฉ
3.3.3 Cinรฉtique
3.4 Conclusions : corrosion et AFM in situ sur des รฉchantillons non contraints
4 Dรฉformation plastique suivie in situ par AFM
Conclusion

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