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Pathologies dysfonctionnelles non lésionnelles
Définition
Les dysphonies dysfonctionnelles, aussi appelées dysphonies fonctionnelles, représentent 50 à 75% des troubles chroniques de la voix chez l’enfant (Crevier-Buchman et al., 2006). Il s’agit d’une perturbation de la voix en l’absence, dans un premier temps, de caractéristiques pathologiques structurelles ou neurologiques du larynx (Yang & Xu, 2020). Elles sont caractérisées par une perturbation du geste vocal dans son ensemble, à savoir de la soufflerie, des vibrateurs et/ou des résonateurs.
Ces troubles vocaux non organiques sont induits par un abus vocal ou un surmenage vocal prolongé dont les causes sont multiples. A terme, ils engendrent chez l’enfant des lésions morphologiques des plis vocaux si cet enfant n’est pas rapidement pris en soin (Giovanni & Moreddu, 2020). Les lésions engendrées sont principalement de type nodulaires ou œdémateuses (Wuyts et al., 2003).
Forçage vocal
Il s’agit d’un état de tension majoritairement causé par un abus du geste vocal qui va entraîner une perturbation laryngée. Par exemple, un sujet qui, au lieu de modérer son activité vocale lors d’une situation difficile comme une inflammation des cordes vocales, a l’habitude de crier pour se faire entendre et compenser cet état inflammatoire, est alors dans une situation d’abus vocal. Ce forçage vocal, s’il est ponctuel peut entraîner une laryngite qui ne sera normalement que transitoire, mais s’il devient récurrent, il peut devenir chronique et provoquer des lésions sur la muqueuse laryngée, à savoir des nodules ou des polypes (Baker & Blackwell, 2004). Nous parlerons alors d’une dysphonie compliquée de lésions dites acquises.
Le forçage vocal peut donc être la cause de lésions futures, mais il peut également être la conséquence de lésions préexistantes, congénitales, sur les cordes vocales. En effet, ces lésions altèrent la voix de l’enfant, ce qui va amener ce dernier à forcer sur sa voix en phonation (Chevaillier, 2013). Il s’agit là de dysphonies congénitales, dont nous parlerons également.
Surmenage vocal (overuse) versus malmenage vocal (misuse)
Le surmenage vocal (overuse) correspond à une « utilisation abusive de la voix dans des conditions d’efforts particulières » (Courrier et al., 2018). Il s’agit d’un geste vocal bref, répété, avec un débit fort, dans des situations de charge vocale élevée, qui va entraîner une utilisation vocale supra-physiologique ou trop fréquente par rapport au temps de repos vocal dont le corps aurait besoin. Le surmenage peut conduire au malmenage vocal (Morsomme & Remacle, 2013).
Le malmenage vocal (misuse) correspond à une utilisation désorganisée de la voix, qui se traduit par une posture altérée et/ou un couplage pneumo-phonique désorganisé. Le malmenage, s’il est persistant, peut entraîner le développement de lésions sur les cordes vocales. (Baker & Blackwell, 2004).
Dysphonies compliquées de lésions
Définition
Nous avons vu qu’un forçage vocal est mauvais pour la voix et peut conduire au développement d’une dysphonie. Ce comportement vocal peut également être délétère d’un point de vue anatomique et engendrer des lésions organiques observables grâce à des examens oto-rhino-laryngologiques (ORL). Ne seront abordées ici que les lésions bénignes les plus couramment rencontrées dans la dysphonie de l’enfant. Dans le cas des dysphonies avec lésions acquises, il s’agit principalement des lésions nodulaires et pré-nodulaires, qui sont les causes les plus retrouvées dans la dysphonie de l’enfant (Mornet et al., 2014) (Hron et al., 2019).
Nodules et kissing nodules
Les lésions nodulaires sont les lésions laryngées bénignes les plus courantes chez les enfants dysphoniques : elles surviennent dans 60 % des cas (Hseu & Ongkasuwan, 2019). Ce sont des microtraumatismes résultant la plupart du temps d’un forçage vocal préalable, localisés au niveau du bord inférieur de la partie médiane de la corde vocale. (Nicollas et al., 2008).
Les nodules se manifestent souvent chez l’enfant sous la forme de kissing nodules. Ce sont des nodules bilatéraux et symétriques qui sont susceptibles de disparaître ou diminuer si le forçage vocal disparaît. Les garçons sont plus touchés que les filles (McMurray, 2000).
Dysphonies congénitales
Définition
Les lésions organiques de type non nodulaires représenteraient 6 à 10 % des dysphonies chez l’enfant (Nicollas et al., 2008). Les dysphonies d’origine congénitale sont des dysphonies présentes depuis l’enfance en l’absence d’un surmenage ou d’un malmenage vocal. Leur traitement diffère des dysphonies avec lésions acquises dans le sens où la chirurgie est plus souvent nécessaire. L’orthophonie peut améliorer la voix en réduisant l’épaississement créé par le kyste, mais elle ne peut le faire disparaître totalement (McMurray, 2003). Parmi ces lésions organiques, sont présentes : le kyste épidermique, le sulcus glottidis (kyste ouvert) et le sillon large (vergetures). Ils correspondraient à trois stades évolutifs d’une même entité congénitale (Giovanni et al., 2009).
Les kystes épidermoïdes
Les kystes épidermoïdes sont la cause d’une dysphonie ancienne, souvent majorée lors de l’entrée à l’école (Coulombeau, 2017). Il s’agit de lésions blanchâtres, formées sous l’épithélium des cordes vocales et visibles à la surface supérieure de la corde vocale dans l’espace de Reinke. Le traitement est en principe chirurgical à partir de 10 ans (Coulombeau, 2017). Cependant, il est possible que le kyste, rempli de mucus, se vide spontanément sans geste chirurgical s’il est doté d’une ouverture, souvent sous le bord libre de la corde vocale (Giovanni et al., 2009).
Dans le domaine pédiatrique, les kystes peuvent être difficilement distinguables des nodules car il existe un nodule controlatéral pouvant présenter un aspect similaire au kyste épidermoïde (McMurray, 2003).
Les sulci glottidis et les vergetures
Les vergetures et les sulci sont des lésions longitudinales présentes sur le bord d’une ou des cordes vocales. Les sulci, aussi appelés kystes ouverts, correspondent à une poche d’invagination de l’épithélium. Les vergetures, elles, sont des lésions atrophiques rigides (Giovanni et al., 2009). Ces deux types de lésions sont plus souvent observées lors de la phase pré-pubertaire ou plus tard à l’âge adulte et sont en lien avec une dysphonie présente souvent depuis la petite enfance (Coulombeau, 2017).
Facteurs associés déclenchant ou favorisant la dysphonie
Comme nous l’avons constaté, les kissing nodules sont le diagnostic médical le plus fréquemment posé dans les dysphonies de l’enfant. En lien avec ce diagnostic, nous allons aborder maintenant les facteurs pouvant favoriser l’installation de nodules des plis vocaux.
Facteurs médicaux déclenchants
Les facteurs susceptibles de déclencher une dysphonie pédiatrique sont multiples et surtout intriqués les uns aux autres, c’est pourquoi ils nécessitent d’être investigués lors d’un interrogatoire précis (Giovanni & Moreddu, 2020). Les facteurs de risque iatrogéniques, traumatiques, liés à la prématurité ou une intubation ne seront pas abordés car il s’agit de causes de dysphonies plus facilement repérables et pris en charge médicalement (Crevier-Buchman et al., 2006).
Facteurs infectieux et inflammatoires
Selon Kremer et Lederlé, la dysphonie s’intègre souvent dans un contexte d’infections respiratoires diverses (Kremer & Lederlé, 2016).
Les laryngites aiguës inflammatoires ou chroniques peuvent altérer la voix chez l’enfant car celui-ci, dans le but de compenser la perte vocale consécutive à l’inflammation laryngée, peut être amené à entrer dans un comportement de forçage vocal (Crevier-Buchman et al., 2006). Les rhinopharyngites et rhinosinusites récidivantes sont également à surveiller. En effet, le pharynx étant contigu au larynx, une infection laryngée et une infection de la cavité nasale peuvent engendrer une rhinorrhée dans la cavité pharyngée, créant un réflexe de hemmage, de toux, des éternuements et une irritation chronique de la muqueuse des plis vocaux pouvant être délétères (Crevier-Buchman et al., 2006).
La toux chronique est également un facteur potentiellement déclenchant d’une altération des cordes vocales. Cette toux régulière abîme les structures cartilagineuses et la muqueuse laryngée et peut, à terme, détériorer la coordination pneumo-phonique du patient (Le Huche & Allali, 2020).
Facteurs respiratoires ou gastriques
En plus des facteurs infectieux ou inflammatoires, nous retrouvons des facteurs pathologiques de type respiratoire ou gastrique à l’origine de conséquences néfastes sur les structures laryngées et entraînant l’apparition d’une dysphonie.
Une étude de 2019 menée auprès d’une population pédiatrique rapporte que les troubles vocaux sont courants chez des enfants présentant des troubles bronchopulmonaires (Hseu et al., 2019). Une pathologie respiratoire comme de l’asthme par exemple peut se répercuter sur la phonation en modifiant la dynamique respiratoire de la phonation (Crevier-Buchman et al., 2006).
Le reflux laryngo-pharyngé (RLP) est une manifestation silencieuse du reflux gastro-œsophagien, caractérisée par des symptômes extra-œsophagiens comme un enrouement, une dysphonie, un hemmage chronique, du mucus post-nasal, une toux. Sa particularité est que l’acide gastrique remonte sous forme gazeuse jusqu’aux zones pharyngée et laryngée, et vient par conséquent irriter directement les plis vocaux. Une étude menée sur 163 enfants souffrant de RLP montre que 95 % d’entre eux souffraient d’enrouement chronique, 72 % présentaient une inflammation des cordes vocales et 29 % présentaient des nodules (Wertz et al., 2020).
Le reflux gastro-œsophagien (RGO) est également un facteur qu’il faut souligner. Plusieurs études ont constaté le lien entre RGO et dysphonie, il faut donc être attentif à la présence ou non de ce phénomène gastrique lors d’une dysphonie (Saniasiaya & Kulasegarah, 2020). Cependant, ce sujet est controversé dans la littérature, c’est pourquoi il convient de ne pas incriminer le RGO trop rapidement lors des consultations et ne pas prescrire des inhibiteurs de pompe à protons trop rapidement (François, 2017).
Hypoacousie
Lorsqu’une dysphonie se déclare chez un enfant, il est essentiel de penser à une baisse auditive. Le dépistage d’une potentielle hypoacousie devra être effectué auprès d’un ORL car une déficience du contrôle audio-phonatoire peut amener l’enfant à hausser la voix et entrer ainsi dans un comportement de forçage vocal (Chevaillier, 2013).
Les facteurs déclenchants que nous venons d’aborder sont donc importants à identifier afin de prendre en charge l’enfant au mieux. En plus de ces facteurs-ci, des facteurs favorisants liés au milieu social, familial et au comportement de l’enfant peuvent être notés lors de la consultation (Kremer & Lederlé, 2016).
Facteurs favorisants
Les facteurs suivants ont été retrouvés chez les enfants souffrant de dysphonie. Ils nécessitent également d’être questionnés lors du bilan d’une dysphonie pédiatrique. Il s’agit de facteurs d’origine physiologique, environnemental, familial et comportemental pouvant amener l’enfant à un comportement de forçage.
Le facteur majeur, d’origine physiologique, est celui du sexe. Nous l’avons abordé précédemment : les garçons plus susceptibles de développer des dysphonies à l’âge scolaire.
Les facteurs environnementaux importants à relever sont : la présence d’autres enfants dans la fratrie, l’environnement scolaire/périscolaire de l’enfant et le facteur familial. Concernant la fratrie, il apparaît qu’avoir des frères et sœurs plus âgés est un facteur déclenchant ou favorisant à la dysphonie. En effet, la majorité des enfants souffrant de dysphonie avaient un ou des frères ou sœurs, souvent plus âgés. Est mise en cause dans ce cadre la volonté de se faire entendre face à ces derniers (Carding et al., 2006), (Wuyts et al., 2003), (Tuzuner et al., 2017).
L’environnement familial ou scolaire bruyant est un critère souvent mis en corrélation avec la présence de frères et sœurs à la maison mais sans qu’il s’agisse nécessairement d’aînés (Tuzuner et al., 2017). Un environnement sonore bruyant va inciter l’enfant à hausser la voix et peut l’amener à du forçage vocal ou traumatisme vocal (Carding et al., 2006).
Le facteur familial est à prendre en compte et à interroger. Le fait qu’avoir un des deux parents souffrant de dysphonie peut favoriser le développement d’une dysphonie chez l’enfant jeune, et ce par phénomène de mimétisme. Ainsi, par imitation inconsciente de son parent, l’enfant peut développer de mauvaises habitudes vocales (Heuillet-Martin et al., 2007).
Le facteur favorisant environnemental est marqué par la personnalité de l’enfant qui peut, selon certains auteurs, être un facteur supplémentaire jouant sur l’apparition d’un trouble vocal. Cela s’explique par le fait qu’avoir une personnalité plutôt extravertie irait avec une façon de communiquer impliquant une voix forte et qui entrerait spontanément dans le forçage vocal (Crevier-Buchman et al., 2006). Il a également été montré que les enfants disposant d’une forte volonté de se faire entendre dans un groupe de pairs ont plus de risques d’adopter un comportement vocal hyperkinétique pouvant amener à une dysphonie (Milutinović, 1994).
Prendre en charge l’enfant dysphonique
Origine de la plainte et dépistage
Origine de la plainte
La dysphonie de l’enfant est encore trop peu souvent détectée et moins prise en compte que chez l’adulte. La plainte concernant la voix altérée de l’enfant vient peu de ses parents car ceux-ci sont habitués à la voix de leur enfant et ne sont pas toujours en mesure de relever le timbre rauque, éraillé de leur enfant (Chevaillier, 2013). L’enfant en question se plaint très rarement de sa voix et ne sera pas non plus la personne à l’origine de la consultation médicale pour sa voix. Cependant, même s’il se plaint rarement, il est conscient qu’elle est différente de ses pairs et est apte à émettre un jugement dessus. Il a été démontré que les enfants souffrant de troubles vocaux sont capables de verbaliser les conséquences négatives qu’engendre leur dysphonie, à savoir une voix qui ne fonctionne plus quand ils le souhaiteraient, ceci entraînant de la tristesse et une mise en retrait (Connor et al., 2008). Au vu de ce constat, il est important que les enfants souffrant de troubles vocaux puissent être dépistés.
L’idée de la consultation pour la voix provient alors la plupart du temps de personnes extérieures comme un professeur de musique, un enseignant, un médecin ou encore un orthophoniste qui repèrent en premier que la voix de l’enfant est altérée (Klein-Dallant, 1998). Pascale Amberger, logopédiste, déclare qu’à Genève, 40 % des enfants souffrant de troubles vocaux sont adressés en rééducation orthophonique par « leur professeur de solfège, 20 % par leur professeur d’instrument de musique, 20 % par un membre du corps enseignant, 15 % viennent parce que leurs parents ou une personne de leur entourage s’inquiète et 5 % seulement sont adressés par un médecin, souvent ORL ou allergologue » (Amberger, 2020).
Etat et intérêt du dépistage précoce
Les données sur le dépistage des dysphonies infantiles sont rares en France. Cependant, il semble que les prescripteurs français sont souvent occasionnels dans le cadre des dysphonies de l’enfant (Gatignol, 2009). De même, au vu des chiffres de prévalence élevés dans la population générale et au vu du peu d’articles à propos de la dysphonie pédiatrique et sa prise en charge, ce sujet semble encore sous-considéré.
Le sous-dépistage de la dysphonie peut s’expliquer par plusieurs raisons. Tout d’abord, l’identification d’une voix pathologique n’est pas une tâche aisée, d’abord parce que la voix est une composante personnelle mais aussi parce que la notion du pathologique la concernant est subjective (Boyle, 2000). Cela induit que savoir repérer une voix qui est altérée nécessite une certaine expertise.
Par ailleurs, certaines études révèlent un défaut de connaissances générales des dysphonies de la part des médecins et de pédiatres. Par exemple, une étude américaine menée en 2014 mentionne que 20 % des médecins et pédiatres déclarent ne pas investiguer les troubles vocaux de l’enfant en consultation (Sajisevi et al., 2014). Cela peut s’expliquer par le fait qu’ils sont peu au courant de cette pathologie. Pourtant, les professionnels recevant des enfants devraient chercher à identifier les troubles de la voix et orienter plus rapidement vers des médecins spécialistes les enfants tout-venants (Johnson et al., 2020). Un autre frein à cette identification des troubles vocaux provient du fait que les examens réalisables lors d’une consultation auprès d’un médecin généraliste sont limités comme nous le verrons ultérieurement (Cooper et Quested, 2016).
Pourtant, il est primordial que le dépistage du trouble se fasse dès les premiers signes, afin d’éviter son installation et endiguer les conséquences secondaires. L’hypothèse selon laquelle la dysphonie chez l’enfant se résorberait spontanément et fréquemment à l’adolescence est ambitieuse car il semble que la qualité de voix de ces enfants reste inférieure à celles d’adultes n’ayant pas eu de troubles vocaux (De Bodt et al., 2007). Chez 38 % des enfants diagnostiqués avec une dysphonie, les troubles vocaux persistent pendant au minimum quatre ans post-diagnostic, temps suffisamment important pour créer des retentissements dans la vie de l’enfant (Powell et al., 1989). Toujours pour appuyer ce propos, une étude de cohorte menée auprès de sujets pour lesquels des nodules vocaux avaient été diagnostiqués à l’âge de 12 ans montre que 29 % du groupe avait encore des nodules impliquant une altération vocale après la puberté (De Bodt et al., 2007). Ces dysphonies ne disparaissent donc pas nécessairement lors de la période pubertaire et surtout en ce qui concerne les filles, pour lesquelles la vigilance sur le plan vocal doit être accrue (Cornut & Trolliet-Cornut, 1995).
Ces éléments soulèvent l’intérêt d’une identification précoce des enfants atteints de troubles vocaux pour la mise en place d’une intervention précoce (Schwartz et al., 2009). Afin que ce repérage se fasse précocement, les médecins généralistes doivent être en mesure de repérer au plus tôt les symptômes d’une éventuelle dysphonie.
Symptomatologie et retentissements
Symptomatologie
Les manifestations audibles de la dysphonie sont hétérogènes mais nous aborderons les caractéristiques les plus courantes et identifiables. Un problème de voix existe lorsque le volume, la hauteur ou la qualité de la voix ne sont pas en accord avec l’âge ou le sexe de l’enfant et qu’il existe un retentissement (Baker & Blackwell, 2004).
De plus, l’enrouement est, selon Woo, Colton et Casper, le symptôme le plus courant chez l’enfant dysphonique (Woo et al., 1991). Cet enrouement doit être persistant (plus de 2 à 3 semaines) et non associé à une infection pour qu’un trouble de la voix soit envisagé. De même pour la perte de la voix.
Des pertes de voix sont également fréquemment retrouvées chez les enfants dysphoniques, ainsi qu’une voix cassée, une sensation d’effort vocal et un timbre de voix particulier (Yang & Xu, 2020). Il est possible que l’enfant ait une voix qui ne projette plus correctement ou une voix qui a une projection limitée dans le temps (Sood et al., 2017).
Retentissements du trouble vocal
Lorsque la voix dysfonctionne, le quotidien en est impacté. Les retentissements du trouble vocal sur la vie des enfants sont de plusieurs natures : il est possible de distinguer des retentissements à long terme, psycho-sociaux, émotionnels, professionnels futurs, scolaires et des retentissements sur l’image qui est renvoyée à l’interlocuteur.
Concernant le retentissement de la dysphonie sur le long terme, il est noté que chez certains enfants, la dysphonie n’engendre pas de gêne dans l’immédiat (Souza 2017). Néanmoins, plusieurs autres études montent qu’à long terme, les enfants souffrant de dysphonie ont une qualité et une force vocale altérée qui peut endommager les cordes vocales (Boyle, 2000). De même, le fait que les lésions nodulaires ne s’estompent pas toujours à l’adolescence est à prendre en considération (Cornut et Trolliet-Cornut, 1995).
Le retentissement émotionnel est mis en lumière par l’étude de Connor et al. en 2008, qui déclare que, même jeunes, ces enfants ressentent dans leur quotidien de la colère, de la tristesse et du découragement quant à leur voix (Connor 2008). En plus du retentissement émotionnel, cette même étude met en avant que les jeunes enfants de 5 à 7 ans rapportent une gêne d’ordre physique liée à leur voix, en précisant qu’ils ressentaient parfois un mal de gorge, un manque d’air et une sensation semblable à une difficulté à se faire entendre. Ces critères sont complétés par, pour les enfants de 8 à 12 ans, une perte de la voix et une sensation de chaleur dérangeante dans la gorge (Connor, 2008).
De plus, le trouble vocal impacte la sphère scolaire de l’enfant. Les résultats de l’étude de Connor nous montrent que 60 % des enfants de 8 à 12 ans ont reconnu limiter leur participation en classe, notamment pour des activités de lecture à voix haute, par peur que leur voix ne sorte pas ou s’interrompe et par peur de subir des moqueries de la part de leurs camarades (Connor, 2008). Au-delà des perceptions que l’enfant a sur lui-même, la dysphonie altère aussi la perception que les auditeurs vont avoir de l’enfant qui souffre d’une voix altérée : les enfants présentant des troubles vocaux sont perçus de façon plus négative par leurs interlocuteurs adolescents et adultes que leurs pairs sans troubles de la voix (Ruscello et al., 1988). L’apparence physique, la personnalité de l’enfant et ses compétences cognitives sont plus négativement jugées par ses pairs, et particulièrement par les adultes, par simple écoute de la voix dysphonique (Lass et al., 1991). Souffrir d’un trouble vocal n’est donc pas sans conséquences pour l’enfant qui en est atteint.
Parcours de soins de l’enfant dysphonique
Le parcours de soin de l’enfant ayant un trouble de la voix passe par une consultation médicale avec son médecin traitant ou son pédiatre, qui l’orientera vers un spécialiste si besoin et qui, lui-même, prescrira si nécessaire un traitement médical, chirurgical, pharmacologique et/ou une rééducation vocale.
Prise en charge médicale
Acteurs de la prise en charge médicale
Le médecin traitant est l’acteur médical principal dans la vie de l’enfant. C’est par lui que passent les décisions d’orientation vers des spécialistes car il est au premier plan de la santé de l’enfant.
A propos de la dysphonie, une altération vocale installée depuis 2-3 semaines ou plus doit faire l’objet d’une consultation auprès du médecin de l’enfant dans un premier temps (Sood et al., 2017). La durée et l’installation progressive ou brutale de la dysphonie seront essentielles afin de poser un diagnostic.
En 2016, Cooper et Quested ont établi une ligne d’approche possible de l’interrogatoire concernant les dysphonies pour les médecins généralistes. Leur article concerne les troubles vocaux de l’adulte mais certaines informations restent intéressantes à prendre en compte pour les enfants. Lors de l’interrogatoire, le médecin généraliste inclut des questions concernant les facteurs déclenchants et favorisants que nous avons vus précédemment. Son examen clinique ne pouvant contenir la visualisation du larynx, un examen externe de la tête, du cou et du thorax sera réalisé ainsi qu’un examen de la cavité buccale et de l’oropharynx afin d’écarter des affections graves. De plus, le médecin peut demander au patient de prononcer un « a » long le plus longtemps possible. Si ce temps maximal de phonation est inférieur à huit secondes, cela renseigne souvent sur une éventuelle pathologie vocale qu’il faudra investiguer auprès d’un médecin spécialisé dans les affections de la tête et du cou, à savoir un ORL ou un phoniatre. L’écoute d’un stridor à l’examen respiratoire doit inciter le médecin à réorienter de façon urgente vers le spécialiste qui pratiquera un examen interne (Cooper et Quested, 2016).
Il est donc possible pour le médecin généraliste d’identifier des éléments en faveur d’une dysphonie. Cependant, la dysphonie, affection courante chez les enfants, ne peut être totalement évaluée et traitée en consultation de médecine générale étant donné que le nombre de diagnostics différentiels est important et que les examens réalisables sont limités en raison de l’impossibilité de visualiser les zones internes. De plus, il faut que le médecin sache identifier les patients avec une voix potentiellement préoccupante à propos de laquelle il conviendrait d’interroger son détenteur, ce qui n’est pas aisé car la diffusion des connaissances dans le domaine de la voix sont limitées (Cooper et Quested, 2016). Le médecin généraliste doit par conséquent orienter vers un ORL dès le moindre doute quant à une dysphonie (Cooper et Quested, 2016).
Il peut, en attendant la consultation ORL ou phoniatrique, prodiguer des conseils d’hygiène vocale comme le repos vocal partiel, certaines mesures d’hygiène de vie comme un apport hydrique élevé, une limitation des facteurs aggravants irritants (tabagisme passif, situations trop bruyantes…) ou encore éviter le chuchotement qui entraîne une friction d’air plus importante sur les plis vocaux. En cas de laryngite, des pastilles à sucer peuvent être données en complément des conseils. Dans le cas d’un RLP ou RGO, des examens confirmant le diagnostic seront effectués (Cooper et Quested, 2016).
Le médecin ORL ou le médecin phoniatre est également un acteur strictement essentiel dans la prise en soin d’un enfant souffrant de dysphonie. Toute dysphonie chez un enfant impose un examen laryngé pratiqué par un médecin ORL ou par un médecin phoniatre. C’est cet examen qui déterminera si l’enfant doit bénéficier d’un traitement médicamenteux, chirurgical et/ou orthophonique en lien avec son trouble vocal (Baker & Blackwell, 2004).
L’ORL est un médecin chirurgien spécialiste des affections et anomalies de la sphère oro-faciale. Le phoniatre est un médecin ORL spécialisé en phoniatrie, il est donc spécialisé dans les troubles de la voix, de l’articulation et de la déglutition. Dans le cadre d’une dysphonie pédiatrique, les deux sont tout à fait habilités à établir un diagnostic. Lors de l’examen ORL, le larynx est exploré de façon interne par nasofibroscopie (ou épipharyngoscopie) ou laryngoscopie et est essentiel pour le diagnostic de lésions laryngées. Cet examen permet d’écarter une pathologie potentiellement grave (Hron et al., 2019). Cependant il faut noter que la réalisation de cet examen n’est pas aussi simple chez un enfant que chez un adulte d’un point de vue comportemental. L’évaluation vocale durant la consultation se fait de manière subjective et sur l’expérience du praticien ainsi que sur des échelles comme le GRBAS/I, échelle d’Hirano. Le retentissement vocal doit être pris en compte dans l’évaluation et peut être mesuré grâce au Voice Handicap Index (VHI) pediatric, adapté en français (Oddon et al., 2018). La consultation comprend également l’explication à l’enfant et aux parents du fonctionnement de la voix. Une thérapie vocale effectuée par un orthophoniste est proposée en première intention dans le cadre d’une dysphonie de l’enfant (Sood et al., 2017). Le traitement chirurgical n’est envisagé que dans le cas où la thérapie vocale ne fonctionnerait pas. En dehors d’une pathologie sévère, l’abstention thérapeutique peut avoir lieu si l’enfant se sent bien avec sa voix et s’il n’y a aucun retentissement social, physique, communicationnel (Crevier-Buchman et al., 2006).
Traitements médicamenteux et chirurgicaux
Des médicaments peuvent être prescrits afin de traiter les facteurs favorisants et déclenchants du trouble vocal. Ils permettent d’atténuer la dysphonie dans le cas où cette dernière serait principalement en lien avec une infection ou une allergie. Toutefois, les médicaments anti-reflux pour traiter une dysphonie isolée ne doivent pas être prescrits systématiquement s’ils reposent sur une simple suspicion de RGO ou RLP. Les corticoïdes devraient être prescrits uniquement après visualisation du larynx de la personne dysphonique et pas avant. Les effets secondaires de ces médicaments pouvant être délétères pour la voix étant donné leur action irritante directe en inhalation (Stachler et al., 2018).
Moins de 10 % des enfants présentant une lésion vocale bénigne bénéficieront d’une chirurgie selon le docteur Coulombeau (Coulombeau, 2017). La chirurgie, rarement réalisée avant l’âge de 9 ans, concerne surtout les lésions qui ne sont pas réversibles par un autre biais comme les kystes (Cornut et Trolliet-Cornut, 1995).
La microchirurgie laryngée, qui a lieu sous anesthésie générale, n’est donc pas le traitement de référence pour les lésions bénignes des cordes vocales de l’enfant. Elle est même évitée la plupart du temps car le larynx des enfants n’est pas totalement développé, les cordes vocales n’ont pas fini de grandir et, de plus, certaines lésions bénignes peuvent disparaître sans chirurgie avec d’autres méthodes comme l’orthophonie. Une autre contrainte soutenant le fait que la chirurgie est évitée en pédiatrie, est qu’après l’opération, le repos vocal est préconisé et il peut être compliqué pour un enfant de respecter cette recommandation (Hron et al., 2019).
La décision de l’opération fait suite à un diagnostic précis réalisé lors d’un bilan par le médecin ORL-phoniatre et s’inscrit dans une prise en charge globale de l’enfant comprenant également la prise en charge vocale, réalisée par l’orthophoniste, et des conseils visant à éliminer les facteurs étiologiques de la dysphonie (Giovanni et al., 2009).
Prise en charge orthophonique
La thérapie vocale est, pour les médecins ORL, le traitement de référence des lésions acquises des cordes vocales chez l’enfant (Moran & Pentz, 1987). Cette thérapie a pour objectifs d’aider l’enfant à identifier les différentes utilisations qu’il peut faire de sa voix et corriger le geste vocal altéré (McMurray, 2003). Pour ce faire, la collaboration entre le médecin phoniatre-ORL et l’orthophoniste est essentielle car l’orthophoniste, afin de mener à bien sa rééducation, a besoin de connaître l’état laryngé du patient et en retour, le médecin spécialiste doit être tenu au courant de l’évolution favorable ou non de la thérapie vocale (Cornut et Trolliet-Cornut, 1995).
Le rôle de l’orthophoniste, qui intervient sur prescription médicale, est fondamental dans la prise en charge des troubles de la voix. L’intervention orthophonique peut être prescrite pour plusieurs raisons : elle peut être prescrite afin de résoudre le trouble vocal quand les traitement médicaux (chirurgicaux ou pharmacologiques) sont contre-indiqués, elle peut être le traitement initial dans le cas où le traitement médical peut être évité et elle peut avoir lieu en complément d’une chirurgie en pré et post-intervention chirurgicale (Ramig & Verdolini, 1998).
L’âge à partir duquel la rééducation vocale peut être préconisée varie selon les auteurs. D’après Cornut et Trollier-Cornut, elle est réalisable à partir de l’âge de 5-6 ans, sur un rythme de deux fois par semaine, si l’enfant a accepté cette rééducation et si les parents sont motivés pour cette prise en soin. Dans le cas où la dysphonie serait très importante, il est possible de réaliser une thérapie vocale avant l’âge de 5 ans sous forme de guidance parentale (Cornut et Trolliet-Cornut, 1995). La motivation de l’enfant est un pré-requis nécessaire car s’il n’y a pas de motivation de la part de l’enfant de vouloir changer sa voix, ou que les parents ne sont pas motivés, alors la rééducation ne pourra pas être menée (Hron et al., 2019).
La thérapie vocale peut être menée de manière indirecte, c’est-à-dire s’appuyer sur des conseils d’hygiène vocale, sur une éducation quant à la physiologie laryngée normale et sur une identification des comportements traumatiques à modifier pour la voix. Elle peut également être menée de façon directe, c’est-à-dire mettre en pratique des apprentissages de nouveaux comportements vocaux à adopter avec des mises en pratiques concrètes pour la vie courante (Hartnick et al., 2018). Selon Hartnick dans son étude contrôlée randomisée, qu’elle soit directe ou indirecte, la thérapie vocale améliore de façon statistiquement significative la qualité de vie des enfants âgés de 6 à 10 ans qui présentent des nodules, sans qu’il y ait de différence entre les deux types de thérapie (Hartnick et al., 2018). Deal et al. ont rapporté que, sur 31 enfants de 5 à 13 ans, 84 % avaient une réduction des nodules et 65 % avaient des larynx redevenus normaux après la rééducation vocale (Deal et al., 1976). En 2009, Tezcaner et al. ont constaté une amélioration statistiquement significative de la qualité vocale globale de l’enfant (Tezcaner et al., 2009). Malgré le fait que les études au sujet de l’efficacité objective de la thérapie vocale pédiatrique soient rares, celles qui existent rapportent une amélioration de la voix, ce qui est encourageant (Ongkasuwan & Friedman, 2013).
Ainsi, l’orthophoniste a comme axe de travail à la fois une guidance parentale, un travail de prise de conscience du comportement vocal à modifier, un travail d’apprentissage de contrôle moteur global et de modélisation et un travail d’information du fonctionnement de la voix (Hartnick et al., 2018). Ces éléments doivent être travaillés conjointement car des conseils d’hygiène vocale seuls ne sont pas suffisants.
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Table des matières
INTRODUCTION
PARTIE THEORIQUE
Chapitre 1 : Les dysphonies de l’enfant en âge scolaire
1. Epidémiologie
1.1. Définition
1.2. Prévalence
1.3. Sexe
1.4. Période d’apparition
2. Etiologies
2.1. Pathologies dysfonctionnelles non lésionnelles
2.1.1. Définition
2.1.1. Forçage vocal
2.1.2. Surmenage vocal (overuse) versus malmenage vocal (misuse)
2.2. Dysphonies compliquées de lésions
2.2.1. Définition
2.2.2. Nodules et kissing nodules
2.3. Dysphonies congénitales
2.3.1. Définition
2.3.2. Les kystes épidermoïdes
2.3.3. Les sulci glottidis et les vergetures
3. Facteurs associés déclenchant ou favorisant la dysphonie
3.1. Facteurs médicaux déclenchants
3.1.1. Facteurs infectieux et inflammatoires
3.1.2. Facteurs respiratoires ou gastriques
3.1.3. Hypoacousie
3.2. Facteurs favorisants
Chapitre 2 : Prendre en charge l’enfant dysphonique
1. Origine de la plainte et dépistage
1.1. Origine de la plainte
1.2. Etat et intérêt du dépistage précoce
2. Symptomatologie et retentissements
2.1. Symptomatologie
2.2. Retentissements du trouble vocal
3. Parcours de soins de l’enfant dysphonique
3.1. Prise en charge médicale
3.1.1. Acteurs de la prise en charge médicale
3.1.2. Traitements médicamenteux et chirurgicaux
3.2. Prise en charge orthophonique
Chapitre 3 : Formation des médecins généralistes et intérêt de l’éducation de ces professionnels de santé
1. Formation des médecins généralistes
1.1. Formation initiale
1.2. Formation continue
2. Les supports de l’information et de la communication
2.1. Quels outils pour une formation des professionnels de santé ?
2.2. Utilité des outils d’information
3. Intérêt de participer à l’information des médecins généralistes
PARTIE EXPERIMENTALE
Problématique et hypothèses
Sujets, matériel et méthode
1. Population de l’étude
1.1. Critères d’inclusion
1.2. Critères d’exclusion
2. Matériel
2.1. La plaquette de sensibilisation
2.2. Le questionnaire
3. Procédure de recueil des données
4. Statistiques
Résultats
1. Description de l’échantillon
2. Analyse statistique des données recueillies
2.1. Médecins généralistes et enfants dysphoniques
2.2. Données concernant les informations de la plaquette
2.1. Commentaires des utilisateurs visés à propos de la plaquette
2.2. Effet potentiel de la plaquette sur la pratique des médecins interrogés
Discussion
1. Validation ou invalidation des hypothèses
1.1. Hypothèse 1
1.2. Hypothèse 2
2. Limites de l’étude
3. Perspectives
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE
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